1018 jours de guerre en Europe
Une pièce en V Actes
Acte I : Mélenchon et la défense élastique
Acte II : Le parti du Président ne se reconnaît plus dans le Président
Acte III : Macron renverse l'échiquier
Acte IV : Mélenchon abat ses cartes, le PS se rebiffe
Acte V : Les Français s'impatientent
Le chaos politique engendré par la dissolution produit une nouvelle désagrégation spectaculaire de nos institutions : sans majorité absolue, sans parti du Président, sans gouvernement, sans possibilité de dissoudre. Le régime présidentiel tient sur une tête d'épingle, sans possibilité de lui substituer un régime parlementaire. Un président battu et minoritaire se prépare à nommer un gouvernement minoritaire dans le pays et au Parlement, alors qu'une cure d'austérité de 20 milliards d'euros doit être engagée. La semaine écoulée est une pièce en 5 actes qui illustre ce moment de crise sans précédent sous la 5e République.
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Acte I
Mélenchon et la défense élastique
« Intelligent et courageux », c'est ainsi que l'écologiste M. Tondelier caractérise la déclaration de Jean-Luc Mélenchon de se retirer du possible gouvernement NFP pour le faire accepter. Immédiatement suivi par O. Faure, qui lui indique que ce chemin, sans soutien, sans participation, lève le dernier obstacle à la nomination de Lucie Castets. Le fait de passer Mélenchon par-dessus bord pour permettre à la montgolfière NFP de s'élever a été applaudi par les « partenaires », sans que personne – Mélenchon compris – n'intègre son signifié : Mélenchon est bien un obstacle. Dans un pays très à droite, la radicalité populiste et éruptive du chef des Insoumis entrave la gauche pour accéder au pouvoir. C'est tellement vrai que tout le monde à gauche se félicite de ce départ qui faciliterait les choses. La première à pousser un "ouf" de soulagement est Lucie Castets. Donc, pour être désigné par Macron, le NFP propose de jeter son initiateur hors du pouvoir. Et le plus surréaliste, c'est que Mélenchon lui-même le suggère. Mais pourquoi le capitaine du navire du Nouveau Front Populaire a-t-il décidé de sauter hors de la galère ?
La manœuvre tactique amorcée par le leader de la France Insoumise s'appelle la défense élastique. Vous tirez l'élastique en sachant, tout du moins en souhaitant, qu'il va revenir. D'abord, il s'agissait d'une question, pas d'une proposition. Ensuite, il s'agissait quand même d'appliquer le programme du NFP. Enfin, il s'agissait de piéger le Président, en fait. Pour comprendre les raisons et le but de ladite manœuvre, il faut revenir à la rentrée de Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier n'a pas changé de ligne. Il s'est adapté aux conditions de la rentrée. Il cherche toujours la démission de Macron. Il y a urgence pour la « Team insoumise », car la situation est pré-révolutionnaire selon la définition qu'en donne Lénine : le gouvernement ne peut plus agir comme auparavant, le peuple ne peut plus vivre comme auparavant. Nous ne voudrions pas être discourtois devant tant d'intelligence politique, mais il nous semble que la situation est plutôt pré-nationale-populiste. Mais Mélenchon suit son bonhomme de chemin : Macron dégage, certain d'être le débouché politique de la radicalisation à gauche lors d'une présidentielle, l'emmenant au 2e tour avant la grande confrontation avec le « fascisme ». N'est-ce pas la vocation des Fronts populaires ?
Notons tout de même pour mémoire que la double manœuvre de l'héroïsation de L. Castets et le sacrifice de Mélenchon fait de cette dernière la candidate naturelle de compromis du NFP pour la présidentielle. Et là, l'élastique reviendrait dans le nez du chef des Insoumis. Mais revenons à ce qu'il faut bien appeler un délire politique, en tout cas un total contresens, qui préside au moment à gauche ; faire déferler les masses contre Macron pour accentuer la tendance révolutionnaire du moment. Pour permettre le maximum de surface à son opération démission-destitution, il faut que son principal propagateur ne soit plus le mouton noir de la vie politique française. À défaut de banalisation, déjà prise par Marine Le Pen, ce sera la « démarginalisation ».
Le discours de rentrée lors de l'université des Insoumis illustre le diagnostic du problème mélenchonien et les moyens de le conjurer. Pour l'ancien député de Marseille, la droite et le centre droit macronien sont dans l'incapacité de produire un candidat Premier ministre parce qu'ils sont divisés : « Qu'ils donnent un nom ou qu'ils se taisent », dit-il. Il ajoute que le NFP est uni, à part une partie du PS qui fait de la présence des Insoumis le problème. Mélenchon nous indique ainsi qu'il a conscience du sujet. Les sociaux-démocrates font de la France insoumise l'obstacle et légitiment ainsi, pense Mélenchon, la campagne « Tout sauf Mélenchon ». Cela contrarie la nécessaire unité pour la réussite de l'appel à manifester. Mais Mélenchon ne nomme personne, ne stigmatise personne, ne brutalise personne. Il se fait patelin. Il espère seulement que le réalisme l'emportera. Modéré tout à coup, Mélenchon ? Il veut simplement faire baisser l'hostilité pour emmener la totalité de la gauche dans sa croisade contre Macron. Marine Le Pen a eu son premier tour des Législatives. Il aura la rue.
Comme le président, dans son entretien avec la délégation du Nouveau Front Populaire, a lâché qu'une majorité de parlementaires était prête à une motion de censure contre le NFP à cause de la présence de LFI, Mélenchon, après avoir condamné l'attentat antisémite de Montpellier en apportant son soutien « aux croyants » pour souligner qu'il n'est pas celui que l'on croit, interpelle le président et son parti pour le placer au pied du mur : « Il s'agit avant tout de démasquer le fait que Macron prend le prétexte LFI pour refuser madame Castets . Et ainsi induire que si Macron refuse, ce n'est pas tant à cause de LFI, mais parce qu'il ne veut pas de la gauche.
Dans tout combat politique, la conquête du centre de la controverse est un enjeu. Et là, le centre ne doit plus être Mélenchon, mais Macron. Et pour LFI, c'est évident, d'ailleurs l'élastique revient vite avec l'annonce de Panot de saisir le Conseil constitutionnel sur l'intégration des ministres dans le décompte lors du vote d'une motion de censure. Le vrai faux prétexte du Président pour refuser Castets tombe.
Fin du 1er acte. Rideau.
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Acte II
Le parti du Président ne se reconnaît plus dans le Président
Le moment Mélenchon a totalement éclipsé la prise de distance de G. Attal vis-à-vis de la majorité présidentielle. Le Premier Ministre démissionnaire a endossé la posture d'Édouard Philippe. La majorité présidentielle est morte, faute à la dissolution par le président, vive une nouvelle majorité sans le président. En effet, G. Attal a plaidé, lors du premier entretien vendredi dernier, que le parti du président ne pouvait revendiquer le poste de Premier ministre. Il a ainsi acté la défaite, ce qu'Emmanuel Macron prend soin de ne pas dire. Il est clair que le combat continue à fleurets mouchetés entre le Président et le jeune Premier ministre. La candidature d'E. Borne à la présidence d'Ensemble n'a pas dû arranger les choses. En attendant, cette déclaration coupe au passage la route à Darmanin. Mais cela oblige ou légitime la recherche d'un Premier ministre hors périmètre présidentiel. Pour G. Attal, une nouvelle dissolution est possible, si ce n'est probable. Quel que soit le mode de scrutin, il s'agit de ne plus faire partie du couple Président-Premier ministre rejeté par les Français. Ce n'est pas sans conséquence dans la recherche du Premier ministre, et l'on entre ainsi dans la dernière phase du macronisme : le déclin. E. Philippe laisse dire : pour lui, la motion de censure, ce n'est pas automatique. Ce n'est pas ad nominem, cela dépend du programme. Il s'agit de plus qu'un simple changement, car la position du quatuor Macron-Attal-Bayrou-Philippe était : ni Mélenchon, ni Le Pen. L'autonomisation des principaux féodaux du Président réduit un peu plus son pouvoir politique. Alors, le président consulte comme un président de la IVe République, c'est son droit institutionnel, mais le président aurait bien voulu, en plus, définir le périmètre de la majorité, alors que cela n'a rien de constitutionnel. Et politiquement battu, sa légitimité à le faire est réduite. E. Macron, depuis des années, était tenu par les institutions plutôt qu'il ne les tenait. Il lui restait l'aura d'une capacité d'adaptation. Celle-ci a été ruinée par la dissolution. Cette combinaison marque symboliquement la fin politique de son quinquennat. Toutes les représentations politiques souhaitent la démission. Car chacun estime que c'est le moment pour lui. De l'égratignure au risque de gangrène, dit-on. C'est bien de cela dont il s'agit : le président n'est plus en état de dicter les événements. La cohabitation entre un pays qui a besoin d'être gouverné, vu son état financier, et un Président qui ne peut plus gouverner, vu son état politique, est délétère. Il ne peut dissoudre, il ne peut gouverner, il ne peut démissionner. Le Président est devenu le prisonnier de l'Élysée.
Fin du 2e acte. Rideau.
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Acte III
Macron renverse l'échiquier
Pour répondre à Mélenchon, qui dit se retirer du gouvernement, F. Bayrou et G. Attal hurlent : « C'est un coup de force. » On vit une époque formidable, les deux dirigeants multiplient les déclarations pour une majorité de gens raisonnables. Ils plaident depuis des lustres pour le « en même temps ». Mélenchon leur offre l'occasion, même formelle, d'envisager la chose pour retourner le piège. Mais le retrait devient un coup de force. Mélenchon, pas mécontent de son effet, pousse son avantage en imposant à ses alliés un refus irresponsable de poursuivre les discussions avec le Président. Et in petto, le président lui répond : « L'irresponsable, c'est moi », et "dégage" Lucie Castets et le NFP.
François Hollande a parfaitement raison. Il commet ainsi une faute institutionnelle, doublée d'une faute politique. Macron censure L. Castets, ce qui n'est pas son rôle, et offre à Mélenchon de quoi mener campagne pour sa destitution, ce qui n'est pas non plus son rôle. Le président légitime ce geste d'une sentence bien sentie : Castets, c'est l'instabilité. Devant l'impossibilité d'obtenir une majorité absolue, l'argument va lui revenir comme un boomerang lorsqu'il va nommer le Premier ministre. Car un gouvernement soutenu par Liot, UDI, Radicaux, Ensemble, Horizons, Modem, c'est la "Macronie élargie", pas le Front Républicain.
Macron ne veut pas de Castets parce qu'elle a imprudemment laissé entendre qu'elle déferait par décret ce que Macron avait fait. Et là, c'est le goudron et les plumes pour le Président. Et dans un pays confronté par sa gestion à un déficit excessif, les dépenses budgétaires du programme NFP affaibliraient un peu plus le président en Europe, le seul pouvoir qu'il lui reste. Et donc, il a inventé une série de carabistouilles pour cacher ce grand refus. Et le voilà maintenant avec un couteau sans lame : pas de 1er ministre du NFP, pas de 1er ministre d'Ensemble, pas de 1er ministre de LR. Il reste donc un Premier ministre techno ou franc-tireur ayant encore moins d'assise que les groupes présents à l'Assemblée. L'histoire tourne au vaudeville.
Fin du 3e acte. Rideau.
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Acte IV
Mélenchon abat ses cartes, le PS se rebiffe
L'éviction de L. Castets par le président provoque l'ire mélenchonienne, un peu surjouée, en tout cas téléphonée. C'est la grosse caisse insurrectionnelle contre le coup d'État permanent. Les Insoumis déclenchent l'article 68 pour une destitution et lancent un appel à manifester le 7 octobre. Le PCF, qui est à la rue, en appelle à la rue. Sandrine Rousseau, qui « ne boit même pas de café », danse avec Mélenchon et se prononce pour la destitution. Les Écologistes seront bien présents le 7, Marie Tondelier l'assure. Tout le monde se tourne vers le PS. Et là, il y a un gros problème évoqué par Mélenchon. Les sociaux-démocrates, qui depuis le début de la crise veulent un gouvernement de bloc républicain et refusent un gouvernement "Macron élargi ou Mélenchon rabougri", exigent un bureau national extraordinaire pour remettre en cause le suivisme aveugle des Fauristes. L'événement nouveau est la charge claire et nette d'Hélène Geoffroy, que les médias découvrent enfin. Mais aussi la convergence avec le courant de Nicolas Mayer-Rossignol (Delga-Hidalgo-Michaël Delafosse). Cela modifie potentiellement le centre de gravité du PS, car les deux courants représentent 51 % du PS, au moment où des voix se font entendre chez les Fauristes (Payant, Vincini, Carvounas) pour dire « Mélenchon, stop ». Et là, le Premier secrétaire est pris entre deux feux. Suivre Mélenchon dans sa folle cavalcade, c'est prendre le risque de briser le PS, qui sort à peine de convalescence après le résultat de Glucksmann aux Européennes et le nombre de députés en hausse, le premier score ayant permis la progression du second. Et donc, Faure doit suspendre de fait son alliance, comme il le fit aux Européennes, devant le risque d'une liste autonome social-démocrate. Le fait que Faure refuse de participer à la manifestation du 7 septembre en déclarant que le PS n'a pas vocation à jouer les supplétifs de Macron ne change rien à l'affaire. Ce que personne ne défend, d'ailleurs, pas même B. Cazeneuve. Mélenchon devra donc faire sans le PS et sans les syndicats, ce qui réduit considérablement la voilure de l'opération. Même si cela prépare pour d'autres le dénouement.
Fin du 4e acte. Rideau
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Acte V
Les Français s'impatientent
Ils nous avaient quittés ivres de gloire post-olympique. On les retrouve inquiets pour leur pouvoir d'achat. Il ne s'améliore pas, et des déficits colossaux ne leur disent rien qui vaille. Le gouvernement démissionnaire ordonne toujours les dépenses. Il a mis sur la table une ponction des collectivités locales, ce qui va affaiblir un peu plus la construction de logements, d'infrastructures, et affaiblir le réseau de solidarité, cette protection que les villes organisent. C'est le moment, d'ailleurs, que le MEDEF choisit pour se manifester contre les déficits. Comme si le patronat n'avait pas sa part de responsabilité dans ceux-ci, avec le soutien massif pendant la COVID, la défiscalisation de l'impôt de production, la suppression de la CVAE et bien sûr de l'impôt sur la fortune. La rentrée scolaire ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices : fermeture de classes, sous-effectifs et vague de fermetures d'entrées, entre autres. Le record de la IVe République pour la constitution d'un accord de gouvernement est dépassé. Cette incapacité des gouvernants à se mettre d'accord sur un Premier ministre va finir par les agacer franchement. Même si, pour l'instant, ils jouent à « un, deux, trois, soleil » pour constater l'évolution des prétendants. Moins drôle, les menaces d'effondrement possible du front à l'Est, qu'il soit ukrainien ou russe. Et l'évolution de la situation au Moyen-Orient, avec un risque d'embrasement qui aurait des conséquences sécuritaires en Europe. Ce qui mine le moral de la France, c'est l'absence de perspectives claires et d'un espoir un peu réjouissant. Entre monsieur TikTok Bardella, monsieur Tac Tic Mélenchon et monsieur Tac au Tac Macron, il n'y a rien qui provoque un peu d'enthousiasme. Méfions-nous de ces moments où l'eau dort. L'éditorialiste du Monde, Pierre Viansson-Ponté, avait écrit quelques mois avant Mai 68 : « La France s'ennuie. » Aujourd'hui, elle se désespère. Et elle ne va pas tarder à vouloir s'en mêler.
Fin du 5e acte. Rideau
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Épilogue
Dans cette crise où tout le monde court sur scène en tout sens pour occuper l'espace, mais sans solution, devant un public de plus en plus sidéré et amer de tant d'agitation sans résultat. Dans cette pièce du chaos, on a laissé côté jardin ce qui en fut la raison : l'extrême droite. Elle a écrasé l'élection européenne et gagné le premier tour de l'élection législative. L'extrême droite campe sur la frontière, préservant ses troupes et observe la division de ceux qui s'étaient unis pour lui faire barrage. Elle est sûre qu'il n'y a ni solution ni stabilité dans ce parlement à trois blocs, qui refusent d'en former un contre le 3e, c'est-à-dire eux. Et elle s'apprête, après cette faena infernale, à donner l'estocade : « Devant tant de désordre et d'impuissance, il faut redonner la parole au peuple par une présidentielle anticipée. » Il n'est pas sûr que les Français se grouperont pour faire bloc autour du Président. Déjà, BFM publie un sondage où 49 % des Français sont pour le départ du Président. Tout le monde aura travaillé comme des somnambules à ce dénouement. Fin de la pièce ?
À dimanche prochain.