1035 Jours de Guerre en Ukraine
1. De la fin de l'histoire à l'histoire en marche
2. Le PS ne devrait pas voter la censure
3. Trop tard, Monsieur Biden
4. L'Algérie se durcit
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1. De la fin de l’histoire à l’histoire en marche
Pendant que la France fêtait le bicentenaire de la Révolution française à l’été 1989, dans la revue The National Interest, Francis Fukuyama prophétisait la fin de l’histoire. Ou plus exactement : « l’universalisme de la démocratie libérale occidentale comme forme finale de tout gouvernement humain ».
Ce genre de formules, à l’instar de « l’impérialisme, stade suprême du capitalisme » de Lénine ou de « la mondialisation heureuse » de Minc, a toutes les chances d’être contredit par la vie. Ce fut le cas. L’histoire n’est pas un objet prédéterminé, mais constamment un enjeu vivant.
Et de fait, le philosophe américain vient de contredire sa sentence initiale qui fit couler beaucoup d’encre, au point d’être caricaturée. Le Financial Times publie son long papier où il analyse une « nouvelle ère ».
Pour le politiste, l’élection de Trump marque le « rejet décisif du libéralisme, du respect de l’égale dignité des individus, de l’État de droit où l’État pose lui-même les bornes de son propre pouvoir ».
Ce n’est pas Trump qui est une parenthèse loufoque dans l’histoire de la démocratie américaine, mais bien Biden qui est une parenthèse démocratique dans le moment illibéral des États-Unis — et peut-être du monde, écrit-il.
En effet, le trumpisme comme projet politique n’est que l’expression américaine d’un mouvement planétaire où triomphe le bonapartisme. Cette forme, bien connue en France depuis les Napoléons, est résumée par Marx comme le moment où « la bourgeoisie abandonne le pouvoir politique à un sabre par peur de la révolution » (Le 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte).
À notre époque, il s’agit plutôt de libérer le marché des entraves dues à l’État social, ce qui nécessite un pouvoir fort. « L’oligarchie » accepte de perdre le pouvoir démocratique pour que se réalise la mission de l’illibéralisme : en finir avec l’État social et la démocratie qui le sous-tend.
Nous vivons la rencontre paradoxale entre, d’une part, la nécessité de libérer le marché des entraves de l’État social et, d’autre part, une demande d’ordre face aux désordres du marché et de son individualisme consommateur.
Comme le soulignait Henri Weber, la crise du résultat — c’est-à-dire le hiatus entre la promesse de la démocratie en termes d’émancipation et de protection et la réalité de l’insécurité sociale et civique comme norme sociale — provoque un pessimisme profond dans cette forme de pouvoir politique.
L’oligarchie veut l’extension du domaine de l’accumulation du capital, la constitution d’une aristocratie financière planétaire, et donc un gouvernement capable de s’attaquer aux systèmes de protection issus des Trente Glorieuses.
À l’autre pôle, le peuple, où la densité sociale de la classe ouvrière s’est atomisée, veut être protégé du précariat de masse. Ce qui produit un rejet de l’univers politique centré sur la liberté individuelle.
On estime être allé trop loin, que ce soit dans les mœurs ou dans la libre circulation des individus (immigration), mettant en cause l’identité même de la nation. La combinaison de ces « revendications » crée les conditions du bonapartisme illibéral.
Une vague d’autoritarisme secoue la planète, qui, selon les pays, prend des formes différentes, mais suit une logique commune : la confiscation de l’État de droit et de la démocratie représentative au profit d’un homme seul.
Cette régression illibérale se présente sous la forme d’un national-populisme réactionnaire devenu majoritaire.
C’est ici un autre paradoxe : il ne s’agit plus de coups d’État comme dans les années 1930, mais d’une vague antidémocratique légitimée par un vote démocratique ou se présentant comme tel. Elle rencontre les gouvernements dictatoriaux et crée ainsi une noria planétaire antidémocratique.
Ce n’était évidemment pas l’analyse de départ de F. Fukuyama, mais il pense aujourd’hui avec force contre lui-même, alertant les démocrates du monde entier.
À l’époque de la polémique sur la fin de l’histoire, Fareed Zakaria prenait le contre-pied de la théorie de la victoire définitive de la démocratie libérale. Il évoquait la tendance à « la démocratie sans libéralisme constitutionnel », produisant des « régimes centralisés, l’érosion de la liberté, des compétitions ethniques, des conflits et des guerres ». Résumé dans le concept d’illibéralisme, on ne peut pas dire qu’il ait eu tort.
De son côté, Pierre Rosanvallon analysait au même moment « une culture politique qui disqualifie la base principale de la vision libérale ». Celle qui fut au cœur de la Révolution française, défendue par Voltaire et Diderot, à savoir le refus de l’arbitraire, illustré par la défense du chevalier de La Barre.
Alors, F. Fukuyama a raison d’attirer notre attention sur la signification de la victoire de Trump. Il s’agit bien d’un pas de plus dans l’installation d’une « nouvelle ère » rejetant le libéralisme classique, fusionnant avec un nationalisme plus ou moins ethnicisé.
Voilà, s’il en était besoin, la nécessité de fonder une social-démocratie défendant un autre imaginaire, un autre récit que celui de l’autoritarisme : celui de la démocratie sociale et écologique.
Je vous renvoie encore et toujours au programme fondamental « Le pouvoir d’agir » du laboratoire de la social-démocratie, qui pense cette alternative.
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2. Le PS ne devrait pas voter la censure.
Au moment où le président de la République se rendait en Argentine pour dire que le G20 ne sert à rien du tout, et serrait chaleureusement la main de Serge Lavrov, ministre des Affaires étrangères d’une Russie censée être au banc des nations, le Premier ministre, resté à quai, est littéralement à l’arrêt, paralysé par des conflits multiples et la perspective de sa propre fin.
Comme les skippers du Vendée Globe, il entre dans le « pot-au-noir », ce triangle de vents contraires qui laisse les bateaux « en carafe ». D’un côté, les maires en colère, où D. Lisnard, le patron de l’AMF, résume l’état d’esprit en se déclarant futur Gilet jaune. L’État leur fait les poches dans la dernière année utile avant leurs réélections.
Les présidents des conseils départementaux manifestent, toutes tendances confondues, contre le budget, et certains, à droite, arrêtent de verser le RSA. Le divorce entre les collectivités locales et l’État n’a jamais été aussi grand. Les agriculteurs s’élèvent, eux, contre l’accord Mercosur. Il met en concurrence leur production avec des produits latino-américains qui n’ont ni les mêmes normes sanitaires ni les mêmes taxes.
Et puis, les usines ferment comme jamais, les carnets de commandes sont vides, et le chômage repart à la hausse. Il y a aussi la montée du mécontentement dans la fonction publique et la grève des cheminots à venir à propos des salaires.
Comme si cela ne suffisait pas, le Premier ministre, confronté à l’impasse financière du pays, espérait le vote du budget grâce à une commission mixte paritaire unanime et une abstention du RN. Son rêve s’éloigne ; se profile son pire cauchemar, à savoir une motion de censure déposée par le NFP après le 49.3.
Elle est stimulée par des manifestations dans la fonction publique et une réprobation quasi générale de la cure d’austérité. Elle s’envenime avec le réquisitoire du parquet contre Marine Le Pen, qui, en réaction, a décidé de jouer la crise. Le RN se prépare à voter la censure, ce qui fera tomber le gouvernement. Jean-Luc Mélenchon se risque même à un pronostic : troisième semaine de décembre.
Nous entrons dans un dérapage incontrôlé sans qu’il soit possible de dissoudre l’Assemblée. C’est la thrombose parlementaire. La crise politique va nourrir la crise sociale, qui va accentuer la crise politique. Ce qui est fascinant, c’est ce moment où les acteurs semblent extérieurs à la logique des événements, impuissants à les penser.
Le premier semestre 2025 se présente sous un jour chaotique, au point où l’on se demande qui va se risquer dans cette galère. Il restera bien au président Macron le gouvernement technique, qui ne changera rien à l’affaire. Il ne pourra prendre aucune mesure, et si jamais il en prenait, il serait sanctionné par la censure.
Encore une fois, la démission de Macron va monter comme solution au « bazar » français. Et si, tant bien que mal, le Président arrivait à la dissolution fin juin, le front républicain, sabordé par Macron-Mélenchon-Wauquiez-Le Pen, risque de laisser la place à la victoire du Rassemblement national. Et ce dernier demandera ou suggérera la démission du Président pour pouvoir appliquer son programme.
Macron l’a déjà anticipé, laissant dire qu’il se voit en « rempart de la démocratie ». On ne comprend pas, dans ces conditions, les raisons qui poussent O. Faure à vouloir absolument voter la censure avec le RN. Cette censure, en l’absence d’alternative construite à gauche, ne peut que servir Mélenchon et Le Pen, et le chaos.
Mais pourquoi diable le PS doit-il s’intégrer dans cette « convergence des populistes » ? D’autant que cela crève les yeux : Bompard se déclare prêt à voter une motion de censure RN dans son interview sur BFM mercredi. Après avoir été élu par un front républicain contre le RN, LFI appelle au front commun avec le RN.
Il ne s’agit plus de faire respecter le verdict des urnes plaçant le NFP en tête. Il s’agit de chasser Macron pour convenances personnelles : l’âge de Mélenchon et le jugement de Marine Le Pen. Pour le reste, chacun sait que Lucie Castet ne sera pas appelée, et si elle l’était, elle serait renversée immédiatement par une motion de censure.
Et O. Faure vient encore de fermer la porte à B. Cazeneuve et renvoie F. Hollande dans ses 22 mètres parce qu’il s’interrogeait sur la pertinence de la censure. Quelle est la raison de jeter le pays dans une crise totale sans moyen d’en sortir avant six mois ? Est-ce que l’intérêt de la France est une présidentielle anticipée, qui ne peut être à cette étape que la victoire de l’extrême droite ?
Le PS est-il prêt pour cette échéance ? Qu’est-ce que les Français ont à gagner à cette issue incertaine, à cette décomposition politique, alors qu’ils souffrent d’une grave situation économique ? Est-ce vraiment raisonnable de se lancer dans une crise nécessairement paralysante alors que les nuages s’amoncellent en Ukraine et dans les relations commerciales transatlantiques ?
Le budget de la droite serait adopté, m’objecte-t-on. Il est vrai que ce budget n’est pas, pour le moins, un compromis. Il pénalise les Français sans relancer la France. Mais voter la censure, ce n’est pas adopter un budget de gauche, c’est faire que la France n’en ait pas.
Faure vient de déclarer jeudi sur BFM qu’il n’était pas pour une présidentielle anticipée et que Lucie Castet n’était pas obligatoirement la solution. Il est donc parfaitement conscient – contrairement à d’autres – du problème politique posé par la censure. Alors ?
Si ce n’est Cazeneuve, si ce n’est pas Castet, s’agit-il de voter la censure pour que Faure soit appelé Premier ministre, lui qui a été boudé par ses partenaires pour ce poste ?
Il faudrait, dans ces conditions, l’engagement d’Attal de ne pas recourir à la motion de censure, ce qui serait pour le moins amusant. Mais quid du programme du NFP ?
Ne s’agit-il pas plus sûrement, encore et toujours, de cheminer avec le Nouveau Front Populaire tout en espérant trouver un argument pour repousser le Congrès ? Cet unionisme béat n’a pas de sens.
Pourquoi donc les Fauristes pensent-ils toujours à l’union avant le programme ? Parce que construire une offre authentiquement réformiste, même réformiste radicale, ferait apparaître que l’union sous pavillon mélenchoniste est une hérésie pour la gauche et une impasse pour la France. Est-il si compliqué de comprendre que l’union mélenchoniste ne gagne jamais, ni sous la forme Nupes ni sous celle du Nouveau Front Populaire ? Par contre, le PS devient le partenaire junior de cette coalition de la radicalité.
Le parti de Mitterrand, Jospin et Hollande perd son identité, ses valeurs, ses principes. Il n’est que la caution « responsable » d’une alliance qui se veut politiquement irresponsable.
Et puis, il faut être lucide : Mélenchon a déjà annoncé sa candidature à la présidentielle, et Coquerel a enfoncé le clou en déclarant qu’« à cette étape, il n’y a personne d’autre que lui ». Pour ce faire, il lance unilatéralement ses candidats à l’assaut des municipalités PS, et les écologistes font front commun avec lui.
Le PS devrait être l’alternative à gauche face à la convergence des populismes et à l’échec du macronisme. Le PS devrait utiliser sa force relative dans les censures à venir pour soulager le fardeau des Français et faire de son abstention une force décisive, attractive et constructive.
Le PS devrait tenir sur une ligne de crête : « pas de censure sans une alternative de gauche majoritaire », en tout cas praticable. Et laisser Wauquiez, Philippe et Attal s’abîmer dans la gestion d’une crise qu’ils ont eux-mêmes provoquée, tout en interdisant au RN d’en être le débouché. Car il y va non seulement de l’intérêt de la France, mais aussi du PS, qui a une présidentielle au bout du chemin.
À force de jouer le chaos, on se retrouve K.-O. Mélenchon va crier, tempêter, nous traiter de suppôts de Barnier et de Macron ? La belle affaire. Il extirpera des déclarations de droite pour souligner la prétendue collusion des arguments. Venant de ceux qui votent avec Le Pen, cela devrait nous laisser de marbre.
Pourquoi faudrait-il toujours trembler devant le leader de La France insoumise ? D’autant que, maintenant, Mélenchon est plus impopulaire que Marine Le Pen. Une immense majorité de Français s’oppose à lui, et il est loin d’être majoritaire dans l’électorat de gauche.
Quand est-ce que les dirigeants de la gauche comprendront que Mélenchon les méprise souverainement ? En plus, il veut la peau du PS, comme le dit en petit comité… O. Faure.
Le NFP a obtenu l’abrogation de la réforme des retraites en commission, me dit-on. Non sans l’aide du RN ni la remise en cause de la réforme Touraine. Les socialistes mangent leur chapeau jusqu’à la plume de paon.
Pourtant, le PS, prenant son envol en disant non, gagnerait l’estime du pays, le soulagement des Français et la reconnaissance d’une gauche qui est de plus en plus fatiguée de vivre couchée. Le PS est confronté à la dernière provocation de LFI, à savoir une proposition de loi abrogeant les dispositions sur l'apologie du terrorisme perfectible. Même O. Faure a sursauté et condamné. Alors, le PS doit suspendre, au minimum, sa participation au Nouveau Front populaire ! Jaurès, Blum, Mitterrand ont su dire non, et ils ont fait l’histoire, la gauche et la France.
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3. Trop tard, Monsieur Biden
1000 jours. Il aura fallu 1000 jours pour que les États-Unis autorisent l’Ukraine à utiliser des armes offensives, c’est-à-dire des missiles à longue portée. Il est plus que probable que ceci fut discuté entre Biden et Trump lors de leur rencontre. Sinon, Trump se serait déjà manifesté. Les deux présidents ont dû adouber l’analyse du Pentagone à propos de la ligne de front dans le Donbass.
Le risque est grand que celle-ci craque sous les coups de boutoirs russes, ce qui rendrait la négociation compliquée, voire impossible, pour les Ukrainiens, mais aussi pour les États-Unis et l’Europe. Certes, cette dernière n’a pas envie de se substituer en termes militaires et financiers aux États-Unis. Elle n’en a pas les moyens budgétaires, et elle ne s’est pas mise en économie de guerre pendant ce millier de jours.
Elle traverse une crise morale avec la désignation, comme vice-président de la Commission, d’un responsable d’extrême droite. Seule la Pologne a fourni un énorme effort de réarmement. Elle est maintenant dotée d’une nouvelle base de défense antimissile Aegis Ashore par l’OTAN, qui veut se renforcer sur tout le front Est.
Les USA veulent signifier à Poutine qu’ils ne veulent pas un effondrement de l’Ukraine. Le message vaut aussi pour la Corée du Nord, qui s’entraîne à balles réelles sur le sol russe à Koursk. Pas question pour les Américains de laisser Pyongyang aguerrir des soldats en vue d’un affrontement avec la Corée du Sud. Et puis, cela peut servir de dissuasion pour l’Iran et même la Chine.
Pour autant, l’autorisation d’utiliser les missiles ATACMS de moyenne ou longue portée ne change pas l’issue de la guerre. D’abord, parce que cela intervient très tard. Ensuite, le rayon d’action desdits missiles est bridé à 300 km au lieu de 600 km, pour des raisons de traités internationaux sur la livraison de ce type de matériel. Enfin, les cibles sont soumises au contrôle technique des États-Unis, c’est-à-dire à un feu vert définitif en fonction de la valeur stratégique de la frappe.
Celle qui est intervenue dès mardi dans la région de Briansk démontre qu’il s’agira de la logistique des aérodromes, des dépôts de carburants. Les frappes doivent être utiles, car cela coûte quand même 1 million de dollars le missile, et il ne faut pas pousser la Russie à l’irréparable.
Raison pour laquelle les États-Unis tiennent toujours l’Ukraine en laisse. Cette double commande est donc tout autant technique que politique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Allemagne n’a pas voulu livrer les missiles Taurus, refusant de s’immiscer dans le conflit, contrairement aux Anglais, qui ont livré des missiles Storm Shadow, et aux Français, des missiles Scalp, il y a quelques mois.
Cela a conduit à des frappes sur la Crimée, détruisant, par exemple, le quartier général de la flotte russe en Mer Noire. Mais le temps perdu ne se rattrape pas. Les Russes ont déménagé leurs bombardiers lourds et mis en place un système aérien robuste. Ils annoncent, par exemple, avoir déjoué l’attaque contre des bases aériennes.
Poutine a donc déjà construit ses « réponses appropriées ». Les Russes ont mis en place un dispositif antimissile. Ils viennent de lancer leur propre missile dans la profondeur de l’Ukraine. Ils ont rehaussé leur dispositif nucléaire.
Il est de bon ton de s’en moquer sur les plateaux de télé. « C’est du bluff », dit-on avec l’aplomb des commentaires de l’arrière. On oublie que nous avons déjà failli avoir une guerre nucléaire en 1962 à Cuba et lors des manœuvres de l’OTAN en 1983, où Andropov était persuadé que l’URSS allait être attaquée.
Il ne s’en est fallu de rien pour qu’il ait recours à l’arme nucléaire. Alors, bluff ? Oui, jusqu’au jour où, pour crédibiliser l’utilisation de l’arme nucléaire elle-même, Poutine utilisera l’arme de champ de bataille, sidérant le monde.
Il faut imaginer Poutine capable de le faire, même s’il n’a heureusement, pour l’instant, fait que menacer, comme après l’attaque contre le pont de Crimée, contre sa flotte en mer Noire, ou après la percée en Russie jusqu’à Koursk.
Il y a aussi, dans l’arsenal de Poutine, le sabotage. Le groupe Cinia, qui gère les câbles sous-marins, vient de découvrir que l’on a tenté d’endommager des câbles de fibres optiques reliant Helsinki et l’Allemagne.
On soupçonne un bateau chinois, Yi Peng 3, venant d’un port russe, avec un capitaine russe, croisant en mer Baltique. Mais on s’intéresse aussi à un bateau russe faisant des ronds dans l’eau dans la mer du Nord, spécialisé « dans la recherche océanographique ». Cela ne s’invente pas, avec deux sous-marins de poche utiles pour ce type d’action.
Il s’agit d’attaquer les relations Internet et les communications de l’Europe et des États-Unis. Rappelons qu’il y a 10 000 milliards de transactions financières par jour dans ces câbles.
Nous sommes donc entrés dans les conditions militaires pour ouvrir des négociations d’un cessez-le-feu. Pour les États-Unis, il s’agit de maintenir le front sans « blesser » la Russie. Pour Poutine, il s’agit d’élargir au maximum possible le périmètre des conquêtes en Ukraine sans provoquer la réplique de l’OTAN.
Le « feu » peut durer un peu plus longtemps que les 24 heures promises par Trump avant de s’éteindre. En Corée, la négociation a duré trois ans. Il y eut des dizaines de milliers de morts dans l’intervalle.
Il faut donc que l’Ukraine tienne ; les États-Unis l’aident à tenir. Cela n’a pas fondamentalement changé. Biden s’est trompé avec sa stratégie : ni défaite de l’Ukraine ni victoire de la Russie, parce qu’il est absorbé par le front asiatique.
Une défaite de la Russie aurait fait reculer la Chine. C’est maintenant à Trump d’avoir la main. On sait que le Président américain partage avec Poutine un égotisme chatouilleux. Mais le maître du Kremlin peut avoir besoin d’une pause transformée en victoire.
Si Trump peut aisément se mettre d’accord avec Poutine, ce sera à condition que celui-ci ne soit pas trop gourmand en termes de territoires et de glacis. Les Ukrainiens ne peuvent pas accepter n’importe quoi, et les Européens non plus.
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4. L’Algérie se durcit
La lune de miel entre E. Macron et le roi du Maroc a eu comme cadeau de réconciliation le Sahara occidental. Cela n’a pas échappé à l’Algérie, qui ne décolère pas de ce « mauvais coup » de la France alors qu’un travail commun sur la mémoire de la guerre d’Algérie s’engageait pour surmonter la « guerre des mémoires ».
On n’a toujours pas compris ce qui est passé par la tête du président Macron pour stigmatiser publiquement « la rente mémorielle du régime algérien » au moment même où les négociations commençaient sur le sujet. Et surtout, à la veille du changement de pied sur la question du Sahara occidental.
L’Algérie a appliqué à la France ce qu’elle avait pratiqué à l’Espagne après la même prise de position sur le sujet : la rupture diplomatique en rappelant l’ambassadeur algérien sans le remplacer. Alger a ajouté à cette sentence le refus du Président Abdelmadjid Tebboune de se déplacer en France jusqu’à nouvel ordre et le boycott des céréaliers français.
Ce qui est tout autant insupportable pour le régime algérien, c’est « le choix de Macron », la préférence pour le Maroc pour tenter de sauver ce qui peut l’être dans l’influence française en Afrique. Il est ainsi signifié à l’Algérie qu’elle est jugée moins fiable, car elle veut intégrer à toute fin les BRICS et reste très liée à la Russie.
Les proches de Prigojine, chef du groupe Wagner, comme Piotr Bitchkov ou Sergueï Sourovikine, se sont souvent rendus à Alger pendant les ruptures de plusieurs pays africains avec la France. Et ce n’est pas la menace de remise en cause de l’accord de 1968, qui réglemente la circulation, l’emploi et le séjour des Algériens, agitée par le ministre de l’Intérieur raillant l’obsession mémorielle du président Macron à propos de l’Algérie, qui va arranger les choses.
C’est dans ce contexte qu’intervient le remaniement gouvernemental à la suite de l’élection présidentielle. Et il marque une fermeture. Si le président algérien a reconduit le Premier ministre Nadir Larbaoui, et si le triangle de la réalité du pouvoir algérien ne change pas de mains (Énergie, Intérieur, Affaires étrangères), l’arrivée du général Chengriha, délégué à la Défense – puisque le président Tebboune garde la tutelle du ministère – est hautement significative.
Il s’agit d’abord d’une remise en cause d’une des revendications du Hirak, ces manifestations qui ont conduit à la chute de l’équipe Bouteflika : la non-présence de généraux au gouvernement. Et si cela a été fait, c’est que le chef d’état-major de l’armée est l’homme fort de l’Algérie. Sa présence au sein de l’équipe gouvernementale n’est pas anodine.
L’homme, qui a fait ses classes à l’école polytechnique de Coëtquidan et à l’Institut supérieur des états-majors Vorochilov à Moscou, est considéré comme un faucon anti-marocain. Il a fait la Guerre du Kippour et participé à la répression de la guerre civile des années 1990 et des manifestations de 2019. Autant dire que l’on a voulu manifester publiquement un net durcissement.
L’inculpation de l’écrivain Kamel Daoud et l’arrestation de Boualem Sansal s’inscrivent dans cette stratégie de la tension. (J’espère que vous avez signé la pétition demandant sa libération.) Quant à la dépêche de l’agence de presse "officielle", étrillant le "macrono-sionisme", elle indique, s’il en était besoin, la violence du ressentiment.
La France et l’Algérie sont au bord de la rupture totale, ce qui, associé aux dérives autoritaires et anti-françaises de la Tunisie et à l’effondrement tribal de la Libye, augure mal de toute politique commune migratoire et de collaboration efficace contre les réseaux terroristes.
À dimanche prochain.