Dès le soir de la présidentielle, j’exhortais le Président à maîtriser sa victoire. Le pays était à bout. François Hollande avait tenté de louvoyer entre les risques de la rue et les risques des sanctions des marchés, et s’était fait éliminer.
Les solutions de Macron et de Fillon d’accélération dans le néo-libéralisme me paraissaient conduire le pays à l’affrontement. On sortait quand même de la loi travail !
Le nouveau pouvoir a non seulement accéléré dans l’adaptation au modèle anglo-saxon. Mais, organisant la verticalité, il a « cornerisé » les corps intermédiaires et marginalisé les formations parlementaires.
Entre le Prince Président et le peuple, il n’y eut plus rien. Le pouvoir craqua toutes les allumettes dans un joyeux mépris.
Et le feu de cheminée s’embrasa.
Refusant de voir que les hausses des taxes, particulièrement la taxe carbone, cristallisaient un mécontentement latent, rampant.
La crise de rejet de Macron et la révolte du pouvoir d'achat s’alimentaient l’une l’autre.
Tous les combustibles disponibles pour alimenter le feu de la colère furent utilisés dans le mouvement des gilets jaunes.
Sans chef mais pas sans direction, cette révolte se dirigea vers le Président de la République.
Protégé par les institutions, qui organisent la sanctuarisation du pouvoir jacobin, le Président décida de s’entêter.
Et les gilets jaunes aussi.
Les violences de samedi vont vraisemblablement rafraîchir le soutien populaire de l’opinion.
Mais nous allons virer à la crise politique.
Le pouvoir va être pris en ciseaux entre la demande d’ordre et l’exigence des gilets jaunes.
Encouragé par la sidération de l’État face à ce mouvement, considérant, pour une frange radicalisée et pas dépolitisée pour autant, que la violence est nécessaire, (le vocabulaire employé - l’oligarchie, le système, l’assemblée du peuple - démontre qu’ils sont au moins matricés par les extrêmes), vertébré par de très nombreux artisans et précaires fusionnant avec de nombreuses radicalités, le mouvement va continuer. Il reviendra avec toujours plus de violences.
Mais, dans le même temps, l’opinion ne va pas rester indifférente aux images de violence et de mise à feu.
Macron est dans la tenaille. Comme il n’a pas cédé à temps, comme la sécurité publique n’a pu être assurée à Paris, comme les violences, inacceptables, n’ont pu être conjurées, comme la situation fut pendant plusieurs heures hors de contrôle (il faudra aussi s’interroger sur une gestion de l’ordre désuète), comme la France a traversé une journée d’émeutes, et comme le désordre va continuer, c’est à l’exécutif de bouger.
Édouard Philippe est sur un siège éjectable. C’est le rôle du Premier ministre. C'est aussi le seul moyen de reprendre la main. Car, à n’en pas douter, la majorité, elle, va bouger.
Avec une nouvelle donne, le pouvoir peut lever les taxes et remettre à plat la question du pouvoir d’achat en réintroduisant les syndicats et le Parlement.
Édouard Philippe était le recours de la macronie, en trois semaines il en est devenu le fusible.
Mais c’est aussi le moment pour les présidents de régions de s’inviter dans la crise pour la résoudre.
Au-delà de la question politique, la démission du gouvernement, par-delà la révolte du pouvoir d'achat et la sortie des politiques économiques néo-libérales, il y a la crise du régime jacobin, dont Macron est le produit le plus achevé.
Nous sommes entrés dans ce qui s’apparente à une crise de régime. Il faut ouvrir là aussi - là surtout - une solution.
Rééquilibrer, décentraliser les pouvoirs, sortir du tête-à-tête entre la rue et l’exécutif. Mais, plus largement, refaire la France nécessite une nouvelle équation institutionnelle, un nouvel équilibre entre l’État et les régions.
Voilà où nous en sommes. Toute tentative de rester impavide risque de précipiter le pays dans une situation impossible.
L’avion du président se pose dans quelques heures à Paris...