1107 Jours de Guerre en Europe

1- Ces procès qui vont décider de l’avenir

2- Rima Hassan défie Karim Bouamrane

3- Le moment Hollande

4- Poutine jubile, mais la Chine triomphe

5- Les leçons de l'extrême droitisation de la droite européenne

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1-Ces procès qui vont décider de l’avenir

Tout le monde joue au rubik’s cube avec le budget, alors qu’il passera au 49.3. Michel Barnier décide seulement de faire dégorger les escargots. C’est le théâtre d’ombres de la vie politique française. Au-delà de la réduction des déficits, l’avenir de la France va se décider dans des procès. Celui intenté au président par la Commission d’enquête parlementaire sur les déficits des finances publiques va marquer la fin du quinquennat d’E. Macron et peut-être l’arrêter. Et ceci d’autant qu’un autre procès, à cette étape de basse intensité, vient de se déclarer sur le port de Beyrouth à l’encontre du président. Écoutons le très renseigné Georges Malbrunot : « Peu après l’explosion du port de Beyrouth, un deal aurait été discrètement passé entre la France et le Hezbollah (...) Macron ne parlerait pas du Hezbollah en échange de quoi le parti de Dieu laisserait CMA-CGM, propriété de Rodolphe Saadé, obtenir le marché de fret du port et de citer le voyage à Marseille du ministre des Transports libanais, affrété par le milliardaire ». Info ou intox, venant de ceux qui voudraient nuire au Président ou à son ami, par ailleurs maintenant propriétaire de BFM. C’est ce qu’on appelle une « mèche longue », dont le lien peut être interprété et le sera. Les « révélations » sur les affaires sont toujours le symptôme d’un pouvoir qui s’affaisse.

Mais un autre procès à retombées politiques occupe les médias : celui des assistants parlementaires européens du FN, aujourd’hui RN. C’est la clé de l’accélération ou non du calendrier politique. Marine Le Pen a décidé de prendre en face le problème. Oui, les assistants européens faisaient de la politique en France, et alors ? Elle semble dire qu’un assistant assiste le député, ce n’est pas un fonctionnaire du Parlement. Il ne fait aucun doute que les assistants ont été employés pour se substituer aux permanents du FN, qui traversait une crise financière. Mais la défense de la présidente du RN vise à nier l’objet sans nier les faits. Son pari est qu’on ne peut administrer la preuve de l’intentionnalité de détourner les fonds publics européens. Ce faisant, son objectif est donc l’acquittement, rien que l’acquittement. On imagine mal, au regard de la jurisprudence des affaires politiques, par quel miracle le RN sortirait vainqueur, c’est-à-dire sans inéligibilité pour la Présidente du RN.

Il ne s’agit pas du quantum en jeu pour la candidate du RN à la Présidentielle. Une condamnation à l’inéligibilité, quelle qu’elle soit, rend la candidature à la Présidentielle ingérable, car elle impliquerait une démission de l’Assemblée nationale pour le temps imparti. Et pour l’éviter, les recours aboutiraient difficilement, en termes d’agenda, après l’échéance présidentielle. Il est hasardeux de tenter l’aventure avec un tel caillou dans la chaussure. Le réquisitoire du Parquet va être déterminant pour Marine Le Pen. Elle saura à quoi s’en tenir, et le délibéré, deux ou trois mois plus tard, en sera la confirmation ou non. La conséquence est simple : acquittée, la route est dégagée. Elle aura le choix des armes pour la suite. Elle usera vraisemblablement jusqu’à la corde le gouvernement Barnier et ses soutiens LR et EPR, donc Wauquiez et Philippe-Attal. La cure d’austérité du gouvernement Barnier lui servira de chasse-neige pour finir son OPA sur la droite classique, commencée avec É. Ciotti. Et Retailleau et sa loi sur l’immigration ne changeront pas la donne ; il ne fera que banaliser l’offre lepéniste en ce domaine.

Dans le cas contraire, d’une condamnation à l’inéligibilité, Marine Le Pen sera entravée par la décision judiciaire, même s’il y a des recours. Alors, la tentation sera grande pour le RN de précipiter les rythmes : faire tomber le gouvernement Barnier, maintenant que le Front républicain a été entamé, puis faire de même avec un gouvernement qui lui serait substitué s’il y a un candidat crédible, vu le bourbier des finances publiques ; et ainsi conduire à une dissolution, gagner les législatives après une nouvelle dissolution pour espérer obtenir, dans une cohabitation de combat, la démission du président ou ralentir le déroulement de l’affaire. L’argument selon lequel le RN ne voudrait pas assumer la gestion des déficits ne tiendra pas face à l’avenir incertain de Marine Le Pen. Il y a certes un plan B avec Jordan Bardella, mais on imagine mal Marine Le Pen jeter l’éponge après une première décision de justice. En tout cas, nous voyons très clairement comment ces « procès », qui ne sont pas de même nature, vont impacter la situation politique française.

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2- Rima Hassan défie Karim Bouamrane

Boniface, à travers un tweet, s’interroge sur Karim Bouamrane, « le muslim d’apparence » et son succès médiatique. « L’Arabe de service » serait, selon lui, propulsé par la communauté juive en raison de ses positions mesurées sur le conflit israélo-palestinien. C’est au fond ce qu’il voulait dire dans ce tweet, qu’il a fini par désavouer. Bouamrane serait le « harki de Netanyahou » parce qu’il défend une solution à deux États, condamne le massacre du 7 octobre, condamne ceux de Gaza, du Liban ou de Cisjordanie, et refuse d’en faire un discriminant communautaire en France. Je ne résiste pas, pour sa défense, à appeler le procureur médiatique E. Plenel à la barre. On ne peut le suspecter de complaisance ; il s’étonne, dans un dernier éditorial visuel de Médiapart, que des « gens intelligents » soient incapables de penser les deux.

L’attitude du maire de Saint-Ouen, de refus de l’embrigadement, serait la manifestation du soutien au gouvernement d’extrême droite israélien, surtout si vous vous appelez Karim, car évidemment, vous êtes assigné à résidence ethnique. Rima Hassan a enfourché le cheval, évoquant un nouvel imam Chalghoumi, suspecté d’être aux ordres de la communauté juive. Éric Coquerel, le député du coin, la soutient. On imaginait que le ténébroso président de la Commission des finances avait, pour le moment, d’autres chats à fouetter. Rima Hassan se déclare prête à faire campagne pour faire battre le maire de Saint-Ouen lors des municipales. La députée européenne exprime un peu tôt le non-dit mélenchonien : faire payer le plus cher possible sa mise à distance dans la gauche lors des municipales, pour lui dégager la route lors des présidentielles.

Évidemment, dans cette stratégie, une autre voix dans ce qu’on appelle la France périphérique représente, pour son hégémonie dans les quartiers, un danger. Ce n’est pas un hasard si Michaël Delafosse ou Lamia El Aaraje ont été, comme Karim Bouamrane, catalogués « Printemps républicain » pour leur laïcité exclusive. Et par voie de conséquence, dans un raccourci campiste, les suppôts de Netanyahou. Il s’agit de rendre illégitime à gauche toute pensée alternative, à partir de trois anathèmes : macronistes, hollandistes et sionistes. Le « MHS » est la tentative de disqualifier le concurrent en en faisant un adversaire, si ce n’est un ennemi. C’est vieux comme la stratégie du Parti Communiste allemand dans les années 30 et son « sus aux sociaux-traîtres ». Le dirigeant trotskiste du POI, Daniel Schapira, qui sert de chaperon à Rima Hassan, pourrait lui expliquer cela en long, en large et en travers : comment Thälmann, le chef du KPD communiste, déclara « Derrière l’arbre nazi se cache la forêt social-démocrate », aidant ainsi les troupes fascistes qui le fusilleront à Buchenwald pour le remercier.

Dans ce moment confus et incertain où la gauche responsable relève la tête, il n’y a aucune raison de se laisser impressionner par ce terrorisme intellectuel. On a encore le droit, à gauche, de penser que la solution là-bas n’est pas la destruction de l’État d’Israël ; de refuser de voir derrière un Palestinien un terroriste qui sommeille ; de ne pas vouloir importer ici le système binaire qui fait des musulmans des sympathisants du Hamas et des Juifs des supporters de Netanyahu. La gauche et le pays ont besoin d’une pensée libre, j’allais écrire laïque. Oui, des libres penseurs qui refusent l’esprit de caserne et la discipline d’une pensée unique à gauche, car c’est le plus sûr moyen d’imposer la victoire de la droite. Soyons insoumis aux Insoumis et pratiquons l’union des bonnes volontés, à la base et dans l’action.

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3. Le moment Hollande

Que l’on aime ou pas l’ancien Président de la République, il reste un redoutable politique. Sa vision du jeu et sa capacité à accélérer en fonction non pas des sondages, mais de l’analyse de la situation politique font souvent la différence. Ce footeux est un renard des surfaces. Ils ne sont qu’une poignée à pouvoir prétendre à la candidature sociale-démocrate à la présidentielle, et il a déjà réussi à se glisser parmi eux. On les compte sur les doigts d’une main : Bernard Cazeneuve, Carole Delga, et les deux nouveaux venus, Raphaël Glucksmann et Karim Bouamrane. Olivier Faure reste en "chasse-patate" comme on dit dans le cyclisme, entre le gros du peloton et l’avant-garde, ayant trop tardé à s’émanciper de Mélenchon et ne sachant s’il doit rejoindre les premiers qui l’ont fait ou rester au chaud au milieu des autres.

Il ne s’agit pas ici de mesurer les qualités et les chances de chacun, mais de constater que Hollande a rejoint le petit groupe médiatique ou sondagier. Si le député de Corrèze a accéléré, c’est qu’il estime que c’est la bonne échappée. L’effondrement du macronisme et l’affaissement du mélenchonisme ouvrent un espace social-démocrate comme solution à la crise politique et à celle de la gauche, car il n’y aura ni candidat commun ni unique du NPF à la présidentielle. Les sociaux-démocrates sont cités comme des « possibles » premiers ministres. Ils enregistrent des succès dans leurs initiatives, ont des chances de gagner le prochain congrès du PS, mais surtout, ils seront les seuls à gauche à pouvoir rassembler une majorité de Français de toutes origines politiques pour battre Marine Le Pen.

Alors F. Hollande lâche ses coups. Il parraine, avec d’autres, la tentative d’une nouvelle direction au PS. Il étrille le bilan d’E. Macron et trouve dans le « je ne suis pas indifférent à la présidentielle 2027 » la formule qui, sans dévoiler ses intentions présidentielles, lui permet de faire le buzz sur le sujet.

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4. Poutine jubile, mais la Chine triomphe

Vladimir Poutine reçoit en Majesté le sommet des BRICS. C’est à Kazan qu’il organise cet axe anti-occidental, celui de « la majorité mondiale contre l’Occident collectif », selon le nouveau catéchisme du Kremlin. La ville est pour les Russes chargée d’histoire : les révoltes paysannes de Pougatchev en 1774 avec la prise de Kazan, mais aussi la ville où Lénine étudia et, enfin, sa reprise héroïque par l’Armée rouge en 1918 contre l’Armée blanche de la légion tchécoslovaque. Poutine n’a pas invité une quarantaine de pays pour un cours d’histoire. Encore que ! Mais pour savourer une apparente maîtrise de la situation qui cache un revirement géopolitique spectaculaire.

Les BRICS sont tous venus, à part Lula souffrant, saluer l’homme qui ne peut quasiment plus sortir de son pays. Pourtant, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, vient en personne visiter Poutine, « l’infréquentable », selon le Tribunal pénal international. Ce qui est un problème en soi, mais manifeste aussi de manière spectaculaire une donnée de la période géopolitique : le monde occidental ne fait plus seul la loi. La preuve, la vieille idée des Russes d’une monnaie commune aux BRICS, rompant avec le dollar, semble acquise.

Et puis, sur le plan militaire, la Russie grignote des territoires kilomètre après kilomètre dans le Donbass. Cela, au prix chaque mois de milliers d’hommes fauchés par la mitraille. Saint-Pétersbourg a bien été construit sur des marais en empilant des cadavres, doit penser Poutine. Les troupes russes, telles les légions romaines en formation de tortues, avancent à marche forcée, cherchant à aller le plus loin possible avant le 5 novembre et l’élection américaine. Le front occidental se fissure, pendant que la Chine – cadeau du nouveau grand timonier – laisse la Corée du Nord enrôler 12 à 15 000 soldats dans le conflit, sans que personne n’y puisse rien.

Une nouvelle affaire de corruption éclate en Ukraine et complique l’appel de Zelensky à la rescousse. L’approvisionnement de l’industrie d’armement russe est pratiquement sans problème grâce aux composants électroniques achetés via l’Asie centrale ou le Caucase (Kirghizistan, Ouzbékistan, Kazakhstan). Le référendum pour l’adhésion de la Moldavie à l’Europe a été perdu par Moscou pour une poignée de voix (50,2 % pour le oui). Cela reste une bonne base pour une opération d’annexion future. D’autant que la présidente « pro-occidentale » moldave, Maia Sandu, doit faire face à un deuxième tour difficile lors de la présidentielle, où elle devrait logiquement être battue sans une mobilisation des abstentionnistes.

Et la victoire du « rêve géorgien » pro-russe en Géorgie est de bon augure, même pas besoin de se déplacer pour s’élargir. Ces jubilations poutiniennes cachent une autre vérité, structurante celle-là. Une nouvelle donne géopolitique est advenue en même temps : la vassalisation de Moscou vis-à-vis du Suzerain chinois. C’est un retournement complet. La réussite économique chinoise n’avait pas entamé le leadership russe. La guerre en Ukraine manifeste au grand jour la domination de la Chine sur la Russie, matérialisée par un PIB dix fois supérieur. Et l’élargissement de l’influence en Asie de l’Empire du Milieu est notable. Tous les États sous influence russe depuis 1917 et même bien avant, passent sous domination économique chinoise. Par exemple, pour la première fois de l’histoire, l’immense Kazakhstan, qui refuse d’adhérer à cette étape aux BRICS, commerce plus avec Pékin qu’avec Moscou. Quel que soit le dénouement de cette guerre du Donbass – l'Ukraine peut toujours s'effondrer – elle aura accentué le déclassement russe, devenu dépendant de la Chine, un passage de témoin à Kazan en quelque sorte. « L'asiatisation » de la Russie conduit à sa subordination, et ceci au moment même où les BRICS contestent ce monde occidental que Poutine a d'abord détesté secrètement, puis a cru pouvoir entamer en franchissant le Rubicon du Dniepr. La Russie reste une puissance nucléaire et militaire, ce qui n'est pas rien, mais elle est mise en échec technologiquement par les Ukrainiens soutenus par l'OTAN. La Russie est devenue un État mercenaire en Afrique, tandis que la Chine s'installe à coups de « Palais des Congrès clé en main » en quête de matériaux rares. La Russie ne dirige plus le bal. Le rêve de grandeur, de puissance et de sécurité de Poutine est ruiné par sa dépendance chinoise – du jamais vu dans l'histoire des deux empires. Cela démontre au passage l'habileté de Xi Jinping : en soutenant la Russie, il fixe des limites à l'arme nucléaire, sans rupture, mais sans concession à l'Occident, dominant la Russie sans l'humilier et élargissant ainsi considérablement sa profondeur stratégique dans la confrontation avec les États-Unis. Quant à Poutine, qui parade à Kazan, il aura été le fossoyeur de la grandeur russe, réduit à passer les plats parmi les « anti-occidentaux ». La Russie n'est plus une puissance globale. La guerre froide qui continuait sous d'autres formes s'achève, non par la victoire totale de l'Occident, qui avait gagné le premier round avec la désagrégation de l'Union soviétique, mais par la victoire de la Chine, qui aura profité de l'aventurisme de Moscou et du soutien de l'OTAN à Kiev. Ce sera l'héritage historique de Vladimir Poutine à la Sainte Russie. La Grande Russie commença par la conquête de Kazan par Ivan le Terrible. Elle s'achève à Kazan par le discret triomphe de la Chine.

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5. Les leçons de l'extrême droitisation de la droite européenne

C'est fait ! Le PPE, la droite européenne qui s'était rapprochée lors de son congrès de Bucarest des thèses de l'extrême droite sur l'immigration, a fait cause commune avec madame Meloni (dont un rapport européen vient dénoncer le racisme), l'AfD fascisante en Allemagne, et les amis ou ex-amis de Zemmour. Cette remise en cause du compromis historique dans la construction européenne entre les démocrates chrétiens et les sociaux-démocrates se fait au profit de l'extrême droite et non de l'union des gauches.

Le président du PPE, Manfred Weber (CSU), déclare dans son interview au Point (24.10.24) que cette « autonomie » — entendez une alliance au cas par cas selon les sujets — doit permettre de retrouver la droite et de gouverner l'Europe sur ses valeurs à propos de l'immigration et de la sécurité. D'abord, la présidente du PPE de la Commission, Madame Ursula von der Leyen, a été élue pour faire barrage aux nationalistes xénophobes, pas pour être une passerelle. Ensuite, les concessions faites à l'extrême droite sur l'immigration déclenchent des trajectoires redoutables, comme le vote d'un amendement de l'AfD proposant le financement d'un mur contre les migrants. Ce forfait, dénoncé avec force par les eurodéputés socialistes François Kalfon, Raphaël Glucksmann ou Nora Mebarek, est une remise en cause des principes mêmes de la démocratie chrétienne.

Mais plus largement, cette collusion sans retenue est la marque de l'extrême droitisation des droites en Europe. Le retournement du Polonais Donald Tusk, se proposant de suspendre partiellement le droit d'asile de la Pologne pour lutter contre l'immigration, est du même type. C'est inquiétant pour ce pro-européen qui condamnait il y a peu ces propositions comme une manifestation d'un nationalisme anti-européen. C'est l'expression de la vague nationaliste qui traverse le Continent. C'est un danger pour la démocratie, car elle s'accompagne de l'illibéralisme. Mais cette inflexion à l'extrême droite va dégager des courants de résistance à cette dérive dans toute l'Europe, ce qui serait propice à de vrais fronts populaires à colonne vertébrale social-démocrate qui s'attaquent de manière réaliste aux causes de cette montée et non des cartels radicalisés qui repoussent les électeurs du centre, sans faire gagner la gauche ni faire barrage à cette vague qui emporte tout.

 

À dimanche prochai