Les 18 mois de tous les dangers
La COVID est toujours là mais l’espoir d’un vaccin nous plonge déjà dans le monde de demain.
Si le premier confinement fut celui de l’espoir des lendemains qui chantent, le second fut celui du désenchantement. L’amertume a pris la place de la « drôle de pandémie ». Dans les deux cas, il s’agit : de conjurer la mort, la contamination et le refus de choisir celui qui serait admis à être soigné à l’hôpital ; de la rencontre entre nos sociétés qui vivent en ayant congédié la mort et le retour de ce refoulé ; de la collision entre l’hyperconsommation et l’interdiction de la frénésie consommatrice due au confinement ; de la mise en berne de la société du loisir.
Voilà des phénomènes qui vont marquer ce début de siècle au fer rouge. Nous n’en mesurons pas encore les effets, cet obscur désir d’autre chose, alors que dégâts sociaux vont accélérer.
Le chômage fait un bond spectaculaire. Pendant que le basculement dans la pauvreté s’accélère, les dépôts de bilan se multiplient. Le malaise social, si ce n’est la dépression, s’installe partout.
La société a vécu sous le respirateur artificiel des emprunts d’État. Elle va être confrontée à l’oxygène de l’économie réelle. Cela ne va pas se faire sans nouveaux dégâts.
La question de la dette va hanter les politiques publiques. Et la recherche de victimes expiatoires à ce marasme ne fait aucun doute.
Dans quelques mois, voire quelques semaines, la majorité de la population sera vaccinée. Même si, nous pouvons avoir, d’ici là, d’autres épisodes de confinement de plus en plus douloureux. Et ce moment de retour à la vraie vie sera confronté aux conséquences sociales d’un an ou de 18 mois de pandémie.
En attendant, nous marchons dans un épais brouillard. Et nous pouvons redouter le paysage que nous allons découvrir.
La demande de protection, la demande d’ordre, la demande d’autorité sont déjà perceptibles sous les applaudissements d’un bloc identitaire d’une part, et l’exigence du retour au marché libre et non faussé des libéraux de l’autre.
Nous distinguons aussi dans ce clair-obscur les conséquences des violences urbaines sur l’humeur des Français, du communautarisme ou du terrorisme perpétré au nom d’un islam fanatique, le tout sur fond de précariat et d’inégalités rampantes.
La décomposition au sommet, les déconstructions dans le pays, alors que la France continue à se désindustrialiser, proposent une situation redoutable.
Souvenons-nous qu’en 1832 la France, pourtant frappée de choléra, se souleva.
Aujourd’hui, la conjoncture est donc bonapartiste sans Bonaparte. Elle peut, même dans ces conditions, porter les solutions les plus radicales.
Et, pendant ce temps, la classe politique danse sur ce volcan de la COVID-19, avec les mêmes attendus d’avant-guerre.... Alors que tout a changé.
Tout le monde veut toujours voir dans le chef de l’exécutif Emmanuel Macron, pour le meilleur comme pour le pire, le pôle de référence voire de stabilité.
On se félicite de 2 points ici ou là dans les sondages. On ne veut pas comprendre que la réalité d’Emmanuel Macron, délesté de la protection présidentielle, c’est le rapport de Jean Castex à l’opinion.
Et si ce dernier s’est effondré en quelques semaines, c’est tout autant à lui qu’à Emmanuel Macron qu’il le doit.
On fait mine de ne pas constater l’effondrement du parti du Président dépourvu de toutes assises locales. Alors que son groupe parlementaire vient de défier le Président en retoquant l’article de loi du ministre de l'Intérieur sur le floutage des images de policiers lors des manifestations. Cet épisode digne des « Frondeurs » sous François Hollande est illustratif de la perte d’autorité du Président.
Et les 18 mois à venir, dans ces conditions, seront redoutables. Ils vont immanquablement poser la question : Emmanuel Macron doit-il se représenter ?
La droite le sait, le sent, l’espère. Elle a hâte de se débarrasser de l’OPA du macronisme sur son camp. L’objectif est d’expulser la deuxième droite macroniste du champ de la droite. Mais pour ce faire, sa recomposition s’opère sur un axe très à droite. Ce qui avait fait en son temps le succès électoral de Fillon.
Alors, rode à nouveau Nicolas Sarkozy, soulevant le voile de sa candidature à la présidentielle, pour mieux peser sur son procès, après avoir obtenu un répit bienvenu avec le retournement de Takieddine dans l’affaire libyenne. « Libéré ! Délivré ! » Comme dirait l’autre. Il espère créer ainsi les conditions du recours du peuple de droite. Pas sûr que la droite politique prendra le risque par temps de conflit ouvert entre le parquet et les politiques. Mais, il s’installe un peu plus dans le rôle de celui qui fera en partie l’élection à droite.
Il est vrai que Bruno Retailleau tente de reproduire l’exploit de François Fillon. Et Xavier Bertrand, qui a imprudemment fait du 2ème tour des régionales face à l’extrême droite son ticket d’entrée pour la présidentielle, oblige ainsi la gauche à ne pas le soutenir pour ne pas lui signer un chèque en blanc. Ce qui le fragilise. Bref, les deux candidats déclarés sont loin de faire l’unanimité. On peut même se demander s’ils sont réellement configurés pour la demande qui émane de la société et de la droite.
Il reste Édouard Philippe qui plierait bien le match. Mais il a besoin du renoncement d’Emmanuel Macron. Il lui faudrait franchir le Rubicon mais la Seine est large au Havre.
En attendant le national-populisme devient aujourd'hui dominant dans les têtes. Ce courant « identitaire » porté par une nouvelle droite culturelle que n’aurait pas dédaigné le GRECE et Alain de Benoist. Ce mouvement profond à la jointure de la droite et de l’extrême droite cherche sa candidature. Ce « Tea party » à la française s’avance et se gorge de partisans, au point de devenir l’objet de business plans des médias.
On pense immédiatement à Marine Le Pen. Elle se prépare avec soin, elle en a besoin, en regardant la situation se décomposer. Elle prie pour que son adversaire de deuxième tour soit Emmanuel Macron car elle estime qu’il est - vu son rejet - le seul qu’elle puisse battre dans cet ultime combat. C’est l’occasion ou jamais pour elle et l’extrême droite. Les 18 mois vont être décisif pour l’avenir de cette famille politique… Mais dans son camp et peut-être pour elle-même, l’échec du débat d’entre deux tours semble l’interroger.
Alors, une autre candidature pointe son nez. Elle présente l’avantage d’unir les électeurs de droite et d’extrême droite. Elle a un nom : le général De Villiers.
Un sabre ! La France les aime dans les sorties de crise. Un général ! il serait un souvenir bienvenu, après un an de discours, ô combien laudateur du général de Gaulle. Comme Napoléon III fut face à Lamartine le souvenir de Napoléon 1er. Un homme d’autorité ! Ouvrage après ouvrage à succès, il ne cesse de le marteler. Un opposant ! Ne fut-il pas le premier, démissionnant de son poste de chef d’État-Major pour protester contre Macron bafouant le budget des armées ? Un républicain ! Comme tous les généraux à leur début. Ne fut-il pas loyal à la gauche ? Il a été le chef d’État-Major du Président Hollande gérant avec ce dernier le Mali ou les attentats. Suffisamment « gauche » dans ses sorties médiatiques pour démontrer qu’il n’est pas un professionnel. Mais le propos sur l’Islam, les quartiers, l’évolution de notre droit constitutionnel pour combattre le terrorisme est bien dans l’air du temps.
Sa résistible ascension est préparée par un intense bombardement mediatico intellectuel (d’Onfray à Zemmour etc.). Il se verrait bien, dans un premier temps, unir les souverainistes identitaires des deux rives. On l’imagine ne faire qu’une bouchée de Dupont Aignan. Quant aux milieux économiques, ils ne seraient pas effrayés, eux qui sont à la recherche d’un ordre libéral. ALORS ? Pourquoi pas ! Sans avoir bougé, il est déjà à 20%.
L’important, à cette étape, n’est pas la candidature du frère cadet de Philippe de Villiers. Mais ce que son succès dit de la situation. Il s'agit de la rencontre de la droite et de l’extrême droite. Et le désir d’un pouvoir fort pour « remettre de l’ordre ». Le Pen, de Villiers, la droite concourent mais convergent sur le fond. Ce qui indique bien les tourments du pays.
Et pendant ce temps, que croyez-vous que la gauche fît ?
Elle vaque à ses occupations électoralistes. Sûre d’elle, elle se voit dominatrice. Sûre de son hégémonie idéologique, politique ou culturelle, elle baille lorsqu’il s’agit de travailler à une nouvelle offre. Et pourtant, le sol se dérobe sous ses pieds.
Notre vieil ami Edgard Morin a beau la mettre en garde devant le risque de voir la France coupée en deux, rien n’y fait. Dans son esprit, ce constat n’est pas favorable à la gauche. Il décèle bien des dangers et des risques de désagrégation, voire de guerre civile, ce que je partage.
La gauche n’a pas saisi le moment ouvert par le premier confinement. Cet instant où les gauches se remirent en mouvement pour bâtir un nouveau printemps.
Ce mouvement déboucha sur un « printemps municipal » déjà entamé avant la COVID-19. La gauche des métropoles repoussant la droite des champs et ruinant les espoirs du Président. Mais depuis ? Rien ! Tout le monde est reparti faire cuire sa petite soupe dans son petit coin, laissant au Parti socialiste seul, le lampion de l’unité à la main après la fête.
La gauche est toute aux délices du « tacticisme » et nous intime l’ordre de ne pas la déranger.
Jean-Luc Mélenchon par exemple fut le premier à s’engager. Après 4 ans d’une radicalité déployée avec talent, il s’avance pour la présidentielle, seul et fier de l’être. Pensez donc la 3e fois en politique est toujours la bonne. Pourtant, le leader de la France insoumise sait que l’on ne peut être le héraut des marges et, en même temps, le centre de la gauche.
Peu importe, il sera le candidat de tout ce qui bouge car c’est rouge. Il sait, tout autant, que le « peuple » ne charrie pas - dans ce moment- que des bonnes choses. Il sait qu’il ne peut être son centre en défendant une laïcité, disons élastique.
Peu importe, il sera le candidat des sans grades et pour le reste peu regardant. Défendant les musulmans face au racisme, ce qui est tout à son honneur, il refuse de voir les cristallisations d’un Islam fanatique et « islamopithèque » au sein de l’Islam. Quant à la politique économique, la rupture est évidemment de mise.
Il a vu qu’il n’était, ni le débouché des gilets jaunes, ni des listes citoyennes aux municipales. Il sait qu’il s’est effondré aux législatives. Le reflux fut fort violent aux européennes. Le voici derrière les écologistes mais, plus grave pour lui, dépassé par un Parti socialiste convalescent, pour une poignée de voix.
Mais peu lui importe, ce qui est en jeu n’est pas de gagner mais de faire perdurer le courant de la radicalité française. Il n’a ni la sagesse d’un Bernie Sanders ou celle d’un Iglesias de Podemos en Espagne, jugeant l’un et l’autre qu’un pas en avant vaut mieux que mille programmes, même s’il proclame l’avenir …en commun ! Cherchez l’erreur !
Jean-Luc Mélenchon s’est avancé coupant l’herbe sous le pied de Ruffin qui attend que Mélenchon stagne dans les sondages ou de Montebourg qui voulait faire parler ses quartiers de noblesse souverainiste. Tout en surveillant du coin de l’œil Clémentine Autain qui a fixé la barre haute : s’imposer entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Et ceci, sans les écologistes, les socialistes, les communistes, c’est mission impossible 4.
Il n’y a pas ici, de prise en compte de la réalité et même de la situation politique. À tel point qu’on nous représente le même programme qu’en 2017. Il est vrai qu’en 5 ans, il ne s’est rien passé.
À force de ne pas vouloir rassembler on se trouve isolé. Pour les communistes, Jean-Luc Mélenchon n’aura pas ses cinq cents signatures.
Le PCF les a. Cela leur laisse la possibilité du choix, candidature ou participation à un autre front. Emmanuel Maurel et ses amis avaient eux, quitté le PS au prétexte que ce dernier « black listait » le leader de la France insoumise. Ils invitent aujourd'hui Arnaud Montebourg dans leur convention plutôt que Jean-Luc Mélenchon. Le NPA, lui aussi en crise, s’interroge sur la candidature d’Olivier Besancenot. Christiane Taubira se voit appelée à faire son devoir. Voilà un ensemble qui va pour le moins contrarier l’envolée du leader Maximo.
À l’opposé, les écologistes ont une démarche parallèle. Il ne s’agit pas de gagner la présidentielle. Ces termes ne sont jamais employés. Cet enthousiasme nécessaire à la victoire n’est même jamais évoqué. À entendre leur secrétaire national, Julien Bayou ou Daniel Cormand, il s’agit de passer devant les socialistes. C’est plus qu’un leitmotiv, c’est une obsession. Les écologistes voient dans les élections régionales, départementales et surtout dans l’élection présidentielle, la fenêtre de tir historique pour s’imposer comme le Nouvel Age de la gauche. On ne peut les blâmer au vu de l’enjeu pour l’humanité. Mais c’est faire l’impasse sur ce qui passe en France et ce qui se trame chez les Français.
En déclarant l’urgence climatique, on aurait pu imaginer que les écologistes se proposent de construire un Front populaire écologiste. Eh bien Non ! Ils disent aux socialistes, il n’est pas question de faire avec vous.
On aurait pu imaginer une candidature commune sur la base d’une plate-forme commune avec des modalités communes, plaçant immédiatement le candidat élu aux portes du second tour. Et bien non, les écologistes disent au reste de la gauche : « Nous décidons vous suivez. » Et cela n’est pas acceptable, ce serait une reddition ! Jamais !
On imagine pourquoi une telle attitude. Il ne s’agit pas de gagner la présidentielle, mais gagner la pole position dans la gauche. Il s’agit d’être la force d’opposition à Macron ou à la droite après la présidentielle.
Les jeux sont faits, en décidant une primaire avant l’été après la décision de présenter partout des listes aux régionales. Les écologistes courent après leur slogan « Écolo first ». Même si, connaissant les écologistes, nous ne sommes pas à l’abri de quelques retournements. Mais il peut être difficile de désigner un candidat fin septembre et de se retirer en novembre…Comme ce fût le cas en 2017, Benoit Hamon était alors à 17% et Yannick Jadot à 3%, on connaît la suite.
Pour déterminante que soit l’écologie, elle n’épuise pas le sujet français. Anne Hidalgo n’a pas tort de mettre en garde les écologistes sur leur impasse à propos du régalien (république, laïcité, sécurité). Il en est de même à propos de l’économie, où leur projet n’a rien à envier à celui de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, la question ne devrait pas être de faire un programme pour gagner le match de la gauche mais pour redresser un pays.
Il manque à la gauche une colonne vertébrale. J’ai proposé le Mémorandum pour la « République impartiale » car je crois à sa nécessité pour la France. L’Égalité réelle, la Liberté ordonnée, la Fraternité laïque permettent à la France de reprendre le contrôle de son destin.
Il s’agit d’une ardente nécessité pour la France et donc la gauche. Elle va de pair avec un nouveau contrat social et écologique.
Il s’agit d’une reconquête républicaine, d’une Nation en proie au désarroi, assaillie de mille maux, abîmée par le libéralisme et au bord de la désintégration.
Si l’unité ne peut se faire par la négociation, alors il faudra l’imposer devant et dans l’opinion avec les clarifications nécessaires. Ce sont les charmes du multipartisme, là où le bipartisme exigeait la synthèse. La situation nouvelle appelle des thèses nouvelles.
Les forces qui incarnent la culture de gauche de gouvernement ont une tâche écrasante et principalement le Parti socialiste. Il faut construire un nouveau fond et une nouvelle forme en 12 mois.
Il faut rassembler et innover, innover et rassembler. Il faut créer un mouvement populaire qui réponde à la situation d’aujourd’hui, et non à celle d’hier.
Car si nous ne le faisons pas, nous aurons non seulement la défaite pour la gauche mais le drame pour la France.
Voilà l’enjeu de la mère des batailles sous la Ve république : la présidentielle.
Je serai de ce combat.