« L’autorité ne va pas sans prestige et le prestige sans éloignement ». Charles de Gaulle  

La « révolution » macronienne s’est embourbée et Macron embourgeoisé. 

La « révolution », selon Macron, réside dans une rupture avec le modèle français trop redistributif et un alignement sur le modèle anglo-saxon jugé socialement mieux ciblé, plus efficace, plus respectueux des marchés, des entreprises, des exigences de la concurrence et source d’un ruissellement de la richesse. Il s’agit, ni plus ni moins, que de l’ordre spontané du marché cher à Hayek. Cette thèse a été suggérée par Emmanuelle Mignon à Nicolas Sarkozy. Devant la difficulté à l’imposer dans un pays dont l'État social est l’ADN, l’ancien président décide dans son discours de Grenoble, sous le conseil de Patrick Buisson, d’opérer un virage identitaire qui libère la droite libérale de son ancrage partisan sarkozyste, sans réduire Marine Le Pen.

Cette droite choisit François Hollande. Le président socialiste est, si on regarde de plus près, au nom de la synthèse, le vrai praticien du « en même temps », mêlant la pénibilité sur les retraites, l’augmentation des minima sociaux et la remise en cause des normes dans les accords sociaux. Il instaure surtout une politique de l’offre qui lui a valu les frondeurs et l’impossibilité de se représenter. Car c’est trop peu pour la droite et trop pour la gauche. 

Emmanuel Macron en tire une philosophie politique. Il faut imposer une vraie rupture. Il cherche à s’appuyer, non sur la bourgeoisie trop occupée à la gestion de sa rente et à un conservatisme identitaire, ni sur la gauche girondine occupée à l’équilibre social et écologique de la gestion des collectivités locales. Tout en quittant les rivages blairistes et son « nouveau progressisme », il vogue sur les eaux mêlées du centrisme "Bayrouen". Ce cap lui offre la victoire. 

Emmanuel Macron fait des gagnants de la dérégulation libérale, favorables à l’adaptation à la mondialisation, sa base sociale. Ce sont les « bo lib » bourgeois libéraux : cette aristocratie de décideurs des entreprises et de l’État, sensibles à l'efficacité d’un marché libéré de toutes « les servitudes » de l’État social.

La philosophie du nouveau régime se résume ainsi : « ce qui marche est juste » pour obtenir sa « révolution ». Emmanuel Macron prend l’apparence d’un bonapartiste technocratique. Il veut ainsi enterrer le vieux monde qui lui semble entraver la rupture souhaitée.

Jupiter marche seul devant la pyramide du Louvre guidant la France. Les difficultés de l’exercice, à l’exception de la refondation de la SNCF ou encore celle des prud'hommes facilitant les licenciements, s’accumulent, même avec une majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le mouvement des Gilets jaunes marque le coup d’arrêt à ladite « révolution ». 

Puis la covid-19 initie un « quoi qu’il en coûte » encodant le retour de l’État protecteur. Cette stratégie keynésienne devient d’ailleurs, tout à coup, la doxa de toute l’Europe. La guerre de la Russie en Ukraine sera le dernier signe d’un quinquennat entravé. La « révolution » macronienne n’est pas trahie, elle s’est évanouie. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater la destinée de la très contestable réforme des retraites. 

Et Jupiter tombe de l’Olympe. Il tente, sans succès, de se faire l’ami du peuple. Il perd autorité et prestige. On craint le pire. La Présidentielle s’annonce mal. On le donne dominé au premier tour par Marine le Pen. Il espère Zemmour ou Mélenchon. La députée du Pas-de-Calais revient du diable Vauvert. 

Pour se faire réélire, Macron décide donc une campagne tardive et une OPA sur la droite française. Il doit son exploit d’être réélu à une martingale du vote utile pour le moins providentielle. 

L’échec de la primaire populaire de la gauche débouche sur l’improbable inclinaison pour Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier, pourtant le plus acharné contre l’union quelle qu'elle soit, reçoit le soutien de ses animateurs. 

Ce fut le battement de l’aile de papillon qui enclenche les votes utiles. Il déplace quelques points dans les sondages pour Mélenchon et crédibilise le vote utile dans une gauche qui se voit disparaître devant le nouveau clivage français : nationalistes contre libéraux. 

La montée de Mélenchon provoque un réflexe similaire dans l’électorat de l’extrême droite en dynamique. Marion Maréchal l’avait prophétisé « à la fin il y aura un vote utile pour l’un des deux ». C’est Marine le Pen qui commence son ascension au détriment d’Éric Zemmour. Et cette montée déclenche dans la droite classique un vote utile contre les populistes. Ce qui achève de réduire le vote pour Valérie Pécresse qui finit sous les 5%.

Le second tour n’est pas un triomphe. L’abstentionnisme, le vote blanc et la progression de Marine le Pen démontre que le pays n’adhère pas. 

Adhérer à quoi en fait ? Ni à la continuité d’un quinquennat entravé, ni au renouveau d’un projet gaullo-Mitterrandien, en tout cas keynésien esquissé dans la crise du covid-19, ni à un projet purement à droite. 

Bref, un flou sans vraiment de loup, pendant que le pays est dans le rejet par une série de détestations successives.

La Présidentielle n’est pas un débat mais une absence de contrat entre le président et la nation. 

Un président, certes légitime, mais sans mandat clair du peuple.

On peine à voir le cap du président réélu. 

Si le premier quinquennat Macron avait un objectif, le second en est dépourvu. Le président qui confond modernisation et libéralisme semble perplexe sur l’avenir de la nation. 

Non qu’il redoute les résultats des législatives car elles sont pour lui acquises. Mais que faire de ce deuxième quinquennat dans une France à ce point rétive et divisée ? 

Il n’a pu jusqu’à présent rassembler les Français ni libéraliser le pays. Il a décomposé le politique, les cadres intermédiaires, les partis hier structurants, le bipartisme. 

Il a libéré les populismes du carcan du bipartisme qui les contenait. Et pour couronner le tout, à peine réélu, on spécule déjà sur qui va le remplacer dans 5 ans. 

L’endettement, l’inflation, le ralentissement de la croissance (le FMI table sur une croissance faible de 2,9 % et l’indice de confiance des ménages s’effondre) le grand vieillissement, le défi climatique, la réforme de l’Etat, la transition numérique, la panne européenne dans le monde tenté par les régimes autoritaires, la guerre en Europe sans les moyens de la conjurer, ouvrant un nouveau cours dans le monde où l’Occident est sur le reculoir, sans oublier l’horreur sanitaire, les variants du covid-19 ou la variole du singe. 

Les défis ne manquent pas. Chacun d’entre eux coûterait la vie à un gouvernement. 

Alors ? Un gouvernement d’union nationale ou un gouvernement clairement à droite ? 

Macron choisit, après moult hésitations, un gouvernement resserré sur la Macronie. Ce « choix de Macron » se retourne contre le président. Un Français sur deux refuse de voter aux législatives et le parti du président n’obtient qu’une majorité relative.

Le président est réduit. Au premier tour de la présidentielle, le marconisme tient sur une tête d’épingle. 

Ce qui s’apparente à une dépression démocratique débouche sur une crise politique. Et paradoxalement donne au président un objet à son quinquennat : rétablir le fait présidentiel. 

La Vème République a une certaine plasticité institutionnelle. En cas de majorité parlementaire opposée à la majorité présidentielle, il existe la cohabitation. Il y en a de toutes sortes. Mais en juin 2022, il n’y a ni majorité présidentielle, ni majorité parlementaire. 

Pire ! Le parti d’extrême droite est devenu le premier parti parlementaire d'opposition. 

Le président aurait pu choisir la cohabitation de droite ou de gauche, tenant le gouvernement par sa majorité relative. Mais il choisit l’affrontement avec le parlement car cette stratégie retient, dans un premier temps, toutes les ambitions dans son camp. 

Il tient son rôle. Il le surjoue, toujours un peu plus, mais il aime cette nouvelle mouture du « moi ou le chaos ». Il veut être le bouclier de la France face aux menaces populistes. 

Il peut, ainsi, et, en plus, enfermer la droite classique et la gauche responsable dans un grand corps central qui ne dépend que de lui : "vous êtes avec eux ou avec moi".

Il fait le pari de la surenchère parlementaire et de la compétition entre les partis pour s’imposer à nouveau au pays dans une dissolution ou en allant au bout de son mandat dans cette tension. 

Et pour faire avancer les dossiers brûlants, voire avancer à pas de tortue sur la dérégulation, il suffit de s’appuyer sur le Sénat qui rêve de jouer les premiers rôles. La majorité LR au Sénat coince la minorité LR à l’Assemblée nationale. 

Il y aura des soubresauts, des conflits, des crises, beaucoup d’entre-soi parlementaire, des textes dénaturés par des amendements votés par le RN ou la NUPES, et même, vraisemblablement, une dissolution, si les conditions d’une majorité Présidentielle sont réunies avec le risque (tout le monde en est conscient) d’une victoire possible de l’extrême droite. 

La décomposition politique continue. La presse va s’en donner à cœur joie. Et le pays se déconstruit, lentement, comme nous l’avons vu au chapitre précédent publié la semaine dernière "Où va la France ?"

Macron veut se rétablir et Marine le Pen s’imposer. Chacun va utiliser la confrontation de légitimité entre le législatif et l’exécutif.

Quant à la gauche, elle ne se donne pas les moyens de briser ce face à face. Nous y reviendrons... 

La vie politique française se réduit à ce conflit et résume l’objet du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron. Si ce dernier n’est pas mécontent de jouir des prérogatives du président monarque, la « révolution » macronienne s’est enlisée et le "prince" président s’est embourgeoisé en son palais, pendant que le parlement s’adonne aux délices de la tactique parlementaire. 

A cette étape, personne ne peut s’imposer à l’autre. Il y a une forme de « pat », comme on dit aux échecs. 

Un événement extérieur va devoir tout dénouer. Encore l’aile de papillon ? 

 

Mercredi prochain, je publierai : "Où va Marine le Pen et l'extrême-droite ?".