Une stratégie populiste

Les récents attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice ont conduit de nombreuses personnalités à remettre en cause l’Etat de droit qui serait, selon eux, la cause de l’impossibilité pour l’Etat de mettre en œuvre des solutions efficaces pour lutter contre le terrorisme.

Si ces contestations de l’Etat de droit sont formulées de manière très différentes, elles s’inscrivent dans une stratégie populiste qui vise à faire prévaloir le « Peuple » et la souveraineté nationale sur le droit et la Constitution (I).

Ces critiques ne résistent pas à l’analyse tant d’un point de vue théorique que pratique (II).

I.  Des critiques de l’Etat de droit qui prennent différentes formes mais qui s’inscrivent dans une démarche populiste

Le thème de la critique de l’Etat de droit et des juridictions chargés de le faire prévaloir est ancienne. La montée de la menace terroriste conduit un certain nombre de personnalité à renouveler cette critique.

C’est ainsi que Marine Le Pen a appelé, le 29 octobre 2020 la mise en place d’une législation de guerre pour faire face au terrorisme. Le point central de cette législation d’exception serait pour elle de pouvoir enfermer à vie ceux qui ont été condamnés pour terrorisme, mais aussi d'enfermer ceux qui sont soupçonnés de préparer un attentat. Cet appel à une législation de guerre est une contestation directe de l’Etat de droit en cela qu’il appelle à la mise en place d’une législation d’exception et à l’effacement des libertés fondamentales. C’est également sous couvert de l’appel à une législation de guerre que des élus Les Républicains ont publiquement demandé des remises en cause de l’Etat de droit. Christian Estrosi a ainsi souhaité que « la France s’exonère des lois de la paix pour anéantir définitivement l’islamo-fascisme ».

Les attaques contre l’Etat de droit passent également par une demande d’effacement des libertés fondamentales. C’est la position défendue par Eric Ciotti selon qui, « il faut arrêter avec la défense de ces pseudos libertés individuelles ». Elle l’est également par le général de Villiers qui juge quant à lui que « notre État de droit aujourd’hui n’est plus adapté à l’époque que nous vivons ».

Avec un angle différent, la présidente de la Commission des Lois à l’Assemblée nationale a contesté non pas l’Etat de droit mais ses organes et en particulier le Conseil constitutionnel. La critique qu’elle porte de cette institution semble justifiée en grande partie par les censures de la loi Avia et par la loi instaurant des mesures de sûreté à l'encontre des auteurs d'infractions terroristes à l'issue de leur peine (déc. du 7 août 2020). Elle conteste notamment la composition et le fonctionnement du Conseil.

Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel s’inscrit également, mais de manière plus structurée dans cette tendance visant à remettre en cause l’Etat de droit. Il considère que « depuis une quarantaine d’années, les normes juridiques supérieures (Constitution, traités et surtout jurisprudence des cours suprêmes) en matière de droits fondamentaux ont toujours plus étroitement enserré la marge d’action des pouvoirs publics. » Dès lors, pour l’ancien SG du CC, « il est malhonnête de proposer des mesures intenables en l’état des contraintes constitutionnelles ou résultant des traités si on n’est pas résolu à remettre celles-ci en cause, en le disant clairement et par avance ». Cela appelle donc soit à modifier la Constitution, soit à dénoncer, renégocier ou suspendre unilatéralement certains les conventions européennes protégeant les libertés fondamentales.

Il propose donc, une sorte de référé législatif, qui permettrait au Parlement, de « forcer » au maintien en vigueur d’une disposition législative déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel (ou contraire à un traité européen par une cour européenne), dès lors que le Parlement français se prononcerait expressément en ce sens par un vote à la majorité qualifiée intervenant dans un certain délai à compter de la censure. S’agissant de la CEDH, il propose que la France rétablisse la réserve qu’elle avait initialement faite (et levée en 1981) au recours individuel devant la Cour de Strasbourg. S’agissant de la Cour de justice de l’Union européenne, les traités européens pourraient, selon lui être modifiés pour priver de valeur normative la Charte européenne des droits fondamentaux et exclure la compétence de la Cour dans les domaines régaliens.

Ces limitations à l’Etat de droit visent à renforcer la souveraineté nationale et le pouvoir du « Peuple » qui s’exprimerait par la voix de ses représentants, c’est-à-dire des parlementaires.

Cette approche est soutenue également par Marcel Gauchet qui associe les droits fondamentaux aux droits individuels. Il considère ainsi que l’affirmation de ces droits fondamentaux par le juge constitutionnel a pour conséquence la dissolution de la souveraineté populaire. En substance, l’affirmation des individus conduit à la remise en cause de la société.

II. Les critiques de l’Etat de droit ne résistent pas à l’analyse tant d’un point de vue théorique que d’un point de vue pratique

D’un point de vue théorique, il convient de rappeler la définition de l’Etat de droit. Il s’agit d’un système juridique fondé sur le respect de la hiérarchie des normes et en particulier de la Constitution, norme suprême, à laquelle les normes inférieures doivent se conformer. Dans cette configuration, le juge constitutionnel joue un rôle essentiel puisqu’il lui revient de faire prévaloir la Constitution. A l’origine, la Constitution est un ensemble de texte ayant pour vocation l’organisation des pouvoirs publics. Ce n’est qu’au lendemain de la Deuxième guerre mondiale qu’elle devient la norme protégeant les droits fondamentaux. Le juge constitutionnel (en France à partir de 1971, et la fameuse décision Liberté d’association) devient ainsi le garant des libertés fondamentales.

La Constitution a été adoptée par le Peuple est un acte de souveraineté du Peuple. Ainsi, en faisant prévaloir la Constitution, le juge constitutionnel fait en réalité prévaloir la souveraineté populaire. Dès lors l’opposition entre les deux concepts n’a pas réellement de sens.

Les libertés fondamentales sont également renforcées par des énoncés internationaux. Ces textes internationaux ont été signés et ratifiés par le Etats et constituent donc une expression de leur souveraineté. De la même manière un juge faisant prévaloir un engagement international ne fait qu’appliquer ce que le peuple souverain a décidé.

Cela est d’ailleurs tellement vrai, que le peuple, du moins ses représentants, peut modifier la Constitution notamment lorsque le Conseil constitutionnel a rendu une décision défavorable. Le doyen Vedel évoquait l’expression de « lit de justice » pour évoquer le pouvoir constituant du peuple souverain, face au juge constitutionnel.

En outre, l’approche « individualiste » défendue par Marcel Gauchet est fausse. La Constitution contient des normes défendant des droits collectifs (laïcité, droits syndicaux, liberté d’association, etc…). Dès lors réduire l’activité des juges suprêmes à une défense de l’individu contre la société est extrêmement réducteur voire caricatural.

D’un point de vue pratique, il est également faux de penser que les juges suprêmes empêchent l’action des pouvoirs publics. Cette critique renvoie à celle du « Gouvernement des juges » élaborée dans les années 1930 par un juriste français pour qualifier les risques de dérives des Cours suprêmes.

La CEDH a ainsi opéré un tournant depuis une dizaine d’années en réaffirmant la nécessité d’une réponse ferme au terrorisme et, surtout, en accordant une large marge d’appréciation aux États. Les juges de Strasbourg laissent ainsi une grande marge de manœuvre aux Etats à qui sont souvent imposés uniquement des « garanties minimales exigées ». C’est ainsi, par exemple, qu’après les attentats de 2005 dans le métro londonien, la Cour valida une loi anglaise permettant d’interroger un suspect sans la présence d’avocat durant les premières heures à condition que le droit à garder le silence soit notifié.

La CEDH évolue également et adopte une approche contextualiste. Ainsi, alors qu’elle refusait les expulsions d’islamistes vers l’Algérie en raison de la pratique de la torture, elle s’était appuyée en 2019 sur l’évolution de ce pays pour rejeter un recours contre la France.

De manière générale, il convient de rappeler que la Cour est également largement critiquée pour son manque d’entrain à protéger les droits fondamentaux.

En droit interne, il est utile de rappeler que la thèse de l’empêchement des pouvoirs publics est très contestable dès lors que l’on observe notamment depuis 1986 le vote d’une loi antiterroriste tous les 18 mois environ. La jurisprudence admet des « restrictions légitimes » apportée aux droits de circuler ou de s’exprimer, mais elle les apprécie à l’aune de trois critères :

  • Nécessaires ;
  • Proportionnelles ;
  • Non discriminantes à l’égard de telle catégorie de population.

Le Conseil constitutionnel affirme que la lutte contre le terrorisme participe de « l’objectif de valeur constitutionnelle » de prévention des atteintes à l’ordre public. Une formulation qui, dans le très délicat équilibre entre sécurité et liberté, semble plutôt donner des gages à l’État.

C’est la République impartiale qui nous permettra de combattre le terrorisme à la racine et dans ses différentes expressions. 

La République impartiale tient à égale distance ceux qui, au nom de l’anti-terrorisme, veulent sortir de l’Etat de droit, de ceux qui, au nom de l’anti-racisme, ne veulent pas voir les attaques contre nos droits.  

On peut lutter contre le terrorisme, les cristallisations fanatiques islamopithèques avec notre droit. Preuve en est la mise en échec de nombreux attentats, la dissolution tardive, certes, mais effective d’associations faisant l’apologie de l’Islam fanatic, la fermeture de mosquées.  

On peut lutter contre le racisme anti-arabe, la haine des musulmans, les exclusions de toutes sortes. 

Et cela, en refusant le déni vis-à-vis de ceux qui font de leur foi une idéologie mettant en cause la République.  

C’est le sens du mémorandum pour la République impartiale que je publierai ce jeudi 19 novembre 2020.