« La liberté et la démocratie exigent un effort permanent. Impossible à qui les aiment de s’endormir » François Mitterrand.

 

L’extrême droite lepéniste est aux portes du pouvoir. 41,46 % au deuxième tour de la Présidentielle, progressant de 2,7 millions de voix par rapport à 2017, en tête dans 110 circonscriptions contre 20 en 2017, 89 députés élu.e.s. La force de l’extrême droite est indéniablement forte dans un espace politique émollient et émietté.

Sans Éric Zemmour au premier tour de la Présidentielle et aux législatives, l’addition aurait été plus lourde.

Le plafond de verre, le scrutin uninominal à deux tours, le front républicain cèdent devant la stratégie « mémère » de Marine le Pen. Ce qui veut dire : la banalisation est portée à son terme. Madame le Pen aime les chats, vit en colocation avec une copine, tolère l’homosexualité, ne revient pas sur le mariage pour tous, n’est plus dans le bruit et la fureur etc.

Zemmour, par sa virulence, a rendu crédible ce national-populisme en chaussons, dont seul persiste un nationalisme d’exclusion. Ce qui est pour l’extrême-droite l’essentiel.

Nous avions en 2020 pronostiqué sa victoire. Nous nous sommes heureusement trompés. Mais nous n’avions pas tort sur sa dynamique.

Alain de Benoist, le « pape » de l’extrême droite française, influencé par Ernst Jünger, le courant de la révolution conservatrice allemande, voire Karl Jaspers, pronostique dans les années 70 la possible arrivée au pouvoir de la nouvelle droite (extrême-droite), le jour où elle sera hégémonique sur les « 3i », immigration, insécurité, identité. C’est aujourd'hui chose faite.

Sous l’impact du libéralisme inégalitaire de la mondialisation libérale, de la remise en cause de la domination unilatérale de l’Occident depuis le XIVe siècle, des flux migratoires, de la question démographique, de la réislamisation des populations arabes sunnites ou chiites, de la montée d’un Islam rigoriste et du terrorisme en son nom, de la perte de confiance dans la démocratie, une vague nationale populiste déferle sur toutes les démocraties occidentales.

En France, une majorité de Français partage la hantise du métissage et de l’hybridation.

Dans toute l’Europe, cette xénophobie travaille les sociétés.

Giorga Meloni, présidente des Frères d'Italie (Fdl), parti néo-fasciste italien, est donnée gagnante aux prochaines élections. Elle adhère au Mouvement social italien (MSI) d’après-guerre, qui est un parti fondé par les nostalgiques de Mussolini. Elle devient, plus tard, ministre de Berlusconi. Elle déclare, avec force, sa conviction pour la préférence nationale, la lutte contre l’immigration et l’islamisation. Ce thème a été celui de Viktor Orban le 23 juillet 2022 lors de la convention des Républicains américains au Texas où il se prononce « contre la société multi-ethnique (...). Nous ne voulons pas être une race mixte » en avouant son combat contre ceux qui veulent séparer la civilisation occidentale de ses racines chrétiennes.

« La tyrannie identitaire », pour paraphraser Éric Dupin, est devenue majoritaire. La peur du "grand remplacement" et de la dissolution de notre identité dans l’Islam fusionne avec la montée du complotisme, de l’hétérophobie, ouvrant les vannes du racisme anti-arabe et d’une résurgence d’un antisémitisme de réseaux sociaux.

Orban, dont on connaît les rapports « compréhensifs » avec Poutine au nom d’une lutte commune contre « un monde Occidental avachi », en appelle à une union internationale.

Ce n’est pas un hasard si ce sont les banques hongroises qui ont prêté de l’argent à la campagne de Marine le Pen.

L’époque n’est pas donc pas réjouissante. Il n’est pas encore minuit dans le siècle. Mais on s’en approche.

Évidemment, le spectre des Salazar, Franco, Mussolini, Degrelle, Metaxás ou du hongrois Scalasi, les fascistes antisémites de l’entre-deux-guerres nous traverse l’esprit.

Mais l’extrême-droite a muté. L’extrême-droite a repensé l’extrême-droite. Si le nationalisme d’exclusion est toujours là, ce ne sont plus les juifs qui en sont la cible. L’antisémitisme est caché, même si dans le sillage de cette extrême droite, celui-ci est toujours présent. C’est l’Islam et les musulmans qui sont aujourd'hui la cible. Et comme une aile intégriste du monde Musulman est en guerre contre l’Occident remettant en cause leur lecture du Coran, la volonté d’exclusion des uns nourrit le séparatisme des autres.

Telle est la dialectique de la situation politique.

Ce nationalisme prend la figure d’un souverainisme, voire porte un discours ultra-patriotique. Ce n’est pas nouveau dans l’Histoire. C’est toujours, au nom de la Nation, que l’on combat « ceux qui dissolvent l’identité nationale ».

On a l’habitude d’expliquer la montée du fascisme par la crise de 29. Ce qui est vrai. Aujourd'hui, ce sont les ravages de la mondialisation et des délocalisations qui, dans des régions désindustrialisées, jettent les électeurs dans les bras du RN.

En 29, c’étaient les files d’attentes des chômeurs, les soupes populaires, les emplois sous-payés. Aujourd'hui, il s’agit des Assedic, du RSA, des restaurants du cœur et du précariat. Deux formes pour un même sentiment : le déclassement.

Il suffit de voir ce qui se passe dans le bassin minier du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’ex-Est sidérurgique français.

La violence dans l’entre-deux-guerres est dans la rue. Elle est, aujourd'hui, sur les réseaux sociaux. Les ratonnades sont maintenant médiatisées.

C'est dans ces régions que se situe la base de Marine le Pen et sa solidité. Il s’agit bien d’un alliage entre le populisme dans des régions, hier communistes, et un nationalisme présenté comme un souverainisme vis-à-vis de Bruxelles, et contre des élites urbaines cosmopolites progressistes subordonnées à l’Europe. L’immigration, les insécurités sont la clé de tout.

Le vote est protestataire mais il devient identitaire. Il se diffuse maintenant dans tout le pays. Les récentes élections ont été marquées par la « nationalisation » du vote le Pen mais aussi - fait nouveau - sa permanence entre la Présidentielle et les Législatives.

Il y a maintenant un fait électoral d’extrême-droite qui s’est enkysté et qui se diffuse. Et c’est le dernier courant « historique » enraciné, malheureusement, dans notre histoire à être « en mouvement ».

La décomposition politique et du politique lui facilite la tâche. L’effondrement des gaullistes à droite qui contenait en partie l’extrême-droite, l’affaissement du Parti socialiste à gauche qui contenait la débâcle communiste libèrent des forces protestataires qui se sont enrôlées sous la bannière des populistes.

S’il y a une différence avec l’entre-deux-guerres, il existe, tout autant, une différence entre le Rassemblement national et le Front national. Jean-Marie le Pen, Pierre Bousquet, François Duprat, Roger Holeindre, Alain Robert, François Brigneau ou le collaborationniste Victor Barthélémy, lorsqu’ils fondent le Front national, sont à contre-courant. La France est gaulliste ou de gauche. Aujourd'hui, le Rassemblement national est dans le courant. La France est idéologiquement partagée entre les nationalistes et les libéraux. La bataille culturelle a été gagnée par ces deux idéologies. C’est, au passage, la raison pour laquelle la gauche ne se voit que dans la résistance ou l’adaptation à ce duopole. Nous y reviendrons.

L’extrême droite française ne se pose plus la question de son existence mais celle du pouvoir.

Et c’est ce qui fut à l’origine des déboires de Marine le Pen puis de son succès.

Les sondeurs, alliés aux chaînes d’infos, ont gagné la bataille et ont fait des journalistes leurs auxiliaires. Le débat politique se réduit et s’organise autour des sondages et leur 3% de marge d’erreur.

Lors des élections régionales, les sondeurs donnent le Rassemblement national gagnant dans 3, voire 4 régions. Il n’en est rien. Le Rassemblement national recule.

Et c’est ici que surgit Éric Zemmour. L’électorat de l’extrême droite se sent, se sait majoritaire. Mais il doute de la capacité de Marine le Pen de l’emporter. Éric Zemmour lui présente alors l’image d’un Savonarole du nationalisme. Ce retour aux premières heures du lepénisme, voire aux dernières du Pétainisme, fait le buzz. Notre Bainville des temps modernes passe en revue les grands classiques de l’extrême-droite. Il emprunte à Barres « le culte du moi contre les barbares ». Il revisite les 3 volumes de « l’énergie nationale » de ce dernier et n’est pas loin de faire sienne cette sentence de Maurras « le parti de Dreyfus mériterait qu’on les fusille tout entier comme insurgés ». Le pamphlétaire fait recette dans les médias pour les médias. Il donne l’espoir à une partie de l’extrême-droite d’une dynamique gagnante. Cette radicalité, pour être repérée, voire espérée, a un prix : le rejet du plus grand nombre.

J’avais pronostiqué, au plus fort de la zemourmania, dans le Point : « il est plus facile de rassembler un audimat qu’un électorat ».

De fait, les sondages flatteurs du premier tour de la Présidentielle se heurtent au mur du second tour. Alors que ceux de Marine le Pen sont bons, voire excellents, puisqu’on la donne dans un mouchoir avec Macron.

L’électorat décide donc de voter Marine le Pen pour tenter de l’emporter au second tour. Zemmour est coincé. Se maintenir, c’est faire obstacle à la victoire possible de l’extrême droite. Se retirer, c’est faire obstacle à l’histoire de Zemmour. C’est la chute.

Il est inscrit, avec un tel score à la Présidentielle et les conditions dans lesquelles Emmanuel Macron est élu, que le RN sera haut aux législatives.

Mais on pronostique la victoire de la NUPES, sans trop y croire.

Le résultat étonne avec l’absence de majorité absolue et un groupe parlementaire conséquent pour l’extrême-droite. C’est pourtant la nouvelle donne.

Dans une situation de désagrégation, de crises, partout, Marine le Pen joue le facteur d’ordre. Cela sera son nouveau passeport : « Ils sont le désordre. Je suis l’ordre ».

Voilà le dernier acte : après la banalisation, c’est l’institutionnalisation. Marine le Pen, présidente du groupe parlementaire, délaisse son parti à Bardella qui incarne sa ligne et ne cherche pas à incarner le RN. Il s’agit de le parlementariser. Il s’agit de crédibiliser une extrême-droite de gouvernement pour gagner en cas de dissolution, pour être la solution dans la fin du Macronisme. Mais maintenant les conditions sont réunies.

L’extrême droite n’a pas changé de nature mais de posture pour gagner.

 

A la semaine prochaine pour le texte du feuilleton de l’été :

Où va la droite ?