1014 jours de Guerre en Europe

  1. Nous avons perdu A. Delon
  2. Mais que cherche Macron ?
  3. Cher.e.s sociaux-démocrates, avançons !
  4. Yes, she can ou l'espoir retrouvé.
  5. Du mouvement dans la guerre russo-ukrainienne.
  6. Le Liban ? Une question de jours

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1. Nous avons perdu A. Delon

Il était franchement beau, mais l'était-il plus que Paul Newman, M. Mastroianni, H. Berger ou Jean Marais ? Était-il plus charismatique que R. Redford, M. Brando, C. Eastwood ou J. Gabin, son maître ? Frank Sinatra n'a-t-il pas fait de meilleurs choix politiques et son Pat Cat n'avait-il pas une autre gueule que Maurice Ronet et ses amis paras ? Était-il meilleur acteur que Vittorio Gassman, Gérard Philipe, De Niro ou Al Pacino ? Mais pour Delon, ni Actor's Studio, ni cours Simon ou Conservatoire ; il était, comme Gabin ou Ventura, un acteur d'instinct. C'était évidemment un homme de droite. Il fréquenta même Jean-Marie Le Pen et le revendiquait par bravade. L'homme semblait pourtant plus complexe que la figure du "réac" qu'il nous donnait à voir. J'ai porté le trench du Samouraï en crème et en vert à 16 ou 17 ans, et le fameux blouson en cuir bleu souple un peu plus tard. Je crois avoir vu tous ses films, du plus improbable "Le Jour et la Nuit" aux plus remarquables comme "Rocco et ses frères". A. Delon était une icône. Il le sera grâce, entre autres, à Burt Lancaster dans "Le Guépard", qu'il finira par tuer des décennies plus tard dans un "Scorpio" de peu d'envergure. Tancrède, devenu Laurier mais toujours jaloux, se débarrassait symboliquement d'un fantôme qui lui aurait tout appris et montré le chemin. Delon, rendu ainsi à lui-même, par lui-même, pour lui-même, ne tutoya plus jamais sa propre légende cinématographique, ou dans de rares occasions, mais devint un "personnage" en quête d'auteur. Pirandellien à souhait, il cachait ses blessures en singeant souvent avec naïveté les stars anglo-saxonnes. Il est ainsi devenu une signature, l'imaginaire, le parfum d'une époque. Pourtant, A. Delon, ce fut l'ACTEUR des plus grands metteurs en scène, qui surent donner à son talent pur l'écrin nécessaire. Alors, quel était le "plus" de Delon ? Il aura été le compagnon élégant de 50 ans de cinéma. C'est une époque qui s'en va. "Faire du cinéma, c'est être le contemporain de son époque", nous explique l'excellent scénariste Jacques Audiard. Alors, tout à coup, à l'annonce de son décès, nous sommes un peu comme dans la fin de "Cinéma Paradiso". Nous revenons voir, avec nostalgie, défiler les chutes de films qui nous ont transportés des années 60 à la fin des années 90. Alain Delon restera dans nos mémoires d'abord pour cela : Quand la femme s'en mêle, Plein Soleil, Rocco et ses frères, Mélodie en sous-sol, Le Guépard, L'insoumis, Le Samouraï, Les Félins, Les Centurions, Les Aventuriers, La Piscine, Le Professeur, Le Clan des Siciliens, Le Cercle Rouge, Un Flic, Le Gitan, Monsieur Klein, Notre Histoire, Adieu l'ami.

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2. Mais que cherche Macron ?

Que cherche le Président de la République en cette fin d'été ? Le sait-il lui-même ? Son parti est en ruine, sa majorité est ruinée, et la France n'en est pas loin avec ses 20 milliards d'économies à trouver. Le président a fait "tapis" par orgueil et il a perdu. Il ressemble maintenant à ces joueurs qui sont prêts à signer une reconnaissance de dette en jurant qu'ils vont se refaire. Il multiplie les pistes pour un Premier ministre et se donne ainsi l'illusion qu'il maîtrise la situation. Il semble dire aux Français : "Encore une minute", en retournant fébrilement jour après jour les cartes possibles pour Matignon. Mais il est bien en mal de définir les raisons d'un choix, tant l'abîme de la fin s'ouvre devant lui à chaque jour qui passe. Il y a non seulement la nécessité de sortir de l'impasse parlementaire et de son improbable équation majoritaire, mais aussi de finir ce deuxième quinquennat qui se dérobe constamment sous ses pas. Que veut-il en ce moment où se conjuguent l'avenir de la France et le sien ? Nous entraîne-t-il dans le mur du déni, faute de pouvoir organiser le moment ? Veut-il, par exemple, utiliser l'article 8 de la Constitution qui ne prévoit pas de délai pour nommer un Premier ministre ? Ou simplement gagner du temps pour gagner du temps ? Veut-il signer les événements qui s'imposent à lui pour finir cahin-caha son quinquennat ? Ou prépare-t-il déjà un retour après un successeur qu'il espérerait de transition ? Essaye-t-il de mettre le futur gouvernement devant le fait accompli budgétaire ? Veut-il finir par trouver un sens à cet accident industriel que fut la dissolution ? Espère-t-il trouver tout simplement une solution qui lui laisserait encore un peu de pouvoir ? Cherche-t-il à reconstruire un bloc central après ne s'en être jamais vraiment préoccupé ? Souhaite-t-il aller au bout de la logique de ce quinquennat en s'alliant avec ce qui reste de LR ? Ou souhaite-t-il vraiment l'union nationale dont il nous parle tant, sachant qu'elle ne peut plus se faire autour de lui ? Ou encore, veut-il une coalition contre les populistes ? Et pourtant, quoi de plus simple que de respecter la majorité de députés de gauche, même très relative, et de laisser faire le Parlement pour clarifier la situation ? Puis tirer les conséquences de ce choix. Soit en jouant le rôle de rempart présidentiel que lui confèrent nos institutions, soit, après une motion de censure, nommer un nouveau Premier ministre de gauche non labellisé NPF et sortir le pays par le haut en imposant une proportionnelle qui dénouerait la crise. D'abord, parce que le respect du vote, même de quelques voix, est une donnée démocratique intangible. Macron était en majorité relative lors de la précédente législature, et pourtant, il a nommé des Premiers ministres de "Ensemble". Ensuite, si nous partageons totalement la nocivité de l'alliance NPF sous domination LFI, si nous devons et pouvons dire que cette union est politiquement sans issue, il ne nous appartient pas, et a fortiori au président - ayant perdu l'élection - de décider qui doit ou pas gouverner dans les coalitions. Enfin, à défaut de proportionnelle, on ne peut ni obtenir une majorité absolue ni une coalition sans lever l'obstacle de la preuve de l'impossibilité pour le NPF de gouverner. Respect des principes, même formels, et l'intelligence politique ne nuisent pas. Mais le Président voudra-t-il faire simple quand il peut faire compliqué ? Il est de ces cuisiniers qui rajoutent tellement de tout qu'à la fin, cela n'a plus de goût. Macron s'agite en tous sens, ouvre tant de portes qu'il ne sait que choisir. L'impossible majorité absolue parlementaire et l'irrésolution présidentielle n'annoncent rien de bon alors que le pays a besoin de se rassembler devant tant d'urgences à traiter.

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3. Chers SocDdem, AVANÇONS !

Même le très raisonnable et très prudent président du groupe sénatorial socialiste, Patrick Kanner, y est allé de sa formule dans l'Express : "La ligne rouge a été franchie" avec LFI. La présidente du Parlement du Parti Socialiste, Hélène Geoffroy, exige une convention stratégique à propos du nouveau Front populaire, appuyée par Nicolas Mayer-Rossignol, l'autre sensibilité oppositionnelle du PS. Les deux courants du PS, soutenus par des voix nouvelles hier fauristes, exigent un bureau national extraordinaire après les déclarations des insoumis demandant à Macron de se soumettre ou de se démettre. L'exaspération chez les socialistes est à son comble. Les sondages démontrent que les socialistes, voire les écologistes, sont de plus en plus nombreux à souhaiter une Union sans Mélenchon et ouverte à des coalitions. Les noms de B. Cazeneuve, Karim Bouamrane, ou Carole Delga sont avancés comme Premier ministre, tandis que celui de Michaël Delafosse semble nominé pour devenir Premier secrétaire. Ils font tous partie de l'arc dit social-démocrate. Dans la Macronie, des parlementaires veulent se réclamer de la social-démocratie. Le retour de François Hollande à l'Assemblée nationale ne choque personne, et il est la personnalité de gauche préférée des Français. R. Glucksmann, qui fit près de 14 % aux Européennes, battant nettement LFI et écrasant les écologistes, nous appelle, après d'autres, à tourner la page de la radicalité de Mélenchon et de Macron. Ça bouillonne ! Ça bouillonne ! Ça bouillonne ! Dans un espace social-démocrate en gestation. Il est temps, plus que temps, de construire une convergence de tous ces courants, regroupements et personnalités. Oui, Macron-Mélenchon, ça suffit. Mais il ne suffit plus de le dire, de le redire, de l'affirmer ici et là, partout, sur tous les tons ad nauseam. Il faut le faire. Les sociaux-démocrates ressemblent à ces hallebardiers dans les pièces de théâtre, chacun crie "Marchons, marchons" et fait du surplace, seule l'illusion compte. Et puis il suffit aussi de dire : "Ça passera par moi, mon club, mon courant, mon parti ou ma personnalité." Le potentiel social-démocrate est bridé par ce surcroît d'égos. Et il est paradoxal, et pour tout dire insupportable, que les sociaux-démocrates plaident pour des coalitions dans le pays et soient incapables d'organiser une coalition sociale-démocrate. Alors, oui, une convergence sociale-démocrate s'impose. Clarification dans le PS et unification hors PS. Convergeons ! Convergeons ! J'ai suggéré il y a quinze jours des Assises collectives au printemps pour ce big bang à gauche. Arrêtons de nous gargariser d'une hostilité bienvenue à Mélenchon, aussi virulente que sans lendemain alternatif. Il y a toujours une raison pour ne pas franchir le Rubicon de l'Union des sociaux-démocrates : trop tôt, trop tard, trop compliqué, trop diviseur, trop peu programmatique, etc. Et je vous passe le "LFI nous condamne à perdre, mais sans eux, pas possible de gagner." Ce pessimisme militant finit par déprimer tout le monde. Allons-y, le grand méchant loup ne nous dévorera pas. Jean-Luc Mélenchon a été explicite lors de la séance d'ouverture de l'université de la France insoumise : le seul obstacle à sa domination totale de la gauche, c'est "nous". Alors passons de la guérilla à l'alternative. Avançons, créons l'espace d'une autre gauche, ça urge maintenant.

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4. « Yes, she can » ou l'espoir retrouvé

Barack Obama a toujours la science des mots, ceux qui synthétisent un moment politique. Kamala Harris peut gagner la présidentielle, et donc l'espoir renaît dans une partie de l'Amérique et dans le Parti démocrate. La principale raison de cet engouement, qui n'était pas donné, tient à l'unité du parti lors de la Convention de Chicago, pourtant ville de triste mémoire pour une convention si l'on se réfère à celle de 1968. Là, l'espoir a soufflé chez les congressistes. J. Biden a été remarquable avec son "J'aime mon job, mais j'aime d'abord mon pays". Bernie Sanders, qui fit perdre H. Clinton, a jeté ses derniers feux dans un plaidoyer intraitable contre D. Trump. H. Clinton fit de la cause des femmes la nouvelle frontière américaine. Bill Clinton, malgré une santé visiblement déclinante, encensa Harris. Alexandra Ocasio-Cortez "AOC", l'âme de la gauche du Parti démocrate, délivra à la candidate un brevet de lutte pour les Palestiniens dans un discours qui rappela celui prometteur de B. Obama, alors simple sénateur, contre la guerre. Et les Obama ont, eux, soulevé la convention en moquant "le vieux milliardaire qui pleurniche". Les Démocrates ont ainsi refait leur unité et décrété la démocratie américaine en danger. Ils placent la Vice-présidente dans les meilleures conditions d'un combat qui reste très difficile. Si Kamala Harris a comblé son retard dans les sondages, elle fait même la course en tête dans certains instituts. Nous sommes dans l'incertitude quant aux États-clés qui donnent l'investiture. D. Trump peut être battu, les récentes élections l'ont démontré. Arriver en tête, ce n'est pas gagner. Nous en savons quelque chose en France, et H. Clinton en a fait l'amère expérience. La question posée à la candidate démocrate n'est pas de se laisser porter par son genre ni surtout d'être "l'héritière" d'Obama-Biden. Il lui faut trouver sa dynamique propre, capable de convaincre les indécis, cet électorat flottant qui fait l'élection dans un pays réellement coupé en deux. Il ne s'agit pas d'être le champion de son camp, mais de le dépasser par un nouveau projet de société dont les États-Unis ont besoin. Son discours de belle facture d'"acceptation de candidature" à la convention démocrate tentait de répondre à ces contraintes sans pour l'instant définir un horizon, hormis la défense de la démocratie américaine et la politique de l'opportunité (sorte d'égalité des chances). Cela est nécessaire, mais trop défensif ! Même si la défense est un moment de l'attaque, cela ne fait pas encore un nouveau dessin américain.

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5. Du mouvement dans la guerre russo-ukrainienne.

Quand Poutine affecte de ne rien voir, c'est qu'il est tétanisé. On l'a déjà vu dans cet état après l'attentat à Moscou, l'échec de l'offensive éclair sur Kiev, ou l'épopée séditieuse de Prigojine. Je vous l'ai expliqué la semaine dernière : à l'Est, il y a du nouveau. Nous sommes bien maintenant dans une guerre russo-ukrainienne, pas seulement dans une agression russe. L'offensive ukrainienne est la première incursion sur le territoire russe depuis la Seconde Guerre mondiale, si l'on excepte celle des Chinois en 1969 sur la rivière Oussouri, qui faillit tourner à l'affrontement nucléaire. Mao voulait mettre fin à la Révolution culturelle par une guerre nationaliste contre la Russie, avant de s'en mordre les doigts et après des dizaines de milliers de morts. Cette offensive ukrainienne en territoire russe se fait avec des avions anglais, des chars allemands, et des MiG russes bricolés avec des bombes françaises. Il y a là un côté petit bric-à-brac qui rappelle la "résistance" face à l'Empire dans Star Wars. Mais n'empêche, nous voilà impliqués. Et vous croyez que ceci fasse bouger un homme politique en France ? Rien ! Chut, la France pratique l'autruche à la recherche d'un Premier ministre. Mieux, c'est en ce moment que l'on se propose à nouveau de réduire les dépenses militaires. Comme nos amis allemands, qui eux réduisent drastiquement le soutien financier à l'Ukraine, passant de 8 milliards à 1,5 en 3 ans. Pourtant, la percée ukrainienne risque, comme pour Napoléon ou l'armée allemande, d'être confrontée à des problèmes de logistique pour tenir la tête de pont. Pour le moment, les Ukrainiens bombardent même Moscou. Mais est-ce si simple ? Le gouvernement ukrainien a dû en urgence évacuer Pokrovsk dans le Donbass. Et la prise de la ville par les Russes ouvrirait une brèche redoutable dans le front ukrainien. Un double mouvement, donc, l'un sur Koursk, l'autre sur Pokrovsk, est en cours. Dans les deux cas, la guerre va nous tirer par la Manche.

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6. Le Liban ? Une question de jours

L'échec du premier round de négociations entre Netanyahu et le Hamas sous l'égide d'Antony Blinken était prévisible. Le plan Biden par étapes ne pouvait trouver preneur. L'Iran ne pouvait laisser passer un cessez-le-feu alors qu'elle menace de représailles Israël après l'élimination du chef du Hamas sur son sol. L'affaiblissement militaire du Hamas le rend encore plus dépendant de Téhéran. Et le rôle dévolu au groupe terroriste islamiste est d'être un abcès de fixation en Israël à cause des otages et à Gaza par une présence résiduelle, mais militaire, au milieu des décombres. Le raid meurtrier des colons en Cisjordanie, comme la venue de l'extrême droite israélienne sur l'esplanade des Mosquées, visait à démontrer que le consensus ne pouvait se faire. Tout le monde a compris que l'échec des négociations serait un pas supplémentaire dans le conflit régional. Blinken a raison : "c'est la dernière chance" pour éviter l'embrasement et pour ce qui reste d'otages vivants. Il remet une dernière fois les négociations sur la table au Caire. En cas d'échec, la question du Liban devient brûlante, c'est une question de jours.

 

À dimanche prochain.