2075 Jours de guerre en Europe

1. Présidentielle : le trop-plein ;

2. L'opposition social-démocrate à Faure s'unifie ;

3. Le Pape François est mort.

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1. Présidentielle : le trop-plein

Ils sont fort nombreux à être candidats à la présidentielle, une légion à droite : É. Philippe, G. Attal, F. Bayrou, G. Darmanin, M. Barnier, L. Wauquiez, B. Retailleau, D. Lisnard, X. Bertrand, D. Villepin ;
Une cohorte à gauche : R. Glucksmann, B. Cazeneuve, C. Delga, O. Faure, B. Vallaud, F. Hollande, K. Bouamrane, M. Tondelier, Roussel, C. Autain, F. Ruffin, J.-L. Mélenchon – et ce n’est pas fini. Il y a un monde fou sur la ligne de départ des prétendants, pendant que l’extrême droite, sa candidate en sursis et son suppléant, ont, eux, du monde derrière. La pré-présidentielle est devenue la salle des pas perdus où se croisent les ambitions en quête d’Élysée.
 

Face au désordre du monde, le brouhaha des destins brouille le nécessaire dessein.

Si la présidentielle est la rencontre d’un homme ou d’une femme avec un peuple, le peuple en question a bien du mal à percevoir l’éclaircie d’une destinée dans le brouillard ambiant.

Le monde ancien se désagrège, les nuages noirs s’amoncellent, les défis se cumulent, et les politiques multiplient les postures qui confinent parfois à l’imposture. On va à la présidentielle comme à la tombola, chacun pense avoir une chance avec une mise minime.

Le général de Gaulle disait : « Après moi, ce sera le trop-plein. »
Il n’avait vraiment pas tort, pourtant, le fondateur de la Ve République songeât à des candidats, et nous n’avons que des prétendants.

Nous sommes passés de l’offre politique au pronostic.

 On ne juge plus sur un projet, mais sur la cote à la bourse sondagière. La présidentielle est devenue un marché où les produits scintillent. Il faut à toute fin séduire le chaland.
 Rien n’a vraiment d’importance : le Graal, c’est la reprise.
 C’est le triomphe des brèves de comptoir, de la « Riolisation » de la classe politique, du nom de ce journaliste de foot qui « tape », non pas dans le ballon, mais dans les joueurs avec des jugements à l’emporte-pièce, et fait ainsi le buzz.

Wauquiez vient de nous en administrer la preuve en proposant de déporter les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon, comme on déportait hier à Cayenne, et les États-Unis à Guantanamo.
 C’est un vrai sujet que celui de l’exécution des décisions de justice en matière migratoire.
 Mais, la seule logique de la solution Wauquiez est de faire turbuler le système pendant quelques heures.
 Et pour le coup, «  cymbales, trompettes, cotillons  », toute la classe politique s’est offusquée, les médias reprenant en boucle les propos volontairement provocateurs.
 Et ainsi, l’électorat repère le coup de menton contre des migrants indésirables.
 Cela, évidemment, ne change rien au problème, mais démontre que le ministre de l’Intérieur est un mou du genou. Darmanin avait employé la même méthode vis-à-vis de M. Le Pen, la trouvant un peu faiblarde sur le sujet, et Retailleau multiplia les petites phrases d’un même style dès son arrivée place Beauvau. C’est le populisme de l’intérieur.

La multiplication des prétendants à la charge suprême est la manifestation la plus claire de la crise de la Ve République. Le régime des partis a été remplacé par le bipartisme, auquel s’est substitué le tripartisme, qui a laissé place au « régime des personnalités  »  : un homme, un parti. Mais, cette vision est un trompe-l’œil. Dans un pays où l’abstention tutoie les 50 %, un Français sur deux, de ceux qui participent, se prononce pour le populisme, lui-même dominé par le national-populisme.

C’est dire l’espace réel des vingt prétendants restants, gauche-droite confondues : seulement 25 % du corps électoral avec 21 candidats. Plus les populistes progressent, plus les prétendants se multiplient, décomposant le maigre espace politique qui leur reste. Cette compétition des prétendants est totalement hors sol. La raison de la Ve République est la sélection d’un monarque républicain, gage de stabilité.
 Elle n’a plus le personnel politique adéquat. Nous peinons à trouver des De Gaulle et des Mitterrand dans les offres actuelles. Il y a incontestablement des hommes et femmes d’État, certains l’ont déjà prouvé, mais pas de monarque républicain.

Le premier problème est là : la Ve République est conçue pour sélectionner un président-Bonaparte, qui tient son camp tout en régnant, pour le meilleur ou pour le pire, sur les Français.

Nous avons, au mieux, de brillants présidents du Conseil ou d’une République parlementaire. Il faut ajouter que les Français ne veulent plus de dirigeants fixant, de leur colline inspirée, l’essentiel, laissant au gouvernement l’accessoire. Ils veulent voir midi à leur porte, souhaitent des solutions à tout, des programmes détaillés qu’ils peuvent consulter comme les notices des produits transformés en magasins.
 C’est l’effet Nutri-Score estampillé par les médias et les sondages.

Le mode de gouvernance a changé. L’homme providentiel est tout aussi incongru pour les Français que construire une équipe de foot par et pour Mbappé. Tout est « équipe », « esprit de groupe », « séminaire managérial », « open space », « networking », « transparence ». Il est à peu près certain que ni De Gaulle ni Mitterrand n’auraient résisté à ce régime et à celui des réseaux sociaux et autres punchlines où les raisonnements de fond ne doivent pas faire plus de 140 signes.

Il y a ensuite la faiblesse des formations politiques, qui ne sont plus un cadre de régulation des ambitions. Celles-ci sont externalisées via des primaires. Les partis ne sont plus non plus le lieu des propositions : il y a pour cela des clubs ou des micro-partis. Les intellectuels organiques ont disparu  ; ils dispensent leur savoir dans les sables mouvants des plateaux télé, entre 6 ou 8 intervenants.
 Les idées ne sont plus pensées comme une fin, mais comme un moyen de promotion. Les idées ont laissé place aux propositions, le projet au programme, et une ligne politique aux punchlines.

L’impressionnisme règne en maître. Il est quasiment impossible de défendre une idée réputée minoritaire dans un sondage sans être haché menu dans les boucles WhatsApp qui tiennent lieu d’agora de l’entre-soi. Les partis ne sont même plus un espace de socialisation. La multiplication des visios a eu raison des derniers feux des partis « contre-société ». Ils ne sont pas non plus un espace d’analyse ou d’élaboration de l’analyse, d’abord parce que celle-ci est protéiforme sur les réseaux et les chaînes d’info, et ensuite parce que les adhérents ont leurs idées ou leurs impressions bien avant que la formation politique élabore sa propre réponse. Au point, d’ailleurs, de ne plus produire de ligne politique mais des éléments de langage – ce fast-food de la politique : « vite consommé, vite oublié ». 

La politique n’a plus de mémoire, zappée par la culture de l’immédiateté.

La réflexion n’existe plus : trop longue, trop complexe, trop spécialisée, elle est confinée à des cercles spécialisés et ne pourra être consommée que si elle produit des propositions concrètes passant immédiatement sous les fourches caudines budgétaires. Bref, l’affaiblissement des partis participe de celui des corps intermédiaires et libère les personnalités de toute attache. Aujourd’hui, un site est une part de marché médiatique via un nombre de likes, et en route vers la présidentielle. L’itinéraire du président Macron a joué un rôle majeur dans l’imaginaire des présidentiables.
 Il ne faut dépendre de rien, et la politique n’est pas une affaire collective. Le « pourquoi pas moi » le dispute au «  parce que je le vaux bien ».

Et les jeunes générations pratiquent la politique en reproduisant ce schéma, refusant le passé même ou l’histoire de leur propre formation. Ils acquièrent un grand savoir-faire tactique déconnecté de la politique. La politique est réduite à une technique ou une pratique coupée de la réalité et des enjeux du monde. Macron, en ruinant les partis de gouvernement sans offrir une alternative, a accentué le phénomène. Le problème réside dans le fait qu’ainsi, il a libéré les populismes, qui sont des « partis-entreprises » autour d’un homme ou d’une femme, qui procèdent des mêmes maux, mais ont en plus abdiqué toute réflexion autonome au profit d’un chef omniscient.

Tout concourt donc à la seule élection qui vaille et structure les énergies : la présidentielle.
 Et c’est ainsi que la Ve République et sa clé de voûte présidentielle ont enfanté sa négation : l’instabilité parlementaire, produit de la multiplicité des prétendants. Elle conduit au trop-plein de prétendants et à l’impuissance de l’action publique, qui ne trouve ni stabilité ni compromis, car il faut constamment construire des espaces politiques pour être repéré.
 

Le flipper politique est frénétique, incessant, voire insouciant, d’un pays qui veut chaque jour un peu plus y mettre fin – par tous les moyens. Et pourquoi pas l’extrême droite ?

François Léotard, aujourd’hui décédé, avait écrit un petit ouvrage : Cela va mal finir.

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2. L'opposition social-démocrate à Faure s'unifie.

Pour déverrouiller le congrès du PS et rendre possible une nouvelle direction, il fallait un affaiblissement du courant Faure et l'union de son opposition.
Le premier secrétaire est parti au combat confiant ; tout cela tenait de l'impossible rêverie. Cela ne pouvait être. Cela ne serait pas.
La fuite des "cerveaux" était jugulée, en tout cas limitée, et Boris Vallaud était verrouillé. Quant à son opposition, elle ne s'unirait pas, offrant le chemin à sa réélection et son pari présidentiel.

Le premier secrétaire avait vu les premiers pas vers l'autonomie de Boris Vallaud avant la dissolution. Il en était fort mécontent, tirant silencieusement sur sa cigarette électronique : "l'ingrat".
Il lui avait pourtant offert le groupe puis la rédaction du programme d'Anne Hidalgo. Mais "Boris" rongeait son frein depuis longtemps. La campagne des européennes lui avait donné peu de place et Glucksmann ne l'a même pas calculé. Il ne cachait pas, en retour, qu'il trouvait le député européen totalement "hors sol". Quant à O. Faure, il décidait "seul, au doigt mouillé, dans son coin".

Pour Faure, la dissolution, l'alignement de Vallaud comme tout le monde sur le NFP, le sauvetage de son siège grâce au Front républicain, semblaient avoir eu raison de son ambition.
Le député de Seine-et-Marne pensait que le président du groupe ne pouvait quitter "sa maison" pour des sociaux-démocrates qu'il trouvait notoirement trop droitiers. Le premier secrétaire croyait avoir enterré Vallaud en se surmédiatisant lors de la négociation avec F. Bayrou à propos de la censure. Il lui avait dérobé l'idée "des conditions de non-censure" que Boris Vallaud avait lui-même chipée à Philippe Brun.

Le président du groupe dut in fine accepter de ne pas voter la censure, cela lui coûta, et il laissa partir quelques-uns de ses amis dans l'amical de la censure.
Le premier secrétaire, le voyant ainsi affaibli, en fut rassuré. Enfin, il pensait que sa rupture avec J.-L. Mélenchon, que le député des Landes ne supportait plus, et ouvrir la perspective d'une primaire incluant F. Ruffin, dont l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée est fan, l'affaire était entendue : "Vallaud était ficelé".

Le député des Landes, principale personnalité avec J. Rolland du "courant" de Faure, n'était plus un problème. Et bien, mauvaise pioche ! Sans prévenir, le député des Landes déboîta en refusant les données du congrès : autonomie stratégique ou effacement tactique au nom de l'union sans Mélenchon. Il substitua, à ce clivage pour lui mirage, la nécessité d'unir les socialistes "qui n'ont pas de désaccord". Cela pouvait sembler baroque dans un PS coupé en deux depuis le congrès de Marseille sur le rapport à la radicalité, mais peu importe : la sécession de Boris Vallaud venait de faire un gros trou dans la coque du premier secrétaire. En effet, les deux blocs font 50 % dans le PS, et donc la sortie du député des Landes, après celles de Philippe Brun, Jérôme Guedj, F. Yadani et Karim Bouamrane, mettait le député de Seine-et-Marne en difficulté.

Boris Vallaud fut même à deux doigts de rencontrer son destin en ouvrant le dialogue avec l'opposition qui n'était pas encore unie. Il pouvait en prendre la tête et battre irrémédiablement Faure.
Ce dernier le redouta un instant, sachant que le premier secrétariat du PS vaut bien une messe — Mitterrand l'avait démontré à Épinay — et lui-même avait bien avalé son chapeau rocardien.
Mais Vallaud décida de ne s'allier à personne, restant sur l'Aventin. Ce fut un répit pour le premier secrétaire, mais le coup était rude. Il décida de faire face, multiplia les ralliements publics de ses soutiens avérés. Cela ne changeait rien, mais donnait le change.

Le dépôt de la motion Vallaud ampute celle de Faure de 15 à 20 % et met mécaniquement le premier secrétaire en minorité au niveau des votes des motions pour le Parlement du PS, le CN.
Ce qui aura des conséquences concrètes, comme par exemple une majorité contre l'adoption de la primaire Faure "de Glucksmann à Ruffin", si Faure restait premier secrétaire.
Ce qui est loin d'être fait. En effet, pour B. Vallaud, après le vote des motions, appeler à voter Faure dans le 2ᵉ vote — celui du premier secrétaire — c'est ruiner sa posture "d'union" qui fit son renom. C'est aussi remettre en selle Faure, son concurrent lors de l'investiture du candidat socialiste à la présidentielle.

Tout est toujours possible en politique, le suicide politique compris, car le risque est grand que rallier Faure soit la solution perdante. Nous le verrons bien, mais le premier pari de Faure est raté.

Le second pronostic "ils n'arriveront pas à s'unir" semblait sur le papier crédible. Les sociaux-démocrates sont évidemment devenus une force dans et hors du PS mais ils sont entravés par la pléthore de personnalités qui la composent. L'idée que le texte d'orientation 3 (TO3), composé de Carole Delga, Anne Hidalgo, Michaël Delafosse, Patrick Kanner, Lamia El Aaraje, et bien sûr Nicolas Mayer-Rossignol, le premier secrétaire délégué, puisse se mettre d'accord sur le poste de premier signataire d'une motion unifiée avec les partisans d'Hélène Geoffroy, compacts sur leur thèse social-démocrate depuis deux congrès, et la nouvelle contribution F. Yadani - P. Brun - J. Guedj - Jeandon, sans oublier le très remuant Karim Bouamrane, voilà qui relevait de la gageure. D'autant qu'en leur sein l'idée d'un deal avec Vallaud était aussi défendue. O. Faure en était persuadé : "il n'y aura pas 3 motions au congrès, mais 5".

Karim Bouamrane fut le premier à se lancer dans la bataille pour unifier les forces d'oppositions, organisant les premières rencontres et lançant une boucle "union sacrée". L'idée de se rassembler fit son chemin, mais encore fallait-il trouver un primus inter pares et une architecture permettant à chacun de l'accepter. Le chemin d'une candidature Brun se referma : il fut d'abord affaibli par la constitution de la motion Vallaud, ce dernier raillant des partisans de Brun à son panache blanc. Puis le départ de Fatima Yadani, première signataire de la contribution de Brun avec deux de ses camarades pour O. Faure, eut raison de la possibilité du prometteur député de l'Eure de s'imposer comme trait d'union. Hélène Geoffroy défendit d'emblée et habilement un binôme avec le TO3 : "Carole, Nicolas ou Brun, à vous de choisir, mais nous pouvons incarner ainsi la parité et l'esprit d'équipe qui manque au PS". Et finalement, après l'avoir longtemps contesté, le TO3 choisit Nicolas Mayer-Rossignol.

L'architecture d'une direction collective, après 7 ans de pouvoir sans partage fauriste, pouvait s'installer avec Philippe Brun puis Carole Delga et Karim Bouamrane.

Faure perdait non seulement son deuxième pronostic, mais voyait arriver un nouvel argument auquel il ne s'attendait pas : 

"l'esprit d'équipe contre le pouvoir personnel".

Voilà qui complique son dernier pari, pendant que B. Vallaud ne peut que constater qu'il y a ceux qui parlent de s'unir et ceux qui s'unissent déjà. Si O. Faure s'est décidé à se lancer à nouveau dans cette aventure, c'est qu'il pensait gagner, obtenir une primaire pour la présidentielle avec le Nouveau Front populaire délesté de Mélenchon et imposer avec sa majorité au Conseil national une seule candidature socialiste dans ladite primaire. Et qui d'autre, dans ces conditions, que le premier secrétaire, avec un argument imparable : "avec un candidat, c'est la certitude d'imposer un socialiste ; avec plusieurs candidats socialistes, c'est ouvrir le chemin à Ruffin".

Et puis voilà, ce fut tout à coup Perrette et le pot au lait. La belle construction tomba à l'eau. Il ne s'agissait plus d'être majoritaire au Conseil national, mais de tenter de sauver au moins le poste de 1ᵉʳ secrétaire. Ce changement de pied se fit immédiatement sentir dès le lendemain de l'annonce de l'unification des oppositions. O. Faure, dans un tweet, déclara : "le social-libéralisme est une illusion face à l'international réactionnaire", cherchant à enfermer son opposition dans une caractérisation de néo-macronistes. Pour lui, c'est "l'enjeu du 81ᵉ congrès du PS, le reste est du bavardage". Boris Vallaud appréciera.

Pour le premier secrétaire sortant, entre lui et ses opposants unifiés, il n'y a rien. Faure décrète l'urgence : il faut aller à gauche toute, pour réactiver un réflexe campiste, quitte à relancer le spectre d'une censure pour convenance personnelle.

Et que dire de cette monstruosité historique énoncée du haut de la tribune du CN ce samedi par O. Faure : les sociaux-démocrates seraient responsables de l'arrivée d'Hitler au pouvoir pour ne pas avoir voté la censure du premier ministre Brüning — suivez mon regard — puis pour avoir soutenu Hindenburg qui finit par appeler Hitler au pouvoir.


Quel raccourci !


Voilà le Parti Communiste Allemand et son "classe contre classe", voire le fameux « les arbres nazis cachent la foret social-démocrate » de Ernest Thalmann, disculpés par un socialiste français qui, croyant se draper dans le souvenir de Rosa Luxemburg, emprunte celui de Staline. Ça promet.

La bataille commence, elle va être rude car les fauristes ont peur, et elle a comme toile de fond le renouveau possible du PS. Plus le nouveau texte d'orientation "changer pour gagner" sera haut lors du débat des motions, moins il sera facile à Faure de gagner le deuxième vote pour le poste de 1ᵉʳ secrétaire.

Et donc la route d'un changement de direction se dessine.

Celui d'une gauche de la transformation responsable, qui travaille à un nouveau projet, rassemble les tenants de la gauche réformiste et social-démocrate à travers les municipales et désigne un candidat à la présidentielle, tout en ouvrant un accord d'union aux législatives clairement recentré sur la gauche électorale et donc sans La France insoumise.

Le PS peut inventer ainsi un nouveau socialisme pour une France nouvelle.

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3. Le Pape François est mort.

La République n'est pas en deuil à la mort du pape. Mais, la République n'est pas d'une froide indifférence à la tristesse de ceux qui croient. Le respect est consubstantiel à la République et à sa fraternité laïque. Quand près de 1,4 milliard d'individus croient à la même chose, il vaut mieux comprendre ce qui s'y passe que de décider que cela n'existe pas. L'Église catholique n'échappe pas aux grands phénomènes qui traversent nos sociétés et on peut même dire que le néoconservatisme chrétien est une des portantes de la vague réactionnaire qui souffle sur notre monde.
Le seul fait que le pape François ait résisté à celle-ci suffit à juger ce pape. Il ne faut jamais analyser les hommes en fonction de ce qu'on estime juste ou progressiste. Mais, par rapport à ce qu'ils pensent d'eux-mêmes, de l'état de l'institution dans laquelle ils sont et du contexte.

Pour un laïque progressiste, trouver un pape qui endosse ses thèses relève du débat sur le sexe des anges. Ce n'est pas par rapport à nous qu'il faut juger, puisque nous sommes laïques et progressistes, mais par rapport à l'institution qui les a désignés.
Nous pouvons à ce sujet dire deux choses. Avec la mort du pape François, c'est la fin de l'ère Ratzinger qui s'achève, et le pape défunt a résisté à l'offensive traditionaliste. Le cardinal Ratzinger, on s'en souvient peu, fut un des artisans de Vatican II et ne s'est, comme Jean-Paul II et François, jamais départi de la doctrine sociale de l'Église. Elle est résumée dans l'encyclique Centesimus Annus : "le marché doit être dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État et garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de la société".

Et depuis Vatican II, l'Église vit sur un compromis : progressiste dans le domaine social et traditionnaliste dans le domaine sociétal. Le cardinal Ratzinger, nommé à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi par Jean-Paul II, resta à ce poste stratégique pendant près de 23 ans avant de devenir Benoît XVI. Ce Souslov de l'Église fut le gardien de cette unité de l'Église.
Il recentra cette dernière sur les vertus théologales "l'espérance, la charité" et l'encyclique sociale. Mais, ce poste fut le juste retour de l'influence décisive des cardinaux allemands dans l'élection de Jean-Paul II. Elle visait à souligner le rôle de l'Église en Pologne derrière le rideau de fer, dans le soutien à Solidarnosc qui ébranla le "régime communiste" de l'intérieur. Benoît XVI fut élu pape à "l'insu de son plein gré"  ; il voulait déjà que ce fût le futur pape François qui succédât à Jean-Paul II. Il présentait à ses yeux deux avantages  : il était latino-américain, proche du courant de la théologie de la libération sans jamais avoir adhéré à ce courant antilibéral dans l'Église. Et il était jésuite, c'est-à-dire de la congrégation qui fait de l'obéissance et du service de l'Église une vertu. Il avait d'ailleurs donné des gages à cette "capacité unitaire" dans les années de dictature militaire en Argentine de 1976 à 1983 où il réussit à maintenir l'unité de l'Église au prix d'un modérantisme dans la critique de la junte.

Préserver l'Église, c'est tout à la fois garantir son unité et lui redonner sa dimension humaine, j'allais écrire terrestre. C'est d'ailleurs le sens de la démission de Benoît XVI. Giorgio Agamben, dans son ouvrage magistral Le grand refus du pape Benoît XVI, dans lequel il estime que nos sociétés sont traversées par une crise profonde avec la mise en cause de la légalité mais aussi de la légitimité des institutions. Il revient sur la passion de Benoît XVI pour Tyconius qui, au IVᵉ siècle, expliquait que l'Église comprenait aussi bien le péché que la grâce. Et qu'il convenait, par son action propre, de redonner une légitimité à l'Église en faisant pencher la balance. Ce fut la démission qui rendit à l'Église sa dimension temporelle et ouvrit la voie au pape François.

Ce passionné de football continua ce "chemin d'équilibre". Ses engagements sociaux s'élargirent à ceux de l'environnement et surtout à la question des migrants, pierre angulaire du nationalisme ambiant. Ce qui lui valut une violente campagne de l'extrême droite. Pour autant, il s'arc-bouta sur les thèses des traditionnalistes : le célibat des prêtres, la condamnation de l'homosexualité, de l'avortement, etc. Et puis ce fut le drame de la pédophilie dans l'Église qui rendit impossible la stratégie de l'équilibre. Ceci d'autant que le courant traditionaliste avait le vent en poupe.
Celui-ci est bien antérieur au Vatican II. On peut même le dater de la lettre sur Le Sillon de Pie X en 1910 : "les vrais amis du peuple ne sont ni révolutionnaires ni novateurs mais traditionalistes".

Après avoir été contenu depuis Vatican II, il revient en force, ceci d'autant que le cardinal Robert Sarah, le papabile préféré de Bolloré, a pris la place du cardinal Ratzinger comme référence idéologico-pratique de l'Église. Ultra-conservateur, s'attaquant à l'homosexualité et à l'immigration, il va jouer un rôle déterminant pour l'élection du nouveau pape.

Le pape François a tenté de modifier le centre de gravité du conclave en nommant de nouveaux cardinaux. Cela peut jouer, mais nous entrons dans une nouvelle époque de l'Église avec la mort du pape François. Rien de spectaculaire, il s'agit de l'Église. 

Mais, le bouger de celle-ci va avoir des conséquences dans le moment réactionnaire que nous vivons.

À dimanche prochain.