Les vacances sont toujours pour moi le moment des relectures littéraires ou historiques et de la réflexion. 

Le hasard de l’étude de Léon Blum, "A l’échelle humaine", ce plaidoyer, ô combien contemporain pour la démocratie et la lecture, crayon à la main de la volumineuse et stimulante biographie de Léon Blum par Serge Berstein, ce moment de réflexion a débouché sur une constatation évidente : les débats entre Barrès et Blum nous sont contemporains.  

Maurice Barrès : je me suis replongé dans la trilogie "Le culte du moi, sous l'oeil des barbares", "La Terre Et Les Morts", le roman de l’énergie nationale "Les Déracinés", tout ce qui constitue les bases du nationalisme français. On croirait lire les identitaires de nos jours. 

Je ne comprenais pas ce que le futur dirigeant du Front populaire trouvait à l’écrivain Barrès, dont les écrits de jeunesse était limpide : « Notre tâche sociale à nous, jeunes, c’est de reprendre la terre enlevée, de reconstruire l’idéal français ».

« Admirer l’exaltation nationale », pour paraphraser Barrès, me semblait incongru chez le leader à venir de la SFIO, autant que sur le plan littéraire l'époque était à Zola et au naturalisme.  

Certes, la rupture sera consommée par l’affaire Dreyfus où Barrès refusa de soutenir Zola. Il ira même jusqu’à s’opposer à Jaurès sur la panthéonisation de l’auteur de « J’accuse », même si le député boulangiste, Barrès, sera le premier à s’incliner le 14 août 1914 devant la dépouille de Jaurès assassiné.

Au fond, au travers le débat de la Revue Blanche à laquelle participe Léon Blum, se forge le débat français; toujours vivace aujourd'hui, entre le nationalisme et la République.  

La séparation des eaux a lieu là : « le nationalisme et la République sont incompatibles ». 

Barrès, lui, puisait son essentialisation de la nation de l’enseignement de Jules Soury qui plaide le respect de la tradition, la défense de race et le caractère sacré de la patrie « sur la continuité substantielle des caractères héréditaires ».

Léon Blum puisait chez Lucien Herr la République sociale et le refus des radicalités en construction, le nationalisme et le communisme, l’essence de son humanisme socialiste. 

Barrès va adhérer à la Ligue de la patrie française ou à la ligue des patriotes de Paul Déroulède, antidreyfusard, antisémite, même s’il reviendra un peu sur ses propos pendant la Première Guerre mondiale.  

Mais il cautionne « Dreyfus est capable de trahir. Je le conclus de sa race », et prononça le fameux discours du 10 mai 1899 devant la Ligue de la patrie française. « Restituer à la France une vérité morale, créer ce qui nous manque depuis la Révolution : « une conscience nationale », qui est la bible des nationalistes. On dirait aujourd'hui les souverainistes.  

Du haut de sa “Colline inspirée”que reprendra le Général de Gaulle, il professait : « il est des lieux où souffle l’esprit ». François Mitterrand se souviendra de sa jeunesse nationaliste au couchant de sa vie « je crois aux forces de l'esprit ». 

Au-delà de l’antisémitisme qui fera dire à Charles Maurras, compagnon de Barrès, « C’est en tant que juif, qu’il faut combattre et abattre Blum » le 15 mai 1936. « Le Nationalisme, c’est la guerre » proclame Mitterrand. Il ne faut pas comprendre cette formule comme la guerre entre nations mais aussi la guerre civile, dans le moment que nous traversons. 

Le bâton de la République est toujours droit. Il ne souffre ni d'une lecture identitaire, ni d’une lecture religieuse. 

Léon Blum a ouvert la voie à cette clarification. Il critique, d’abord, « l’organicisme des Hommes de la terre et des Morts » chez Barrès dans la Revue Blanche. Puis, dans le journal l’humanité qu’il venait de fonder avec Jaurès, il juge « insupportable la thèse ethnique ». Quand je le vois poser en fait « qu’entre le Français et le Germain, il y a une différence foncière de qualité et de nature d’essence ».

Léon Blum refuse l’essentialisation de la nation, alors que Barrès théorise, dans un homme libre, les principes du nationalisme « nous ne sommes jamais plus heureux que dans l’exaltation du nationalisme ».

Noué dans les années 1900, ce débat est de retour entre le bloc identitaire dominant et les républicains émollients. Il prend d’autres formes mais irrigue toujours la controverse française.