2054 Jours de guerre en Europe
1. Le premier acte du congrès du PS s’achève ;
2. Ma contribution au débat du PS sur la situation internationale
0000
1/ Le 1ᵉʳ acte du congrès du PS s’achève
Beaucoup ont espéré déposer une contribution générale en vue du congrès de Nancy du Parti socialiste. Mais, peu ont réussi à réunir les 15 membres du Conseil national pour pouvoir y concourir. À la fin de la semaine, le premier acte s’achève. Il permet de faire un rapport d’étape, de voir qui a marqué des points, de mesurer les dynamiques de chacun et d’entrevoir la suite.
D’abord, le corps électoral : il n’est pas encore validé au moment où j’écris ces lignes, mais il est peu probable qu’il dépasse celui du congrès de Marseille, et ce malgré les coups de clairon de la direction sortante annonçant une vague d’adhésions sans précédent.
Un vrai problème pour les fauristes, qui comptaient sur une progression pour valider leur thèse du redressement du PS sous le septennat de Faure.
Il y avait 80 000 adhérents avant les législatives de 2017, puis 60 000 après celles-ci, et seulement 42 000 au congrès de Marseille. La chute n’est pas enrayée : le PS ne dépassera pas les 40 000 adhérents, semble-t-il.
Ensuite, la direction fauriste a perdu Boris Vallaud, patron du groupe socialiste, qui déposera sa contribution puis son propre texte de motion — ce qui n’est pas rien dans le dispositif du premier secrétaire. Ce dernier a vu partir Jérôme Guedj, Fatima Yadami (la trésorière), Laurence Rossignol et Philippe Brun. Ils font contribution commune avec le maire de Cergy, J.-P. Jeandon.
Karim Bouamrane, militant pour la fédération des alternatives à Faure, a lui aussi fait sécession. Le texte d’orientation 1 d’Hélène Geoffroy (20 % au congrès de Marseille) et le texte d’orientation 3 (30 % au congrès de Marseille) viennent de décider d’unir leurs efforts avec les dissidents fauristes pour imposer une nouvelle direction au PS. Nul ne sait ce que fera, dans ces conditions, Boris Vallaud.
Enfin, Mathieu Monot, Pascal Cherki et la députée Keloua Hadi se sont retirés du dispositif fauriste pour écrire une contribution à la gauche du PS. Nous devrions donc déboucher sur 2 motions ou 3 motions, puisque la contribution de gauche n’a pas les 30 signatures nécessaires pour déposer.
Ce qui veut déjà dire que la direction sortante, dans ce cas de figure, a déjà perdu la majorité absolue au Parlement du parti (le Conseil national) et que la défaite d’O. Faure n’est plus une lubie. Elle ouvre le chemin à un nouveau « Épinay », qui n’est pas seulement un rendez-vous, mais une stratégie de construction d’un candidat social-démocrate à la présidentielle.
Maintenant s’ouvre le temps du débat de fond. Puis il y aura le temps de l’élection du premier secrétaire. Oui, c’est un peu compliqué au PS.
Les socialistes du Laboratoire de la social-démocratie ont décidé de traduire leur programme fondamental en contributions thématiques pour nourrir la réflexion et participer au réarmement idéologique de la gauche dite « de gouvernement ».
J’ai déposé une contribution thématique sur la situation internationale, après avoir participé à l’élaboration de la partie stratégique de la contribution du texte d’orientation 1 d’Hélène Geoffroy.
0000
2/ Contribution thématique sur l’international de JCC, membre du Conseil national TO1
La grande confrontation
D' Istanbul à Belgrade, de Tel-Aviv à Téhéran ou Gaza, les peuples manifestent contre Erdogan, Vučić, Netanyahou, ou Khamenei, et même maintenant contre la milice intégriste terroriste du Hamas.
Aux États-Unis, l’opinion commence lentement à se retourner devant l’incurie trumpiste.
L’Ukraine, pilonnée, bombardée, abandonnée, résiste au dictateur Poutine.
Partout, la grande confrontation entre la démocratie et l’illibéralisme fait rage et modifie l’horizon des socialistes.
Le monde est en train de basculer. Mais, pour déterminant que ce soit, on ne peut réduire cette bascule à la seule rupture des États-Unis avec l’Europe.
Après les succès de l’extrême droite dans les pays nordiques, les victoires aux Pays-Bas et en Italie, et la percée dans les élections européennes, au point qu’un commissaire européen s’en réclame, ce fut le choc des élections allemandes avec le score sans précédent de l’AfD, et enfin les résultats significatifs en Bulgarie, Roumanie, etc.
La prochaine présidentielle en France devient le rendez-vous décisif. La victoire de l’extrême droite en France, pour inscrite qu’elle soit, n’est pas inéluctable. Elle dépend en grande partie de la capacité du PS à trouver le chemin d’un projet crédible à la hauteur des nouveaux défis et d'une candidature capable de rassembler les Français contre l’extrême droite au second tour de la présidentielle.
Pour ce faire, les socialistes devenant sociaux-démocrates ont quatre défis à relever :
Le défi de l’ère du capitalisme numérique
Le capitalisme financier, pilier de l’économie libérale, a perdu sa force propulsive dans la crise des subprimes.
Le capitalisme numérique, produit de la révolution immatérielle, s’est substitué comme force structurante, avec une double spécificité : l’innovation via l’intelligence artificielle comme moteur de développement et la tendance à la constitution de féodalités planétaires.
Pour des raisons de développement immatériel, et parce que ce capitalisme est par nature sans patrie ni frontière, son rapport au travail n’a pas la même centralité que dans le capitalisme industriel.
Il s’oppose à la régulation des États-nations ou de l’Europe, perçue comme entrave à son libre développement.
Il consomme toujours plus de données. Il est aussi prédateur en termes de terres rares, provoque des déchets non recyclables et refuse de voir dans le climat une frontière pour l’humanité.
L’idéologie libérale voyait dans toute régulation du marché "une route vers la servitude" (Hayek), mais acceptait la régulation internationale.
Le capitalisme numérique porte un nouveau modèle que le philosophe Habermas a caractérisé de « néo-féodalisme » s’attaquant à la démocratie. Son « idéal » techno-autoritaire est une rupture avec la démocratie de marché.
Le capitalisme numérique se veut aussi une révolution anthropologique. Il ne cherche plus seulement l’extension du domaine du profit, mais prétend modifier tout ce qui régit le développement humain — pour le meilleur et pour le pire.
Lors de la fusion de xAI et X, Elon Musk a clairement établi qu’"il ne s’agissait plus de refléter le monde, mais d’accélérer le progrès humain."
Cette tendance structurante tire l’économie de marché. Elle offre des possibilités de haute rentabilité spéculative du capital.
Elle ne produit pas de biens à proprement parler : elle offre des services. Son intelligence artificielle détruit les anciennes relations sociales et stimule l’individualisme consommateur.
Les socialistes ne peuvent combattre dans ce nouveau monde avec les recettes qu’ils ont élaborées dans le capitalisme industriel puis libéral.
Le premier défi à relever est celui de la domestication écologique et sociale du capitalisme numérique et de sa société algorithmique.
Le défi de la vague national-populiste illibérale
Le capitalisme numérique rencontre une vague national-populiste dans tous les pays du monde. Elle se nourrit de la crise du résultat de la démocratie, de la précarité de masse, de la dissolution des identités nationales dans la mondialisation des échanges et du marché, de la montée de l’intégrisme religieux, de l’insécurité sociale et républicaine, du choc migratoire, de la mexicanisation de nos sociétés due à la drogue, d’une violente réaction au féminisme ou à l’écologie — sans évoquer l’instrumentalisation du wokisme.
L’absence d’une alternative réaliste répondant à chacune de ces questions laisse le terrain aux populistes de tous poils et débouche sur le bonapartisme illibéral.
L’illibéralisme est la religion du national-populisme, que l’oligarchie du capitalisme numérique épouse de plus en plus.
On ne compte plus dans le monde les régimes autoritaires, illibéraux ou dictatoriaux. Partout, la démocratie recule. La démocratie s’étiole dans le monde, et la République s’efface en France.
Cette réorganisation réactionnaire favorise un nouvel obscurantisme qui s’auto-alimente aux fake news des réseaux sociaux, lorsqu’elles ne sont pas créées par des puissances étrangères.
Et tout à coup, à côté du racisme anti-maghrébin, ressurgit ce qu’on croyait à jamais banni : l’antisémitisme, essentialisant à nouveau les juifs, les assimilant à la politique du gouvernement israélien.
Le saut qualitatif de cette vague a été l’élection de Trump, qui marque l’ultime fin du cycle "progressiste" ouvert au début des années 60. Les États-Unis, en tant que puissance dominante depuis l’après-guerre, portaient globalement la "démocratie de marché" malgré la guerre du Vietnam, les conflits au Proche-Orient, et leur soutien aux dictatures anticommunistes et au néolibéralisme.
Nous sommes entrés dans le « cycle réactionnaire », qui tend à s’imposer — moins par la nature de Trump que par la victoire des ultra-conservateurs héritiers du maccarthysme, du Tea Party, et des néoconservateurs américains.
Ce mouvement réactionnaire est devenu une "droite destructrice" de l’État de droit et est majoritaire dans le Parti républicain et dans la société américaine.
Les socialistes ne peuvent aborder ce tournant obscur, cette tentation des temps barbares — qui s’apparente à un nouveau Moyen Âge — avec les préventions d’hier vis-à-vis de la démocratie libérale ou d’une République qui n’aurait pas été jusqu’à la réalisation de la question sociale.
La question de la défense de la démocratie républicaine et de ses principes devient une barricade, sans abandonner pour autant sa critique écologique et sociale.
Le défi de la fin de la domination du monde occidental
L’effondrement de l’URSS avait laissé place à l’hyperpuissance américaine. La défaite de l’Amérique en Afghanistan a marqué sa fin. L’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine, avec le soutien actif de la Chine et d’une majeure partie du Sud global, marque la fin de la domination du monde par l’Occident.
Nous sommes entrés dans un monde apolaire des empires, sans hégémonie ni régulation. Un monde dérégulé où la force prime le droit, en même temps instable et dangereux, où les guerres conventionnelles et hybrides sont de retour, et la guerre commerciale est centrale.
Le déclin de l’empire américain a provoqué aux États-Unis un réflexe isolationniste, retrouvant l’Amérique d’avant Wilson et Roosevelt. Il a connu deux phases : le désengagement maîtrisé (Obama–Biden) et le désengagement imposé de Trump.
Il y a une différence qualitative entre le maintien de la démocratie de marché des Démocrates et le national-populisme illibéral de Trump. Comme il y a une différence d’approche entre le discours d’Obama au Caire (4 janvier 2009, "un nouveau départ") et celui de Trump face à Zelensky dans le Bureau ovale (25 février 2025).
Mais, les deux répondent au fait que l’empire américain n’a plus les moyens du "big stick" et qu’il doit se restructurer avant de penser au monde et d'affronter la Chine.
Ce nouvel état de l’Amérique est particulièrement visible au Moyen-Orient, où les États-Unis n’ont pu contraindre le gouvernement d’extrême droite Netanyahou à maîtriser sa force après la tuerie du 7 octobre par le Hamas, pour le compte de l’Iran.
Ce n’est plus un sujet pour Trump, qui épouse totalement les exigences de l’extrême droite israélienne.
Les charges de l’empire ont affaibli l’Amérique au point d’être challengée dans tous les domaines par la Chine. Celle-ci n’a pas encore tranché sur les conditions de l’annexion de Taïwan, qui a été actée par le dernier congrès du PCC.
Mais, nul doute : la confrontation est inscrite.
L’ajustement stratégique des États-Unis avait des conséquences déjà visibles pour l’Europe sous Obama puis Biden. Mais Trump, et surtout son vice-président J. D. Vance, ont poussé cette inflexion à son paroxysme en rompant avec l’Europe dans sa confrontation avec la Russie, et en provoquant une guerre commerciale avec ses alliés de l’OTAN. Les injonctions américaines aux entreprises françaises de respecter leurs lois en sont illustratives.
L’Amérique a fait le choix défensif du deal avec la Russie de Poutine sur le dos des Européens à propos de l’Ukraine. La paix à tout prix n’est que le paravent d’un désengagement à tout prix. L’Europe, en tant qu’entité — même bâtarde — avec le premier marché au monde, est pour Trump un obstacle à la réorganisation de l’Amérique. Cette vision rencontre celle de Poutine, qui veut moins envahir l’Europe à ce stade que la briser, pour réduire les nations qui la composent.
Mais le "néo-tsarisme" russe utilise aussi la volonté de l’administration Trump d’une paix russo-américaine pour briser l’alliance atlantique et, par là même, affaiblir le monde occidental. Trump est l’idiot consentant de Poutine.
Alors que la Russie n’est pas prête pour autant à lâcher la Chine et poursuit sa stratégie du découplage dans le Maghrebet en Afrique.
La question européenne devient la clé de voûte de l’autonomie stratégique de la France et de la défense d’un État social.
Aujourd’hui, les socialistes doivent soutenir inconditionnellement une Europe puissance.
Le défi du nouvel horizon
Le but des sociaux-démocrates reste l’instauration en France d’une démocratie sociale écologiste, mais les conditions de cette bataille ont changé. La question de la défense de la démocratie républicaine devient le prérequis à ce combat, et l’Europe puissance un impératif catégorique. L’identité des sociaux-démocrates, dans la période que nous traversons, est là.
La bataille pour arracher la gauche à l’hégémonie culturelle du populisme de gauche — qui est un archaïsme au regard des défis de notre époque — vient de ce constat. Il faut se délimiter et mener le combat idéologique dans la gauche, puis dans le pays.
Le PS a l’occasion de faire peau neuve à ce tournant de l’Histoire s’il veut rester un acteur dans le basculement et en modifier l’issue. Il doit clairement fixer les enjeux et bâtir un plan de solutions aux défis d’aujourd’hui avec les Français d’aujourd’hui.
L’effacement n’est plus de mise.
Il faut planter le drapeau dans la bourrasque qui vient.
À dimanche prochain