916 Jours de Guerre en Europe
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1/ Poutine attend Godot ; 2/ la crise au sommet en Israël ; 3/ la décomposition continue ; 4/ le macronisme révélé par la crise calédonienne ; 5/ Hayer-Glucksmann, le croisement des courbes ? ; 6/ Ruffin recadre Mélenchon.
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1/ Poutine attend Godot
Poutine se donne les moyens de rester au pouvoir. L'élimination (marginalisation) de son ministre de la Défense Choïgou réduit un peu plus la possibilité d'une révolution de palais. Poutine a utilisé l'armée contre la sédition de Prigojine. Il utilise sa réélection pour réduire l'armée. La FSBisation de l'État et la concentration autour du noyau poutinien au sommet continuent. C'est au sens propre, une dictature policière avec des méthodes qui s'apparentent à un terrorisme d'État. 39 hauts responsables de l'administration, dont 14 oligarques, sont décédés dans des conditions pour le moins suspectes. Et l'on peut être sûr que le FSB aura recours à l'instrumentalisation du terrorisme pour exercer un rapport de forces, comme l'Allemagne de l'Est fournissait dans les années 70 un soutien logistique à la fraction armée rouge en Allemagne ou les Brigades rouges en Italie. Cette "terreur russe" c'est la re-stalinisation du pouvoir. Dans les années 30, les purges étaient utilisées par Staline pour terroriser ses "amis-ennemis" et prévenir ainsi tout risque de rébellion. Il s'agit pour Poutine de se prémunir de tout risque de déstabilisation à la suite des possibles revers militaires avec l'arrivée des munitions et de l'armement par les américains. Mais la stratégie militaire des "mille entailles" à Kharkiv, Soumy, Robotyné vise à se mettre en situation de négocier suite à l'arrivée de Trump ou de tenir en cas de contre-offensive de l'armée ukrainienne dûment dotée d'armements par l'OTAN. L'armée russe bombarde à tout va et pousse pas à pas comme les légions romaines en mode tortue. L'armée russe étire la défense ukrainienne - comme on dit au football - pour provoquer des brèches. Au fond, tout le monde attend la solution américaine, les armes ou Trump. Cette attente est d'ailleurs la marque de ce conflit. Hier, Zelensky attendait l'armement, aujourd'hui c'est Poutine qui attend Trump. Si l'offensive est un moment de la défense pour Poutine, il n'est pas interdit de vérifier l'arrimage de la Chine à l'idée de renverser l'ordre mondial dominé par l'Occident et singulièrement les États-Unis. Ces derniers "occupés" par la guerre israélienne à Gaza où ils ont toutes les peines du monde à retenir un bain de sang final ne se départant pas, par contre, d'une attitude défensive en Ukraine ; c'est-à-dire qu'ils ne veulent pas être entraînés dans une confrontation par armes interposées avec la Russie. Les entretiens entre le maître de la Cité interdite et du Kremlin permettent aussi de faire le point sur les messages passés par l'Occident lors de son séjour à Paris de Xi Jinping. Le paysage mondial ne doit pas rendre maussade les deux alliés. Les incertitudes électorales aux États-Unis, la division en Europe entre la France et l'Allemagne, la vague nationaliste en Europe, la contestation mondiale contre Israël et le vote pour la reconnaissance de l'État palestinien aux Nations Unies, la russification rampante de la Géorgie, la percée russo-chinoise en Afrique de l'Ouest, l'Amérique latine sur la même longueur d'onde que le Brésil, tout cela ne milite pas pour un recul sur des positions préparées à l'avancée. Mais il vaut toujours mieux se le faire confirmer, l'alliance se dit Poutine en attendant le dénouement. Chez Beckett, Vladimir attendait Godot. En Russie, Vladimir attend Trump. On ne sait pas qui est Godot, pas plus que nous ne savons réellement qui est Trump et ce qu'il fera. On ne sait pas non plus s'il viendra demain. Le monde est en guerre avec ses morts, ses destructions et ses menaces nucléaires, et Vladimir parie surtout sur Godot pour trouver une issue.
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2/ La crise au sommet en Israël
Le torchon brûle entre les militaires israéliens et Benjamin Netanyahou qui est lui-même pris en tenaille entre ses ministres d'extrême droite et les États-Unis. L'objet de cette tension n'est pas l'offensive sur Rafah. Tout le monde autour de Netanyahou semble d'accord pour passer outre la ligne rouge américaine. Les morts se multiplient mais il n'est pas question qu'un seul mur, qu'un seul tunnel reste en place dans Gaza pour les dirigeants israéliens. Le contrôle de l'acheminement humanitaire au compte-gouttes fait aussi consensus dans les hautes sphères de l'État. Le problème n'est pas non plus la question des otages. Netanyahou a fait une croix dessus sans états d'âmes, pour annihiler l'arme de chantage du Hamas, alors que le peuple israélien manifeste avec courage et détermination pour leur retour. Quant aux morts, l'accord est total. "La guerre, cela fait des morts" comme dirait Jean-Luc Mélenchon lors de l'offensive de Poutine en Syrie. "C'est dramatique, mais c'est ainsi". Non, le problème c'est le jour d'après. L'armée ne veut pas administrer Gaza après la destruction finale de Rafah. Elle ne veut pas gérer les 2 millions de Palestiniens. Tout est détruit, Gaza est un champ de ruines, les Gazaouis ne sont pas partis. La destruction systématique de toutes les infrastructures n'avait pas pour but de réinstaller les Palestiniens sous gestion de l'armée. Le maréchal Sissi a interdit toute "solution" en Égypte. Le Hamas n'a pas tenté de faire céder la frontière. Les Palestiniens sont donc là et ils vont devoir rester. Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a fait savoir qu'il n'était pas question que l'armée israélienne se transforme en force d'occupation militaire. Il souhaite une autorité administrative palestinienne pour gérer le logement, la santé, l'eau et la nourriture. Ceci d'autant que la mise sous tutelle israélienne de Gaza se heurterait au refus de tous ceux qui pourraient financer la reconstruction. Cela va coûter cher en matière de finances et de sang, dit-il. Car l'armée deviendrait une cible comme toute armée d'occupation. Le Premier ministre refuse, cela irait à l'encontre de son souhait de remodeler la carte du Moyen-Orient. Il ne peut plus voyager car sous le coup d'une décision de justice internationale. Il va devoir affronter son opinion publique sur la responsabilité de l'horrible pogrom du 7 octobre. Il ne veut pas en plus d'un "tout cela pour cela" après l'installation d'une autorité palestinienne. Il veut pouvoir dire que la situation est sous contrôle. De son côté, l'Arabie saoudite tente de mettre sur pied une conférence de la paix chargée de répondre, entre autres, à la question de la gestion de Gaza. Les États-Unis s'y opposent car ils ne souhaitent pas donner un prétexte à Netanyahu et à l'Arabie saoudite pour être au centre de la suite. L'Égypte et le Qatar ne voient pas cela d'un bon œil. Ils sont déterminants pour la gestion de Gaza. La sortie violente et antisémite d'un dirigeant du Qatar lors de la réunion régulière de la Ligue arabe est un avertissement. Quant à l'Iran, on imagine mal qu'il donne la main à l'Arabie saoudite en ce domaine. Enfin, l'Europe ne va pas mettre la main à la poche pour financer l'occupation de Gaza par Israël vu l'état de son opinion. Sans solution de gestion et de reconstruction à Gaza, sous le coup d'une nouvelle plainte de l'Afrique du Sud à propos de l'intervention à Rafah, la division entre l'armée et les politiques est une fracture de plus dans cette guerre qui en a provoqué tant. Et le monde est sans solution pour le jour d'après.
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3/ La décomposition continue
L'assassinat de policiers de la Pénitentiaire à l'arme lourde pour libérer Mohamed Amra, dit "la mouche", un dangereux récidiviste ; la mort de cinq personnes dans les émeutes en Nouvelle-Calédonie et la signature par 3 anciens Premiers ministres d'une mise en garde à ce propos ; la publication d'un rapport effarant par le Sénat sur la mainmise de la mafia de la drogue sur la France ; la décision d'Emmanuel Macron d'accepter le rachat d'un fleuron bancaire français par une banque européenne ; un sommet "Choose France" qui n'intéresse plus personne en France malgré les milliards promis ; et des sondages où l'extrême droite écrase la liste du président en vue des élections européennes. Voilà une semaine qui a des allures de crise politique, c'est-à-dire ce moment où le sommet ne contrôle plus rien et le pays n'entend plus rien ; où les initiatives de l'exécutif se retournent en contestations, hésitations, impuissance ; où aucune solution ne semble capable de conjurer la crise ; où rien ne va et tout s'en va. Le président est seul, sans ressort, sans pôle de stabilité. Cette semaine confirme, s'il en était besoin, que la décomposition continue.
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4/ Le macronisme révélé par la crise calédonienne
La situation est insurrectionnelle en Nouvelle-Calédonie selon le Commissaire de la République. Ils étaient nombreux ceux qui pronostiquaient un dérapage incontrôlé avec cette loi remettant en cause les accords de Nouméa, commencée par Jean-François Merle, le rédacteur des accords Matignon. L'impératif de modifier les accords pour ne pas voir les futurs votes cassés par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme a conduit à "coloniser" le corps électoral en incluant de nouveaux électeurs, alors que le but de la loi est de décoloniser. On a appelé cela avec un humour que l'on suppose involontaire le "dégel électoral". Pendant ce temps, le chaudron est à incandescence avec la pauvreté et les inégalités dans ce territoire lointain de la République. Pensez que l'indice de développement humain dans les outre-mer est en deçà du Sri Lanka. Et un habitant sur cinq de Nouvelle-Calédonie vit sous le seuil de pauvreté. Enfin, il faut être aveugle pour ne pas voir l'intérêt de nombreuses puissances pour ce territoire qui boite bas en dehors du troupeau de l'Europe. Le nickel est un minerai prisé par la Chine, voiture électrique oblige. On dit même que l'achat à bas prix du nickel indonésien par la Chine a effondré de 40% les prix. Et puis, la Chine vient de se substituer à l'Australie comme puissance tutélaire en mer de Corail. Les États-Unis, eux, déversent via les évangélistes protestants beaucoup d'argent. Les Russes, de leur côté, poussent partout contre les "colons" français, de l'Afrique à l'océan Indien, des Caraïbes à la Nouvelle-Calédonie. Il faut ajouter à cela l'Azerbaïdjan qui finance les indépendantistes. Mais qu'est-ce que Bakou, à 14 000 km, vient faire dans cette galère, me direz-vous ? On vous rassure, ce n'est pas pour échanger la Nouvelle-Calédonie contre le Haut-Karabakh. Non, il s'agit simplement de représailles au soutien de la France à l'Arménie. On agite maintenant ces manipulations (toujours le retard macronien) pour expliciter les nuits d'émeutes. Dans cet embrouillamini explosif, la main tendue par le FLNKS, en toute connaissance de cause, ne devrait pas être délaissée. Le président Macron s'est déclaré ouvert, mais après le vote du texte à l'Assemblée. Très bien, mais alors que peut-on négocier ? Et retirer le texte, n'est-ce pas une victoire de la rue ? Finalement, devant un tel gâchis, on se demande franchement quel était le but de la manœuvre ? À moins que ce soit une volonté de montrer précipitamment le macronisme : décision solitaire, refus du dialogue, mépris des corps intermédiaires, prétention technocratique, passage en force, puis légitimation a posteriori devant les dégâts. Auquel cas, concédons que c'est chimiquement pur et plutôt réussi.
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5/ Hayer-Glucksmann, le croisement des courbes ?
Le croisement des courbes entre Glucksmann et Hayer dans les sondages pour les élections européennes semble inéluctable. Non pas parce que la liste PS-PP s'envole, même si la percée est notable, plutôt dans un faux plat entre 12 ou 14 % sous le déluge quotidien de LFI, mais parce que la première de cordée des macronistes, après le trou d'air, dévisse. L'offre macroniste pour cette élection apparaît sans objet. L'anti lepénisme a fait long feu depuis la loi sur l'immigration. Et l'alliance de Renew aux Pays-Bas avec l'extrême droite fait désordre. Le référendum pour ou contre Poutine ne fonctionne pas mieux. Quant à l'idée d'une Europe puissance aux couleurs de la France, portée par Macron, elle se heurte à la crise franco-allemande sur les troupes au sol en Ukraine. Alors pourquoi voter Hayer-Macron ? Un Macron le vaut bien ? Un plébiscite pour le pouvoir dans un moment où Madame Hayer pâtit des conséquences de l'impéritie du sommet de l'État. Le vote Macron est inutile pour dénouer la situation française, marginal pour peser au Parlement européen et inefficace pour imposer un dessein européen. Alors, devant tant d'adversité, les volontés se dérobent et les critiques de couloirs se multiplient. Macron a beau demander à ses ministres de monter au front, ils ont tous piscine. Les stratégies de l'après-Macron s'affirment, jusqu'à G. Attal qui s'est fait tirer l'oreille pour entrer dans l'arène et trouve plutôt astucieux d'affronter Bardella. Cela ne changera rien, mais indiquera tout. Car ne vous y trompez pas, le Premier ministre ne pense qu'à cela. À part cette volonté qui ne passe pas précisément par le vote européen, c'est le désert. Nul doute que dans cette dernière ligne droite, pour peu que le candidat de la gauche s'empare de la nouvelle frontière sociale en Europe, tout en étayant sa proposition de financement de l'Europe de la défense, le vote utile devrait s'enclencher à gauche avec comme perspective de battre symboliquement Macron. Mélenchon et Macron n'y peuvent rien. Si le centre gauche attire le centre et aspire la gauche, c'est d'abord dû à l'impossible campagne de Madame Hayer.
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6/ Ruffin recadre Mélenchon
Ruffin ne donnait pas signe de vie dans cette campagne européenne. Il vient de se fendre d'un meeting de soutien à la liste LFI. On ne peut pas dire qu'il ait rameuté la presse et les Insoumis ont regardé ailleurs. Mais il a voulu se présenter d'abord en défenseur intransigeant du programme de la Nupes. Il a ainsi décliné : « la retraite à 60 ans, c'est oui ou c'est non ? », « Le marché de l'énergie, c'est oui ou c'est non ? », « Le respect des traités, c'est oui ou c'est non ? », etc. Cela fait un peu Georges Marchais et le respect des engagements du programme commun à la fin des années 70. Mais dans le contexte de la dinguerie israélophobe de la France insoumise, cela apparaît comme un pas de côté sans être un pas derrière les socialistes. En un mot, Ruffin apporte son soutien à Manon Aubry sans promouvoir la candidature de Rima Hassan. Et cela apparaît comme une tentative de recadrage de Mélenchon tout en cadrant Glucksmann, ou comment être pour les Insoumis sans être soumis à la ligne des Insoumis. Mélenchon fit semblant de ne pas voir et, fidèle à sa tactique des baisers du diable, avec Ruffin, apporta sa bénédiction. En s'appropriant le programme de la Nupes, le député de la Picardie veut apparaître unitaire dans un moment où les Insoumis bombardent les socialistes, tout en restant dans la critique des Insoumis vis-à-vis des socialistes. Subtile... Tellement subtile que personne ne remarqua le soutien et la distance vis-à-vis des siens. Pour autant, Ruffin tente de montrer le bout du nez d'une démarche unitaire dans la forme sans être révisionniste sur le fond. C'est très exactement ce que voudrait imposer Olivier Faure au PS.
A Dimanche prochain !
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MEETING • PARIS • Réveiller l'Europe avec Raphaël Glucksmann pour les élections européennes !
Jeudi 30 mai 2024 à 19h00
Zénith à Paris, France
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Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !
Lisez le journal : https://lejournal.info le dimanche également !
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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental.
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LE POUVOIR D’AGIR |
Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :