944 Jours de Guerre en Europe

1.    Macron dissout le peuple ; 2.    Le Front populaire les yeux ouverts ; 3.    On craint le pire, Marine Le Pen aussi.

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1.     Macron dissout le peuple

Par dépit ou amertume, le président de la République, qui se voyait trop beau, a dissous le peuple parce qu'il lui avait manqué lors d'une élection qui ne devait rien changer. Le ministre de l'Intérieur, visiblement dans la combine, plaide immédiatement le geste gaullien. Le général De Gaulle serait parti plutôt que de décomposer la France. Macron, lui, croit devoir laver l'affront par un "moi ou le chaos".

Une bande de branquignoles, conduite par Bruno Roger-Petit, bien nommé journaliste peu clairvoyant dans les pronostics footballistiques mais fréquentant Pascal Praud, Valeurs Actuelles ou Marion Maréchal ; Pierre Charon, un sarkoziste de salon fort en gueule et coups tordus ; un trentenaire Jonathan Guémas, joueur de flûte, cela ne s'invente pas et plume présidentielle ; et enfin Clément Leonarduzzi, un publicitaire qui s'est fait tatouer sur les avant-bras le slogan des forces spéciales italiennes "si tous acceptent moi non" – de là à dire qu'il est buté, il n'y a qu'un pas. Ces joyeux drilles, donc, derniers carrés du macronisme réfugiés dans "l'aile de Madame" à l'Élysée, ont concocté cette martingale baroque lors de quelques dîners fort arrosés aux frais de la République. Ils ont par la dissolution structuré politiquement l'ire présidentielle. Ce pari, qui a stupéfié l'Europe et ruiné le crédit de la France auprès de nos partenaires tout en provoquant une crise boursière en France, repose sur des considérations politiciennes hallucinantes.

D'abord, le pari au premier tour de la hausse de la participation par rapport aux Européennes, stimulée par l'enjeu. Mais cette mobilisation accrue sera-t-elle une nouvelle donne ou ressemblera-t-elle au pays qui s'est exprimé aux Européennes ? Personne n'en sait rien, en tout cas pas nos joyeux drilles. Par contre, le deuxième pari tient à la surestimation absolue du rapport du président à l'opinion. Selon nos stratèges, E. Macron n'aurait pas été sanctionné aux élections européennes, il n'a pas été entendu. Et passé l'heure du défouloir européen, les Français reviendront à leur champion en le plébiscitant. Ce genre de pari en chambre, entre courtisanerie et autisme politique, a déjà traversé la République. Le 27 avril 1969, le référendum plébiscite perdu d'avance sur la décentralisation conduira à l'exil du général De Gaulle. Ou lors de la dissolution ratée de Jacques Chirac le 21 avril 1997, qui aboutit à une cohabitation de 5 ans du président de droite avec le socialiste Lionel Jospin. Dans ce domaine, les conseillers "génies de village" ne sont pas les payeurs.

Comment ne pas voir que l'image du président Macron est très dégradée et vouloir mettre sa tête sur le billot ? Il n'est pas impossible que les Français la lui tranchent. Le troisième pari portait sur la division de la gauche. Les noms d'oiseaux échangés lors des Européennes, la haine contre Glucksmann de la part des insoumis, la création d'un climat antisémite en France, la question palestinienne qui, au passage, a disparu en 24 heures, l'explosion de la Nupes en plein vol ont fait croire à notre quarteron de conseillers hors sol qu'il serait impossible que la gauche se rabiboche. Bref, le concept vallsiste des gauches irréconciliables, devenu factuellement réalité, pouvait être instrumentalisé. Et donc, les macronistes seraient qualifiés dans les 130 circonscriptions où ils avaient été éliminés aux dernières législatives.

Ce qui est sympathique dans cette analyse, c'est l'idée que la gauche parlementaire serait seulement éprise d'idéologie. C'est évacuer qu'un sauve-qui-peut général a pu conduire une chambre du Front populaire à voter les pleins pouvoirs à Pétain malgré une poignée de résistants le 10 juillet 1940. Mais c'est aussi ne rien connaître à l'histoire du pays et de la gauche : le risque de l'extrême droite provoque toujours l'union de la gauche. Il suffisait de relire le fameux poème d’Aragon  « La Rose et Le Réséda » écrit dans la nuit de la résistance au fascisme. Et de fait, de Cohn-Bendit à J. Bové, de François Hollande aux frondeurs Christian Paul ou Laurent Baumel, ils sont venus, ils sont tous là, il y a même Poutou candidat dans l'Aude. J'oubliais la cerise lunaire, Aurélien Rousseau, ancien directeur de cabinet de E. Borne qui a piloté la réforme des retraites. Et bien voilà, il adhère au Front populaire qui se propose de l'abroger. Ce n'est pas beau la vie !

Il est vraiment peu probable qu'ils gouvernent ensemble, mais le "no pasarán" devient tout à coup irrésistible. Elle passe sur toutes les avanies d'autant que, pour ses principaux dirigeants, c'est du pain bénit, eux qui ne voulaient pas une solution social-démocrate. Alors, la gauche unie avec les syndicats en parallèle, c'est la certitude que la martingale de Macron, la qualification par la division de la gauche, tombe à l'eau. Il s'agissait de créer un "entre eux et moi il n'y a rien". Cela devient à gauche "entre toi et nous il n'y aura rien". Le résultat de cette belle manœuvre, ce sont les portes ouvertes au RN qui n'en demandait pas tant, et un pays affaibli entre victoire de l'extrême droite ou ingouvernabilité.

Il est peu probable dans ces conditions que la solution de repli de E. Macron : incarner la République pendant 2 ans face aux "barbares" soit praticable vu l'état du pays. Déjà plus de 60 % des Français sont favorables à sa démission et le RN utilisera cela pour légitimer sa "mélonisation". Et si le pays est ingouvernable, l'exigence d'une issue montera dans le pays : "7 ans ça suffit", alors que Macron ne pourra plus dissoudre. Vous me direz, Macron remonte et s'il réussit son pari. Franchement, gagner les législatives est impossible au vu du score du RN. Une majorité relative tout autant, vu le RN et la gauche. Qu'est-ce qui reste ? Trouver une coalition avec les Républicains ? Ils ne sont plus en état et gouverner avec le troisième groupe à l'assemblée, c'est impraticable.

L'agacement présidentiel vendredi au sortir du G7 trahit l'incertitude de son camp sur le bien-fondé de l'opération dissolution, qui ne sera pas "résurrection". Finalement, E. Macron aura non seulement joué l'avenir de la France sur un coup de dé mais, dans la lecture de son double quinquennat, on ne retiendra que cela. C'est ballot. 

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2.    Le Front populaire les yeux ouverts

Face au risque de victoire de l'extrême droite aux législatives anticipées, l'union de la Gauche s'impose toujours. Mais pour être efficace, il aurait fallu un front populaire sur la dynamique de Glucksmann au premier tour et un front Républicain au second tour. Ce n'est pas le cas, mais le peuple de Gauche ne s'arrêtera pas à ces considérations et utilisera ce qu'on lui propose pour faire barrage. Nous allons évidemment accompagner la Gauche, mais les yeux ouverts. Je ne préconiserai sûrement pas la défaite de la Gauche pour assouvir un ressentiment, surtout face au Rassemblement National. Pour autant, je n'ai pas cédé au lâche soulagement des meilleurs des sociaux-démocrates. Tant que chaque social-démocrate fera bande à part, tant qu'ils ne verront que midi à leur porte, ce courant en gestation ne pèsera rien, commentera les autres ou s'adapte aux événements sous les maigres applaudissements de ses partisans.

Si les sociaux-démocrates ne s'unissent pas, la messe est dite : à la présidentielle, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Il y aura un candidat unique du front populaire. Les chefs des partis de Gauche tenant de la Radicalité voulaient gommer la possibilité de fonder une social-démocratie sur la base du résultat de R. Glucksmann aux Européennes et sauver leur siège. Les écologistes ont été rapides, déterminés et conséquents. Ils sont allés voir Faure (qui n'attendait que cela) pour imposer leur priorité à la France insoumise.

Nous étions à deux doigts de transformer l'essai social-démocrate. C'est l'avenir de la Gauche et d'un pays qui va très mal. Seul le programme de la social-démocratie peut redresser la France, défendre l'Europe et restaurer la République. Sur cette base, les écologistes seraient revenus à la raison, car l'alliance PS-PP-Verts, c'était la garantie d'être qualifiés dans 500 circonscriptions. L'alliance avec la seule France insoumise était impraticable pour eux. Le front Républicain aurait beaucoup mieux fonctionné au second tour. Quand on veut gouverner la France, il faut commencer par gouverner ses nerfs et ne pas céder avant d'avoir commencé.

On a voulu à toute fin revivre la Nupes, baptisée front populaire. Celui de 1936 n'a rien à voir avec le cartel des Gauches de 2024. À l'époque, le parti Radical était une formation du centre, pas toujours à Gauche, et loin d'être écrasé par le PCF ou la SFIO. Cette composante est aujourd'hui totalement exclue de l'union et même combattue dans le cartel au nom de la Radicalité (macronisme de Gauche, sociaux-démocrates radicaux, voire Liot). Ce qui explique en partie que l'union penche à l'extrême Gauche au point que le POI et le MPA la soutiennent.

En plus, en 1936, le PCF appliquait le rapport G. Dimitrov présenté au 7e congrès de l'Internationale communiste le 2 août 1935, ordonnant la défense de la Russie stalinienne et antisémite par des fronts populaires. Le PCF était extrêmement modéré dans les revendications contrairement à LFI. Il s'opposait à l'époque aux nationalisations portées par la SFIO de Léon Blum car "elles allaient détourner les couches moyennes du front populaire" et combattait les pivertistes et les trotskistes qui voulaient un programme de rupture. Enfin, c'est le peuple de Gauche qui, par deux fois, fit la légende du front populaire : le 1er en 1936, imposant l'unité, et par la grève générale, obtenant une radicalité qui n'existait pas dans le programme.

Aujourd'hui, rien de tout cela : il s'agit d'un cartel des Gauches à froid pour faire barrage ou tout du moins contenir l'extrême droite. Pourquoi pas, mais ce n'est pas un front populaire. Cet abus de langage n'est pas totalement anodin. La volonté de produire un programme de "rupture" expose l'union à la peur de cet objectif dans une France plombée par les déficits. Et pour obtenir ce programme commun, il a fallu cacher les divergences dans des formules floues qui vont faire le régal de la presse et de nos adversaires.

Enfin, je ne peux terminer ma mise en garde dans notre charge collective contre l'extrême droite sans évoquer LFI. Sauver au parlement le populisme de Gauche ne garantit ni la dynamique ni de battre l'extrême droite. En revanche, cela garantit de contrarier une fois de plus l'affirmation de la social-démocratie. Il suffit de se pencher sur les études pour se convaincre que la Gauche n'est pas boostée par la France insoumise mais plutôt handicapée, non par ses électeurs qui vont se dévouer corps et âme au combat, mais par ses dirigeants.

Un sondage Ipsos de l'automne éclairera votre lanterne : capacité à gouverner – LFI 28%, PS 38%, RN 44% ; parti dangereux pour la démocratie – LFI 57%, PS 26%, RN 52%; parti qui utilise la violence – LFI 60%, PS 24%, RN 52%. Au-delà du populisme de Gauche impropre à la période et au règlement des problèmes des Français, le virage ultra-radical de LFI (les émeutes de banlieue, la bordélisation de l'assemblée, ou la question du Hamas, Poutine, Xi Jinping) a dégradé fortement l'image des mélenchonistes. Et si en 2022, 77% des duels au deuxième tour avec le RN ont été perdus par LFI, la situation ne s'est pas améliorée.

Au deuxième tour, le RN peut compter sur Reconquête et la droite déjà ralliée au RN et celle qui partage ses obsessions. Et Renaissance ne peut appeler à voter pour la Gauche, cela lui ferait perdre les duels avec le RN. Quant aux triangulaires qui se profilent, le RN aura de la réserve, Renaissance et le cartel des Gauches. Les législatives, ce n'est pas à la proportionnelle mais un scrutin uninominal à deux tours : au premier, on choisit, au second, on élimine. Si l'offre sera Front populaire, comptez sur nos ennemis pour débusquer les 220 LFI. Il va se produire à nouveau un vote utile. Plus le front populaire montera dans les sondages, plus la droite verra dans le RN ou Renaissance le moyen de faire barrage à Mélenchon dont Ruffin dit lui-même dans le Courrier Picard que c'est un problème quand il parle avec ses électeurs.

Et l'exclusion de Corbière - Garrido - David dans le huis clos d'un procès de Moscou ne va rien arranger, d'autant que le même Ruffin a été extrêmement violent dans la condamnation de l'acte, parlant de secte. Nous voilà prévenus, nous allons nous battre avec un poids mort sur le porte-bagage.

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3.    On craint le pire, Marine Le Pen aussi

Voilà des années que je me bats contre le national-populisme, nouveau visage de l'extrême droite, et que je pronostique, dans une indifférence polie, sa marche au pouvoir. Mais Marine Le Pen avait la tête des mauvais jours le soir des résultats des Européennes après l'annonce de la dissolution. Le piège était tellement téléphoné qu'il fallait être aveugle pour ne pas le voir. Aller au pouvoir dans les conditions actuelles, c'est cohabiter avec un Macron qui voudra se refaire. C'est assumer l'austérité et une tornade économique. C'est déchaîner la gauche dans la rue. C'est aussi lâcher les chiens, comme Gabriel Loustau qui vient de déclarer : "Vivement le 11 juillet que l'on puisse taper du PD". Ce fils d'Axel Loustau, ancien de l'armée secrète et du FN, fasciné par le fascisme, exprime les débordements possibles en cas de victoire. Et puis, accessoirement, mettre Bardella dans la situation de Balladur face à Chirac en son temps n'est pas sans problème. Mais faire une contre-performance, comme par exemple Wilders aux Pays-Bas ou Vox en Espagne, c'est introduire le doute dans l'électorat qui veut "essayer" l'extrême droite, et peut-être même provoquer la recherche d'une autre solution.

Mais le coup est parti et il a provoqué des dégâts considérables dans le paysage politique, d'abord avec le président des Républicains. Ciotti s'est transformé en "Laval chauve". Et, au nez et à la barbe de tous les caciques du parti gaulliste, il a lancé son appel du 11 juin (le 18 était déjà pris) pour s'allier avec Marine Le Pen, comme l'avaient fait les présidents de région de droite en 1998. Comment s'étonner quand on conquiert les Républicains en disant qu'au deuxième tour de la présidentielle on voterait plutôt pour Zemmour que Macron ? Quand ce parti n'a plus de références autres que venir ou revenir au pouvoir ? Quand les militants et de nombreux dirigeants partagent les mêmes revendications sur l'immigration, l'insécurité et une France blanche de souche ?

Et puis, il n'a pas été difficile de convaincre "Éric de Nice" qu'il ferait un bon ministre de l'Intérieur pendant 18 mois, avant de bouter le "motard" hors de la ville de Nice, pour renouer avec le médecinisme ou le frontiste Jacques Peyrat. Estrosi l'a tout de suite compris et dresse des sacs de sable autour de sa municipalité. Les caciques de LR ont bien essayé de réagir. Mais exclure leur président, lors d'un bureau politique improvisé au Musée social (il y a des symboles parlants), n'est pas aisé. On ne vire pas un président de parti comme cela, surtout quand il a verrouillé les statuts et changé les serrures.

Ce qui fut intéressant dans ce vaudeville politique, c'est que ce ralliement à Marine Le Pen fut épaulé par Bolloré, qui joua les entremetteurs. Je vous avais dit dimanche dernier, mais vous aviez d'autres chats à fouetter, que Monsieur Bolloré rôdait un peu trop autour des nationalistes de tout poil et ceci présageait une arrivée en politique. C'est un indice de plus. Ciotti a été devancé en traîtrise par Marion Maréchal (Le Pen) qui, à peine élue sur les listes Reconquête de E. Zemmour, se précipita chez sa tante pour sceller l'union contre la promesse d'une poignée de circonscriptions. L'auteur du "Premier sexe" l'a vraiment mal pris et a viré "Marion" comme une malpropre, cassant Reconquête alors que se réalisait sous ses yeux et sans lui l'union des droites qu'il défend depuis 20 ans.

Plus le paysage politique se décompose, moins Marine Le Pen est rassurée. La victoire n'est pas certaine. Le mur de l'anti-lepénisme se reconstitue enfin à grande vitesse, mettant en cause le travail de banalisation. La tripartition à l'œuvre peut être synonyme de victoire mais aussi de ghetto, ce qui n'augure rien de bon pour la présidentielle.

À dimanche prochain !

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Le communiqué du LAB 

Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir,qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :