Comme dans les courses de cyclistes, les champions se mettent à l’abri du vent et se frottent aux partis adverses cherchant à impressionner la concurrence. 

L’élection présidentielle est un sprint de 10 semaines qui se met en place 16 mois avant. Les équipes ont contrôlé toutes les tentatives d’échappée les années précédentes…

Alors, après avoir éreinté ensemble le précédent vainqueur, elles entonnent le chacun pour soi.

Vous aurez remarqué comment dès le mois de septembre chacun s’est replacé. 

Si on écoute les commentaires des politologues et les sondages, le 2ème tour est promis à Macron et à Le Pen. Et Macron aurait donc course gagnée.  

Observons cela de plus près.

La France a toujours des démangeaisons « dégagistes » qui se sont manifestées dans les municipales, et qui se sont confirmées aux sénatoriales et aux législatives partielles. Le parti du président a été dégagé de sa tentative d’une implantation locale. Ce fut un retentissent raté.

Cette déroute présidentielle a été zappée par le remaniement du gouvernement opportunément annoncé. 

Pourtant, les faits sont têtus. Si les Français ont boudé les urnes, le parti du président a quand même pris le pire trou d’air qu’un parti présidentiel n’ait jamais pris à une élection locale sous la Ve République. Et cela continue élection après élection.

Les Français ne veulent plus de la « nouvelle donne » macroniste sans vouloir encore un nouveau chemin.  

On peut, tout autant, scruter les sondages. Pour Macron et ses amis, c’est morne plaine. Entre 65 et 70 % d’avis défavorables. C’est un rejet puissant autant que persistant. 

Pourtant, lorsqu’on teste la présidentielle et on ne se prive pas de le faire régulièrement, Macron est très haut au premier tour. 

Le président sortant ne rassemble pas le pays mais le pays ne rassemble pas contre lui. 

Voilà sa petite fenêtre de tir.

À partir de là, sa feuille de route est simple. Tout faire, je dis bien tout faire, pour que personne n’émerge et espérer que la stratégie du carnet de chèque anesthésie les moteurs de la colère. 

Mais le confinement, la crise sanitaire, la crise économique ont ouvert une voie d’eau dans le système libéral dominant. Une interpellation du modèle est à l’œuvre ce qui rend difficilement audible le stakhanovisme libéral du président. Et le cours écolo-rooseveltien promis par Macron ne semble pas s’installer. 

Le locataire de l’Élysée tente donc de compenser cette difficulté en s’exposant. Dans le même temps, il continue à fragmenter l’espace public et cherche à s’asseoir sur une droite sans candidat. Il laisse la gauche à ses divisions et son manque d’imagination. Pour lui, l’affaire est entendue : si la gauche l’a en grande partie quitté, elle n’a pas, à cette étape, de présidentiable crédible capable de l’unifier. 

Ce raisonnement sur le papier a ses limites. D’abord, parce que le pays ne marche pas. Cette tactique d’endiguement tout azimut ne crée pas l’adhésion sur son nom.

Pourtant, à l’international comme au plan national, Macron est partout, jouant de tous les registres.

Il est en campagne et semble même atteint de bougisme. Il veut mesurer s’il peut dégeler l’opinion et s’en donne donc les moyens.

L’international d’abord : ce fut le Liban, la Turquie, la Libye avec un succès pour le moins limité.  L’Europe ensuite, où il fait du changement de pied de politique européenne de l’Allemagne son succès stratégique. Mais les Français, peu intéressés par les questions internationales, ne prêtent guère attention à l’activisme du président Macron. Ils se demandent même, si le président ne préjuge pas de sa force au Liban. Son interpellation de la classe politique libanaise est un aveu d’impuissance. Les Français se demandent s’il a les moyens d’une confrontation avec la Turquie. Et pour l’Europe, ils ne sont pas dupes. C’est toujours Madame Merkel qui mène le quadrille. Mais crise économique oblige, elle a changé de pied.

Quant à la France, Macron revisite les classiques de la droite dure : sécurité, identité, islam radical, il n’a pas encore évoqué l’immigration mais ça viendra. Il est vrai que l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb avait fait fort en ce domaine.  

Emanuel Macron, a multiplié les signes d’une préoccupation écolo, tout en décidant de proroger la permission de répandre les pesticides sur les champs de betteraves à la demande du lobby sucrier ; toujours ce « en même temps » qui brouille les messages.  

Le président se déguise surtout en père Noël distribuant à tout va. Avec son drôle de premier ministre, il déverse des centaines de millions sur le pays. Les Français veulent bien croire que c’est mieux que si on ne le faisait pas.   

Mais, ce très remarquable effort de dépenses budgétaire se heurte au temps de sa mise en place et à son but. Il faudra des mois pour que l’argent atteigne ses cibles. Et celles-ci, dans le plan de relance, sont les entreprises et pas la majorité des Français.  

Un plan soutenant massivement l’offre en espérant dégeler la demande peut-il atteindre son objectif, alors que la confiance n’est pas là pour cause de pandémie ? Comment dans cette situation l’épargne de précaution pourrait-elle être libérée ? Jour après jour, la progression du Coronavirus inquiète, à juste raison, les Français. 

La tenaille est redoutable pour l’exécutif. Le gouvernement doit prévenir la pandémie. Et la COVID-19 mine la confiance nécessaire à la croissance. Cette situation produit des hésitations au sommet et du rejet à la base et chez certains élu.e.s. 

La théorie de la crise indolore, à coup de signes de reprise, souvent sans lendemain, ne résiste pas aux plans sociaux qui se multiplient. Les instituts de conjoncture avaient prévu 1 million de chômeurs en plus. Nous en sommes déjà à 900 000. Voilà un autre signe qui ne renforce pas la confiance. 

La dépression économique étant à la fois celle de l’offre et de la demande, on se demande si l’injection colossale de liquidités n’est pas encore insuffisante. Il aurait fallu en tout cas stimuler les deux moteurs de l'économie. On ne relance pas un moteur en gonflant ses chevaux s’il n’y a pas d’essence. 

La perfusion nécessaire de l’économie sauve le malade mais ne le guérit pas. Si le plan pare au plus pressé, il faudra du temps et un environnement mondial favorable pour tout à la fois retrouver un peu de croissance et voir des effets notables sur le moral des Français. Et du temps, Emanuel Macron n’en a pas ou peu avant la présidentielle d’autant qu’un nouveau front s’ouvre et non des moindres, la crise républicaine.  

L’État jacobin est impotent, incapable de flexibilité et de décision au plus près du terrain. Pire, le plan de relance est un moyen de recentraliser, plus encore, la décision publique. Mais ce n’est pas l’essentiel. 

Emmanuel Macron, de son propre aveu, n’a pas réussi à rassembler les Français. L’effet combiné de la désintégration sociale et de la désagrégation républicaine, la montée des violences minent le lien national, c’est-à-dire la République. 

Partout le vivre ensemble est remis en cause.

Entre l’intégrisme religieux qui, devant la montée de l’occidentalisation des Français musulmans, intime l’ordre à ceux-ci de se séparer de la République et, la progression vertigineuse dans tous les milieux du discours identitaire combattant pour une France de souche. Cette tyrannie identitaire partout et par tous flirtant allègrement avec la xénophobie est la marque de la désagrégation identitaire.

La victoire sémantique de la droite radicale à propos de l’ensauvagement, approuvé par 70 % des Français, démontre s’il en était besoin où nous en sommes.

Cette plaie béante à l’aine de la République, cette faille au sein de la Nation libère des mises en cause radicales : le racisme d’État par exemple, mais aussi une résurgence de l’antisémitisme. 

Le désordre est partout, la demande d’ordre va monter dans la société française. Macron président sortant, techno Bonaparte et incarnant la France des startuppeurs et des premiers de cordée peut difficilement l’incarner. 

Et dire que, dans ces conditions Marine Le Pen peut l’emporter n’est pas faux. Nous avons, dans ces colonnes, dans un des éditos publiés, évoqué les conditions de sa victoire si aucune offre alternative n’est capable de répondre à la demande française. 

Je sais que ce sombre pronostic se heurte à bien des scepticismes. Tout simplement parce que l’on réfléchit en termes de cristallisation et non de rejet sur fond de bouderie démocratique. 

En attendant, on annonce que la présidente du rassemblement national atteint 28 % au premier tour et 45% au second. Elle y croit car tout simplement Macron est le seul qu’elle peut battre.

Alors les annonces sur le match retour lui donnent des ailes. On dit aussi que 70 % ne veulent pas de ce match-là. Mais il est probable que l’effet combiné de ceux qui ne veulent pas Macron et ceux qui ne veulent pas Marine Le Pen explique ce pronostic. 

La France en crise cherche son Bonaparte ou sa solution républicaine et ne trouve rien de consistant à se mettre sous la dent. C’est le ressort et l’espoir d’Emmanuel Macron : rester le candidat par défaut. 

Suite de la présidentielle à gauche et à droite à lire demain... 

 

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