Notre pays a l’âme dévastée. La France s’enfièvre. La colère est partout, dans les villes comme dans les campagnes. Elle est dans toutes les conversations. Elle est massive pour ne pas dire majoritaire. Elle est en passe de devenir le premier parti de France.

Ce samedi, la violence a été difficilement endiguée à Paris et a redoublé partout dans le pays. Elle se profile pour la jeunesse scolarisée et il n’y a qu’un pas pour que celle des banlieues suive. Grâce à des effectifs plus nombreux et plus réactifs, le jaune n‘a pas viré au rouge. La France entière s‘en félicite et remercie ses fonctionnaires.

Pour autant, rien n’est réglé et il vous faut éviter de gâcher ce court répit, vous le savez. Les débordements sont contenus mais le mécontentement demeure. Le maintien de l‘ordre ne sera pas suffisant face au maintien de la colère.

Il ne s’agit pas uniquement d’une jacquerie 2.0 provoquée par une taxe de trop qui ferait déborder un bol fiscal déjà à ras. Il ne s’agit pas d’un mal-être sociologique d’une France périphérique qui voudrait se rappeler au bon souvenir des élites. Il ne s’agit pas non plus de casseurs opportunistes qui viendraient camoufler leurs pillages derrière le masque de la contestation.

2018 est un mélange de 1936, de 1968 et peut-être de 2005. Il s’agit de tout cela et d’autre chose : fin du mois, fin du monde mais surtout fin de régime.
Notre vieux pays jacobin craque de toutes parts. La France n’en peut plus de l’encadrement des salaires, de la précarité et du mépris. La crise est sociale, fiscale et territoriale mais aussi de légitimité et de consentement.

Votre diagnostic, Monsieur le Président, fut qu’il fallait aller encore plus vite et plus loin, que la France avait besoin d’autorité puisque que les Français cabochards renâclaient à la réforme. Fort de nos institutions qui vous garantissent en théorie l’impunité politique pendant 5 ans, vous avez cru pouvoir prendre de haut la colère rampante. Vous avez repoussé d’un revers de main les propositions d’états généraux, les estimant subalternes. Vous avez cornérisé les partis et marginalisé les corps intermédiaires, les jugeant surannés. Vous avez baptisé ce tête-à-tête entre vous et le peuple de « nouveau monde ». Vous avez cru gouverner grâce à un grand corps central stabilisé par les extrêmes.

Certains vous ont pourtant prévenu. D’autres ont même démissionné, sentant le souffle de la France s’alourdir dangereusement. Vous n’avez pas voulu écouter. Vous avez brocardé vos prédécesseurs. Vous avez moqué le peuple. Mais c’est ainsi : tout gouvernement a le peuple qu’il mérite. Le résultat est là. Le peuple est descendu dans la rue charriant avec lui toutes les radicalités.

N’espérez pas, monsieur le Président, que la légitime indignation contre le déferlement de violences vous rétablirait. Avec ou sans gilet jaune, le rejet est partagé et l’amertume tout autant.

Vous avez décidé dans l’urgence de désavouer votre Premier ministre après avoir malmené vos ministres. L’exécutif dans son ensemble se retrouve désarçonné et disqualifié, courant éperdument derrière les évènements et cherchant à acheter du temps alors même qu’il n’y a plus de patience dans le peuple.

Et, je vous en prie Monsieur le Président, évitez de jouer avec l’idée de votre propre démission. Elle ne peut pas être une issue mais un saut dans l’inconnu dont ceux qui l’agitent n’imaginent même pas les conséquences électorales, sociales et économiques. Nous sommes dans la crise, on se précipiterait dans le chaos.
De son côté, la dissolution n’a que l’apparence d’une solution. Elle pousserait à la compétition entre les formations politiques et politiserait les gilets jaunes. La cacophonie régnerait en maître. Et comme à cette étape, tout le monde est contre tout le monde, comme personne ne veut s’allier avec personne, le pays aura perdu du temps et s’affaissera encore un peu plus. Ces stratégies du pire ne peuvent satisfaire ceux qui veulent que la France s’en sorte.

Monsieur le Président, vous allez enfin vous exprimer. Vous redoutez certainement ce moment, mais il vient à vous et vous serez seul face au peuple. Vous ne pourrez plus vous dérober et il vous faudra prendre les décisions indispensables au rétablissement de la paix civile. Car il faut urgemment rétablir la confiance dont vous êtes aujourd’hui dépourvu. Pour ce faire, il faut cependant un acte préalable : la démission du gouvernement.

Vous vous proposez de refaire l’union de la nation. Voilà un aveu involontaire qu’elle est passablement déchirée. Vous avez raison, la République n‘est plus une et se divise. Elle est traversée de fractures ouvertes qui portent en elles des ferments de guerre civile. On ne peut cependant pas engager le dialogue nécessaire avec un exécutif aussi faible. Il faut un acte fort. Il faut un gouvernement de concorde nationale pour changer la donne. Celui-ci devrait changer et de cap et de méthode. Sa tâche ? Organiser les États Généraux de la fiscalité et un nouveau contrat républicain.
Sa mission ? S’attaquer à la vie chère sous toutes ses formes et permettre sérieusement la transition énergétique dans le cadre d’un nouveau contrat social. Il devra aussi travailler à la démocratisation de l’État et fonder un nouvel équilibre institutionnel impliquant tous les corps intermédiaires. Car penser que le pays pourrait renouer avec l’exécutif par un dialogue exclusif entre celui-ci et le peuple est un leurre.
Vous l’avez compris : à situation exceptionnelle réponse exceptionnelle.

Monsieur le Président, vous vous vivez en héros dans une histoire tragique. Il ne s’agit pas d’être un héros mais un homme d’État. D’autres Présidents avant vous ont su reculer sans pour autant déchoir, on pense notamment au Général de Gaulle et à François Mitterrand. Oui, gouverner, parfois c’est plier.

Il y a urgence. Sans plus tarder, il faut trancher dans le sens du peuple.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en mes sentiments les plus républicains.

Jean-Christophe Cambadélis.