937 Jours de Guerre en Europe

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1. Des Européennes entre nuit et brouillard - faisons vivre le score Glucksmann-PS par un agenda commun; 2. Larcher, le temps et la relance; 3. La Chine se dérobe au sommet de la Paix à Lucerne; 4. Le triomphe de Pascal Praud annonce l'arrivée de Bolloré; 5. Premier revers pour le nationalisme autoritaire-religieux de Modi.

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1. Des Européennes entre nuit et brouillard - faisons vivre le score Glucksmann-PS par un agenda commun

Les résultats ne font plus de doute. Il va faire nuit. L'extrême droite, avec son score historique, va commencer sa marche vers le pouvoir ; le macronisme amorce son déclin et se prépare à trois ans chaotiques ; les Républicains, asphyxiés et désarmés, sont maintenant pris entre sauver Macron ou être submergés par l'extrême droite et se rallier à eux ; les écologistes, défaits sur leur terre d'élection, ne seront pas le nouvel âge de la gauche, ni celui de la radicalité qui a conduit ses électeurs à se mettre au vert ; Reconquête, sans conquête, devra s'unir à Marine Le Pen ou la subir ; quant à Mélenchon, c'est le retour au "fortin Bolivarien" et la grande alternative radicale et intersectionnelle "au système". Il a troqué la clé de voûte radicale de la Gauche contre le maintien de son bastion identitaire dont l'étiage depuis les années 2000 est de 10 à 12 %. Son rôle va se réduire à empêcher la gauche en attendant Marine Le Pen. Les propos de son dernier show-meeting ne laissent aucun doute. Reste le succès relatif - parce que l'extrême droite fera près de 15 points de plus - de la liste Glucksmann-PS. Mais un score au-dessus de 10 %, jugé hier comme son plafond de verre, est déjà un succès au regard des 6 % des dernières élections européennes et du 1,75 % de la présidentielle. Cette percée plus ou moins grande ne présage rien mais laisse espérer tout. Au PS, cela peut être un nouveau départ ou le retour du brouillard.

Si Faure est allé chercher R. Glucksmann pour ne pas avoir un candidat social-démocrate ou y aller lui-même... Ce n'était pas son "first best" puisqu'il a plaidé avec insistance, comme ses amis, pour une liste unique de la Nupes. On peut passer outre, mais on ne peut pas faire comme si cela n'avait pas existé. Le 2 octobre, O. Faure regrettait encore !

Il prenait acte des listes PC et écologistes et espérait une candidature commune de la Nupes à la présidentielle dans une lettre ouverte aux partis de Gauche. Et puis il y a eu le 7 octobre qui a rendu Mélenchon moins fréquentable, puis ce dernier a tout fait pour être infréquentable. La liste autonome vis-à-vis de la Nupes était donc la bonne solution. R. Glucksmann a attiré avec talent, fraîcheur et conviction, parce qu'il n'était ni Nupes ni PS. Mais il n'a pu le faire que parce qu'il était appuyé par le PS financièrement et organisationnellement. Place Publique seul aurait eu un tout autre destin. Il y a dans cette triple équation une indication et dans ce résultat un mandat des électeurs, donc une feuille de route. Il faut faire vivre ce score, cet espace ainsi créé. Il ne faut pas tenter de faire vite disparaître Glucksmann dans une union sans mélenchonnistes, mais avec son programme, pour permettre aux frondeurs LFI de venir ; ni sombrer dans une aventure solitaire après des élections européennes plutôt réussies qui furent souvent le tombeau des vanités.

Respecter le mandat électoral de ce scrutin à gauche, c'est construire une nouvelle Gauche dans un agenda commun PS /PP. R. Glucksmann parle d'une social-démocratie rénovée. Allons-y ! Aux municipales, aux présidentielles et aux législatives, préparées par une Convention à l'automne, pour bâtir une alternative programmatique à la venue de l'extrême droite. Il faut un nouvel ensemble pour une nouvelle union et une nouvelle génération. Seule une telle stratégie peut espérer être un recours face à l'extrême droite ou porter un front Républicain contre elle. Regardons l'Histoire en face : la France vacille ! L'extrême droite est là, le macronisme n'est plus, les déficits s'accroissent encore, l'inflation repart à la hausse, et le chômage aussi, pendant que le logement s'effondre et les services publics s'affaissent. Le gouvernement prépare l'austérité pour éviter de dévisser. Et cela dans une Europe en état de guerre, stade ultime avant la guerre. Jamais il aura été autant nécessaire de faire la clarté et de sortir du brouillard.

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2. Larcher, le temps et la relance

Après avoir laissé dire, le président du Sénat, G. Larcher, a indiqué aux sénateurs Républicains qu'il n'était pas - tout compte fait - candidat au poste de Premier ministre et à 100% derrière la liste Républicaine aux élections européennes. Il est vrai que l'on compte plus les meetings, déplacements et interventions du président du Sénat. Aucune, je crois ? Je suis mauvaise langue. Comme prévu, l'alliance Parti Républicain - Renaissance se heurte à la résistance de ceux qui voient leur salut dans un pas de deux plus ou moins public avec le RN. Alors, terminé ? Pas tout à fait, Gérard Larcher ajoute, sans avoir l'air d'y toucher, mais avec gourmandise, que si des événements... ou des circonstances... voire des situations... extraordinaires se présentaient, il pourrait, si l'urgence du pays le commandait, se distraire de sa tâche de président du Sénat et se déclarer disponible. Mais c'est au président de voir, ajoute-t-il, tout en remettant au pot. Dans le même temps, il se fait fort de demander aux députés de voter une motion de censure si le "budget était du même tonneau". Ne serait-ce pas cela les conditions exceptionnelles ? Une cohabitation pour éviter la dissolution. La partie continue.

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3. La Chine se dérobe au sommet de la Paix à Lucerne

"On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment", disait François Mitterrand. C'est le cas de Xi Jinping à propos de l'Ukraine. La Chine refuse de venir au sommet voulu par V. Zelensky pour "appuyer son plan de paix" le 15 juin en Suisse. Il est vrai que la formulation faisait un tantinet mise au pied du mur. Dans ces conditions, de nombreux pays du Sud et surtout d'Asie ont poliment éconduit le président ukrainien lors de sa présence impromptue au sommet dialogue du "Shangri-La" à Singapour. Il n'y aura pas non plus le Brésil, la Turquie, l'Arabie saoudite, l'Indonésie, l'Égypte, ni la Chine, probablement pas l'Algérie, le Venezuela et l'Afrique du Sud. Et J. Biden ne sera pas présent. Les États-Unis seront représentés par Kamala Harris. La Chine manifeste, par son refus, un soutien diplomatique clair à la Russie, ce qui rend un peu plus illusoire le rêve du président Macron de voir le président chinois jouer de son influence auprès de Vladimir Poutine. Notre président vient d'ailleurs à nouveau de changer de ligne, refusant l'escalade en Ukraine, toutes les troupes au sol tant vantées sur les plateaux télé, tout en fournissant des mirages à Zelensky, comprenne qui pourra. En tout cas, la Chine ne veut pas que la Russie perde dans la confrontation avec les États-Unis et l'OTAN par l'Ukraine interposée. Et les États-Unis ne veulent pas qu'un bloc militaire russo-chinois se constitue. Cela serait un attelage militaire redoutable pour le "monde occidental". C'est la raison pour laquelle Washington équilibre l'offensive russe mais refuse des frappes en profondeur qui déstabiliseraient la Russie. L'Amérique ne souhaite pas contraindre la Chine à se porter au secours de la Russie. L'Empire du Milieu, en retour, applique une recommandation du stratège chinois Sun Tzu : "Tire parti de l'opportunité pour faire en sorte que l'ennemi soit à court de ressources". Et de fait, l'Ukraine, Gaza, le Yémen, Taïwan, la Corée du Nord, cela commence à faire beaucoup, même pour les États-Unis. Et plus les conflits durent, plus l'appareil militaro-industriel américain se dévoile et se voit poussé aux limites de ses capacités. Et en France, quoi qu'il en soit, rien ne peut se régler avant la présidentielle américaine, car ce serait offrir un avantage à Biden. La Chine préfère Trump à l'actuel président et gagne du temps. Nous voilà instruits, pour ceux qui pouvaient encore en douter : la Chine peut donner le change, mais elle n'est pas dans l'équilibre entre l'Ukraine et la Russie. Elle est là où ses intérêts la portent. Même vis-à-vis de la Russie, on le voit avec le pipeline de gaz "Force de Sibérie no 2", où en position de force, elle exige la construction, prise en charge par la seule Russie, et un prix cassé du gaz, moins cher que pour l'Allemagne en son temps. Mais la contradiction principale, pour paraphraser le président Mao, reste de déverrouiller l'hégémonie américano-occidentale et de récupérer Taïwan.

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4. Le triomphe de Pascal Praud annonce l'arrivée de Bolloré

P. Praud n'était pas peu fier devant ses camarades de "Je", le sourire en coin... Il annonce, faussement modeste, que CNews a dépassé BFM sur le mois. Il analyse, sans rigoler, les raisons du succès de sa chaîne... C'est une liberté de ton et l'absence d'idéologie qui marque la chaîne. Il ne faut pas être un spécialiste de l'Arcom pour regarder la chaîne et découvrir la "recette" de ce fameux succès : 1. l'immigration, 2. l'insécurité, 3. l'identité française. Cela ressemble à s'y méprendre aux concepts de la nouvelle droite, c'est-à-dire l'extrême droite contemporaine. Il faut y ajouter un populisme anti-"bien-pensance" de la Gôche et des élites, jamais démenti, et un zeste de catholicisme traditionnel, idée fixe du propriétaire Bolloré. Le tout en toute impunité, puisque la gauche a renoncé sans combat à son boycott. Elle permet aux plateaux TV de CNews de s'exciter en rond sur leurs marottes de prédilection. Il fallait y aller, combattre et imposer la parité des invités. Alors, après, avec l'extrême droite à près de 40%, si ce n'est plus, il n'est pas anormal que les Français de souche "extrême droitière" retrouvent dans ces émissions ce qu'ils cherchent. Mais derrière cet arbre se cache une forêt qui doit attirer notre attention. Monsieur Bolloré est en train de bâtir un groupe à la fois vecteur et acteur de la vague national-populiste. De CNews en passant par Canal+, C8, C Star, Infosport+, Europe 1, le JDD, Geo, Voici, Ça m'intéresse, Capital et bientôt un hebdo style Paris Match, maintenant qu'il a été vendu à B. Arnaud. Mais il y a aussi la plate-forme Dailymotion ou l'institut de sondages CSA qui, comme par hasard, fait un sondage pour P. Praud à 48 heures du scrutin sur les demandes des Français. Et c'est en un, l'inflation, en deux, devinez... l'immigration, et badaboum, comme c'est bien sûr ! Reportage sur "le sujet des Français", cela permet un débat - avec liberté d'esprit, il va sans dire - sur ce point pendant toute l'émission. L'empire s'étend aussi à l'édition Hachette et Editis, qui détiennent 100% des points de vente.

Ce qui donne une certaine maîtrise de la distribution. En tout cas, la présence dans tous les lieux où se forment les esprits est évidente. C'est - nous l'avons déjà évoqué - la réinformation chère à Bruno Mégret et Henri de Lesquen, qui vise à diffuser les idées de l'extrême droite tout en discréditant les médias officiels, "une réinformation qui gomme les stigmates des années de désinformations subies", disaient les deux compères bien avant le rachat de C8 par Bolloré à Canal+. La logique mécanique de cet ensemble "politiste" est la recherche d'un débouché politique, soit dans le soutien à un candidat ou une candidate en résonance avec ces supports idéologiques. Ce fut ce qui présida au lancement d'Éric Zemmour, soit à l'utilisation directe de la situation politique. En effet, si le moment va indéniablement à l'extrême droite, comme dans toute l'Europe, c'est aussi un moment propre au bonapartisme. Quand la bourgeoisie, affolée par la Révolution - ici nationale - cherche un sabre ou un goupillon pour rétablir l'ordre, si on veut bien paraphraser Marx dans le 18 brumaire. Il est peu probable que Bolloré se soit plongé dans les pensées du rédacteur du Capital. Mais aujourd'hui, le fil de l'épée, ce sont les médias, quant à la religion, le propriétaire du groupe la porte seul. Bolloré a ses obsessions, ses croyances, ses fidélités et le sens des opportunités. Et il ne serait pas étonnant qu'il caresse l'objectif d'être un Trump à la française ! En attendant, Marine Le Pen profite à fond de la structuration d'une partie de l'opinion par un bloc média qui mouline sur ses thèmes, lui évitant de le faire elle-même, lui permettant ainsi de les banaliser. Mais attention, Monsieur Bolloré n'accepte jamais très longtemps d'être actionnaire junior.

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5. Premier revers pour le nationalisme autoritaire-religieux de Modi

Un des traits dominants de la vague nationaliste qui parcourt le monde, c'est la fusion avec la question religieuse. Cela est moins visible en Europe mais totalement prégnant en Russie, Turquie, Iran, Israël, Arabie Saoudite, Chine où Xi cite maintenant Confucius. Même aux États-Unis où la religion n'est pas loin de Trump. Dans ces pays, la religion fait la police des âmes, chante la gloire du pouvoir et dresse le rempart de la foi contre toute avancée progressiste. Le pape François, en butte au conservatisme religieux, ne nous contredira pas. Mais c'est en Inde où le nationalisme religieux est porté à son paroxysme. Le Premier ministre Narendra Modi gouverne depuis 10 ans avec une xénophobie anti-minorité chrétienne et musulmane féroce. Lors de l'inauguration d'un temple construit à la gloire de la divinité hindoue sur les ruines d'une mosquée incendiée en 1992, il a résumé son objectif : "nous avons jeté les bases de l'Inde pour les 1000 prochaines années... construire une Inde nouvelle", en un mot, une république autoritaire hindouiste. Des groupes nationalistes hindous, une extrême droite décomplexée par la victoire de Modi, sont passés à l'acte. Les "milices du bœuf" se sont attaquées aux minorités religieuses sans être inquiétées, voire ont été encouragées. Mosquées incendiées, imams poignardés, musulmans lynchés, églises saccagées, prêtres menacés, chrétiens persécutés, tout y est passé. C'est dans cette atmosphère de guerre de religions rampante que les élections se sont déroulées en Inde, où la croissance est de 8 % et 40 % des richesses sont détenues par 1 % de la population. Les 642 millions d'indiens se sont rendus aux urnes il y a 8 jours et ont infligé le premier revers à Modi depuis 10 ans. 

Son parti, le BJP, espérait 370 sièges, il n'en a eu que 272 sur 543, loin des 303 qu'il détenait. Le parti du Congrès de Rahul Gandhi, qui me disait lors d'un voyage vouloir construire une démocratie inclusive et écologique, passe de 52 sièges à 99 sièges. Mais il faudra aussi compter sur "l'alliance nationale indienne pour le développement inclusif" du maire de New Delhi, Arvind Kejriwal, ou la truculente Mamata Banerjee, qui administre le Bengale occidental. Modi va devoir dépendre des alliés de sa coalition, souvent plus hindouistes que lui. L'enjeu, c'est le changement du code civil où l'Inde serait transformée d'un État séculaire en État hindouiste où les minorités seraient des citoyens de seconde zone. E. Macron, en invitant Modi pour le 14 juillet 2023, puis en étant l'invité d'honneur de l'Inde le 25 janvier 2024 pour remplacer au pied levé J. Biden, n'aura pas fait la meilleure pioche de son double quinquennat.          

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Le communiqué du LAB 

Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir,qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :