3029 jour de guerre 

1. Épilogue socialiste

2. L'engenage fatal 

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1- Épilogue socialiste

Le Congrès du PS a vu la naissance du futur parti social-démocrate.

Dans une confusion extrême, avec comme seule apparence la stratégie vis-à-vis du populisme de la gauche, sous le fatras des mots, postures et de la guerre des postes, il faut percevoir l’histoire.

Depuis le refus de l’effacement au congrès de Villeurbanne, puis de la Nupes, l’alliance des anti-Faure à Marseille, l’opposition à la liste unique Nupes aux Européennes ou à la censure de Bayrou, s’est forgée la résistance du PS de gouvernement. Celle-ci vient de muter en alternative social-démocrate dans un texte d’orientation unifiant des forces éparses, entraînant près de la moitié du PS.

Il ne faut pas voir la victoire d’O. Faure sur le fil, même s’il faut la reconnaître, mais mesurer la naissance du nouveau dans l’ancien.

Pour les profanes, les 540 voix de différence sont au final dues au classique vote des outre-mer, légitimistes et disons peu divers. « Le deux en un », comme dit la pub d’un shampooing, est la marque de ce congrès. Il y a deux PS, encore faut-il en caractériser la nature.

L’ancien, c’est la « théologie » de la radicalité. Faure l’avouera d’ailleurs dans Libération : « Il faut aller chercher la radicalité. » Elle est la fille du mollettisme avec sa rupture d’apparence, du « frondisme » dans le quinquennat Hollande et d’un sauve-qui-peut général. Cette ligne est un renoncement volontaire du PS au pouvoir. Elle exerce son emprise depuis quasiment une décennie sur le PS.

La nouvelle voie, encore balbutiante, est une social-démocratie républicaine, un réalisme de gauche dans la transformation sociale, un engagement européen, un renouveau de la culture de gouvernement.

Ce clivage fut difficile à percevoir dans le déroulement du congrès, car la direction sortante avançait sous le masque avenant de la rupture avec Mélenchon. Entre ceux qui disaient « nous allons rompre avec Mélenchon » et ceux qui défendaient « nous n’avons cessé de le demander », le débat n’était pas d’une grande clarté. Quant à la controverse entre « la primaire de Glucksmann à Ruffin » des sortants et le « elle n’aura pas lieu, élisons le candidat du PS » des prétendants, elle était inaudible dans un parti préoccupé d’abord par les municipales, et qui trouvait ce sujet lointain.

Enfin, profitant du traumatisme du congrès de Marseille et de la peur d’être assimilé au passé, voire à la droite du PS, O. Faure a tenté — et réussi jusqu’au vote de l’orientation — d’imposer un non-débat et donc une non-mobilisation de ses adversaires. Le 2ᵉ tour, c’est-à-dire l’élection du Premier secrétaire, a démontré l’usure d’O. Faure. Les amis de B. Vallaud se sont mieux reportés sur Nicolas Mayer-Rossignol que prévu. Mais, surtout, est apparue une disponibilité à une ligne clairement alternative que la direction du PS ne soupçonnait pas.

C’est dans la dernière heure, à la dernière minute du dernier jour, le dimanche vers 0 h 15, que la clarification éclata — non vis-à-vis d’un homme, mais d’une ligne.

En refusant une phrase : « Il n’y aura plus d’accord national et aux législatives pour gouverner ensemble avec LFI », O. Faure et ses amis se démasquaient et donnaient naissance à un espace social-démocrate. Voilà quelques mots qui resteront dans l’histoire plus que centenaire des socialistes.

Dans ce congrès, le risque était considérable de voir disparaître la culture de gouvernement et de tuer dans l’œuf les espoirs d’une social-démocratie. Jusqu’au dernier moment, O. Faure, qui maîtrise mieux la tactique que l’identité, a tenté d’utiliser l’envie de rassembler les socialistes pour briser le texte d’orientation de Nicolas Mayer-Rossignol, d’Hélène Geoffroy et de Philippe Brun. Et force est de reconnaître qu’il a failli réussir, car il y avait des partisans pour cet accommodement plutôt que pour la clarification. Et c’est Faure lui-même, que l’on a connu plus adroit, qui, par son refus de la fameuse phrase, a signé l’épilogue du congrès. O. Faure est entré dans cet exercice avec une rupture tactique avec Mélenchon. Il en est sorti proxy du mélenchonisme, libérant une force nouvelle.

Serge Raffy, dans Le Point, à la suite de nombreux observateurs, parle de la « névrose Mélenchon du PS ». D’ailleurs, le patron de La France insoumise a habilement retourné ce point de fixation en indiquant dans un tweet qu’un débat sur sa seule personne se substitue à la faiblesse programmatique du PS. On comprend le président de la fondation La Boétie : il ne veut pas être le problème de la gauche alors qu’il se prétend la solution. Mais si le PS manque de programme, c’est qu’il se pense depuis la Nupes comme une franchise de l’union des gauches dominée par La France insoumise. En politique, « on se pose en s’opposant », disait F. Mitterrand. C’est la fameuse polarité amis/ennemis du très peu recommandable Carl Schmitt. Ce n’est pas nouveau : de 1956 à 1981, la SFIO, puis le Nouveau Parti socialiste, et enfin le PS, fut habité par la question du PCF. Du « PCF n’est pas à gauche mais à l’Est » de Guy Mollet, au débat idéologique avec les communistes de Savary, puis au programme commun, son actualisation et la victoire de F. Mitterrand, le PCF a été l’obsession du PS, avant de laisser la place aux écologistes, et maintenant à LFI.

La question stratégique du PS depuis la création de la Nupes n’est pas l’union de la gauche mais la subordination vis-à-vis de LFI. Le parapluie idéologique du populisme de gauche, baptisé « la vraie gauche » ou « radicalité », s’est construit autour du récit d’un renouveau. Il a bloqué toute refondation social-démocrate, tout nouveau cycle, tout renouveau idéologico-programmatique. Et le clin d’œil de l’histoire, c’est précisément la rupture avec l’hégémonisme populiste de gauche qui permet de créer un espace social-démocrate. Le congrès de Marseille ne l’avait pas permis, butant sur la participation de Nicolas Mayer-Rossignol à la direction Faure, et le refus d’Hélène Geoffroy d’y participer. Le congrès de Nancy voit une union sur un texte et une stratégie : celle de l’autonomie dans la constitution du projet socialiste à la présidentielle, et l’élection du candidat des socialistes, plutôt qu’une plateforme d’emblée commune de la gauche non mélenchoniste, et la participation du PS à la primaire « de Ruffin à Ruffin », comme l’a évoqué Karim Bouamrane à la tribune du congrès.

L’alternative est donc née dans la forge du congrès de Nancy. Elle a été parfaitement exprimée devant les congressistes par Nicolas Mayer-Rossignol dans un excellent discours de claire délimitation. Elle doit se structurer. Ce n’est pas gagné. La question majeure a été posée par Hélène Geoffroy et son fameux « Revenez, revenez, revenez », qui a soulevé le congrès… Le combat pour le remembrement des gauches de gouvernement devient existentiel. Car si les sociaux-démocrates se sont unifiés dans le PS, ils sont épars en dehors.

Raphaël Glucksmann ne peut réussir seul, comme le fit E. Macron. Il faut qu’il fasse la jonction avec les sociaux-démocrates de l’intérieur. Et si l’on partage l’appel de Cazeneuve – Rebsamen au rassemblement des sociaux-démocrates, il peut difficilement s’effectuer dans la perspective d’être la gauche d’un bloc central très largement fictif. Et ceci d’autant que, réélu après avoir senti le vent du boulet, O. Faure a fait un « retour à gauche ». Son discours de clôture, dont personne n’a parlé, a allumé tous les signaux en ce sens. Il s’agit pour « Faure sauver des eaux » de pousser les sociaux-démocrates vers le macronisme finissant. De réduire au maximum l’espace de B. Vallaud, très gourmand dans la composition de la direction et qui ne cache pas ses intentions d’être candidat à la désignation socialiste pour la présidentielle.

Le PS va chercher des réparations symboliques à son embardée non mélenchoniste : de la censure à l’alignement sur le populisme de gauche à l’international. Deux questions vont animer les deux pôles du PS. D’abord l’attitude vis-à-vis du conclave des retraites : soutien ou non à l’accord des partenaires sociaux, s’il a lieu. Et censure ou non, si celui-ci est « vendangé » par un patronat décidément très rétrograde. Mais le juge de paix sera le résultat des municipales. Elles s’annoncent difficiles, car le PS fauriste est dans un entre-deux : il n’est plus tout à fait dans le NFP, et pas encore dans la gauche non mélenchoniste. Ce faisant, l’utilité du PS pour les Français est imperceptible. Et cela ne va pas s’améliorer quand on voit que Ruffin et Glucksmann ont décidé de se faire la courte échelle en s’affrontant, par exemple sur Arcelor, et en se proposant de débattre en champions des deux gauches.

Par contre, la dynamique de la droite retailliste dans une élection locale où le RN ne performe pas, et la volonté de LFI de sanctionner le PS, vont être dures pour « le parti », qui ne peut compter que sur ses sortants.

Avant cela, il y aura la censure et ses conséquences, et un épisode qui semble à cette étape anodin mais qui a son importance : le projet socialiste pour la présidentielle, dont les lignes fortes seront présentées lors du campus de Blois. Ce serait l’occasion pour les sociaux-démocrates d’affirmer un peu plus leur identité. Mais, il s’agit là d’un nouveau chapitre.

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2- L'engrenage fatal

La guerre ! C’est ainsi que le président des États-Unis a tranché le dilemme auquel il était confronté depuis que Netanyahou a renversé l’échiquier, acculé qu’il était. Le Premier ministre israélien, en butte aux réprobations, condamnations et même menaces de sanctions de l’Europe, contre la famine et les bombardements sans fin à Gaza, confronté au précédent que serait une conférence France–Arabie Saoudite pour un État palestinien, devant la négociation entre l’Iran et les États-Unis où une réponse était attendue pour le 14 juin, a saisi le rapport de l’AIEA, par ailleurs accablant sur l’enrichissement mais pas sur l’imminence de l’arme nucléaire, pour déclencher une guerre préventive, contraignant le monde occidental à le soutenir. Fort de ce retournement, et conforté en Israël même par l’échec de la tentative de le renverser à la Knesset, Netanyahou a réussi à entraîner un président américain dans la guerre pour la chute des ayatollahs.

L’Iran a décidé, après la sortie de Trump du traité nucléaire iranien – car il y en avait un – et le maintien des sanctions, de se doter des moyens nucléaires en enrichissant l’uranium au-delà de ce qui était nécessaire pour le nucléaire civil. L’Iran veut l’arme atomique pour rendre son régime de terreur religieux inexpugnable, pour protéger ses milices terroristes, menacer ses voisins, dont Israël, et au-delà.

Nous sommes dans la bascule de l’histoire. L’entrée en guerre des États-Unis, hors du droit international et de toute décision du Congrès, à la suite de celle d’Israël dans les mêmes conditions, fait entrer le monde dans une époque où la force prime le droit.

L’intervention de Poutine en Ukraine en avait été les prémices. Nous sommes aujourd’hui dans l’engrenage fatal.

La France doit, comme le préconisait le président Macron, exiger le cessez-le-feu et le retour à la table des négociations.

La gauche s’honorerait de soutenir cette action qui tire sa source dans la continuité de la politique française depuis 1967, où le général de Gaulle avait poussé le bouchon un peu loin à propos d’Israël, mais enfin, il avait tracé un entre-deux salutaire. F. Mitterrand a poursuivi avec son fameux « Nous sommes en France », et je ne cite pas J. Chirac et D. de Villepin.

Oui, il faut le retour à la table des négociations.

Car personne ne sait si les 405 kilos d’uranium enrichi n’avaient pas été déménagés aux premières heures du conflit avec Israël.

La riposte meurtrière de l’Iran en Israël aux bombardements de 35 tonnes de bombes sur ses sites nucléaires aura des prolongements en Irak et dans le monde, contre les intérêts américains.

Et la question de la chute du régime par les armes est ouverte, comme le souhaite Netanyahou.

L’Iran n’est pas la Serbie, et le sinistre Khamenei n’est pas Milosevic. Si on veut changer le régime à la pointe de l’épée, il va falloir aller au sol. L’engrenage, c’est cela.
Mais les exemples de l’Afghanistan, de la Libye, voire de l’Irak après avoir envahi le Koweït, ne sont pas probants. Quant à la guerre des Bush contre l’immonde Saddam Hussein, dictateur ayant gazé les Kurdes, elle a débouché sur Al-Qaïda.

Quant à l’insurrection du peuple iranien, avec les relais nécessaires dans l’armée, voire des secteurs de l’appareil d’État (genre chute de Ceaușescu), je ne la vois pas encore. Je vois même des figures de femmes courageuses de l’opposition vouloir le changement de régime, mais refuser de répondre à l’appel de Netanyahou. On nous dit : le régime est au bord de la rupture. Ce n’est pas impossible, je suis prêt à le croire, car c’était le cas avant le déclenchement de la guerre.
Mais il tient encore sous les bombes ! Parce que les bombes ?

L’intervention américaine, déclenchée alors que les négociations avaient été enclenchées entre l’Europe et l’Iran, donne immédiatement au conflit une dimension mondiale.

Il n’y aura ni intervention russe ni chinoise en Iran – nous ne sommes pas à la veille d’une nouvelle guerre de Corée. Les deux alliés ne sont pas intervenus en Irak ou en Afghanistan. Mais il y a d’autres manières de s’impliquer, surtout lorsqu’il s’agit de défendre les réserves énergétiques chinoises ou l’armement en missiles russes.

La Russie est confrontée à la récession, mais profite de la hausse du prix du pétrole due au conflit. Elle voit dans cette intervention la légitimation de sa guerre en Ukraine. La Chine va tirer argument à propos de Taïwan. Le Sud global va faire bloc, quelles que soient les arrière-pensées sur le régime chiite, renforçant l’emprise de l’empire du Milieu sur celui-ci. L’amertume de 1,6 milliard de musulmans n’est pas de très bon augure dans des pays comme l’Afghanistan ou le Pakistan, déjà sur les dents à propos du Cachemire. Pas plus qu’en Europe, particulièrement pour la communauté juive, déjà en proie à la montée de l’antisémitisme.
Mais en retour aussi, la montée du racisme contre la « 5e colonne » de l’islamisme que serait l’immigration. « Il ne fait pas bon d’être musulman en France », dit le très raisonnable recteur de la mosquée de Paris, Chems-Eddine Mohamed Hafiz, dans un silence assourdissant.

Il faut sortir le nez de l’entre-soi, de la toute-puissance occidentale, disant le droit et le non-droit à sa convenance. Il faut regarder les manifestations monstres à Alger, à Casablanca, dans toute l’Amérique latine, mais aussi devant l’ambassade des États-Unis à Jakarta, en Indonésie, où le tweet de solidarité avec Gaza a été liké 47 millions de fois dans ce pays. Ce n’est pas pour rien que le roi de Jordanie a envoyé sa famille en Grande-Bretagne. Et l’Égypte prend des mesures d’extrême sécurité. Enfin, si les États-Unis n’ont pu utiliser la base de Diego Garcia, c’est que le Premier ministre britannique n’a pas voulu être entraîné dans l’aventure...

Nous sommes entrés dans un autre monde : celui des guerres et des dictatures.