1. Les leçons des 12 jours qui ébranlèrent le Monde ;

2. Pourquoi Faure a décidé la censure ?

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1. Les leçons des 12 jours qui ébranlèrent le Monde

Dans l'excellent film de Denys Arcand "la fin de l'empire américain", les mêmes événements relatés par des hommes et des femmes sont à ce point différents qu'il est impossible de trouver la vérité. C'est la parabole de la décadence de l'empire : il n'y a plus une vérité qui unisse, juste une succession de récits auxquels on est libre d'adhérer ou pas.

Mais, il n'est pas interdit de tirer nos leçons de la guerre des 12 jours.

Ce récit va à l'encontre du "SuperTrump" marchant sur l'eau que les néo-conservateurs de tout poil veulent nous vendre non pour son génie difficile à prouver mais par détestation des Suds.

L'ÉTAT DU MONDE

En 2003, les États-Unis envahissaient l'Irak au nom de l'existence d'armes de destruction massive pour le moins fictives. Poutine s'est engouffré dans ce précédent en Géorgie et en Ukraine. Les États-Unis avaient au moins tenté de passer par le Conseil de sécurité. Poutine ne s'est pas embarrassé de cela, comme la Russie de Brejnev avant lui en Afghanistan. Depuis, Netanyahou puis D. Trump ont unilatéralement décidé la guerre et de frapper l'Iran. Ces décisions hors du droit international étaient hier l'apanage des dictatures comme un vulgaire S. Hussein envahissant le Koweït. L'alignement des démocraties sur ces méthodes ne les renforce pas et rend le monde un peu moins sûr. Il est de bon ton de brocarder l'État de droit et proposer le recours à la force au nom du réalisme. Nous pensons toujours avec Blaise Pascal que devant la difficulté "de faire que ce qui est juste fût fort, on doit faire que ce qui est fort soit juste". Sinon, au nom de quoi condamner l'intervention russe en Ukraine, l'Azerbaïdjan en Arménie, et demain de la Corée du Nord contre la Corée du Sud, les États-Unis au Panama, au Groenland, au Canada, ou encore ce qui va venir suite à ces précédents : la Chine contre Taïwan. F. Mitterrand fut attentif jusqu'à la dernière seconde sur la question de la frontière entre l'Allemagne et la Pologne lors de la réunification. Le droit est source de paix car il contraint à la négociation. S'en émanciper, c'est déjà mettre un pas dans la guerre de tous contre tous. La condamnation par le Japon de l'intervention américaine en Iran est illustrative que ce pays mesure les conséquences de ce précédent. Rafael Grossi, le patron de l'AIEA, disait mercredi soir sur la chaîne LCI : "Il serait malhonnête de dire que l'Iran avait ou préparait la bombe." Il ajoutait que les Iraniens avaient enrichi l'uranium au-delà du seuil civil. Il poursuivait devant un Darius Rochebin héberlué par cette révélation, les éléments épars étaient en possession des autorités iraniennes pour faire plusieurs bombes, mais la miniaturisation n'était pas là. Bref, l'Iran voulait la bombe mais il ne l'avait pas encore. Pour autant, l'Iran ne devait pas avoir la bombe pour des raisons évidentes mais pour monsieur Grossi, la négociation diplomatique était la plus adaptée suite à ses inspections auxquelles les autorités iraniennes ne s'étaient pas opposées. La communauté internationale avec Kerry, Lavrov et Fabius avait obtenu un traité de contrôle nucléaire duquel Trump était sorti déjà sous la pression de Netanyahou. Israël a décidé de frapper pour des raisons politiques plus que par une urgence nucléaire, sachant qu'à terme l'objectif de l'Iran était bien le feu nucléaire pour rayer l'État hébreu de la carte ou mener ses actions de guerre sous la protection de cette arme. Cela est clair depuis la Révolution islamiste de 1979.

Je suis toujours perplexe de la fascination jubilatoire de nos plateaux télé devant la force, refusant de voir les conséquences pour le monde, oubliant que des femmes et des hommes meurent sous les bombes en Iran et en Israël. La guerre n'est pas un jeu vidéo. On ne peut exiger un monde régulé sur le plan commercial et applaudir sa dérégulation militaire et diplomatique. Le monde s'arme et va s'armer de plus en plus face à ces précédents. Cela est inéluctable et par certains côtés souhaitable mais en ayant en tête qu'il n'y a pas d'exemple de militarisation nationaliste n'ayant débouché sur la guerre. Et le réarmement par exemple de l'Allemagne va nécessiter un dialogue musclé sur ce que ce pays ami va faire de la manne financière qui s'abat sur l'industrie militaire mais pas seulement. Le monde ancien déjà chahuté sur son multilatéralisme et de la rhétorique de l'État de droit vient d'être définitivement ébranlé. De nouveaux acteurs veulent le faire turbuler.

LES ÉTATS-UNIS 

Donald Trump a abdiqué devant Poutine et Netanyahou. D’un côté, il n’a pu faire entendre raison au maître du Kremlin après lui avoir tout lâché. Il a surestimé sa puissance vis-à-vis de la Russie et sous-estimé la résistance du peuple ukrainien, l’intelligence politique de son chef. Alors il se retire, laissant la guerre filer, se contentant de maintenir le minimum, c’est-à-dire le renseignement de l’Ukraine. À cette étape, la menace russe lui sert à "tenir" les Européens dans une dépendance de son industrie d’armement et sa présence tient en respect la Russie. Sur le front israélo-iranien, le président américain fut mis devant le fait accompli par B. Netanyahou. Si ce dernier a déclaré la guerre à l’Iran, c’est pour sortir du corner où il s’était mis par le massacre des Gazaouis qui d’ailleurs continue. Trump décida des frappes ciblées sur les sites d’enrichissement du nucléaire iranien non en tant qu’allié d’Israël mais pour tenter de se rétablir comme suzerain. Et s’il y a quelque chose à reconnaître, c’est ce rétablissement. La frappe américaine servait à cela. Elle fut à ce point ciblée voire téléphonée que l’on doute maintenant de son efficacité. Vouloir la paix par la guerre n’était pas seulement un oxymore mais nécessitait une acceptation réciproque entre l’Iran et les États-Unis sur l’ampleur des dégâts. L’objectif des USA était de retarder ou tout du moins contrarier le programme nucléaire iranien. Mais, les États-Unis qui sortent d’une défaite en Afghanistan ne pouvaient aller au sol pour renverser le régime ni se lancer dans une longue campagne de bombardements. Et puis Trump s’était engagé à terminer les guerres, pas à les commencer. Nous avons donc assisté à ce que j’appelle des "bombardements téléphonés". Les Iraniens ne savaient pas quand mais ils savaient qu’ils allaient être bombardés. Et la réplique des Iraniens sur la base américaine au Qatar fut du même tonneau. Les Iraniens acceptent le cessez-le-feu pour préserver l’essentiel à savoir au minimum 450 kg d’uranium enrichi et peut-être quelques centrifugeuses en état de marche mais surtout par manque de moyens militaires. Les Soukhoï promis par les Russes n’étaient pas au rendez-vous, vraisemblablement comme les munitions. Et Trump pouvait tordre le bras aux Israéliens. "Qui est-il pour ordonner un cessez-le-feu ?" s’emporta Bernard-Henri Lévy. Mais, la rhétorique de Trump était invérifiable mais signifiait : je n’irai pas plus loin, les sites sont détruits donc opérations conclues. Mais, nous savons tous qu’il y a des centrifugeuses, de l’uranium enrichi et un régime affaibli mais plus que jamais déterminé à obtenir la bombe. Ces deux épisodes "Ukraine – Iran" démontrent au-delà de la dimension foutraque de Trump l’impuissance de la puissance américaine pour paraphraser l’excellent Bertrand Badie. Et ceci comme symptôme de la désoccidentalisation du monde. Être au centre du jeu, ce n’est pas obligatoirement le gagner. La diplomatie d’affichage de Trump n’affiche pas la réalité du monde. Ce n’est que l’écume des choses. C’est peut-être là le sens caché de la guerre des 12 jours. Celle-ci a une apparence, la puissance américaine, mais une réalité, c’est une apparence. Car la Chine, à la fois présente et absente, a marqué des points en renforçant son emprise sur le Sud global. La plupart des pays d’Amérique latine à part l’Argentine ont condamné l’intervention américaine, 57 pays musulmans ont dénoncé l’intervention américaine et exprimé leur solidarité avec Téhéran. Personne en Afrique n’a applaudi et l’Asie a maintenant peur du précédent. Seule l’Inde est restée dans l’entre-deux – ce qui est par ailleurs sa philosophie diplomatique – mais comme le Pakistan a choisi l’Iran, il était urgent pour Delhi de se tenir à distance tout en n’en pensant pas moins. La Chine a incontestablement marqué des points dans l’arène mondiale et ceci sans un mot plus haut que l’autre, évitant même que les faucons des Gardiens de la Révolution ne bloquent le détroit d’Ormuz qui lui est nécessaire. La Russie mobilise les troupes américaines en Europe. L’Iran mobilise une autre partie autour de l’Iran. C’est là le vieil enseignement de Sun Tzu : "Pouvoir abattre son adversaire sans l’avoir affronté est la meilleure conduite." Le 7 et 8 juillet elle sera présente pour le sommet des BRICS au Brésil entourée de la Russie, de l’Inde, de l’Arabie Saoudite, de l’Afrique du Sud, de l’Égypte, des Émirats Arabes Unis, de l’Indonésie, de l’Éthiopie et… de l’Iran. Tous les tweets du monde ne pourront faire oublier que le président américain a un boulet au pied et porte une responsabilité dans la situation au Moyen-Orient. D. Trump a rompu le traité de Vienne du simple fait qu’il avait été signé par Obama, provoquant la dérive de Téhéran qui ne demandait que cela. Cette ânerie pour tenter aujourd’hui de signer un traité identique. Et ceci combiné aux accords d’Abraham qui croyaient pouvoir faire l’impasse sur les Palestiniens et isoler l’Iran et qui a réuni les deux. La guerre des 12 jours dont les conclusions sont pour le moins contestables, comme l’échec de la médiation entre l’Ukraine et la Russie, démontre s’il en était besoin l’impuissance de la puissance américaine et quelque part son lent déclin face à un nouveau monde où le Sud veut maintenant non seulement écrire l’Histoire mais son histoire.

ISRAËL

Netanyahou n’a réussi aucun des objectifs qui furent les siens dans l’attaque de l’Iran. Si ce n’est, et cela n’est pas rien pour le Premier ministre israélien, que le pays a fait bloc avec lui dans l’épreuve et que le monde occidental, qui se détournait, lui accorde le point face à l’Iran. Mais, chacun sait que l’on peut mener une guerre juste contre la République islamique d’Iran sans cesser de conduire une guerre devenue injuste à Gaza. Et le cessez-le-feu va le ramener à cette plaie ouverte à l’aine du gouvernement d’extrême droite israélien. Les images terrifiantes de ces processions de gens affamés se dirigeant vers les centres de distribution lorsque la sirène retentit pour avoir rendez-vous avec la mort vu les débordements ne vont pas être acceptées bien longtemps.

Sinon le guide Khamenei est toujours vivant, il n’a pas capitulé, il se permet même à peine sorti de sa cachette de dire « même pas mal », son régime est tout autant en place, le but de celui-ci avec ses déclarations attestent de ses intentions : « les sionistes agissent comme les chiens de garde de l’arrogance de l’Occident » ou « la tumeur cancéreuse appelée Israël doit être éradiquée de la région ». Le programme nucléaire iranien a été endommagé mais pas détruit. Et plus embêtant, la colère de Trump devant les bombardements israéliens hors cessez-le-feu a vu un Netanyahou penaud et petit garçon. Pour se faire pardonner, le gouvernement israélien a donné son blanc-seing dès mercredi : les bombes ont bien mis hors de nuire la machine nucléaire iranienne. Oubliant un peu vite avoir déclaré la veille qu’il faudrait du temps pour savoir.

Netanyahou a gagné du temps et tous ceux qui pensaient en Israël gagner par KO en sont pour leurs frais. Les problèmes sont entiers.

Mais, c’est surtout la doctrine Netanyahou qui est mise à mal.

Cette doctrine est un triptyque.

D’abord ce qu’un universitaire israélien appelle le politicide. C’est-à-dire que les Palestiniens peuvent exister en tant qu’individus mais pas avoir un État. On leur dénie donc toute citoyenneté. Cette rhétorique s’appuyait sur le fait qu’un État serait soutenu par l’Iran qui va avoir l’arme nucléaire. Non seulement ceci n’est plus à l’ordre du jour car Israël ne peut pas dire « nous n’avons rien obtenu ». Mais, la démonstration a été faite : si c’était le cas, Israël et/ou les USA pulvériseraient cette possibilité. Dans ces conditions, l’argument a moins de force et la question d’un État palestinien va revenir avec force.

Ensuite la sécurité par la puissance, ce thème de la sanctuarisation, déjà entamé par le terrible 7 octobre et les prises d’otages, vient de toucher ses limites avec les missiles s’abattant sur Tel Aviv, faisant des morts israéliens en Israël pour la première fois dans une guerre hors attentats terroristes.

Enfin, le troisième volet réside dans l’idée qu’Israël n’a besoin de personne pour se défendre. Force est de constater sans le soutien américain en général et l’intervention américaine sur le site de Fordo en particulier, Israël ne s’en sort pas. L’appel du très néo-conservateur « Jerusalem Post » aux Américains pour « finir le travail » par une partition de l’Iran est illustratif des limites de la seule puissance israélienne. La guerre des 12 jours comme l’horreur à Gaza ont mis à jour les failles stratégiques de Netanyahou. La Pax Hebraica dans un grand Israël pour sa sécurité ne peut plus être portée devant l’opinion mondiale et petit à petit en Israël même. Et celle-ci n’est pas dans le logiciel de Netanyahou au moment où son procès va s’imposer et où circulent des bruits d’une proposition des États-Unis de 30 milliards de dollars à l’Iran pour développer son nucléaire civil.

LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE D’IRAN

Le régime théocratique chiite ne tient qu’à un fil. Le fait que le guide, l’ayatollah Khamenei, soit parti se cacher sous les bombardements a fait image. Même en sauvant l’essentiel, la mise à mal et pas la mise à bas du programme nucléaire met à mal sans mettre à bas le régime déjà atteint. Le nucléaire militaire est la clé de voûte stratégique des mollahs. Il s’agit de la préservation du premier État islamiste au monde qui fut pour beaucoup — même en étant chiite — dans l’extension de l’islamisme comme fer de lance contre l’Occident et donc Israël. La fatwa contre Salman Rushdie participait de cette vision du monde et de sa conquête.

La déroute du Hezbollah, du Hamas et des Houthis a réduit à néant les prétentions militaires de Téhéran. Quant à l’armée, avec pour seule aviation, ceux que Saddam Hussein avait placés en dépôt en Iran, la rend incapable de supporter un conflit, tout juste capable d’affronter son peuple. Le fait que les commandos israéliens aient pu agir sur le sol iranien en dit long sur la vulnérabilité iranienne. Si le régime a sauvé une partie de son trésor d’uranium, celui-ci va être l’objet de l’attention des négociations et d’une forte pression pour le récupérer car évidemment il peut être monnayé pour d’autres. Supporter des sanctions va être encore moins acceptable, le pays manque de tout et la colère gronde depuis un moment. L’opposition est unie contre le régime mais pas sur les mêmes solutions entre démocrates, monarchistes ou révolutionnaires. Les mollahs ont eu très peur et vont être intraitables sur le maintien de l’ordre. Il y a déjà, en quelques heures, quatre Kurdes pendus sans autre forme de procès. Là encore, les femmes seront en première ligne et auront besoin de notre soutien. L’appel de Netanyahou au soulèvement n’avait aucune chance d’être entendu. Robespierre avait prévenu : « les peuples n’aiment pas les émissaires armés ». Par contre, les bombardements ont marqué le retour du nationalisme iranien y compris dans l’opposition au régime. Ce sentiment profondément ancré dans la culture iranienne depuis Mossadegh, renversé par les Américains en 1953, se distingue clairement de l’allégeance à la République des mollahs. On ne sait pas ce qu'il va produire. En tout cas, le changement déjà initié lors du décès accidentel du président Ebrahim Raïssi, qui ressemblait à un assassinat, va se faire par le haut plutôt que par le bas. La succession de Khamenei est ouverte pour prendre la colère du peuple de vitesse, avec un rôle accru du président élu Pezeshkian qui, lui, était là et a ostensiblement visité les décombres suite aux frappes israéliennes et annoncé devant le peuple la fin du conflit. Mais, la révolution russe de 1905 est la fille de la défaite militaire de la Russie face au Japon. Les ondes de choc sont parfois imprévues. Et dans ces conditions, les changements au sommet sont souvent des appels d’air pour la base.

L’EUROPE

Pauvre et triste Europe, aussi prétentieuse qu’impuissante. Elle fit beaucoup de bruit avec la bouche mais pour accompagner les événements. L’Europe a raté le coche même si la France a joué les intermédiaires entre le secrétaire d’État à la Défense américain et le ministre des Affaires étrangères iranien. On doit reconnaître que Macron a tenté. Friedrich Merz a condamné les massacres à Gaza. Mais, à part cela, l’Europe s’est réduite à sa veulerie lors du sommet de l’OTAN. Le spectacle donné par les nations d’Europe se prosternant devant Trump fut honteux. On aurait pu concevoir une place décisive pour Zelinski qui avait fait face à Trump dans le Bureau ovale. On lui a demandé d’être passe-muraille au point de lui suggérer un dress code convenable car il choquait sa majesté Trump Ier : « cachez ce sein qu’on ne saurait voir ». Il fallait tout faire pour Trump, qui menace le Groenland et veut faire la peau à l’industrie automobile européenne, voit son ego démesuré satisfait. Le président américain fut choyé, chouchouté, encensé comme une starlette dont on redouterait les caprices. Poutine prophétisait au lendemain de l’élection du président américain « des caniches qui viendront se coucher aux pieds de leur maître ». Ce fut pire ! Trump est venu percevoir son impôt de guerre. Car l’augmentation des dépenses militaires n’est que le levier pour l’achat de matériel américain, alors que l’Europe aurait tant besoin d’investir dans ses industries de défense. On imagine le général de Gaulle ou F. Mitterrand devant de telles exigences, un tel chantage à l’article 5. On avait honte de la flagornerie de Rutte à l’égard de l’empereur d’opérette. Trump ne quittera jamais l’OTAN car il doit vendre son matériel militaire. En tout cas, il ne fallait pas rentrer dans ce chantage. Quand ne plus soutenir Zelinski qu’il méprise, une majorité de citoyens américains le réprouve. Et il est d’ailleurs déjà sur le bord de la route mais ne peut laisser Poutine arriver jusqu’à Kiev car ce serait pour lui l’obligation de s’engager, ce dont il ne veut sous aucun prétexte. Pedro Sanchez a sauvé l’honneur estimant qu’il n’irait pas à 5 %, comme la Belgique d’ailleurs. Les autres ont usé d’un artifice lamentable : 2,5 % d’augmentation des dépenses militaires et 1,5 % de dépenses annexes de sécurité intérieure. Le président s’en contentera bruyamment : pour lui, l'essentiel est que les Européens achètent américain avec le contrat de contrôle qui accompagne l’achat. La séquence nous aura beaucoup appris sur le basculement de l’Histoire. Mais, surtout sur les Européens décidés à être les nains du nouveau monde. Le tout sous les applaudissements des experts se gaussant en rond devant le cynisme réussi des chefs d’État. En voyant tant de courbettes et autres carpettes, j’ai pensé au film « La mort de Staline » d’Armando Iannucci où le bureau politique rivalise de soumission à Staline mort dans la détestation de chacun derrière des sourires convenus. Comment voulez-vous que les peuples d’Europe consentent à des sacrifices pour la défense en voyant leurs gouvernants sans colonne vertébrale ? Comment voulez-vous que l’Europe conteste l’hégémonie américaine dans l’économie numérique, qui sera le monde de demain, en se pensant déjà colonie ? Nous payons doublement la note : celle des dividendes de la paix et l’addition de la guerre qui vient et dont les Américains peuvent se laver les mains. Pourtant cette guerre des 12 jours démontre que le monde en gestation, pour dangereux qu’il soit, offre la possibilité d’en être acteur.

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2. Pourquoi Faure a décidé la censure ?

Pour ceux qui ont écouté le discours final du congrès de Nancy de O. Faure, cela était cousu de fil blanc.

Le coup à « Gauche toute » initié par le premier secrétaire du PS était tout à la fois une réparation symbolique pour avoir mis au centre du congrès la rupture avec Mélenchon, et une nécessité tactique pour ne pas laisser de place à gauche à Mélenchon alors que se profile le rendez-vous du 1er juillet de L. Castet pour « la primaire » à laquelle LFI ne se rendra pas. Car si Faure se détermine par rapport à la tactique, il lit parfaitement dans le jeu de J.-L. Mélenchon. Ce dernier a tout à la fois demandé aux formations de gauche, suite à l’échec du conclave sur les retraites, de voter la censure, et annoncé par la voix de Mathilde Panot que les insoumis ne participeraient pas à la réunion du 1er juillet où Lucie Castet – M. Tondelier se propose de jeter les bases de la primaire non mélenchoniste. O. Faure ne voulait pas se présenter mardi 1er juillet dans ce raout en défendant la non-censure alors que les « partenaires », sous la pression du mélenchonisme, y seraient favorables.

Mais, pas seulement, il s’agit aussi de l’effet de l’absence de majorité absolue pour le 1er secrétaire dans les instances du PS où B. Vallaud exerce son autonomie. (Résultat définitif du vote du CN : Faure 144 voix, Vallaud 52, Rossignol Geoffroy Brun Bouamrane 110. La majorité absolue est à 154 voix.) Et le patron du groupe avait une censure rentrée à travers la gorge. Ce faisant, il a mis la pression sur Faure qui penchait en ce sens. Notons que si le groupe a signé à l’unanimité la motion de censure, seul F. Hollande a énoncé son doute. Le texte se prononçant pour ladite motion de censure a été publié sans l’aval du texte d’orientation C. Le premier secrétaire n’ayant pas réussi à joindre N. M. Rossignol, c’est ballot quand même.

Voter la censure pour une question morale, F. Bayrou n’a pas respecté sa parole, n’était ni juste ni audible. Bayrou-Retailleau sont grandement responsables de la situation désastreuse du pays. Nous allons y revenir. Mais, le blocage pour un accord était le patronat sur la pénibilité. Le patronat a littéralement disparu de la rhétorique de la gauche, même la plus radicale. Pourtant ce dernier est pour la flexibilité sauf dans les relations sociales. On ne peut construire une démocratie sociale avec une telle rigidité. Un PS vraiment de culture réformiste aurait dû immédiatement proposer une PPL sur les positions de la CFDT. Mais, perdu dans son jeu tactique, Faure a laissé Bayrou reprendre la main, gagner du temps et se prévaloir d’un compromis possible des acteurs sociaux. Un comble pour un gouvernement qui a définitivement mis le pays à genoux. L’endettement s’élève à 3345,8 milliards. C’est-à-dire 114 % du PIB et une évolution de 40,5 milliards depuis que F. Bayrou gère le pays. Ce qui porte à 58 milliards le paiement des intérêts de la dette, étranglant littéralement le pays. Et ceci alors que la croissance est tragiquement préoccupante. Nous sommes passés de 1 % de prévision de croissance à 0,9 puis 0,7 et on évoque maintenant dans les couloirs de Bercy 0,6. C’est dire le fiasco et agiter le respect de la parole donnée est dérisoire au regard du drame que vit la France. Nous allons au crash et à un plan d’austérité renforcé. Et mettre au centre le RN tout en remettant en selle Bayrou et en tournant le dos à la CFDT était pour le moins malvenu.

Je vous ai dit que les jours du 1er ministre étaient comptés. Il dépend entièrement du bon vouloir de l’extrême droite. Et le vote intervenu le 26 juin à l’Assemblée nationale où l’interdiction de l’exécution immédiate de peine d’inéligibilité présentée par E. Ciotti a été repoussée par 185 voix contre 120 indique le chemin recherché par Marine Le Pen : la dissolution pour obtenir une majorité votant cette loi ou une amnistie. Il lui faut le faire sur des sujets compréhensibles pour les Français, c’est-à-dire le budget ou l’énergie. Une manœuvre désespérée qui, au passage, tend à faire pression sur la justice, n’a que peu de chances de se réaliser. Il est fort peu probable en effet que le président de la République mette une deuxième fois les doigts dans la prise d’une dissolution ; il nommera plutôt son ministre de la Défense Sébastien Lecornu. À moins d’un effondrement total de nos finances d’ici là et la nécessité d’en appeler au pays. Tout indique que l’Élysée ne verrait pas d’un mauvais œil l’éviction de F. Bayrou et souhaite pousser la crise financière devant lui jusqu’au terme de son mandat. Elle sera ainsi au cœur de la prochaine présidentielle et pour le moins explosive si vous mettez en plus l’effort budgétaire de la défense.

La censure pour convenance de primaire à gauche ne s’imposait pas. Elle ridiculise le PS si Bayrou va au terme de sa manœuvre. En tout cas, elle ne prospérera pas. Elle indique tout au plus que Tondelier, Faure, Ruffin sont tombés dans une autre forme de dépendance vis-à-vis de Mélenchon : ne pas lui laisser d’espace à gauche. Pourtant la situation politique nécessiterait de rompre avec cette autre forme d’emprise.