La déconstruction républicaine interroge sur la nation

UNE RÉPUBLIQUE POUR TROIS FRANCE 

La France n’est plus une République une et indivisible. La déconstruction républicaine interroge sur la nation. Il s’agit d’une République pour trois France. 

La France est maintenant divisée selon plusieurs fractures. Elles s’accumulent, se renforcent et se concurrencent : Trois classes se distinguent, les pauvres, les classes moyennes, les riches ; trois âges, les jeunes, les actifs, les retraités ; trois « religions », les « manifs pour tous », les « Charlie », les islamistes ; trois « territoires », les métropoles, les banlieues, la France dite périphérique ; trois « races », les blancs, les noirs, et les maghrébins ; trois sexes, dissolvant le vivre ensemble au nom du passé colonial, où la mixité à la française entre un féminisme de combat et un machisme criminel. 

Chaque France interagit, bouscule les autres catégories dans une cacophonie infernale et une succession d’épisodes maniacodépressifs qui masquent la question centrale de la société française : la question sociale.  

On a pu ainsi passer en quelques semaines de l’engouement médiatique pour un éditorialiste nationaliste d’exclusion avec le très Maurassien Eric Zemmour à l’emballement pour un populiste de Gauche, le très chaviste Jean-Luc Mélenchon. Dans les deux cas, il y a rupture avec la République pour l’un, avec l’économie sociale de marché pour l’autre. Cela a occulté la question sociale. 

C’est une réalité pourtant aveuglante lorsqu’on analyse les données françaises comme nous venons de le faire. 

Au nom du souverainisme et de la question nationale, sous l’impact de la tyrannie identitaire et de l’appartenance, on a refusé de voir la question sociale. Certes, 6,3 % d’immigrés vivent en France. Ils font partie des plus pauvres de notre société. 2,5 millions ont été naturalisés. 103 000 personnes ont déposé un dossier de demande d’asile. Ces chiffres sont significatifs mais ne témoignent pas du grand remplacement. C’est l’inverse. Il y a une résistance dans ces populations à l’intégration car la tendance à « l’occidentalisation » culturelle, voire cultuelle, est gagnante. Mais le statut social de ces populations ne l’est pas. Ce qui facilite la revendication intolérable du séparatisme. Mais les Français adhèrent en majorité à cette hantise du métissage. Ce qui renforce le mal-être de notre pays et donne une base de masse à la xénophobie. Pendant que « les noirs » exigent réparation, « les juifs » font bloc face à l’israélisation des juifs vécue comme un nouvel antisémitisme et certains musulmans veulent vivre un lecture intégriste rigoriste et sectaire du Coran sur le sol de France. Ce sol qui a connu plus que tout autre les Guerres de religions. J’ai pu écrire, il y a 10 ans (le national populisme en Europe) que la guerre de classes avait laissé place à la guerre des races et que l’hypertrophie du fait religieux nous conduisait à la libanisation de la France. Nous y allons tout droit.

LA DÉSINTÉGRATION SOCIALE ET L’EXPLOSION

La question sociale se manifeste en France par l’insécurité, la précarité, la perte de sens dans l’utilité sociale, ou la croyance en l’avenir. Ceci résulte de plusieurs facteurs : la mondialisation, la révolution numérique, la stagnation éducative, la crise financière de l’Etat providence, la remise en cause libérale de l’Etat social, les effets pervers dans certains cas des aides sociaux (assistanat, désincitation au travail, trappe à pauvreté, infantilisation), enfin, et surtout, la montée des inégalités sociales.

Il faut y ajouter l’apparition de nouveaux métiers : la segmentation du marché du travail entre les précaires et les protégés, l’e-commerce, l’uberisation ou l’intelligence artificielle qui modifient le nombre et la nature des emplois (on parle de prolétariat et une réduction dans 20 ans de 15 à 50 % des emplois les plus automatisables et les moins qualifiés). 

Nous assistons donc à une « désintégration sociale » où rien ne s’ordonne mais où toutes les crises se cumulent. 

Personne n’a voulu aborder ce que Jérôme Fourquet a caractérisé comme « un basculement anthropologique », c’est-à-dire une fracture générationnelle où les valeurs plus traditionnelles étaient surreprésentées chez les plus anciens. Ceux-ci sont également surreprésentés dans le corps électoral du fait d’une moindre abstention. La frustration dans la jeunesse va donc croissante. La présidentielle est passée à côté de ce constat français. Et la crise politique que nous étudierons dans les prochains chapitres se corrèle à cette question sociale. 

L’inflation, d’une part, et les déficits publics, de l’autre, sont une tenaille redoutable.

L’Etat va se décharger de ce fardeau sur les collectivités locales. Ces dernières n’auront pas d’autres choix que de trancher dans les dépenses d’investissements ou sociales. Nous allons briser les derniers cerceaux sociaux qui tiennent le tonneau français. 

Le cabinet Elabe, qui réalise un baromètre des territoires, estime « que les gilets jaunes ne sont ni atypiques ni spécifiques par rapport au regard qu’une majorité de Français portent aujourd'hui sur notre société, ses injustices et son incapacité à garantir la promesse républicaine d’égalité et d’ascenseur social ». La France est traversée d’indignations réactives facilitées par les réseaux sociaux.  

On s’approche du concept de « multitude » forgé par Toni Negri : un prolétariat - précariat élargi - éclaté par l’extension des rapports marchands, doté d’une certaine perspective d’auto-organisation, corollaire de son éloignement des cadres nationaux, partisans ou syndicaux traditionnels. 

Tout concourt à la jonction des rejets qui attendent une étincelle pour pouvoir passer à l’acte.

Les profondeurs du Pays bouillonnent. Un nouveau 68 se prépare ou un coup de barre réactionnaire dans l’espoir de tout bousculer.  Car le maintien de l’état des choses sans lendemain ne durera pas.

Mercredi prochain, je publierai « OÙ VA LE MACRONISME ? »