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4) « Enfin, la démocratie et les élections européennes sont des arêtes qui ne passent pas ». !

Nous venons de voir les conditions historiques, conjoncturelles et stratégiques qui conduisent à l’échec de la Nupes.Observons les conditions idéologiques et programmatiques qui vont aboutir au choc politique.

La multiplication des provocations, des agitations, des couacs et autres déclarations ont l’apparence du chahut parlementaire malvenu dans un besoin d’ordre, vu les crises. 

Mais cela oblige surtout les partis qui composent la Nupes à rester globalement dans son cadre. 

La Nupes pétrie de désaccords de toutes sortes ne peut se maintenir que dans l’affrontement permanent. Et le chef d’orchestre est avec habileté Jean-Luc Mélenchon.

Ce n’est pas du folklore. Il s’agit d’une tactique nécessaire à l’union factice. On ne quitte pas une voiture lancée à pleine vitesse. Mais surtout, il s’agit d’une stratégie : la constitution du peuple comme peuple.  

La référence politique de Mélenchon Hugo Chavez le dit. Il s’oppose « aux pratiques représentatives libérales et partisanes ». 

Les idéologues du populisme de gauche comme Chantal Mouffe et Ernesto Laclau le théorisent.

Chantal Mouffe oppose la démocratie libérale constituée « par le règne de la loi, la défense des droits de l’homme et le respect de la liberté individuelle et une tradition individuelle » à une tradition démocratique fondée « sur l’égalité, l’identité entre gouvernants et gouvernés et la souveraineté du peuple ».

Ernesto Laclau, lui, considère que la constitution d’un peuple n’est possible qu’au prix de la reconnaissance de tous les individus dans un même leader et l’adhésion de tous à un chef : « le représenté dépend du représentant pour la constitution de son identité ». 

Il ne s’agit pas seulement d’une thèse psychanalytique sur l’inconscient collectif cher à Gustave Jung. Dans son livre « la raison du populisme » Ernesto Laclau se veut au cœur d’un phénomène historico-politique. L’exemple mis en avant par le penseur Argentin est celui de Boulanger qui ébranle la 3ème République.

Chez le général cohabite la « Sainte canaille » de 89, voire La Commune de Paris avec Jeanne d’Arc et surtout une rhétorique anti-étranger. Peu importe le contenu, ce qui est essentiel c’est le mouvement. Car, d'après notre penseur, il met en cause l’oligarchie. Peu importe donc les forces sociales en jeu, les idées avancées, même le leader, car l’identification du peuple « hétérogène » à ce dernier en fait une force matérielle, une force homogène qui met en cause de fait l’oligarchie régnante.

Pablo Iglesias, le leader de Podemos, ne déclare-t-il pas que Podemos occupe le même espace que Siryza en Grèce, Beppe Grillo en Italie ou le Front national en France ?  

Cette neutralisation du populisme, pourvu qu’il mette en cause l’oligarchie, explique l’impossibilité d’appeler à voter pour Emmanuel Macron face à Marine le Pen. Ce qui explique aussi que la France insoumise soit si peu attentive à l’antisémitisme, à l’Islam intégriste, aux radicalités antihumanistes (A Caron) etc. Car tout ce qui bouge dans le peuple est rouge.

Vieux débat entre Jean-Jaurès et Jules Guesde. 

Cette glorification du populisme, au-delà du mot peuple, se retrouve aussi chez Alain de Benoist dans son livre « le moment populiste : Droite-Gauche, c’est fini »

Si Chantal Mouffe ne voit pas d’avenir à la social-démocratie car il n’y a rien à redistribuer, Laclau, lui, ne croit pas dans la démocratie libérale car il n’y a rien à délibérer.  

Hugo Chavez offre la solution : « le droit au référendum révocatoire ». Et Mélenchon va l’adapter à la 6ème République.

Une démocratie directe par le peuple, c’est aussi vieux que le conseillisme ouvrier de Pannekoeke dans les années 20 tout juste revue par les théories plébiscitaires latino-américaines. Notons que les conseillistes disaient « Il faut utiliser le parlement comme tribune et s’en servir pour le détruire de l’intérieur ».

La source de ce gauchisme autoritaire est là : « la constitution du peuple en classe par son héraut ». Et le recours à la démocratie directe pour son expression. C’est au cœur de la divergence entre le populisme de gauche et la social-démocratie.

La démocratie est par essence délibératoire. La démocratie s’est inscrite dans l’ADN d’un corps aux multiples visages et aux aspirations diverses. L’unicité d’un peuple ne se fait que face à un ennemi menaçant et encore. En temps « démocratique », elle signifie le petit doigt sur la couture du pantalon. Et pour tout dire, c’est le parti unique. 

La social-démocratie, comme son nom l’indique, fait de la démocratie représentative et des corps intermédiaires les leviers de la transformation. Et ceci est au cœur de la République. Elle pratique le compromis et peut, évidemment pour l’obtenir, stimuler le rapport de forces.

C’est aussi les raisons du mépris de la France insoumise pour les élu.e.s locaux et surtout des syndicats dont elle n’a de cesse que de les déborder par une action directe.

Au fond, pour les populistes de gauche, les corps intermédiaires de gauche sont des obstacles à la constitution du peuple de façon autonome. 

Cette rhétorique recycle la théorie « des appareils sociaux-démocrates et communistes, obstacles à la révolution » très en vogue dans les années 60 à l’extrême gauche.

Le désaccord touche aussi le régime intérieur des formations politiques. Là où les courants, tendances et expressions diverses sont un mode de régulation des désaccords. Rien de tout cela à la France insoumise.  

Des crises surviennent dans le Mélenchonisme comme avec l’ex-socialiste Marc Dolez. Elles sont nombreuses...Et à chaque fois, les dissidents doivent partir. Clémentine Autain le sait. Ruffin ne l’ignore pas : il n’y a pas d’autres expressions possibles que celle de l’orateur du peuple. Clémentine Autain déplore dans le Point que LFI « repose sur un petit noyau de dirigeants » et que « les lieux de décisions restent flous ».

Donc la Nupes n’est pas une fin pour Mélenchon mais un moyen pour promouvoir les « partisans du peuple ».

Passée la sidération, les formations de gauche qui procèdent de la démocratie représentative ne pourront accepter la « démocratie plébiscitaire » et son mode de fonctionnement hégémonique. L’épisode de la fusion des groupes énoncés par Mélenchon en est l’exemple. 

La question européenne sera le moment de vérité.

La France insoumise est souverainiste de gauche. Pour Chavez, « Simon Bolivar est l’archétype de la lutte contre toutes interférences étrangères ». C’est la source des positions antiyankees de la France insoumise qui propose à la France de rejoindre l’alliance bolivarienne aux côtés de Maduro et Ortega. C’est la base d’un « campisme » inconditionnellement anti-impérialiste, d’un raisonnement borgne qui ignore la nature des régimes et qui refusent « l’impérialisme ». 

Si le RN amalgame le social au sens national qui absorbe la question sociale et rejette les individus étrangers hors du corps sain de la nation, à la France insoumise, le souverainisme est le moyen de la constitution du peuple dans le rejet de l’Europe « par essence libérale ». C’est l’ennemi qui permet l’identification. 

L’hostilité à l’Europe, le souverainisme de gauche ont toujours existé à gauche et même au PS mais ce ne sont ni toute la gauche ni sa majorité. Si le PS les acceptait, il changerait de nature.

L’Europe sera « l’arête » qui ne passe pas.

Mélenchon a fait le premier pas en indiquant donc que le « refus des traités est la clé de voûte de la Nupes ». Emmanuel Bompard a battu le rappel sur la proposition du chef. Jérôme Guedj l’a pris au mot et Sandrine Rousseau acquiesce : « la Nupes est une construction sur le long terme d’une écologie et d’une gauche radicale sociale et populaire. Aux prochaines élections, il nous faudra confirmer l’espoir qui en est né ».

Voilà un désaccord majeur au sein des écologistes souligné dans une tribune signée par plusieurs centaines d’écologistes dont Jadot, Mamère, Cormand, Piolle etc., texte dont monsieur Bayou se dit proche. 

Ce débat va rebondir dans le PS.

C’est une évidence que nous sommes sur une question existentielle. D’autant que la lutte contre l’inflation, l’urgence écologique et la guerre requièrent la mutualisation européenne. 

Soit il y aura aux européennes une liste unique Nupes. Et il y aura une liste concurrente de la Gauche européenne. 

Soit chaque parti membre de la Nupes aura sa liste.

Dans les 2 cas, c’est la fin de la Nupes.

Telle est l’équation à venir de la Nupes dans la situation politique.  

Cette clarification sera nécessaire car on ne peut aborder la crise politique et surtout sociale française sans savoir qui on est et où veut-on aller.

Certes, la peur de la dissolution joue un rôle coercitif.

Certes, l’irruption sociale en est un autre. 

Certes, il y aura d’ici là maints esclandres et de nombreux soubresauts. L’exemple des déclarations sur Taïwan, ou l’anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv, n’en sont que les amuse-bouches. 

Certes, le programme même de la Nupes avec la sortie de l’OTAN, de l’OMC et des traités européens offre de quoi ferrailler. 

Certes, l’extraordinaire dépense publique générée par le programme de la Nupes au moment où nos déficits explosent, la mystérieuse réforme fiscale, la retraite à 60 ans (entre autres) sont des pommes de discorde. 

Mais le moment de vérité sera les européennes. 

Et la question d’une nouvelle alliance sera posée au lendemain de cette échéance.

Elle est le produit de la nécessité de répondre aux crises françaises et de conjurer la crise politique et la dépression sociale.

Ce voyage dans la France avant l’orage démontre que, sous une apparente immobilité, tout bouge, tout est en mouvement.  

La suite va être passionnante car cela s’appelle faire l’Histoire. On ne l’imagine pas avec une gauche sur le banc de touche qui regarde le match et qui vocifère à chaque action de jeu sans pouvoir y participer. 

Fin du voyage. 

 

Le 30 août, pour ceux qui ont raté un des 5 épisodes du feuilleton de l’été, nous publions la totalité des chapitres dans un seul ouvrage : chapitre 1 , chapitre 1 suite, chapitre 2, chapitre 3, chapitre 4