Le congrès du Parti socialiste européen, qui s'est tenu à Lisbonne, amorce un virage à gauche. Jean-Christophe Cambadélis y était. Propos recueillis par Emmanuel Berretta - Le Point

Le vice-président de la Commission, Franz Timmermans, a été officiellement investi comme le «  spitzenkandidat  », donc tête de liste européenne du PSE (partisocialisteuropéen) lors du Congrès de Lisbonne. À ce titre, il brigue la présidence de la Commission après avoir secondé Jean-Claude Juncker depuis 2014. JeanChristophe Cambadélis, qui était présent à Lisbonne, livre son analyse des mouvements au sein du Congrès : le cap est mis à gauche. Après avoir misé sur Pierre Moscovici pour la tête de liste nationale, il se tourne dorénavant vers Ségolène Royal.

Le Point : Le congrès du Parti socialiste européen a-t-il accouché d'un tournantpour la gauche européenne ?

Jean-Christophe Cambadélis : Il y avait, dans toutes les têtes, l'affaiblissement sans précédent du couple franco-allemand. Le président Macron est tout autant affaibli que la chancelière Merkel sur le départ. Cette situation singulière dans l'histoire de la construction européenne a un débouché inédit au sein du PSE : le changement du centre de gravité chez les socialistes européens. Ce n'est plus le SPD, via Martin Schulz, qui oriente le Parti socialiste européen, c'est un nouveau binôme qui a tenu la vedette : le Premier ministre portugais, Antonio Costa, et son homologue espagnol, Pedro Sánchez. Dans les congrès du PSE, c'est la chorégraphie qui matérialise le rapport de force. Lors de la séance finale, les deux Premiers ministres ont été ovationnés, comme d'ailleurs Jeremy Corbyn, le leader travailliste, la veille. Mais il y a eu un peu plus que de la symbolique. Pedro Sánchez a lancé un appel à un «  nouveau contrat social européen  ». Et lors de son intervention, le Néerlandais Franz Timmermans, le «  spitzenkandidat  » des socialistes européens, a répondu : «  Si je suis élu, nous le ferons  !  »

Mais Franz Timmermans, un travailliste néerlandais, est considéré comme étant à la droite du PSE. Va-t-il renier ses propres convictions ?

Franz Timmermens est un grand Européen. Il connaît parfaitement les rapports de force en Europe. Le Congrès a été marqué par une série de symboles. D'abord, les «  samedis noirs  » des gilets jaunes. Les congressistes ont été particulièrement attentifs aux propos d'Olivier Faure sur la situation française. Au même moment, Angela Merkel installait péniblement sa successeure, AKK, à la tête de la CDU avec un score serré de 51,5 %. Macron affaibli, Merkel finissante, voilà qui n'a pas échappé à Franz Timmermans. Et ceci d'autant que le président des socialistes au Parlement européen, l'Allemand Udo Bullmann, venait de prononcer un discours très à gauche. On était loin des prudences du SPD pour cause de grande coalition avec la CDU-CSU. Franz Timmermans a donc indiqué en quoi les commissaires socio-démocrates s'étaient battus au sein de la Commission Juncker depuis quatre ans. Et comment, ultra-minoritaires au sein de celle-ci, ils n'ont pu déployer leur programme, ceci malgré des avancées indéniables. Timmermans a aussi expliqué pourquoi il fallait renforcer la gauche progressiste au Parlement si on voulait vraiment changer l'Europe.

Mais il y a bien un leader européen qui réclame aujourd'hui la fin des traités budgétaires, c'est Matteo Salvini en Italie ! Est-ce à dire que le PSE fera alliance avec lui sur ce terrain ?

Salvini, c'est la cuillerée de goudron dans le baril de miel qui le rend impropre à la consommation. C'est ce qui nous distingue de Jean-Luc Mélenchon qui, lui, est inconditionnellement derrière le gouvernement mixte 5 Étoiles-Ligue dans sa lutte contre Bruxelles.

Ce mouvement vers la gauche du PSE intervient alors que tous les sondages annoncent que la prochaine majorité du Parlement européen va devoir coaliser les chrétiens-démocrates du PPE, les libéraux de l'ALDE, le PSE et peut-être les écologistes. Le crédo plus à gauche du PSE risque d'être encore plus trahi lorsqu'il faudra passer des compromis avec les autres forces pro-européennes, non ?

Les anti-européens nationalistes ne seront pas majoritaires au Parlement européen. Par contre, les démocrates chrétiens et les socialistes ne seront plus majoritaires à eux seuls comme par le passé. Déjà, il y a un an, les socialistes français avaient obtenu, dans une résolution du PSE, la fin du compromis historique entre les socio-démocrates et les démocrates chrétiens par lequel chacun se répartissait les postes. À l'avenir, le débat va donc être politique et non technique au Parlement. Il va falloir – et cela deviendra possible – poser des actes et déverrouiller le blocage libéral franco-allemand, même si les socialistes ont déjà beaucoup obtenu dans le cadre précédent. Mais là, l'occasion se présente d'imposer véritablement un nouveau cours aux orientations de l'Europe.

Par exemple ?

Il faudra réaliser la taxe sur les GAFA  qui est au point mort, concrétiser un salaire minimum européen, achever la lutte contre l'évasion fiscale. Tout ceci alimente un fonds d'intervention pour mettre fin aux divergences sociales en Europe et avancer vers un « new deal green » en référence à l'objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les sociaux-démocrates ont été battus ou ont reculé lors des dernières élections en Europe, en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg…

Que doivent-ils faire, selon vous, pour retrouver la confiance des électeurs  ?

Comme je l'ai évoqué avec la présidence du PSE, il faut tirer les conclusions de l'échec des politiques dites centristes portées par Tony Blair et Gerhard Schröder. Il faut constater qu'il n'y a pas de miracle Macron. Il faut enfin noter que les succès sont portugais, pays dans lequel les socialistes sont soutenus par le PC. Succès également en Espagne où le PSOE n'a pas joué la carte de l'alliance au centre sans pour autant se subordonner à Podemos, qu'il respecte. Les socialistes doivent être eux-mêmes pro-européens face aux nationalistes et sans complexe vis-à-vis des libéraux et des populistes de gauche. Ils doivent porter, je le répète, l'idée d'un «  new deal green  » pour l'Europe.

Les économistes libéraux vous répondront que les pays qui redémarrent comme le Portugal ou l'Espagne le font précisément parce qu'ils ont taillé dans leurs dépenses et procédé à des réformes structurelles libérales. La Grèce de Syrisa va mieux après des coupes terribles exigées par les Européens...

Oui, mais à quel prix ! Comme le disait Sigmar Gabriel, qui est loin d'être un gauchiste, interpellant Schäuble, «  qu'est-ce que l'Allemagne a à gagner si les politiques austéritaires conduisent la France dans les bras de Le Pen  » et à une constellation de gouvernements nationalistes dans le reste de l'Europe ? Je crois que l'histoire jugera sévèrement le tandem Schäuble-Merkel pour avoir mis l'Europe au pain sec et Merkel pour avoir accueilli unilatéralement près d'un million de Syriens de façon non maîtrisée et non solidaire, provoquant un retour de flamme dont on ne voit toujours pas le bout… L'Allemagne est un pays qui a des excédents au-dessus de ce que les traités autorisent. Un pays qui a des déficits doit les résorber, mais un pays qui a des excédents doit aussi les dépenser.

Que ferait un président de la Commission social-démocrate que ne fait pas la Commission Juncker ?

À mon sens, trois choses. D'abord, il faut adapter la trajectoire budgétaire à chacun selon ses moyens et selon la conjoncture. Donc une trajectoire différenciée selon les États membres. Ensuite, une politique massive d'investissement dans les infrastructures et les technologies vertes. Le Plan d’investissement Junker  était une bonne chose, mais il est trop maigre. Et enfin, il faut réimposer une charte démocratique aux pays qui se disent illibéraux. Il n'y a qu'un seul moyen : conditionner les fonds européens au respect de l'état de droit, des libertés démocratiques. On ne peut pas continuer avec des pays qui pompent l'argent des Français et des Allemands et qui nous disent « occupez-vous des immigrés, nous on n'en veut pas. » Que M. Salvini s'en prenne à Viktor Orban qui ne veut pas prendre sa part du fardeau italien !

Vous êtes entré dans ce congrès premier vice-président du PSE, comment en êtes-vous sorti ?

J'en suis bien sorti, car le président Sergueï Stanichef m'a pris par le bras et a proposé au Congrès que je sois invité permanent à la présidence du PSE pour continuer à déployer mes analyses.

Un mot de la France : qui voyez-vous comme tête de liste du PS aux européennes ?

Je suis favorable à la candidature de Ségolène Royal si elle le souhaite. D'abord parce qu'en absence de Nicolas Hulot, c'est la grande voix écologiste. Elle fut par deux fois ministre de l'Écologie. Elle a été présidente de région. Elle représente l'écologie populaire qui réfléchit plus à la transition par la production que par l'impôt. Elle est de gauche et très européenne depuis ses débuts au côté de Jacques Delors. Elle semble avoir envie de peser en Europe. Sa liste peut être la surprise du scrutin. J'ajoute que n'étant plus encartée socialiste – mais évidemment sans repousser les socialistes –, elle pourrait être le trait d'union d'une gauche non Mélenchoniste. Elle peut rassembler la gauche. Car le risque est grand que chacun ne puisse que témoigner dans cette élection. La gauche a besoin de surmonter ses divisions et ses génies de village qui l'encombrent. Elle a besoin de renouveler ses idées. Elle a aussi besoin que cesse sa marginalisation. Car, avec les Gilets jaunes, pour la première fois depuis 1956 (le mouvement poujadiste, NDLR), la gauche est spectatrice d'un mouvement social populaire. Cela devrait faire réfléchir tout le monde.