606 ème Jour de Guerre en Europe

1/Le nouveau Moyen Âge ; 2/Darmanin a tort ; 3/Se défendre avec nos valeurs ; 4/ Les erreurs dramatiques de Netanyahu ; 5/ Nupes, un accord casse-croûte sans avenir ; 6/La conjoncture s'annonce déprimée ; 7/Faut-il choisir son populisme ?

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1/Le nouveau Moyen Âge  

Nous entrons dans le nouveau Moyen Âge. « Quand l'ancien meurt et que le nouveau ne peut naître pendant cet interrègne, on observe des phénomènes morbides les plus variés », nous disait Gramsci. Il faut les voir comme les symptômes d'un changement plus profond. La fin de la domination du monde occidental, sa contestation globale par le Sud, l'émergence d'une alternative - les BRICS. L'éclatement des sociologies héritées de l'ère industrielle, le retour du religieux, la révolution anthropologique lié à l'immatériel, le boom démographique et les migrations, auxquels il faut ajouter la crise énergétique et les conséquences climatiques ; l'affaiblissement de la démocratie américaine, son pilier principal, et la montée de l'illibéralisme illuste ce monde en transition. Tout cela s'apparente à la tendance lourde de l'effondrement de l'Empire Romain qui fut contemporain de profonds changements sociétaux, politiques et géopolitiques. À la suite de l'éclatement de l'Empire, qui va laisser place à l'Empire occidental chrétien lui-même percuté par les Vikings au Nord, les Hongrois à l'Est et les Sarrasins au Sud. L'Empire byzantin se maintient comme puissance mais perd une grande partie de ses territoires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord au profit des Califats arabes, puis s'effondrera. Cette longue période ne prendra fin qu'avec l'époque moderne, bornée symboliquement par la découverte de l'Amérique. Il ne s'agit pas de plaquer mécaniquement les situations, mais de comprendre dans quelle logique elles s'intègrent. Nous sommes entrés dans une nouvelle période historique et géopolitique post-domination de l'Occident. Elle laisse place à un entre-deux qui est un nouveau Moyen Âge. Et cette transition provoquera des guerres, des confrontations, du nationalisme, des ruptures sociales, voire des régimes autoritaires, autour de cette ligne de clivage. Encore une fois, je vous renvoie aux instantanés de la semaine dernière : la guerre en Ukraine, la guerre au Proche-Orient, la liquidation de la domination française en Afrique de l'Ouest, participe de cette séquence. Eh bien, évidemment, chacun de ces épisodes a sa propre temporalité. Dans le moment présent, il est remarquable et symbolique que le sommet Poutine - Xi Jinping intervienne volontairement à cet instant, comme pour indiquer un autre chemin. Face à ces événements, la question européenne, la défense de la démocratie "libérale", de l'État de droit et de l'État social est primordial. Mais elle est elle-même minée par la montée des nationalistes. La France, avec le président Macron et la classe politique n'ont rien anticipé car enfermés qu'ils sont dans les débats d'hier et la prétention "française". La "classe politique" donne l'impression de mouches dans une bouteille, entre extrêmes excitations du verbe et paralysie de l'action. L'engrenage est en place pour que la séquence proche-orientale de la période soit un drame accélérant la tendance lourde. Le bombardement de Gaza City a déjà chauffé à l'incandescence le monde arabo-musulman. Les premières manifestations ont lieu dans les pays arabes, mais aussi, démocratie oblige, en Occident. Les premiers slogans "Allahu Akbar" fusent des manifestations dans les rues de Paris, Londres ou Berlin. L'intervention terrestre d'Israël à Gaza provoquera, par sa violence, sa durée et les victimes civiles, des protestations planétaires. Sera-t-elle suivie de l'intervention du Hezbollah ? Nasrallah est bien silencieux. Et l'insurrection du Hamas en Cisjordanie, nul ne sait. Mais il est probable que les populations juives seront les premières visées dans les protestations. Évidemment, les démocraties ne peuvent l'accepter. Des mesures de rétorsion seront déployées là-bas et d'endiguement ici. Les Français, durablement structurés par les discours identitaires et parfois suprématistes, ne sont pas prêts à tendre l'autre joue. La "libanisation" des esprits est en marche. C'est d'ailleurs en réponse à ce risque que le président Macron a multiplié dans sa dernière intervention l'appel à l'unité. C'est la raison aussi pour laquelle il ne se précipite pas en Israël. Pour mes vœux, je vous disais que ce serait l'année de tous les dangers. On a voulu voir un catastrophisme militant. Nous y sommes !

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2/Darmanin a tort

La sortie du ministre de l’Intérieur contre Benzema, la surenchère de la sénatrice Boyer demandant qu'on lui retire le Ballon d'Or, pendant que d'autres proposent le retrait de la nationalité. La réthorique est bien dans l’ère du temps. Benzema n'est vraiment pas ma tasse de thé - affaire Zahia, sextape de Valbuena, etc., et vraisemblablement « philofrérisme ». Mais il n'y avait vraiment rien d'autre à faire dans le moment présent que de provoquer une solidarité communautaire en France avec le joueur de l'Al-Ittihad Club en Arabie Saoudite. Benzema, ce n'est pas Dieudonné, et la compétition de Darmaninavec Attal, qui a décollé grâce à l'interdiction de l'abaya, ne mérite pas ces sorties. Les fautes de temps en politique, surtout dans ces moments, sont plus graves qu'en grammaire.  

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3/Se défendre avec nos valeurs 

Les professeurs Paty et Bernard ont été assassinés parce qu'ils étaient professeurs. C'est aussi simple que cela. Le fanatisme religieux ne supporte pas le libre arbitre que confère l'instruction, la connaissance. Souvenons-nous que les Nazis brûlaient des livres. Je vous avais indiqué que la France et la Suède étaient ciblées dans la revue d'Al-Qaïda. Le concept de "terrorisme d'atmosphère" de Gilles Kepel, combiné à la désinhibition de la violence, permet de comprendre ces crimes. Et face à ce mode aléatoire dans les passages à l'acte, les démocraties rationnelles et délibérantes ne sont pas désarmées, mais elles sont vulnérables. Une jeune étudiante qui avait étudié au Collège Victor Hugo d'Arras revient sur les lieux du crime et au bord des larmes, elle dit : "Ils ne savent pas quoi faire". Le déluge de mots, plus ou moins féroces, de propositions plus ou moins calibrées, hommage bienvenu mais en même temps convenu, donne cette impression. Et à chaque fois, le même débat sur l'Islam ou que faire des fichiers S ? On nous dit que les plus dangereux, on les renvoie ou on les met dans des camps de rétention. Sans instruction ? Sans jugement ? Sur la seule base d'un rapport de police ? Ce serait être parjure à l'État de droit. On nous dit qu'il faut pêcher en eau trouble à la ligne, alors que le fichier S est un filet dérivant. S'il y a un fichier, c'est pour suivre et prévenir de récidiver. Une fois condamnés, ils doivent partir. D'autres, comme Agnès Verdier-Molinié, s'en prennent aux organisations humanitaires parce qu'elles ont obtenu des délais, des sursis voire de surseoir aux expulsions. C'est comme si on s'en prenait aux avocats parce que la criminalité continue et qu'ils obtiennent des relaxes. Ce n'est pas en réduisant les libertés publiques que l'on interdira les actes terroristes. On peut les réduire, mais la sécurité totale n'existe malheureusement pas. Il ne faut pas l'accepter et combattre sans relâche. Il faut faire bloc dans l'épreuve et nous défendre avec nos valeurs, en sachant que nous n'aurons pas totalement gain de cause. Mais c'est l'honneur des démocraties que de combattre en respectant ses principes. Là encore, la tentation autoritaire affleure.

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4/Les erreurs dramatiques de Netanyahu 

Parce que nous avons été clairs dans la condamnation des attaques terroristes du Hamas et leurs tueries barbares ; parce que nous avons souligné qu'Israël avait le droit de se défendre, de briser le Hamas, dans le respect du droit et la protection des populations, il nous est possible de dire la responsabilité de la droite et de l'extrême-droite israéliennes alliées dans ce naufrage. Il n'y a pas de sécurité durable pour Israël en laissant à ses portes depuis 16 ans un bantoustan de 2,5 millions d'habitants d'une pauvreté extrême, d'une précarité totale, privés de tout et dominés par un Hamas qui n'est pas la résistance palestinienne mais son islamisation - n'en déplaise à Madame Obono qui renoue avec sa filiation d'extrême gauche anglaise, le "socialisme par le bas". Quant à Netanyahu, pour obtenir une majorité à la Knesset et se maintenir quoi qu'il en coûte, il est allé chercher des soutiens toujours plus à l'extrême-droite et chez les ultra-religieux, voire les suprématistes. Lorsqu'on entend sur i24 l'écrivain David Antonelli : "Je m'en fiche éperdument des deux millions de Gazaouis et j'appelle à une réponse impitoyable. (...) On ne doit pas se soucier ni des droits de l'homme, ni de la pensée progressiste, ni du mondialisme", ce point de vue a beau être minoritaire, il existe dans la société israélienne, et il est au soubassement des erreurs de la coalition droite et extrême-droite. La première erreur fut de renoncer aux engagements du Premier ministre Rabin, depuis assassiné, pour l'établissement d'un État palestinien selon les accords d'Oslo. La seconde fut de décider d'annexer la Cisjordanie et de soutenir la colonisation en s'asseyant sur les résolutions des Nations-Unies les condamnant. La troisième fut de croire que les accords d'Abraham contourneraient le fait palestinien et garantiraient la sécurité d'Israël. À chaque fois, une ultra-minorité religieuse ou d'extrême-droite radicalisée a pris en otage la démocratie israélienne et, à travers elle, l'Europe et le monde. Netanyahu n'échappera pas à l'examen de conscience de la démocratie israélienne après l'horreur de la guerre. Déjà, Jacques Attali sur Europe 1 a déclaré : "Netanyahu est le pire ennemi de la survie d'Israël. Il devrait être en prison." Nous n'en sommes pas là. On peut simplement espérer qu'il n'y aura pas de fuite en avant et que tout ceci ne dérapera pas.

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 5/Nupes, un accord casse-croûte sans avenir

Avec le secret espoir d'avoir sauvé l'essentiel, à savoir la possibilité de renouer avec LFI, et de pouvoir dire qu'il maîtrisait encore quelque chose, O. Faure a dégainé le moratoire, qui veut dire la suspension sans le dire, tout en laissant tout ouvert. C'est la raison pour laquelle il a refusé de faire voter une motion contradictoire qui réclamait clairement, elle, la suspension à l'occasion du Conseil national. Ce n'est pas le PS qui a pris position, comme tout le monde le dit, y compris nos amis du "journal". Mais les Fauristes et leur point de vue - entre deux - a été contestés par la moitié du PS. Pour l'emporter, O. Faure doit ajouter les contours d'une nouvelle alliance, dont les premiers pas seraient : où sont nos désaccords et qu'est-ce que nous pouvons faire ensemble. On se dit qu'il aurait fallu y penser avant. Après le PCF, les Écologistes ou Génération, considérant que la Nupes est caduque. Cet accord casse-croûte, qui n'avait pas de sens, n'a plus d'avenir. Le PS s'engage à nouveau sur le toboggan d'une nouvelle alliance. Les élections européennes ne se prêteront ni au retour dans la Nupes, ni aux débats unitaires. La confrontation entre Glucksman et La France insoumise sera nécessairement sévère, et à la sortie, le fossé sera plus grand encore. Lorsque l'union resurgira concrètement lors des élections municipales, elle tournera autour de la présence de LFI. Quant à la candidature commune à la présidentielle, caressée par M. Tondelier et Faure, elle se heurtera au refus de LFI et du PCF, et elle induira une primaire que le courant social-démocrate n'accepte pas.

Tant que le PS fera de la tactique, il sera ballotté par les événements et une force d'appoint. Rappelons une fois de plus que la solution réside dans une refondation doctrinale, une nouvelle stratégie sur cette base, rassemblant les déçus du Macronisme et du Mélenchonisme, et une incarnation qui sera nécessairement le produit d'une décision collective, et donc vraisemblablement d'une primaire.

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6/La conjoncture s'annonce déprimée 

Les prévisions de l'OFCE ne sont pas aussi optimistes que celles du Gouvernement concernant la conjoncture française. Nous n'aurons pas 1,4 % de croissance prévue par le Gouvernement, mais 0,8 %. Le chômage va remonter à 8 %. Et l'inflation va perdurer, même si elle va se contracter à 3 %. Cette analyse ne prend pas en compte les effets combinés de la décision de Poutine d'accentuer la crise alimentaire dans le Sud, les conséquences de la guerre à Gaza, et les décisions des banques centrales de renchérir les taux de crédit. Voilà qui va réduire un peu plus les marges de manœuvre du Gouvernement et alimenter un peu plus la grogne sociale, qui n'avait pas besoin de cela.

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7/Faut-il choisir son populisme ?                 

Un étrange leitmotiv parcourt les raisonnements des cafés du commerce politiques ces jours-ci. Mélenchon serait pire que Marine Le Pen. Pourquoi faudrait-il choisir son populisme ? Et en quoi les errements gauchisants de l'un qualifieraient le nationalisme d'exclusion de l'autre ? Se situer dans ce choix, c'est déjà la défaite. C'est renoncer à penser les solutions et s'abandonner lâchement à l'air du temps.

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Le Programme Fondamental 

En quoi la pensée social-démocrate peut-elle être utile pour comprendre le siècle et pour agir? 

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PROGRAMME FONDAMENTAL

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RÉSUMÉ DU PROGRAMME FONDAMENTAL

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