Vous avez dit fasciste?

Vieux débat qui m’opposait déjà à de nombreux hommes et femmes de gauche à propos de Jean-Marie Le Pen.  

C’est une réponse pulsionnelle, bien compréhensible. C’est aussi ce que les philosophes appellent une illusion.  

Le fascisme est un courant particulier de l’après première guerre mondiale qui donna tout à la fois Salazar au Portugal, Franco en Espagne, Mussolini en Italie, Degrelle en Belgique et déboucha sur le nazisme d'Hitler.  

On le trouve, à l'époque, partout en Hongrie, Serbie, Turquie, Grèce, Angleterre et même aux États-Unis. 

Ce courant politique, qui en France s’est déployé autour de l’affaire Dreyfus et de l’antisémitisme, fut ensuite structuré par les ligues et l’Action française. Il a eu même son expression terroriste avec la Cagoule. Cet antisémitisme venait de loin puisque Zemmour est en adoration de l’empereur Napoléon qui, rappelons-le, disait « une masse de sang vicié ne s’assimile qu’avec lenteur », estimant que les juifs comme « nation » étaient insaisissables. 

Et cette « culture » à formater l’inconscient français resurgissant à propos de l’Islam.

Le problème avec le nationalisme d’exclusion c’est que l’on ne sait où cela commence et non où cela se termine. 

Si le nationalisme est son point commun, si le but est l’organisation corporatiste de la société en faisceaux, si l’antisémitisme est fondateur et tient le rôle de l’explication du Monde, les fascistes répètent sur l’air des lampions « Nous n’avons comme idéologie que les faits », rejetant toute théorisation et ne s’accrochant qu’à une lecture nostalgique de l’Histoire et de son âge d’or supposé.

Le culte du chef , des partis militarisés, des actions violentes, des boucs émissaires sont leurs pratiques.

Avec Le Pen, Zemmour etc. pas de marche sur Rome, ni de ratonnade dans les quartiers à forte présence musulmane, pas de corps francs, de SA etc. 

La qualification de fasciste permet de stigmatiser, mais elle n’est ni juste ni efficace. 

D’abord, c'est une méconnaissance des écrits ou réflexions de la nouvelle droite. C’est précisément, pour contourner le mur moral que constitua l’horreur du fascisme, que l’extrême droite en France et en Allemagne chercha une manière de reformuler son projet ; sn France avec Dominique Venner, François d’Orcival ou Alain de Benoist, lui-même fortement influencé par Ernst Jünger et le courant de la Révolution Conservatrice allemande, voire par Karl Jaspers ou Herman Schmalenbach. Bref, cette nouvelle droite a repensé l’extrême-droite. Et donc si le nationalisme est de retour, il l'est sous la forme du souverainisme. L’antisémitisme est caché ou contenu. C’est l’Islam et les musulmans qui sont aujourd’hui la cible. Et la hantise du métissage et du remplacement est le moteur de l’adhésion. Le fameux « On est chez nous » des meetings lepénistes. 

Pour obtenir un renversement idéologique, cette extrême droite a ciblé 3 questions : L’Identité, l’Immigration, l’Insécurité ; ces 3 I formant l’épine dorsale d’une offre politique à la droite de la droite avec l’espoir de reformater la droite tout court.

Aujourd'hui, sous l’impact des déconstructions démocratiques, du libéralisme inégalitaire, de la mondialisation libérale, des flux migratoires et de la question démographique, de la réislamisation des populations arabes et de la montée d’un Islam rigoriste, de l’émergence d’un terrorisme barbare au nom de l’Islam, les droites font jonction sur des positions xénophobes.

Nicolas Sarkozy, président, l’a emprunté à la nouvelle droite, grâce au politologue Buisson, lors de son fameux discours de Grenoble.

Ces facteurs inégaux mais combinés ont donné lieu à la vague nationale-populiste actuelle.  

Il y a une majorité de Français qui partage cette hantise du remplacement, qui soutient que notre identité est en train de se dissoudre dans l’Islam, que l’Insécurité est ethnique, que l’Immigration submerge nos sociétés etc. La montée du complotisme, des anti-vax, des manifestations anti-mariages pour tous, d’un antisémitisme visible dans les manifestations complètent le tableau.

 Et ce sont les élites, réputées de gauche, qui seraient l’obstacle à ce que cette réalité éclate.

Il suffit de regarder Pascal Praud, au-delà de Zemmour, dans son émission pour mesurer comment cette équation est efficace pour un audimat captif.

L’ennemi, c’est tout autant la « bien-pensante des élites de gauche » que l’Islam. La charge contre France-Inter par Pascal Praud en est l’expression. 

Depuis des années, il s’est constitué un courant réactionnaire au sens strict du terme ; c'est-à-dire en réaction aux contraintes d’un monde ouvert. 

La révolution de l’immatériel, la massification des échanges des hommes et des marchandises, l’individualisme consommateur, le libéralisme économique etc. mettent à rude épreuve toutes les institutions politiques, culturelles, voire cultuelles.  

Tout cela explique les raisons d'une certaine résonance avec l’extrême droite. 

Alors qu’est-ce que Zemmour ? 

Il s’agit, d'abord, du retour de la droite se débarrassant de la droite orléaniste ; la haine de la gauche réputée dominante fait partie du bagage. 

Il s’agit, ensuite, d’une obsession de l’Islam vécut comme envahisseur. Je sais qu’il est interdit d’employer ce mot. Mais Zemmour est islamophobe car il ne stigmatise pas ce qu’on appelle l’Islam politique... C’est l’Islam tout court et les musulmans qui pratiquent cette religion. C’est la grille centrale de son discours. Chargeant l’Islam d’un projet de modification de l’ADN de la France. 

Il y a une dialectique entre l’évolution de Zemmour et d’une partie de l’opinion. La radicalisation à l’extrême droite suit la radicalisation d’une partie de l'opinion... Notons que Le Pen, Zemmour, Dupont-Aignan et Poisson, c’est quand même entre 30 à 35 % des sondés. Sans oublier qu’au deuxième tour, Marine Le Pen est estimée à 48 % tandis que Zemmour est à 45%, malgré les horreurs qu’ils prononcent. 

A force de jouer avec le feu, on va finir par le mettre à la France. 

Et l’évolution de Zemmour dans cet espace me fait penser à son mentor Bainville qui est passé de l’état de dreyfusard à celui de l’Action française dégénérant dans l’antisémitisme. Zemmour est passé de Chevènement à Jean-Marie Le Pen. Car Zemmour n'est rien d’autre que le retour à Jean-Marie Le Pen. 

L' essentialisation des Musulmans, qui est le premier pas du nationalisme d’exclusion, était déjà présente chez Jean-Marie Le Pen. 

Quant à l’immigration, thème central de l’extrême droite depuis 40 ans, elle n’est pas seulement dénoncée pour le nombre (on sait que les chiffres ne plaident pas pour le remplacement) mais comme 5e colonne de l’envahisseur. Et les manifestations d’un Islam minoritaire antirépublicain - la gauche a tort de ne pas le voir - très visible dans certains quartiers, permettent de réactiver un racisme latent dans une partie de la droite.   

Après, je ne suis pas étonné qu’Éric Zemmour revienne sur la peine de mort dont Badinter dit que c’est le lien secret avec la dictature ; pas plus que je ne suis surpris de sa tentative de réhabilitation de Pétain.

Ce sont les thèmes et provocations de Jean-Marie Le Pen .

Le nationalisme d’exclusion de Zemmour ne se différencie en rien de celui de la famille Le Pen. 

Nous assistons donc à une primaire sauvage dans l’espace national populiste. Jean-Marie Le Pen a donné son imprimatur à cette compétition en déclarant qu’il voterait pour le candidat national le mieux placé. Pour l’instant Zemmour séduit la bourgeoisie conservatrice xénophobe. Elle a vécu l’échec des régionales du RN comme la répétition du débat de l’entre-deux tours de la dernière présidentielle. Elle estime que Marine Le Pen n’y arrivera pas, alors que pour elle, il est possible de battre Macron au second tour .

Marine Le Pen, elle, campe sur les couches populaires farouchement anti-élites. 

Marine Le Pen, traumatisée par son débat présidentiel de l’entre-deux tours, a accéléré la banalisation, alors que Zemmour cherche à reprendre le fonds de commerce caché de la candidate du RN.

Éric Zemmour est donc la manifestation visible de la radicalisation à droite de la droite, qui veut le retour d’une droite claire au pouvoir. Et cette primaire à l’extrême droite aspire la droite et sature le débat politique. 

Pour autant, cela ne qualifie pas Zemmour pour le second tour. Et comme le note Marion Maréchal « il y a un candidat de trop ».Par contre, sa candidature abaisse le seuil du deuxième tour. Ce qui rend la présidentielle extrêmement ouverte .

Le paradoxe Zemmour réside dans le fait qu’il pourrait - s'il avait ses 500 signatures - être au second tour ou qualifier au second tour Marine Le Pen avec une réserve Zemmour, voire éliminer Marine Le Pen et qualifier le candidat de droite .

Mais revenons à notre sujet, la caractérisation de fasciste n’est pas théoriquement fondée. Et elle est contreproductive. Car comme personne ne croit au fascisme à nos portes, on abaisse, par là même le niveau de prévention à l’égard de Zemmour. 

Le Nationalisme d’exclusion vis-à-vis de l’Islam et des Musulmans, est un vrai danger. Cette réaction qui a conduit Orban ou Bolsonaro à la tête de leur État est un courant illibéral xénophobe. S’il arrivait au pouvoir, il déchirerait la société française et préparerait une libanisation de la France et ferait sauter l’Europe. 

Plutôt que de se rassurer dans le confort du « le fascisme ne passera pas », il faut se convaincre que l’illibéralisme xénophobe peut passer et qu’une grande partie de la droite y adhèrera.

Il est fascinant de voir combien sur ces questions d’Identité, de Sécurité ou d’Immigration, le programme est commun aux droites. Édouard Philippe, lors de la création de son parti « Horizons », vient de le confirmer avec une sortie musclée sur le sujet.

La Gauche s’en moque, car elle se croit toujours majoritaire. 

Et, bardée des certitudes de son histoire contre le fascisme, elle continue à se diviser pour la présidentielle de 2022 et maintenant les législatives.