1070 jours de Guerre en Europe
- 2024, l'année terrible
- Le Consulat Trump - Roberts - Musk
- Et si l’avenir de l’Europe venait de Serbie
- La rupture avec l’Algérie est totale
- Portrait de Boris Vallaud
"Bonne année 2025 à toutes et tous, pour vous et vos proches.
Que l’année à venir vous soit douce et légère malgré le ciel qui s’assombrit."
J2C
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1. 2024, l'année terrible
Récapitulons ! Tout avait mal commencé : une présidentielle ratée, un président essoufflé, des populistes confortés, une majorité divisée, et puis les déficits que l’on laisse filer, la blessure des retraites non refermée, le vote d’une loi sur l’immigration comme point d’orgue de la droitisation du macronisme... et ce fut le précipité de la dissolution. Tout ce qui était latent devint prégnant.
Le peuple, ayant mal voté aux européennes, infligea au président une amère défaite. Notre monarque républicain décida de dissoudre le peuple et dissoudra par la même la stabilité de nos institutions jusqu’à la présidence. Cette "erreur historique", due à une colère infantile, ouvrit la porte à la crise parlementaire et à l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir. Il s’en fallut de peu que nous ayons un gouvernement Bardella.
C’est ce peuple "dissous" qui se leva à nouveau contre les consignes du président "ni RN ni LFI", imposant un Front républicain contre l’extrême droite, hiérarchisant lui-même les urgences. Mais voilà, le président s’entêta : il ne voulut voir sa défaite, et prit même le score relatif de son parti comme un signe pour lui, et non l’impérieuse nécessité de s’unir pour sortir la France de l’ornière, où, peu inspiré par autre chose que lui-même, le président l’avait mise.
Ce fut le refus de la gauche comme Premier ministre pour mieux s’ancrer à droite, au point de désigner un Premier ministre LR, Michel Barnier, qui fit entrer Retailleau au gouvernement à l’Intérieur, pendant qu’il tentait une cure d’austérité pour apurer la "dette Macron". Retailleau déclara vouloir réduire le RN en reprenant son programme et occupa tout l’espace. Le gouvernement Barnier s’installa avec l’accord tacite de Marine Le Pen.
La grande battue des législatives, et pour tout dire cornérisée par le second tour du scrutin, se retrouva faiseuse de roi et le démontra en votant la censure de la gauche. Censure que la gauche, aiguillonnée par J.-L. Mélenchon, a imprudemment voté. Le président décida de nommer à nouveau un Premier ministre de son camp, François Bayrou, cofondateur du macronisme.
Et ceci après une simili-négociation où les socialistes, les communistes et les écologistes tentèrent de faire avaler leur programme et leur Premier ministre aux macronistes, et Macron chercha à leur faire adouber le sien avec un Premier ministre à lui. Enfin presque ! François Bayrou s’imposa à un président d’une faiblesse extrême, déplaçant un peu plus le pouvoir à Matignon. Puis il composa un gouvernement Barnier bis dont l’axe Darmanin - Retailleau - De Montchalin est la vraie colonne vertébrale.
Einstein ne disait-il pas : "Faire la même chose en espérant avoir un autre résultat est le début de la folie" ? Nous sommes en pleine folie collective. Personne ne veut abdiquer sa petite parcelle de pouvoir. Tout le monde veut s’imposer aux autres sans les moyens ni le mandat du peuple pour le faire. Personne n’a de majorité et ne croit à la durabilité de Bayrou.
Mais comme le fameux canard sans tête, le Parlement court en tous sens sans trouver de sens. Ce gouvernement va, par contre, repousser les socialistes dans l’opposition frontale. Son aile "ultra-mélenchoniste" triomphe et tente de recoller les morceaux du "NFP et son programme". Pour se faire ou se refaire, elle se déchaîne contre Valls comme gage de son retour dans les rangs mélenchonistes. LFI fait de même pour des raisons évidemment électorales.
Il faut dire que l’ancien Premier ministre y a mis du sien en quittant ses amis alors qu’il aurait pu en prendre la tête, ce qui aurait changé l’histoire à gauche. Il le fit sans ménagement ni vraiment d’explication si ce n’est garder absolument son siège de député, qu’il finit par quitter pour tenter sa chance en sa Catalogne natale. La suite depuis 2017 n’a pas été meilleure : perdant tous ses combats, rompant les amarres avec ce qu’il estime être une fausse gauche, il a gardé pour tout bagage une laïcité sourcilleuse, un républicanisme clémenciste, et un soutien sans faille à Netanyahu.
La violence des propos à son endroit est pour autant la manifestation d’une bévue sur la nature du gouvernement. Manuel Valls n’en est pas le cœur, tout au plus l’ornement "kamikaze", selon les dires du Premier ministre. Cette campagne, pas toujours élégante envers l’ancien Premier ministre, est surtout le coup de pied de l’âne expiatoire à une participation de la gauche à un gouvernement républicain raté, mais qui a embarrassé le mélenchonisme.
En revanche, l’extrême droite est la grande gagnante. Elle a obtenu au passage que l’ancien ministre Xavier Bertrand soit évincé du ministère de la Justice au profit de son ami G. Darmanin, qui avait jugé les réquisitions du parquet excessives contre Marine Le Pen.
Les relations se tendent d’emblée entre le Premier ministre et le chef de la droite L. Wauquiez, caressant l’idée de retourner dans l’opposition. Gabriel Attal, patron de Renaissance, est hors de lui de ne trouver aucun des siens dans le gouvernement qu’il qualifie d’anti-Attal. Et 49 % des Français sont déjà favorables à la censure, selon un sondage Harris pour TF1-LCI.
Cela fait déjà beaucoup. Alors la présidente du groupe d’extrême droite à l’Assemblée tient à nouveau entre ses mains le destin du gouvernement qu’elle censurera quand elle l’aura choisi. Elle a été claire à ce sujet lors de ses vœux de Noël pour ceux qui pouvaient en douter, en pronostiquant "l’alternance au pire dans quelques mois".
La gauche ressemble à une balle de ping-pong qui se prendrait pour une raquette. Elle est l’idiote utile de l’extrême droite, qui utilise sa censure pour arriver à ses fins. Pendant que le pouvoir macronien, arc-bouté sur la défense de son programme libéral, fournit à la gauche les raisons de censurer.
On vous dit que nous sommes dans un monde de fous. Car en absence de dissolution pendant six mois, il n’y a pas d’issue possible si ce n’est la démission du président Macron. Il ne l’envisage pas à cette étape, et elle porterait un coup décisif à la Ve République, comme celle de Mac Mahon sous la IIIe République porta un coup fatal à la restauration monarchiste.
En attendant, François Bayrou est le 4e Premier ministre en deux ans, ce qui donne à la Ve République des airs de IVe République. L’instabilité ministérielle s’est installée comme la norme. Macron le sait et jouera à saute-mouton jusqu’à la dissolution en espérant ainsi éviter la sienne.
L’année 2024 s’achève sur la crise générale de nos institutions, où pour la première fois sous la Ve République, une majorité de Français est favorable à la démission du chef de l’exécutif. Ni le président, ni le Premier ministre, ni le Parlement n’ont de majorité stable alors que la France accumule plus de 3 000 milliards de dettes et doit en trouver cette année 300 pour finir ses fins de mois.
Pendant que les plans sociaux se multiplient, les carnets de commandes sont faméliques, le chômage repart à la hausse, l’économie entre en récession, la capacité d’emprunt est fragilisée, les villes sont gangrenées par la drogue, les services publics s’affaissent, la crise du logement explose, les impôts rentrent moins bien et les agriculteurs sont au bord de la crise de nerfs.
On imagine mal comment on arrivera à la fin du quinquennat sans un accident industriel. Tout le monde l’a en tête, y compris le Premier ministre.
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2. Le consulat Trump - Roberts - Musk !
Le moment tant redouté arrive. D. Trump va s’installer à la Maison-Blanche dans quelques jours. Il a nommé autour de lui un quarteron de milliardaires et quelques fidèles parmi les fidèles à toute sorte de poste, jusqu’au créateur de l’émission de télé qui l’a révélé. Pour un peu, il l’aurait fait de son chien ou de son caddie. Mais il n’a pas fait que s’entourer d’une garde noire. D. Trump veut appliquer ses promesses : le choc remigratoire, la mise au pas des médias et la redéfinition commerciale mondiale au profit des États-Unis. Je vous ai indiqué, au lendemain de sa victoire, la nature du pouvoir trumpiste : le bonapartisme illibéral.
La définition historique du concept du bonapartisme, c’est l’alliance du sabre et du goupillon ! Ici, c’est l’alliance du verbe, du droit et de la richesse, une sorte de consulat qui va porter la révolution conservatrice et tenter d’abolir toutes les "servitudes" qui entravent le libre marché.
Dans ce triumvirat, il y a d’abord et avant tout la Maison-Blanche, qui, comme Bonaparte, a la réalité du pouvoir avec un Congrès et un Sénat quasiment à sa main. Trump est maintenant débarrassé des "adultes" qui l’encadraient dans son précédent mandat et il va vouloir aller jusqu’au bout de son pouvoir. Il s’agit ensuite de J.G. Roberts, le chef de la Cour suprême, qui, de par sa composition, peut légitimer n’importe quelle foucade du président des États-Unis. Elle va protéger la "révolution" et produire de la norme conservatrice totalement déterminante pour s’attaquer à l’État de droit grâce au droit.
Enfin, le troisième pilier, c’est E. Musk, le milliardaire le plus riche de l’histoire de l’humanité. Il vient de décupler sa fortune à l’occasion de l’élection du président américain. Ce qu’il a gagné depuis lui permettrait déjà de rentrer dans le top 10 des plus grandes fortunes du monde, c’est dire. Il s’est à ce point inséré dans la vie personnelle et politique du président qu’il en a construit un lien quasi fusionnel, une sorte de Trump-Musk. Le président républicain est fasciné par la réussite financière d’E. Musk, par son insolence, son inventivité. Trump, vieillissant – cela était visible à Notre-Dame –, s’accroche à l’énergie de son réacteur Musk.
C’est une hybridation inédite, sans les habituelles médiations, entre l’État et l’oligarchie financière. Elle sera demain source de confusion d’intérêts. Il y a, et il y aura bien sûr, à terme des tensions entre la légitimité présidentielle et celle de la puissance financière. Trump se rassure en disant que Musk ne le trahira pas puisqu’il ne peut se présenter à la présidence des États-Unis. Mais E. Musk ne vise pas le pouvoir terrestre, mais le pouvoir sur les âmes, le pouvoir d’influence qui permet de régner grâce à son réseau social. Et ça, Trump ne le tolérera qu’un temps. Attendons de voir, pour l’instant cette alliance est devenue alliage, même s’il reste des sujets où l’identité de vue entre libertariens et conservateurs nationaux populistes n’est pas évidente.
Trump a nommé Musk, sans avoir besoin de passer par le Sénat, au poste stratégique de la réduction du pouvoir fédéral, c’est-à-dire à la tête de la "commission pour l’efficacité gouvernementale". Ce Crésus des temps modernes, après avoir modifié l’algorithme de son réseau social lui permettant un impact décisif, a déjà agi dans plusieurs directions.
D’abord le budget, entraînant Trump dans une épreuve de force au Congrès avec les démocrates, à la limite du "shutdown", pour obtenir que les priorités du républicain soient d’ores et déjà intégrées dans la loi de finances américaine. Dans le même temps, il s’est attaqué, pour l’exemple, à une agence américaine, le GEC, de 120 salariés qui lutte contre la désinformation. Musk l’accusait précisément de désinformation, empruntant à l’extrême droite française la théorie de la "réinformation". Du jour au lendemain, privée de financement public, elle va devoir fermer.
C’est tout à la fois l’offensive contre le "mille-feuille administratif" de Washington et le premier avertissement à la presse, dont le "contre-pouvoir" est dans le collimateur du triumvirat trumpien. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’appel de Musk à boycotter Wikipedia, jugé "trop woke". Enfin, la première fortune du monde, et de loin, a décidé de financer les partis d’extrême droite en Europe, d’abord N. Farage en Grande-Bretagne, puis l’AfD en Allemagne. Il y a évidemment une volonté de déstabilisation avant l’offensive pour les deals au profit des États-Unis, mais aussi l’application d’une volonté de privilégier tout ce qui concourt aux nations contre l’ennemi multilatéraliste "source de guerres et bridant la puissance américaine", aurait dit Trump.
Les yeux doux du président américain pour la cheffe du gouvernement italien Meloni procèdent de cette volonté de deal inter-nations et de la nécessité d’affaiblir l’Europe en la divisant. "Mister Deal" se met en situation vis-à-vis des pays européens dont il espère bien pulvériser les lignes de défense en obtenant des accords privilégiés aux conditions américaines.
Alors, légitimé en interne par la Cour suprême, libéré par l’absence de toutes tutelles à la Maison-Blanche, et étayé par la puissance financière de Musk, ce trois-en-un est uni dans un "délire" anti-progressiste.
Tout est en place. Le 25 janvier, les rafles de migrants vont commencer, l’offensive contre la presse va s’engager, la guerre commerciale va débuter. Bienvenue dans l’ère de l’illibéralisme qui commence.
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3. Et si l'avenir de l'Europe venait de Serbie
De gigantesques manifestations, principalement de jeunes étudiants et lycéens, soutenues par des enseignants, des professeurs, des artistes, des agriculteurs et l’intelligentsia serbe. Voilà un quart de siècle, depuis la chute de Milosevic, que l’on n’avait vu cela en Serbie. Le mouvement, qui s’est durci avec l’occupation des facultés et des lycées, a été déclenché par la catastrophe intervenue à Novi Sad en Voïvodine où l’effondrement d’un haut vent à la gare, le 1er novembre, dans la deuxième ville de Serbie, a fait 15 morts. Chaque manifestation commence par 15 minutes de silence en mémoire des 15 victimes, puis les slogans fleurissent, principalement : "Lutter pour la loi et la justice sans abus de pouvoir ni corruption."
Comme souvent, un drame a cristallisé un mouvement plus profond contre le président Aleksandar Vučić, son régime corrompu et la dérive de plus en plus autoritaire de celui-ci. La jeunesse pro-européenne, à travers cette protestation, conteste la restriction des libertés démocratiques. C’est un lointain écho aux mouvements à l’œuvre en Géorgie, Moldavie, Bulgarie et Roumanie, où se joue la ligne de démarcation entre l’Europe et la Russie. Il est à remarquer que ces peuples, et principalement leur jeunesse, n’en appellent pas aux États-Unis mais à l’Europe. Pourtant, l’Europe a joué un sale tour à la Serbie en confortant le président autocrate avec l’accord sur l’exploitation du lithium.
Le projet Jadar visait à alimenter l’Europe avec ce matériau rare, nécessaire à la construction de piles pour les voitures électriques. L’extraction du lithium, contrariée en Europe par les mesures écologiques de l’Union européenne, trouve ici un moyen de contourner les normes environnementales. Mais les Serbes ne l’ont pas entendu ainsi. Des manifestations ont éclaté à Loznica, dans l’ouest du pays. Elles ont rapidement pris de l’ampleur au point que le gouvernement serbe a dû retirer le droit d’exploitation à une société anglo-australienne, à la suite d’une puissante manifestation à Belgrade. Puis, quelques semaines plus tard, l’État a à nouveau autorisé l’exploitation du gisement à ladite société, provoquant une vague de protestation sans précédent.
Les demandes de justice et de lutte contre la corruption actuelle sont à mettre en relation avec ce précédent mouvement contre "la colonisation de la Serbie", comme le disaient les manifestants. Il faut dire que la Serbie est aussi la porte d’entrée des investissements chinois, qui font de ce pays une place forte de la Chine en ce domaine. On le voit, il y a dans les manifestations de ces dernières semaines bien autre chose qu’une simple demande de justice : c’est le modèle européen qui est plébiscité par la jeunesse serbe.
Pour la première fois depuis la "Révolution orange" en Ukraine, la jeunesse descend dans la rue pour l’idéal démocratique européen et ébranle un régime illibéral soutenu par la Russie et la Chine, et pas trop aidé, il faut le dire, par Madame Von der Leyen. Dans cette époque dominée par la vague nationale-populiste et l’installation de régimes illibéraux, ceci est une hirondelle qui pourrait faire le printemps.
Il serait temps que les sociaux-démocrates européens répondent présents à l’appel de la jeunesse serbe, car c’est aussi là-bas que se jouent l’avenir et le renouveau du dessein européen.
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4. La rupture totale avec l’Algérie
Le énième échec d’E. Macron en politique étrangère a beaucoup plus de conséquences pour la France que les autres. Il s’agit de la rupture totale entre Alger et Paris. Si l’arrestation de Boualem Sansal en est la manifestation la plus visible, l’histoire un peu délirante, il faut bien le dire, contre la DGSE, qui serait responsable d’une opération clandestine pour la déstabilisation de l’Algérie, est d’un autre registre.
Dans la politique des "signes" que les dirigeants algériens affectionnent, il s’agit d’indiquer que la confiance entre les "services" n’est plus. C’est une manière de mettre fin à la coopération sécuritaire entre les deux pays, qui a été constante malgré les brouilles et les prises de bec régulières entre eux.
Les conséquences sont plus graves pour la France, voire l’Europe, que pour l’Algérie. Certes, la France a quitté militairement le Sahel, comme la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, mais elle y a toujours des intérêts. Et l’Algérie a une parfaite connaissance des réseaux djihadistes de ces pays, pour parfois les fréquenter. Cette mauvaise humeur touchera aussi les contrôles des flux migratoires, pas en Algérie même, mais en Tunisie ou en Libye. Enfin, la coopération qui avait porté ses fruits en France même, où les réseaux dormants terroristes ont pu être maîtrisés grâce à cette entente.
La quiétude des Jeux olympiques a été en partie due à cette bonne relation, ainsi qu’à celle avec le Maroc. On aurait tort de prendre cette brouille comme une manifestation folklorique d’une ancienne colonie tenaillée par une mémoire nationaliste. On est passé de la brouille à la franche hostilité. L’Algérie était hostile à la France par nature, par tradition historique, mais il s’agissait d’une "mésentente cordiale".
Elle s’est sentie non seulement trahie par le retournement français sur le Sahara occidental, mais elle y a vu, pour le coup, une tentative de déstabilisation. On a du mal à comprendre comment l’exécutif a pu être à ce point antidiplomatique pour en arriver là. Les intuitions présidentielles en politique étrangère auront été une catastrophe. Elles relèvent plus de "Rantanplan" que de Talleyrand ou Kissinger.
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5. La Relève
Chaque semaine, je dresse le portrait de la Relève au PS. Il s'agit de la quinzaine de personnalités qui feront le nouveau Parti Socialiste. Après Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Philippe Brun, Erika Bareigts, c'est le tour de Boris Vallaud.
Boris Vallaud - Un destin contrarié
Voilà un politique que tout le monde vante mais qui interroge tout le monde. Comment tant de talents n’arrivent-ils pas à s’imposer ? Avec moins de qualités, son camarade de promotion de l’ENA est pourtant déjà président de la République. L’homme se présente toujours sérieux, pour ne pas dire austère, mais les cheveux en pétard : c’est sa touche rebelle. Cette coiffure volontairement en désordre sur un corps immobile, impeccablement mis, avec ses yeux bleus qui bougent en tous sens, lui donne l’apparence du hibou.
Le petit hibou de la politique ? Comme Marco Verratti a été celui du foot : milieu récupérateur, taclant et ressortant proprement les ballons pour délivrer des passes lumineuses. Un des meilleurs, qui ne sait jamais s’imposer comme le patron sans que l’on sache vraiment pourquoi. On pourrait croire le député des Landes dans cette catégorie-là. À moins que ce soit une chouette, la chouette de Minerve, celle de Hegel, qui prend son envol au crépuscule. Ce retard pris par la conscience sur l’action, c’est peut-être cela le secret d’un destin contrarié : la tendance à se déployer une fois achevée une séquence de la réalité. Vallaud attend le crépuscule pour donner sa pleine mesure.
Nous venons peut-être d’en avoir un aperçu. Il fallut la crise de la chute du Gouvernement Barnier pour qu’il s’impose comme "l’autre voix" du PS, esquissant le chemin d’un gouvernement républicain qu’Olivier Faure eut tôt fait de lui dérober pour le canaliser à son compte et éviter que le député des Landes ne s’y déploie.
Le secret de "Boris" est-il là ? Un rapport distancié à l’histoire plutôt que la passion de notre époque pour l’immédiateté. Elle fut certainement acquise dans l’enfance, en sa famille où le père est historien, directeur d’une maison d’édition, et sa mère agrégée d’histoire. On peut dire que le temps long s’est penché sur son berceau. L’homme aime être en retrait, par timidité peut-être, par pudeur sans doute, certainement par refus d’être sous le joug de l’événement.
C’est une explication. En tout cas, son parcours est sans faille pour cet enfant de la République né à Beyrouth : Sciences Po, ENA. Il y eut la promotion "Voltaire", celle de François Hollande, Ségolène Royal, Michel Sapin ou Dominique de Villepin, etc. Il y a la promotion "Senghor", celle d’Emmanuel Macron, Boris Vallaud, Gaspard Gantzer, Mathias Vicherat ou Amélie Castera, etc.
Fort de son brevet de l’aristocratie républicaine, il s’engagea dans la carrière de l’État, qui le mena au secrétariat de la préfecture des Landes avant de devenir secrétaire général adjoint de la Présidence de la République. Mais c’est dans les Landes qu’il rencontra vraiment la politique, en la personne d’Henri Emmanuelli.
Comment ces deux-là se sont appréciés ? Nul ne sait. Tous deux handicapés à la main droite depuis l’enfance, ce qui doit produire des systèmes de défense, de résilience et peut-être ainsi de reconnaissance. Toujours est-il que l’impétueux ancien président de l’Assemblée nationale jeta son dévolu sur le jeune technocrate Vallaud et n’eut de cesse que de le faire venir dans les Landes, où ce dernier avait quelques attaches familiales.
Henri Emmanuelli, l’homme du "coup de barre à gauche" lorsqu’il fut Premier secrétaire du PS, tout en demandant à Jacques Delors d’être candidat à la présidentielle lors du fameux congrès de Liévin. Lui-même candidat, il sut se retirer avec panache pour que Lionel Jospin puisse s’imposer.
Emmanuelli donc, l’autre grande figure des Landes, "l’anti-Frédéric Bastiat", cet élu de 1849, pape du libéralisme, inspirateur de Thatcher, Reagan, Hayek ! Emmanuelli ne l’aimait pas. Il disait : "Bastiat était un fieffé libéral, il servit les puissants, mais il a sa statue. Ce n’est pas à moi que cela arrivera."
Si la Gauche du PS est toujours orpheline de cette grande figure qui ne s’est jamais laissé compter par Mélenchon, qu’il avait fréquenté lors de quelques congrès, si le combat contre le libéralisme économique est toujours à renouveler, voire reformuler, "Henri" a sa statue et même son mémorial à Laurède dans les Landes. Alors, Boris Vallaud, héritier ?
Cela en a l’apparence, puisqu’il hérita de la 3ᵉ circonscription des Landes, celle de son ombrageux mais réaliste et, somme toute, attachant prédécesseur. Une circonscription en or, dit-on, arrachée quand même, en son temps, à la droite, dans un terroir de rugby, rude et loyal, fait de tradition et de respect.
Mais Vallaud n’est pas que cela. Il s’est opposé à la déchéance de la nationalité pour les binationaux (son mariage avec la ministre Najat Vallaud-Belkacem y est peut-être pour quelque chose). Et surtout, il refusa le cours libéral de la loi Macron sur l’économie, ayant décliné l’invitation à être son directeur de cabinet à Bercy. Mais il refusa tout autant de s’inféoder à un autre ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg, qu’il fréquenta professionnellement un temps.
Une forte tête donc, comme son mentor. Mais son chemin sera celui d’un parlementaire qui aime les "faenas" des débats, comme il aime celles des corridas, même s’il ne le montre pas. C’est une culture aujourd’hui fortement décriée. Qui n’a pas écouté la Peña Baiona ou les bandas des ferias à 5 h de l’après-midi, entre ombre et soleil, ne peut comprendre. Elles firent fondre en larmes l’assistance lors de la cérémonie des obsèques de H. Emmanuelli. Les yeux rougis, Boris Vallaud se tenait au premier rang à deux pas de Benoît Hamon, candidat à la présidentielle, effondré. Résonnait encore l’ultime et prémonitoire jugement d’Emmanuelli à son endroit : "Campagne écologiste, score écologiste." Qui n’a pas vu toréer entre les cornes ne peut comprendre la fierté et l’humilité des Basques. Qui n’a pas retenu son souffle "à recibir" pour l’ultime moment ne peut comprendre cette culture où la mort est centrale et ancestrale.
C’est une école du courage et explique aussi le sérieux de notre personnage. Et on ne peut regarder Boris Vallaud sans savoir qu’il est enraciné dans une culture qui l’a aussi façonné. Il succède à O. Faure à la présidence du groupe socialiste, mais là encore pas de suite, en prenant son temps. Il était pourtant auréolé de sa victoire dans ce moment de reflux socialiste et lesté de son bagage élyséen, dernier vestige des splendeurs socialistes. Dans l’histoire du PS, la présidence du groupe a toujours été déterminante, de Léon Blum à Gaston Defferre, de Pierre Joxe à Martin Malvy, de Jean-Marc Ayrault à O. Faure. Depuis quelque temps, le nom du député des Landes revient comme un possible successeur à la direction d’un parti socialiste traversant une crise d’identité. Il avait fait des pas discrets, en ce sens, pendant les Européennes, allant de l’un à l’autre sans se découvrir, indiquant seulement sa disponibilité. O. Faure s’en était inquiété au point de le battre froid et même d’envisager Valérie Rabault, qui pourtant ne l’aime guère, pour tenter de le remplacer, mais elle ne sera pas élue. La dissolution et surtout une poussée de l’extrême droite dans sa circonscription le menaçant l’ont, un moment, distrait de cet objectif. Dans la galaxie des prétendants, il a une situation de choix : s’il s’avançait, il ruinerait définitivement les espoirs de Faure d’être réélu. Car il rejoindrait P. Kanner, président du groupe au Sénat, dans l’opposition au premier secrétaire. Et il enverrait un signe à nombre de parlementaires qui professent un anti-mélenchonisme sous le manteau. Pour l’instant, il se veut le trait d’union entre les deux PS, empruntant l’union de la gauche aux uns et le refus de la mélenchonisation des esprits aux autres. Il faut dire qu’il a dû supporter en silence la proximité quotidienne des Insoumis hégémoniques et leurs foucades radicales. Être le trait d’union, vouloir éviter une guerre des roses fratricide dans un moment incertain pour la France, cela n’est pas maladroit.
Mais à un moment, il faudra être candidat, dire pourquoi et contre qui. À moins bien sûr que le crépuscule ne soit pas encore là, pour s’envoler
La semaine prochaine J. Guedj