965 jours de guerre en Europe
1. Un deuxième tour compliqué, réponse simple ; 2. Les leçons du premier tour ; 3. Et maintenant ? ; 4. L'axe asiatique ; 5. La victoire des travaillistes.
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1. Un deuxième tour compliqué, réponse simple
Il existe deux scénarios possibles : soit le désistement républicain se produit, malgré les consignes contradictoires des différents acteurs politiques, et le RN n'obtient pas la majorité - cela semble être la tendance actuelle -, soit LFI est le plus souvent éliminée au second tour en raison d'un mauvais report des voix de la droite et d'Ensemble. Dans ce cas, l'abstention lors du premier tour joue un rôle important et l'extrême droite aura la majorité absolue. Ainsi, nous pourrions soit avoir une Assemblée sans majorité, soit un gouvernement d'extrême droite, mais dans les deux cas, les populistes seront puissants, voire auront la majorité absolue.
Voilà où le président Macron a conduit la France : à terre sur le plan politique, dans le décor sur le plan économique avec la chute de la production industrielle de 2,1 %, la hausse du déficit du commerce extérieur de 8 milliards (85,9 sur un an) et un record historique du déficit de l'État, enfin un pays dévasté par les multiples colères.
Si nous échappons à la majorité absolue du RN, nous n'échapperons pas aux conséquences de sa majorité relative dans un pays sans dessus dessous.
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2. Les leçons du premier tour
Leçon 1 : la France plurielle
La France est divisée en deux, avec d'un côté le vote rural et rurbain contre le "boboistan" des métropoles. La difficulté réside dans le fait qu'il y a d'un côté le RN et de l'autre tout le reste.
Leçon 2 : le sens d'un vote
Avant de discuter d'une coalition, qui est certainement nécessaire, il faut comprendre ce que disent les Français. Car le but d'un gouvernement républicain est de ne plus jamais revivre cela. Il s'agit de répondre au message des Français et donc de tarir l'extrême droite : la justice et la République ; certainement pas le populisme de gauche, mais pas plus le macronisme.
Leçon 3 : le désistement Républicain ça marche
Il y a quelques semaines, j'appelais au Front Républicain dans La Tribune du Dimanche : "Nous sommes condamnés à nous entendre". Je fus pour le moins brocardé. Dès le soir du premier tour, je signais un appel avec 400 citoyens en ce sens. Il y en eut beaucoup d'autres appels. Nous sommes passés de 306 triangulaires à 89. Il y a eu 217 retraits de ceux qui étaient qualifiés mais en 3ème position. Sans cela, c'était la bérézina. Non seulement la marche au pouvoir de l'extrême droite a été entravée, mais le Nouveau Front populaire, Ensemble et Les Républicains vont profiter de ce désistement républicain. Voir dans le résultat mécanique de ces consignes le résultat d'une stratégie pour les regroupements qui auraient à en profiter serait une lourde erreur pour la suite. Au premier tour, Les Républicains furent écrasés et doivent leur salut qu'à un désistement républicain jugé improbable, impossible et inefficace.
Leçon 4 : Macron seul dans son royaume élyséen
Le président Macron cristallise le rejet populaire. Il est le produit chimiquement pur du "monde d'en haut technocratique" que le peuple exècre. Le président immature s'est encore illustré le jour du vote avec son look invraisemblable, entre un Looping dans "Agence Tout Risque" et Tom Cruise dans "Top gun". Il semblait dire "tel est mon bon plaisir". Peut-on parler d'un risque de guerre civile, évoquer le drame pour la France de l'extrême droite au pouvoir et être à ce point désinvolte ? Macron n'est pas configuré pour ces temps dramatiques. L'Histoire retiendra que le président a préféré les nominations, dont celle du directeur général de la Police nationale, plutôt que l'appel au peuple. Cette dissolution signe de manière indélébile son double quinquennat, où il aura ruiné notre crédit à l'international à la veille des Jeux olympiques. La presse internationale est d'une sévérité extrême envers E. Macron. Le départ du président le 9 juillet sera dans toutes les têtes et marquera le point de jonction entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais il ne le fera pas dans l'espoir de se refaire. Ainsi, il est condamné à l'exil intérieur.
Leçon 5 : fin du parti du macronisme
Dans l'impact du premier tour, le pari présidentiel, qui était une fiction soutenue par la clé de voûte présidentielle, a volé en éclats. E. Philippe et G. Attal se sont autonomisés vis-à-vis du président, avec deux positions différentes. L'actuel Premier ministre a appelé au barrage, tandis que le maire du Havre a adopté une position de "ni ni". Le ministre de l'Intérieur, sauvé par LFI pour qui "la police tue" pourtant, réaffirme son hostilité à LFI. Certains ministres veulent sauver le soldat Ruffin, d'autres refusent de se désister, tandis que le RN se retire pour la candidate proche d'Édouard Philippe, qui lui se ravise et appelle à voter pour un candidat du PCF. Et B. Le Maire tempête contre le fait qu'Ensemble "n'est pas le prolongement du PS" en parlant de G. Attal. Le macronisme est désorganisé sur le plan organisationnel et politiquement mort.
Leçon 6 : la droite n'a plus de parti
Ce qui reste du parti gaulliste refuse de se désister et rejoint de fait Ciotti dans son soutien à l'extrême droite. Xavier Bertrand, plutôt favorable au "ni ni", apporte son soutien à un candidat du PCF, tandis qu'E. Ciotti annonce son exclusion des Républicains, lui-même étant sous le coup d'un renvoi par la majorité du bureau politique. La droite n'est plus qu'un conglomérat de féodalités. LR sera réduit à ses barons, dont le rôle - non négligeable mais non matriçant- sera celui des charnières sous la 4ème République. Un comble pour des gaullistes.
La leçon 7 : Marine Le Pen, gagnante ou gagnante
Jean-Marie Le Pen voulait réintroduire l'extrême droite, excommuniée pour collaborationnisme, dans le jeu parlementaire. Sa fille l'a fait. Elle sera la grande gagnante de la dissolution avec un groupe dominant, quel que soit le cas de figure, y compris face à une coalition des partis républicains. Entre elle et la gauche, il y a une multitude de principautés de personnalités qui vont devoir choisir dans sa marche à l'Elysée. Le lâche soulagement sera de mise en cas de majorité relative, qui sera assimilée à une défaite tant on aura eu peur. Mais elle aura mis le pied dans la porte de la présidentielle. "Même si on réussit à empêcher la majorité absolue du RN, on n'empêchera pas la montée du RN", nous dit le sage E. Morin dans son interview à Quotidien.
La leçon 8 : le Cartel des 3 Gauches
Une social-démocratie sans tête, une gauche sociale écolo à 3 têtes, une tête qui coupe toutes celles qui dépassent, voilà la gauche résumée malgré ses chiffres flatteurs. R. Glucksmann a raté le leadership de la gauche dans la dissolution. Il voudra fonder son parti dans un espace encombré. F. Hollande a ramassé le gant mais ne peut incarner, à cette étape, ni la coalition ni la gauche. Aura-t-il suffisamment de parlementaires réformistes pour peser dans un groupe PS et le rééquilibrer ? C'est la seule question. Le triumvirat Faure-Ruffin-Tondelier n'existe que dans un "ni ni", ni les sociaux-démocrates ni Mélenchon. Ils seront absorbés par ce dernier en cas de confrontation avec le RN en majorité absolue, ou disloqués par le sujet de la coalition. Cela commence. Ruffin dit plutôt non, Tondelier plutôt oui, pendant que Faure nous dit "faut voir". Quant à Mélenchon, enfermé volontaire dans son fortin bolivarien, sa grande rupture censée lui amener le peuple aura été confortée par la couardise de lui avoir concédé le leadership pour Matignon et fut sauvé par le Front Républicain qu'il n'a jamais appelé de ses vœux. Cette stratégie boulangiste a provoqué un rejet tel que LFI pourrait le "payer" dans les reports au deuxième tour. La gauche existe, et singulièrement dans le refus du RN, mais elle n'est pas candidate au pouvoir. Tout le problème est là.
La Leçon 9 : Zemmour "C loose"
Politique de groupuscule, score de groupuscule, tel est le résultat d'Eric Zemmour. Le leader de reconstruction est resté à quai avec son maigre bagage, pendant que le train des "droites unies", dont il avait rêvé, s'éloignait avec Marine Le Pen et "ses chats" comme conductrice.
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3. Et maintenant ?
Que va-t-il se passer le 8 juillet ? La sidération ou le soulagement ? Cette victoire à la Pyrrhus, oubliant qu'au premier tour le RN était à plus de 35 % dans 280 circonscriptions et sans la réduction des triangulaires, c'était plus de 300 députés d'extrême droite ; la recherche du bouc émissaire de l'échec dans un cas, ou le retour aux querelles subalternes dans l'autre ? Laissons la victoire du RN, qui paradoxalement sera plus simple à gérer pour l'opposition républicaine : pas de faux-semblant, on est pour ou contre. Un comité de vigilance républicaine s'imposera. Par contre, l'absence de majorité absolue due à un réflexe républicain plus qu'un Front Républicain créera les conditions d'un Front Républicain. Ce dernier prendra la figure de la "coalition", formule de tout temps refusée par E. Macron. C'est sûrement d'une coalition dont notre pays a besoin pour affronter les défis du moment. Mais quelle coalition ? Nous allons vite en besogne, républicaine ou nationaliste ? Bardella, Ciotti, Wauquiez ou Ensemble et Gauche de gouvernement ? Tout cela dépend du nombre de députés pour les uns et les autres. La gauche et les médias se refusent à voir la totalité de l'espace public. Évidemment, dans notre histoire politique, Waldeck, Rousseau, Gaston Doumergue, Edgard Faure ont réussi le bloc républicain. Ce n'est pas impossible à refaire. Mais le bloc réactionnaire est lui aussi possible. Qui peut dire que L. Wauquiez préférera Les Républicains, à dominante nécessairement de gauche, qu'une alliance avec l'extrême droite ? Et puis, si le RN, LFI voire des Républicains « wauquistes » constituaient la majorité absolue, le gouvernement de coalition républicaine serait dans l’incapacité de gouverner. Mais il est possible que les 3 aient intérêt à pousser à la démission de Macron. L'intervention de Jean-Luc Mélenchon sur TF1 laisse ouverte cette voie. Mais il y a encore une petite difficulté pour le gouvernement d'entente républicaine. Il faut qu'une majorité du Nouveau Front populaire rejoigne l'équation du gouvernement républicain. La clé à gauche ce sont les Écologistes, s'ils refusent, le PCF suivra et Faure prendra appui pour, comme pour le Nouveau Front populaire, refuser la recherche de l'accord. Déjà Ruffin déclare qu'il n'en serait pas, même si Madame Tondelier (nouvelle star des médias malgré ses 5 % aux Européennes) a entreouvert la possibilité, mais avec beaucoup de conditions. Si c'était le cas, ce serait pour le PS le rendez-vous manqué avec l'histoire. Et pour moi, les conditions réunies de la fondation d'un mouvement social-démocrate. Mais cette dérobade à l'intérêt général rendrait caduque la perspective d'une coalition. Enfin, dans cette confusion annoncée qui rappelle la 4ème République, il ne faut pas exclure les initiatives du chien fou dans le jeu de quilles : E. Macron. Il voudra consulter, décider, imposer. On évoque la réunion des parlementaires républicains pour l'en empêcher. Ils feraient, sous fresque du serment du jeu de paume, derrière l'hémicycle, le serment de se séparer que lorsque la coalition aura trouvé son programme et désigné son premier ministre, s'imposant au président. Ça a de la gueule sur le papier, mais se heurte aux appareils l'œil rivé sur leur réélection et le RN d'un côté, LFI de l'autre.
Voilà pourquoi je plaide pour la proportionnelle (depuis longtemps) avant une nouvelle dissolution permettant un gouvernement d'entente républicaine d'appliquer le triptyque « Assainir, Produire, Repartir », c'est-à-dire un contrat clair passé devant les Français qui engage et s'engage. Car le pays est au bord de l'abîme et loin d'être sorti de l'affaire. La présidentielle, lointaine certes, s'annonce avec l'entrée massive de députés RN. C'est une déferlante qui monte face à l'archipelisation des offres politiques "du monde d'en haut". Comme dans "Un barrage contre le Pacifique" de Marguerite Duras, on peut s'illusionner à faire barrage contre la montée des eaux salées, mais la réalité est là.
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4. L'axe asiatique
La venue d’Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, au sommet d'Astana légitime l'axe Asiatique. La Chine, la Russie, l'Inde, l'Iran, le Kazakhstan, le Pakistan, et le Turkménistan se sont réunis et constituent un fait géopolitique qui regroupe 40 % de la population mondiale. Il s'agit du noyau dur du refus du monde occidental porté par les BRICS. Vladimir Poutine et Xi Jinping ont publiquement réaffirmé leur volonté de la désoccidentalisation du monde. Cette rupture est tout autant une volonté économique de déréglementation fiscale, sociale et monétaire que l'instauration d'un modèle illibéral sur le plan politique. Ce nouveau mixte est le "moment" mondial. Tout en étant préoccupés par nos problèmes internes, il ne faudrait pas le minimiser car il va peser sur les écosystèmes des démocraties dites libérales et alimenter encore un peu plus la vague national-populiste.
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5. La victoire des travaillistes
Encore une dissolution qui se retourne contre son auteur. Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a provoqué les élections pour ne pas subir celles qui étaient prévues à l'automne. Le résultat est le plus mauvais score des Conservateurs depuis 1906. Le parti travailliste obtient la majorité absolue et met fin à 14 années de règne des Conservateurs qui laisse le pays exsangue. Le renouveau du parti travailliste après la rupture avec Corbyn (qui a cependant été élu en indépendant) a modifié la perception des Britanniques pour ce vieux parti. Mais maintenant, tout est à refaire dans le pays, des services publics aux rapports avec l'Europe. Le Premier ministre Keir Starmer a fixé un horizon audacieux : "renouveler les idées qui maintiennent l'unité de notre pays : un renouveau national". Les conditions pour "refaire nation" sont redoutables, la situation économique est désastreuse et la montée du national-populisme a conduit à l'entrée pour la première fois au parlement d'un parti d'extrême droite "contre l'immigration, contre le système" avec 4 sièges. Le système électoral majoritaire à un tour et le bipartisme sont extrêmement pénalisants pour les partis minoritaires. Le fait que Nigel Farage entre au parlement à sa 8ème tentative est une autre indication.
À dimanche prochain !
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Appel de 400 citoyens pour le Front Républicain.
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"Il faut bien que la liberté nous coûte quelque chose", nous dit Sénèque. Ce sera donc le front républicain pour des députés qu'on n'aimait pas, voire que l'on combattait, mais pour éviter un gouvernement d'extrême droite.
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Ma tribune : Nous sommes condamnés à nous entendre !
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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental.
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LE POUVOIR D’AGIR |
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Le Lab de la social-démocratie vient d’élaborer un « programme fondamental » intitulé Le Pouvoir d’Agir, qui vise à rénover les idées de la gauche réformiste en France. LeJournal.info a décidé de publier les principales réflexions issues de ce travail collectif. Pour y avoir accès cliquez ci-dessous sur les quatre liens :