902 jours de guerre en Europe !

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1. De la brutalisation des débats ; 2. L'année blanche ; 3. En quoi les européennes vont faire bouger les lignes ; 4. Pour Mélenchon, l'ennemi, c'est d'abord les socialistes ; 5. La Géorgie au bord de la guerre civile ; 6. Meloni et le débordement néo-fasciste ; 7. Bas les pattes devant le rappeur iranien Toomaj Salehi.

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1. De la brutalisation des débats

L'impossible débat sur Israël et la Palestine est la manifestation de la crise démocratique. Dire les choses, dire les faits, se heurtent à des mots bâillons : par exemple l'antisémitisme pour les uns, le sionisme génocidaire pour les autres. Il est quasiment interdit de faire appel à la raison. Même un ancien Premier ministre s'emporte contre le relativisme dont je veux en faire une vertu. Il faut cliver, il faut choisir son camp. "La démocratie, c'est la souveraineté des arguments", disait le dramaturge antifasciste Bertolt Brecht. Aujourd'hui, le slogan et le préjugé remplacent l'argument. Nous sommes dans la rhétorique totalisante renforcée par l'utilisation massive des réseaux sociaux, des punchlines et des images chocs. Il n'y a plus d'allégeance aux faits pour les questionner, mais une subordination aux fakes pour les propager. Le 7 octobre est nié au nom du sionisme. La destruction de Gaza et ses morts sont balayés au nom de l'antisémitisme. Chacun cherche à débusquer chez l'autre son préjugé et étanche sa soif de certitude campiste à l'eau salée de ses ressentiments. Histoire personnelle, culture ou religion sont les juges de paix subjectifs de l'analyse. Georges Bernanos avait déjà tout dit à cet égard : "Si vous appartenez à une minorité forcément exploitée, vous serez tenté de transformer votre destin en argument. Ce n'est pas loyal, mais c'est humain et surtout efficace dans un débat où dire la vérité importe moins que parler vrai". Alain Finkielkraut, de retour d'Israël, dit dans Le Figaro où il est très sévère avec Netanyahou : "L'émotion sans intelligence n'est pas moins dévastatrice que l'intelligence sans émotion". De nos jours, dans le débat où on ne discute pas, on mord. Mais pourquoi donc les Français devraient s'enrôler derrière Rima Hassan ou Meyer Habib qui se font porte-parole du Hamas ou des colons de Cisjordanie ? Est-il incongru de caractériser la khmerisation du Hamas, l'intégrisme religieux en plus ? Ou de parler de partis fanatiques en évoquant Ben Gvir ou Bezalel Smotrich, tous les deux membres du gouvernement Netanyahou, comme le fait A. Finkielkraut dans la même interview du Figaro ? Cette incapacité de penser les faits au nom de l'inconditionnalité due à son camp est partie prenante de la « libanisation » des esprits que je condamne depuis longtemps. La logique de ce "campisme" dans le débat nourrit l'antisémitisme et le racisme antimaghrébin ou antiislam. Et ce n'est pas le moindre paradoxe de la volonté de défendre son camp par l'annihilation de l'autre. "C'est dans le vide de la pensée que s'inscrit l'avenir du mal", professait Hannah Arendt. Ce vide annonce la déconstruction de l'universalisme qui se retournera contre notre démocratie, si imparfaite soit-elle. Elle annonce le règne de la "populisation" de la politique et donc des conditions de l'arrivée du populisme nationaliste au pouvoir.

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2. L'année blanche

Le gouvernement a échappé à la sanction symbolique des agences de notation. Symbolique, car les marchés s'en préoccupent peu. Quand la note intervient, ils ont déjà anticipé, et cela se mesure au taux d'emprunt. Là est la vraie sanction. Force est de constater qu'en ce domaine, la France est déjà sanctionnée puisque les taux d'intérêt de nos emprunts sont passés de 20 centimes à 50 centimes en une année. Mais c'est moins visible pour les Français. "Bruxelles" s'apprête à prendre le relais pour un déficit excessif, alors le gouvernement se prépare à ce qu'on appelle "l'année blanche". Il s'agit de ne rien réévaluer, même pas en prenant en compte l'inflation, ni les minima sociaux, ni les prestations sociales, ni le point d'indice de la fonction publique. Et en contrepartie, on ne touchera pas aux impôts des plus riches ni aux entreprises, sauf si le dérapage s'accentue. Là, on aurait recours à des impôts exceptionnels et ponctuels. En un mot, le gouvernement n'augmentera pas les impôts des riches, il diminuera les recettes des pauvres.

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3. En quoi les européennes vont faire bouger les lignes

Au-delà de l'enjeu européen qui est beaucoup plus important qu'on ne le croit et même décisif pour l'Europe, quand on entend Madame Von der Leyen dire qu'elle est prête à travailler avec l'extrême droite, l'onde de choc du résultat dans chaque parti français sera "matriçant" pour les trois années à venir. Et ceci, avec plus ou moins de force en fonction du score de l'extrême droite. Mais aussi par le résultat du parti macroniste et encore plus si Renaissance était dominée ou accrochée par la liste Glucksmann-PS. Toutes les formations vont être "impactées" par une élection qui est pourtant généralement jugée sans lendemain. Le RN d'abord, où Bardella s'imposera un peu plus comme une réelle alternative à Marine Le Pen dans le débat au RN : "comment passer de 30 % à 50 %?". Il devient tout à la fois l'assurance-vie du parti lepéniste en cas de défaite à la présidentielle et le caillou dans la chaussure de Marine Le Pen. Renaissance ensuite, où les sondages annoncent le crépuscule du macronisme. On passera du "en même temps" au "retour de chacun dans son camp", sur fond de sélection du candidat à la présidentielle. Au PS, la "réussite" d'une candidature hors Nupes marquera le glas de la stratégie d'effacement de Faure. Mais la réussite d'une tête de liste hors PS interrogera les tenants du retour du balancier. À la France insoumise, le débat risque d'être féroce. La stratégie du bunker de Mélenchon, quoi qu'il en coûte, sera piégée par les illusions de l'union comme identité semée par ce dernier, le leader de la France insoumise n'étant plus l'homme de l'union de la gauche autour de lui. Une partie des Insoumis chercheront à s'en séparer au nom de la recherche d'une union tout en gardant la radicalité comme centre de gravité. Chez Les Républicains, vu le résultat, le parti ne pourra plus contenir les ambitions présidentielles, et la droite classique ne pourra pas ignorer le résultat du RN lors des municipales. Le résultat de Reconquête, possiblement devant ou proche de LR, ne cachera pas le débat entre les "maréchalistes", partisans de l'union des droites avec le RN, et les "zemmouriens", tenants d'une stratégie de l'union des droites visant à affaiblir le RN. Chez les écologistes, l'échec du résultat au regard de l'objectif de se substituer à la France insoumise comme pilier de l'union provoquera le retour du débat entre l'écologie politique et la politique de l'écologie, c'est-à-dire l'identité écologiste avant tout ou l'union de la gauche avant tout. Au PCF, la "rousselmania" ne se transmet pas au parti du Colonel-Fabien. Le PCF se retrouve devant l'alternative de l'union de la gauche sans la radicalité, c'est-à-dire sans Mélenchon, et la radicalité sans union de la gauche déjà préemptée par Mélenchon. Enfin, les Radicaux de Gauche chercheront un peu d'oxygène n'ayant pas d'espace seul et peu d'espoir de restructurer le paysage politique à gauche avec le retour du PS. 

Mais ces jeux d'appareils seront confrontés à trois questions politiques qui agiteraient les Français. D'abord, est-il temps d'essayer l'extrême droite pour les uns? Faut-il recréer un front républicain pour l'empêcher pour les autres? Ensuite, la majorité relative du président au Parlement battue, ce dernier doit-il en tirer des conséquences pour affronter le tournant austéritaire - coalition, dissolution ou continuation? Et si les Français "des mi-juin" n'auront d'yeux que pour le sport, le championnat d'Europe de football, le Tour de France galactique, les Jeux olympiques. 

La rentrée sera celle de l'austérité et du mécontentement qu'elle va générer. Voilà pourquoi le résultat de cette élection ne changera rien mais bousculera tout.            

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4. Pour Mélenchon, l'ennemi, c'est d'abord les socialistes

Qui sème la violence récolte la violence. La condamnable expulsion de R. Glucksmann dans la manifestation du 1er mai à Saint-Étienne s'est faite au nom de la solidarité avec "la Palestinne". Le crime de R. Glucksmann en ce domaine ? Refuser de parler de génocide à propos de Gaza. Il préfère le terme de massacre. Et il a pris ses distances avec l'occupation de Sciences po Paris, sans pour autant condamner l'amorce du mouvement. Franchement, il n'y a pas de quoi transformer la tête de liste PS - Place Publique en ennemi principal de la gauche. Mais voilà, il est à près de 14% et peut passer devant la liste Renaissance de Macron. Il est partie prenante des sociaux-démocrates européens dominant la gauche au Parlement, et donc une forme de vote utile peut s'enclencher. R. Glucksmann représente donc le danger d'une alternative à la domination de la gauche par la radicalité, alors que Mélenchon pensait en avoir fini avec la gauche réformiste après la présidentielle. La question palestinienne n'est donc, malheureusement, qu'un prétexte à une délimitation dans la gauche française pour préserver un socle électoral radical. Mélenchon et LFI ne combattent pas pour une solution à deux États, ce n'est pas leur mot d'ordre. Il ne s'oppose pas à celui de "la mer au Jourdain" qui est sa négation. Il n'évoque jamais l'opposition à Netanyahou, voire le mouvement et les manifestations pour les otages à Tel Aviv, pas plus que la nature du 7 octobre. La question palestinienne n'est pas un combat mais un discriminant dans la rhétorique LFIste. Mélenchon fait de la question palestinienne le partage des eaux dans la gauche. Alors, il ne faut pas s'étonner quand des jeunes communistes ou de révolution permanente ou de LFI, peu importe, prennent le sujet au mot et érigent des barricades dans la gauche. C'est la rançon d'une ligne qui fait d'Israël un bloc collectivement responsable de Netanyahou. Il faut, pour les Insoumis, cliver avec ceux qui veulent distinguer le gouvernement d'extrême droite du peuple israélien dans le combat d'une solution à deux États. En quoi s'en prendre à Glucksman, "Glucksmann casse-toi, Palestine vaincra", ou interrompre un meeting du PS à Villeurbanne, ou saturer la toile de tweets contre Glucksmann, aiderait la résistance palestinienne ? Cette éviction d'une manifestation rappelle celle que l'on voit sur les campus américains contre les "étudiants sionistes", dont je vous ai expliqué la nature dans les instantanés de la semaine dernière. Cela ne présage rien de bon dans une future "insurrection" estudiantine. On l'a compris, LFI instrumentalise seulement la colère et l'émotion d'une partie des étudiants français devant la destruction et les morts de Gaza. La question palestinienne est un bloc pour ces étudiants, peu importe les pogroms ou la nature du Hamas. L'ancien président de la Ligue des droits de l'homme, Henri Leclerc, résume ainsi la réaction étudiante : "C'est un mouvement du cœur, ce peuple a droit à quelque chose". L'arraisonnement par LFI de cette protestation légitime mais sans discernement n'a qu'un but : éviter le mouvement électoral vers R. Glucksmann et le PS, dans une partie de la gauche. Cette stratégie mélenchoniste de la terre brûlée, où l'ennemi principal est le socialiste, n'est pas sans rappeler celle du Parti communiste allemand contre les "sociaux-traîtres" dans les années 30, conduisant à la victoire d'Hitler. Mélenchon, moins que tout autre par sa formation et son histoire, ne peut l'ignorer. Le dernier tweet du leader de la France insoumise, d'une violence inouïe contre Jérôme Guedj, qui pourtant en a fait beaucoup pour l'union avec Mélenchon, signe la stratégie : "Dans quelques mois, le PS n'osera plus lui-même s'appeler PS tant cette dernière infamie a ressuscité toutes les autres et lui vaut le dégoût de tous ceux à qui il a rendu la vie impossible dans le pays." Les masques tombent, la "cause palestinienne" n'est que la tentative de vouer le PS aux gémonies, devenu pour Mélenchon l'ennemi principal.

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 5. La Géorgie au bord de la guerre civile

Les conditions de l'intervention de Poutine en Géorgie se précisent. Le 1er mai, des dizaines de milliers de Géorgiens ont manifesté à Tbilissi contre "la loi russe" qui vise, comme en Russie, à contrôler l'opposition. Elle a été adoptée en deuxième lecture par la majorité pro-russe au Parlement, mais minoritaire dans le pays. Entre les partisans de l'entrée de la Géorgie en Europe, dont la Présidente de la Géorgie, et les pro-Russes, dont le gouvernement soutenu par l'oligarque Bidzina Ivanichvili, un double pouvoir se met en place. On se dirige vers la confrontation. Il y aura une troisième lecture de la loi, la décision de la présidente et la promulgation par le gouvernement, autant d'occasions d'affrontements. Poutine ne peut laisser le peuple géorgien choisir son destin. Et il sait compter sur une majorité au parlement et un gouvernement qui peut légalement l'appeler à la rescousse. Il l'a démontré en Biélorussie, au Kazakhstan, et ce fut le même scénario sur la place Maïdan à Kiev, avec comme conséquence la première invasion de l'Ukraine par la Russie. Il y a donc tout lieu de penser que c'est le tour de la Géorgie. Et ce n'est pas rien. C'est l'expression d'un nouveau monde basé exclusivement sur la force. Les États-Unis ont passé outre l'État de droit international. C'étaient les seuls, il s'exerçait une certaine autolimiteparce que c’est une démocratie et donc sensible à la pression de l'opinion publique mondiale. Le droit international restait bon an mal an le bien commun. Les Russes, à leur tour, ont tenté en Afghanistan le recours unilatéral à la force et cela a fini par emporter l'URSS. Ce qui vient, c'est le règne de la puissance refusant de la déléguer à une seule puissance la régulation du monde. Mais ce n'est pas pour autant la mutualisation du monde. Les nouveaux empires veulent s'émanciper du droit formel et leurs régimes illibéraux sont insensibles à la pression. Ce serait en conséquence le règne de l'abîme permanente de la guerre mondialisée, au risque nucléaire généralisé. C'est cela qui se joue dans les conflits à Tbilissi, Erevan, Kiev, Taipei et Gaza.

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6. Meloni et le débordement néo-fasciste

La première ministre italienne a décidé d'être tête de liste lors des Européennes. Cela peut paraître étonnant. Mais ne pas l'être ouvrirait la voie à d'autres solutions à l'extrême droite. Il y a bien sûr Salvini, mais surtout la montée de groupuscules fascistes. Lors de la commémoration à Milan de la mort de Sergio Ramelli en 1975, ce jeune militant du MSI, parti néo-fasciste fondé par Benito Mussolini, assassiné par Avanguardia Operaia pendant les années de plomb, 1500 manifestants aux flambeaux ont ensemble à de nombreuses reprises fait le salut nazi aux cris de "présent". C'est la deuxième fois en quelques mois que l'Italie est secouée par ce type de rassemblement. Ce fascisme décomplexé se nourrit du discours de madame Meloni : "Dieu - Famille - Patrie", stigmatisant le grand remplacement par l'immigration. Mais sa pratique au pouvoir est encore largement symbolique, soutien financier de l'Europe oblige. Elle crée des frustrations dans la fraction la plus radicale de son électorat. Le débordement xénophobe permis par la victoire électorale de madame Meloni sur ces thèmes est en marche. Et ce n'est pas un hasard si le parquet italien s'est saisi de cette manifestation. C'est la confirmation de ce que j'ai expliqué dans ces colonnes il y a quelques semaines : la victoire de Marine Le Pen posera un problème éthique et économique, mais aussi la question politique du débordement.

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7. Bas les pattes devant le rappeur iranien Toomaj Salehi

Le rappeur Toomaj Salehi, qui, comme toute la jeunesse iranienne, a soutenu le mouvement contestataire déclenché après la mort le 16 septembre 2022 de Masha Amini, une jeune kurde iranienne détenue par la police des mœurs qui lui reprochait d'avoir enfreint le code vestimentaire imposé aux femmes. Le jeune rappeur a chanté sa solidarité. Il a été arrêté et condamné par le tribunal révolutionnaire d'Ispahan pour "corruption sur terre". Ce n'est pas une plaisanterie, 9 personnes ont déjà été exécutées. Il faut le sauver.

 

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Le communiqué du LAB 

Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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LE POUVOIR D’AGIR

Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :