2040 Jours de guerre en Europe
- Mélenchon, Le Pen, Fillon : des non-alignés bien alignés ;
- Cessez-le-feu
- Boris Vallaud bouscule Olivier Faure
- La Relève : Emmanuel - Rémi
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1/ Mélenchon, Le Pen, Fillon : des non-alignés bien alignés
Coup sur coup, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen, Jordan Bardella et Jean-Luc Mélenchon "montent en ligne" après les propos du Président de la République E. Macron. Le chef des armées, délaissant l'idée de ne point "humilier la Russie", se proposait dans son propos de mettre notre arme nucléaire à disposition de l’Europe. Cela semblait une fois de plus incongru, mais le Kremlin prit "la chose" au sérieux. Le ministre de la Défense eut beau rétropédaler, indiquant qu’il n’y aurait pas de mutualisation du bouton nucléaire, les Poutiniens suspicieux se sont déchaînés contre Macron désigné comme un "petit Napoléon".
À la suite de cette réaction de Moscou, avec une convergence de temps troublante, tous ceux qui ont peu ou prou partie liée avec la Russie sont montés aux ordres, comme on dit dans les courses hippiques. Ils le font avec un axe identique : d'abord une distance avec la mauvaise manière de Trump à l’égard de Zelensky, puis chacun relativise le danger russe.
Le premier à sortir de la tranchée, sabre au clair, est François Fillon. Lui qui s’était fait prier pour démissionner de deux conseils d’administration de sociétés russes répond à une interview exceptionnelle de Valeurs Actuelles. Le mentor de Retailleau, à qui il a laissé son club et les finances afférentes, a tout à coup un urgent besoin de s’exprimer pour une tonitruante mise au point qui gêne toute son ancienne famille politique. Elle tient en une phrase : Zelensky "n’est pas le héros irréprochable magnifié par les Européens". Il est vrai qu’en termes de héros irréprochables, l’ancien Premier ministre est qualifié pour faire la leçon. Mais, la formule ne devrait pas trop contrarier Poutine. Lui n’a droit à aucune caractérisation de ce type. C’est une manière de disculper l’un et d’inculper l’autre dans cette guerre en Europe.
Nicolas Dupont-Aignan, plutôt discret depuis qu’une partie de ses troupes a rejoint Marine Le Pen, ne s’embarrasse pas d’un discours implicite. "NDA" va droit au but, c’est un peu brut de décoffrage, mais c’est clair. Il déclare à France Info : « On nage en plein délire », puis il dit tout haut ce que les nouveaux mouscoutaires pensent tout bas : « Il n’y a pas de menace russe, c’est un délire inventé par le président de la République. » Le président de Debout la France apporte ainsi un maigre soutien à l’argumentaire du Kremlin : "Nous ne menaçons personne, nous récupérons notre bien". Dupont-Aignan ne devrait pas avoir de mal, avec ce type de déclaration, à trouver une place sur le mausolée de Lénine pour voir défiler les troupes russes le 9 mai ou le 12 juin.
Marine Le Pen, dont on connaît les accointances avec les banques russes qu’elle a remboursées, nous dit-elle, et les institutions financières hongroises que son ami le pro-russe V. Orban lui a trouvées, tente la diagonale du flou. Elle veut être ni anti-Trumpiste ni anti-Poutinienne, sans être pro-Poutine ou pro-Trump. Au point de regretter sur Europe 1 "une classe politique binaire sans hauteur ni profondeur". Elle revendique sa part de complexité, de nuance et même de pouvoir changer d’avis comme être pour le Bitcoin avec Trump après avoir demandé de l’interdire en 2017. Elle assure qu’elle n’est pas "pour que la Russie attaque l’Ukraine". On s’en doutait un peu, mais ce n’est pas le sujet. On demandait seulement si la Russie était un danger pour l’Europe et la France.
Alors suivons la pensée complexe de Marine Le Pen et voyons où cela nous mène. Lors du sommet de l’extrême droite européenne à Madrid, elle banalise le courant pro-Trump des nationalistes. Elle explique que c’est un coup de chapeau sans plus au « patriote Trump ». Puis elle prend ses distances, qualifiant comme les autres de "brutale" la rencontre entre Trump et Zelensky, mais pour immédiatement ajouter, dans Le Figaro vendredi dernier à propos de la Russie, que celle-ci n’avait pu plier l’Ukraine en 3 ans, elle n’est donc pas un danger pour l’Europe. "Vous vous trompez de danger", dit-elle, "le fondamentalisme islamiste reste la première menace".
Ainsi, pour Marine Le Pen, la Russie est un problème secondaire, Trump un patriote un peu brutal et E. Macron veut simplement se refaire politiquement dans cette affaire. La pensée tout en nuances de la leader de l’extrême droite se résume en un : "Circulez, il n’y a rien à voir, occupez-vous des Arabes !".
Jordan Bardella, de son côté, précipite une conférence de presse à Strasbourg non pour contredire sa cheftaine, mais il tente d’arriver aux mêmes fins sans insulter l’avenir. Il indique que la menace russe est multifactorielle mais… qu’il ne faut pas s’engager "dans une guerre larvée avec une puissance nucléaire" appuyée par la Chine. Le président du RN dit partager vos inquiétudes – il lit les sondages, le garçon (59 % des Français favorables à la protection nucléaire de l’Europe) –, mais en bon Munichois, il nous propose de ne rien faire, car c’est trop dangereux. Voilà qui est digne d’un homme d’État.
Là encore, cela ne devrait lui valoir qu’un « passable » par les autorités du Kremlin, car gage d’un certain modérantisme en cas d’arrivée du RN au pouvoir, tout en étant, pense-t-il, moins attaquable en cas de dissolution.
Jean-Luc Mélenchon n’est pas du genre à donner dans la punchline. Avec lui, c’est du lourd, du solide, que dis-je, de l’argumentaire. Lors du "moment politique" asséné depuis le 87 rue du Faubourg-Saint-Denis, haut lieu du lambertisme, il s’exprime pendant 2h10 (je vous rassure, je l’ai écouté en plusieurs fois lors de mes déplacements dans le métro). Le leader de La France insoumise et de la Fondation La Boétie réunis nous indique que la fondation va se doter d’une commission géopolitique. Nous voilà rassurés…
L’orateur insoumis déploie un curieux argumentaire à l’encontre du discours d’Emmanuel Macron. Nous le résumerions ainsi : "Je suis pour la paix, mais puisque vous êtes pour la guerre, je vais vous dire comment la faire". Bref, le propos se veut tout à la fois inspiré par Jean Jaurès, à moins que ce soit Gustave Hervé, et par le Général de Gaulle ; alors, évidemment, on tend l’oreille.
Jean-Luc Mélenchon commence son propos en défense du "petit contre le gros", c’est-à-dire Zelensky contre Trump. L'impérialisme américain ne change pas de nature, peste-t-il, toujours le "souverain mépris pour les autres nations".
Pour illustrer cela, il convoque le Mexique à la barre. Cela tombe bien, il en revient, il a rencontré la ministre de l’Intérieur, "une camarade", dit-il. L’entrée en guerre des États-Unis contre le Mexique en 1848 conduit à une occupation d’une partie du pays, avance-t-il. C’est un petit peu plus compliqué que cela, mais notre nouveau "Santa Anna" a besoin de réaffirmer son anti-impérialisme.
Une fois ceci évacué, il explique que "la sécurité, ce n’est pas la guerre à la Russie". Qui a déclaré la guerre à la Russie en Europe ? Nous n’en saurons pas plus, car immédiatement, il se gausse du président Macron, qui n’a comme preuve de la menace russe que des attaques informatiques contre les hôpitaux. "On nous attaque, mais si c’est vrai, alors il faudrait riposter", dit-il dans un effet de manche qu’il affectionne.
Puis Mélenchon déroule l’argumentaire disculpant Vladimir Poutine. Tout vient de 1991, où, lors de la chute du mur de Berlin, on n’a pas dit où étaient les frontières. Celle-là, je vous avoue, je ne l’avais pas vue venir. Si les Russes sont si mécontents, c’est que les "Occidentaux" ne leur ont pas fixé de limites. Mais bon dieu, c’est bien sûr ! Le Kremlin n’y retrouvait pas ses petits, il ne savait plus où il en était, qui était avec quoi, et évidemment "les problèmes non réglés ont ressurgi". On n’en saura pas plus sur les fameux problèmes, mais cet axiome mélenchonien ne se discute pas.
L’intervention en Géorgie ou une première fois en Ukraine avec l’annexion de la Crimée, ce n’est pas la faute de Poutine, mais dû à la fin de l’empire soviétique "sans patrie ni frontière". Poutine a traversé la frontière sans trop savoir si cela était à lui ou pas. C’est bêta, quand même.
Continuons, munis de leur GPS défectueux, les Russes se sont trompés une deuxième fois lors de l’opération spéciale. Ils ont rattaché de force les "Républiques" du Donbass à cause de ces frontières indéfinies. L’argumentaire ne s’arrête pas là.
En 1994, lors du traité de Budapest, "on a menti au successeur de Gorbatchev en lui disant qu’il n’y aurait pas de progression de l’Otan". Eltsine puis Poutine roulés dans la farine par l’Otan. Jean-Luc Mélenchon a déjà évoqué cette thèse pour refuser de condamner la Russie lors de l’invasion de l’Ukraine. "Mettez-vous à leur place", tente-t-il ! C’est vrai, cela, mettez-vous dans la peau de Poutine ! Bon courage !!
L’argument déjà entendu dans la bouche de Poutine est ici reproduit avec un souci : en 1994, il n’y a pas de traité, mais un mémorandum. Il est signé par la Russie, les États-Unis et la Grande-Bretagne et accorde des garanties d’intégrité territoriale à trois anciennes républiques soviétiques, dont l’Ukraine. Le texte précise même que, quel que soit son choix, l’on s’engage à "s’abstenir de toute menace ou d’usage de la force contre l’Ukraine".
Mais Mélenchon insiste, il détient l’argument atomique : la promesse de ne pas étendre l’Otan a été confirmée par les États-Unis en 2008. C’est en 2009 et il s’agissait de réaffirmer la validité dudit mémorandum.
C’est la Russie qui a rompu sa signature, non pas parce qu’il y avait une menace de l’Otan, puisque, au moment de l’invasion russe, l’Ukraine n’était ni dans l’Otan ni même dans l’Europe. Et personne n’y était réellement favorable.
L’Otan était à ce point menaçante que le président Macron la trouvait subclaquante, en "mort cérébrale", disait-il au Monde.
Pour justifier son intervention, Poutine faisait appel à l’histoire de la Russie, débutée à Kiev, menacée par des bandes fascistes. Le président Macron a dû s’infuser ce pensum au bout d’une table le tenant à distance.
Dire ce que dit "JLM", c’est valider la thèse de Poutine postérieure à l’invasion : "nous sommes menacés par l’Otan qui nous encercle". Argument spécieux, car Poutine n’a pas réagi lorsque les pays baltes ont adhéré à l’Otan et ont intégré l’Europe.
Mais l’orateur du "87" nous déclare dans un demi-sourire : "On n’est pas obligé d’être de bonne foi". Évidemment, dit comme cela, le reste est superflu.
Voilà pour la paix mélenchonienne. Quant aux conseils pour la guerre, dans un inventaire à la Prévert, il nous indique que la première sécurité est écologique (ce n’est donc pas la Russie), qu’il ne peut y avoir de négociations sans l’Ukraine, qu’il faut un cessez-le-feu, un droit au retour des déserteurs, la consultation des populations, une garantie mutuelle via des casques bleus et surtout la sécurisation des centrales nucléaires.
Dans cette contribution à l’effort de guerre par Mélenchon, point de territoires occupés, de déstabilisation russe en Moldavie, en Roumanie, en Bulgarie ou d’ingérences dans les élections.
Tout juste la Géorgie est citée, mais pour dire que « Saakachvili, pour qui travaillait Glucksmann » – suivez mon regard – envahissait des territoires qui ne lui appartenaient pas et a été remis à sa place par Poutine.
Pour le reste, pas un mot sur la Crimée et le Donbass qui tombent dans l’escarcelle de Poutine. Vous n’en saurez pas plus sur la gigantesque base militaire en Crimée, on suppose que pour l’orateur du "87", elle ne menace personne et Poutine a besoin de faire ce qu’il veut chez lui.
Pas un mot sur l’adhésion de l’Ukraine à l’Europe, les Insoumis voteront, comme le RN, contre à l’Assemblée.
Au fond, c’est un plus long cheminement que ses petits camarades pour dire la même chose : "la Russie ne menace personne".
D’ailleurs, c’était très exactement ce que Mélenchon nous avait dit à la veille de l’opération spéciale de Poutine déclenchant la guerre sur le sol européen.
C’est ce qui s’appelle le "non-alignement aligné".
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2/ Cessez-le-feu
Zelensky n’a rien lâché, Poutine non plus. Le voyage en Arabie saoudite du président ukrainien pour rencontrer les Américains tenait plus du raccommodage après un gros accroc que d’un Zelensky allant à Canossa. Il a défendu la thèse du cessez-le-feu qui était déjà la sienne avant de se rendre dans le bureau ovale à Washington, et ce sans pour autant baisser pavillon.
Zelensky est conscient du rapport de force. Il n’a pas beaucoup de choix, mais il n’est pas prêt à accepter n’importe quoi. Les Américains sont pressés, très pressés de conclure. Ils surjouent la victoire et peuvent reprendre le renseignement, dont la rétention faisait un peu trop pro-russe et a provoqué une accélération dans la recherche de l’autonomie stratégique de l’Europe.
Les choses sérieuses commencent, même si le flou persiste entre trêve, cessez-le-feu ou accord de paix. Ce n’est pas la même chose, car cela n’a pas les mêmes conséquences. Ce qui est sûr par contre, c’est que nous entrons bien dans une négociation américano-russe sans l’Ukraine, sans l’Europe.
Par contre, la thèse développée par Macron – "Maintenant, on va voir si la Russie est pour la paix" – n’a pas de sens. Le but n’est pas de démasquer la Russie, puisque le président déclare à qui veut l’entendre que la Russie est un danger. Et ceci sous-entend que si Poutine acceptait le cessez-le-feu, il serait pour la paix ?
Quant à l’exigence de la France de voir Poutine sortir de l’ambiguïté, elle fait un peu "mouche du coche", ou alors elle vise à démontrer que la France est plus nette avec Poutine que ne l’est Trump. Il est vrai que dans le poker menteur russo-américain, les deux font assaut d’amabilités. Poutine allant jusqu’à comprendre la "préoccupation du président Trump de préserver des vies".
Poutine, nourri au déterminisme de Guerre et Paix de Tolstoï, fait peu cas du rôle de l’individu dans l’histoire, mais il a compris qu’il fallait flatter le président américain. Pour lui, seuls les faits comptent, à l’instar d’un Staline et sa réplique : "Le Vatican ? Combien de divisions ?"
À cette étape, Moscou a les cartes en main. Après avoir fait durer sa réponse pour réduire définitivement la poche ukrainienne en Russie, il peut décider d’une trêve de 30 jours reconductibles.
Personne ne sait ce que va faire le maître du Kremlin. Va-t-il utiliser l’impatience à conclure de Trump ? Mais pourquoi faire ? Cherche-t-il un moment de répit pour se reconstituer, faire venir des troupes fraîches, se réarmer et consolider la défense des terres conquises, puis multiplier les incidents pour décider d’une nouvelle offensive et peut-être enfoncer le front, car si le cessez-le-feu dure, les Ukrainiens vont se démobiliser ?
Voudra-t-il étendre son glacis ?
L’absence de l’Ukraine dans l’Otan, c’est fait, Trump a indiqué d’emblée qu’il n’en était pas question.
Refusera-t-il l’adhésion de l’Ukraine à l’Europe ou l’astucieux plan Bourlanges d’adhésion par étapes ?
Voudra-t-il la garantie de la levée des sanctions des États-Unis et la levée de celles du TPI ?
Une chose est sûre, il va prendre son temps tout en assurant que tout cela va dans le bon sens. C’est ce qu’il a déjà commencé à faire.
Et nous ne savons pas plus ce que sera la réaction de Trump à ce "temps et la relance" : menaces ? Avancées unilatérales ?
D’autant que le président américain a d’autres guerres sur le feu : commerciales ou avec la Chine, dont les manœuvres de débarquement à Taïwan se multiplient, au moment où l’opinion américaine décroche et où la Bourse dévisse.
L’Europe aurait tort de regarder la situation les bras croisés en attendant qu’elle se dénoue entre la Russie et les États-Unis.
Il faut mettre les bouchées doubles, il y a une fenêtre d’opportunité. L’Allemagne est prête à discuter du parapluie nucléaire français, en tout cas du fameux pilier de défense européen, car ses services secrets disent que Poutine n’a pas renoncé à disloquer l’Europe. Et Trump en veut à sa production automobile.
La ligne du cessez-le-feu, pour nécessaire qu’elle soit, est un jeu de dupes si elle dure.
C’est au mieux le cessez-le-feu entre la Corée du Nord et du Sud ; soit un moment pour une nouvelle offensive russe.
Il n’y a qu’une seule chose que Poutine peut comprendre : l’organisation d’une confédération européenne de défense avec le double parapluie nucléaire de la France et de la Grande-Bretagne.
Poutine ne s’arrêtera que lorsqu’il aura compris qu’il ne gagnera pas.
Le temps presse.
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3/ Boris Vallaud bouscule Olivier Faure
Et Vallaud vint, la semaine où les tenants de l’alternative à Faure font un pas vers la motion commune. Le 15 mars, c’est toujours les "ides de mars". Tout à coup, le "narratif" du premier secrétaire du PS est mis en cause.
Il était d’une simplicité biblique : O. Faure était déjà réélu et en marche pour la présidentielle, dans une primaire du NFP résiduel ou sans. Le premier secrétaire, sortant d’un tour de France en majesté intitulé sobrement "Parlons-en", a annoncé sa candidature pour un nouveau mandat.
Le reste allait de soi. Son changement de pied stratégique, suite à la rupture de Mélenchon – "Le PS n’est plus notre allié"–, lui retirait une aiguille du pied d’une subordination à LFI qui commençait à lui coûter et pouvait tout emporter.
Le non-vote de la censure remettait le PS sur l’axe d’une gauche responsable. Il avait donc dérobé l’orientation de ses opposants. Son courant faisait bloc, pendant que ses adversaires peinaient à s’unir. Si besoin, il encouragerait la division en leur sein, soutenant quelques "Iago" en mal d’investiture. Et si cela ne suffisait pas, il agiterait le retour de Hollande.
Mais, pour l’instant, cela ne se passe pas comme prévu. La martingale est grippée. Coup sur coup, Philippe Brun sort du TO2 et réussit à déposer une contribution avec Fatima Yadani, la trésorière du Parti socialiste – prise stratégique s’il en fut – et le très social-démocrate maire de Cergy-Pontoise, fervent soutien de Bernard Cazeneuve.
Puis Karim Bouamrane en fait de même. Mais, s’il dit avoir les signatures pour concourir, il refuse de se banaliser dans une contribution à côté des autres et plaide avec force pour l’union de l’alternative à Faure dès le stade des contributions, car son objectif va au-delà du poste de premier secrétaire.
Jérôme Guedj retrouve sa camarade de la Gauche socialiste, la sénatrice Laurence Rossignol, pour "emplafonner" le premier secrétaire dans une interview au Point.
Une contribution générale dite de gauche surgit tout à coup du courant de Faure avec, à sa tête, la députée de Seine-Saint-Denis Fatiha Keloua-Hachi, "ultra" mélenchoniste favorable à l’accord avec LFI. Elle fut l’une des 8 députés PS votant avec ces derniers la motion de censure de Bayrou.
Nul ne sait si ce texte a vocation à rejoindre Faure plus tard. C’est un peu plus compliqué que cela, vu les acteurs et leur réel ancrage. Mais cela renforce l’image d’une perte de maîtrise de la majorité fauriste.
Pendant ce temps, Hélène Geoffroy (TO1) et Nicolas Mayer-Rossignol (TO3) multiplient les réunions en vue d’une motion qui les fédérerait. Carole Delga s’est mise en ordre de marche en créant La République en commun et pousse à une nouvelle donne capable de l’emporter. A. Hidalgo reprend du service et ce n’est pas pour conforter le premier secrétaire.
Enfin, le maire de Marseille, Benoît Payan, toujours prudent, soutient tout le monde... sauf O. Faure.
Et c’est maintenant le tour de Boris Vallaud, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, qui annonce vouloir défier le premier secrétaire pour rassembler le PS.
Un président de groupe défiant le patron du Parti socialiste ? Du jamais vu au PS depuis 1920, sachant que dans le conflit en 1938 entre Blum et P. Faure, Blum n’était plus président du groupe, et que dans le conflit entre Joxe, président du groupe soutenu par Jospin (premier secrétaire), et F. Mitterrand, il s’agissait de l’amnistie des "généraux factieux de l’Algérie française", voulue par le président socialiste. Pierre Joxe ne voulait pas la place de Mitterrand.
Ici, c’est une première historique, et cela laissera des traces.
D’autant que l’on peut s’attendre à quelques vacheries ou révélations sur la séquence parlementaire de la censure.
Déjà, les éléments de langage du TO2 accusent le président du groupe de trahison. Et le redoutable Carlos Da Silva vient d’être nommé à la tête d’une commission pour "s’occuper de Vallaud" et contrarier une motion commune.
L’affaire est donc sérieuse.
Car la "montée en charge" de Boris Vallaud a pour but de conduire Faure à renoncer, puis à rassembler une partie de ses troupes et celles de Nicolas Mayer-Rossignol pour constituer une nouvelle majorité, marginalisant les pro-mélenchonistes et les anti-mélenchonistes.
La démarche est osée, en tout cas un peu tardive. Une délégation demandant au premier secrétaire de renoncer aurait été plus efficace.
Car maintenant qu’il s’est engagé, Faure peut difficilement jeter l’éponge. Il perdrait tout.
À l’étape des contributions, le député des Landes ne prend pas beaucoup de risques. Il sème le trouble chez ses anciens amis. Le soutien implicite de Martine Aubry peut sembler encourageant pour tenter une dynamique.
Mais, le moment de vérité sera le dépôt des motions.
Dans le système un peu complexe du PS, seuls les premiers signataires des deux motions arrivées en tête peuvent concourir au poste de premier secrétaire.
Si Boris Vallaud n’a pas obtenu le retrait de Faure ou une masse critique attirant les autres courants, l’intérêt pour lui d’aller à la motion sera limité.
Surtout si les tenants de l’alternative s’unissent.
Boris Vallaud sera devant un choix : Se retirer sous sa tente, drapé dans le rassemblement en vue de combats futurs, et laisser ses troupes choisir pour lui ; Ou, aiguillonné par les attaques de Faure et les ralliements à son panache blanc, aller à la motion, ce qui condamnerait Faure comme premier secrétaire.
À cette étape, la bataille commence.
Le député des Landes et président du groupe socialiste a brûlé ses vaisseaux. Il sait que Faure ne pardonne pas les offenses, même s’il prend son temps.
Il croit en son étoile et a donc envie d’aller au bout.
C’est la lutte qui détermine toujours l’issue de la lutte.
Rien n’est impossible, tout est ouvert, rien n’est fait, car l’envie de changement dans le PS est grande. Le député des Landes peut être un refuge pour ceux qui veulent changer sans pour autant aller chez ceux qui les ont combattus.
Après un septennat de Faure à la tête des socialistes, ces derniers aimeraient bien surmonter la division stratégique de Marseille par une nouvelle donne à la veille des municipales.
D’autant que les fauristes ont imprudemment mis à l’ordre du jour la candidature de Faure à la présidentielle, et les socialistes goûtent peu la confusion des genres entre le premier secrétaire et le candidat à la présidentielle.
C’est tout à la fois préempter l’échéance, l’encadrer par une stratégie favorable au premier secrétaire-candidat, et éviter une mise à jour de la stratégie et surtout de la doctrine pour mieux rassembler dans et hors du PS.
Le slogan de B. Vallaud – "L’unité à toute force, mais pas à tout prix" – est tellement flou qu’il peut plaire. En tout cas, il dessine que l’on a voulu avec O. Faure l’union à tout prix.
Enfin, l’idée d’une direction collective est plus classique.
Je n’ai jamais vu un candidat dire "je vais diriger seul", mais, là encore, cela souligne que la direction actuelle de Faure ne l’est pas.
Donc, à cette étape, les fauristes se délient, pendant que l’alternative s’active.
C’est le sens, semble-t-il, de la réunion du vendredi 14 mars des tenants de l’alternative à Faure, qui sont pour le moins pluriels – et ce n’est pas fini – mais veulent une nouvelle direction.
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4/ La Relève
Chaque semaine, je dresse le portrait d’une personnalité du PS que je suis de près ou de loin et dont j’estime qu’il fera partie de la relève. Après Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Philippe Brun, Érika Bareigts, Jérôme Guedj, Valérie Rabault, Michaël Delafosse, Benoît Payan, Lille, Mathieu Klein, Rachid Temal, Johanna Rolland, Nathalie Koenders, Olivier Bianchi, c’est aujourd’hui Emmanuel Grégoire et Rémi Féraud, candidats à la candidature à la mairie de Paris.
Emmanuel - Rémi
Paris est capital.
"Si vous avez la chance d’avoir vécu à Paris jeune homme, où que vous alliez pour le reste de votre vie, cela ne vous quitte pas", disait Ernest Hemingway.
Mais Paris n’est plus une fête, pas seulement parce que l’auteur de L’Adieu aux armes ne retrouverait ni son Clichy, Montmartre ou Montparnasse, mais parce que la fête de la conquête de la citadelle chiraquienne réputée imprenable est bien finie.
Comme dans Vingt ans après, les Mousquetaires sont fatigués. Après 25 ans en réalité, ils sont fourbus, disparus, dispersés, et il échoit aux "enfants de l’épopée" de défendre l’héritage.
Nous sommes passés de la conquête à la conservation de ce qui est devenu une place forte des socialistes.
Mitterrand s’est lourdement trompé lorsqu’il me déconseilla de tenter de m’implanter dans le 19ᵉ arrondissement de Paris.
"Allez dans le Vimeux, puisque vous avez des racines picardes. Paris est sensible aux aléas de la politique nationale, pas la province."
Résultat : les socialistes sont installés à Paris depuis près d’un quart de siècle et j’ai été député de Paris pendant presque tout ce temps.
Si les socialistes ont de nombreuses réussites à leur actif, s’ils sont à leur manière les "haussmanniens" de l’adaptation de la ville aux défis écologiques, ils n’ont pas la main de fer d’un Napoléon III pour imposer le projet et sont soumis à réélection malgré les mécontentements que cette modernisation impose.
La ville de Paris n’est pas socialiste.
Les « valeurs de Paris », souvent sollicitées par Bertrand Delanoë, et à sa suite par Anne Hidalgo, sont celles du bobo-land.
"Paris est woke", dit David Belliard, le chef de file des écologistes.
Il ne faut pas exagérer, à moins de faire référence à Paris s’éveille de Dutronc et Lanzmann.
Non, Paris est bobo tendance lili, bourgeois-bohème tendance libéral-libertaire.
Mais ce cœur de l’électorat parisien est flanqué d’une gauche populaire dans l’Est parisien et d’une droite bourgeoise à l’Ouest.
La place Stalingrad n’a rien à voir avec celle du Trocadéro, la place de la Bastille avec la place Vendôme, la Porte de Clichy avec la Porte d’Auteuil, Pigalle et l’avenue Rapp, le boulevard Saint-Germain et l’avenue Parmentier, les Invalides et le Sacré-Cœur, le Panthéon avec la Gare Saint-Lazare.
Et même la Seine, du Pont Alexandre III, ne semble pas couler de la même manière sous la passerelle Simone de Beauvoir.
Ce qui est valable dans toutes les villes est accentué à Paris.
Il y a des Parisiens qui ne quittent jamais le 6ᵉ arrondissement, et aller dans le 18ᵉ, c’est pire qu’un voyage à Tachkent.
Le mode de scrutin d’arrondissement permet de surmonter cette difficulté sociologique, car l’offre politique de chaque arrondissement peut correspondre, au cas par cas, à la sociologie locale.
À l’usure du pouvoir socialiste à Paris s’ajoute le schisme du renouvellement.
Anne Hidalgo a décidé de ne pas se représenter, ce qui débouche sur un conflit entre deux héritiers :
Grégoire et Féraud.
L’affrontement ressemble étrangement à celui par qui tout a commencé entre Jack Lang et Bertrand Delanoë. Il ne faudrait pas qu’il soit celui par lequel tout finit. Je n’avais pas choisi entre le futur maire de Paris et le futur maire de Blois. Lionel Jospin m’interrogera sur ce non-choix, que Delanoë ne me pardonnera pas.
Je lui indiquais que la division dans une ville n’avait rien à voir avec une division dans un parti ou dans le pays. Dans ce cas, les Français trouvent cela légitime ; dans leur ville, ils estiment cela incongru, car la mairie est l’unité de base de l’intérêt général, et tout conflit interne d’une majorité remet en cause la capacité à le défendre.
De ce point de vue, la division entre Tibéri et Toubon, puis Tibéri et Séguin, fut rédhibitoire. Je ne suis pas sûr que Jospin ait acquiescé à mon raisonnement.
Mais il nomma Jack Lang ministre de l’Éducation, évitant l’affrontement et permettant la victoire.
Aujourd’hui, pas d’exfiltration en perspective, et la maire de Paris vient de déclarer que si celui qui l’emportait au choix des militants n’était pas son choix, elle ne le soutiendrait pas.
Je me suis trompé en pensant qu’Anne Hidalgo choisirait Lamia El Aaraje, la patronne des socialistes parisiens. Cela aurait été une sorte de Sadiq Khan, le maire de Londres d’origine pakistanaise.
Le match interne aurait été plié, et les socialistes confortés dans le pays obsédé par le "grand remplacement". Mais, ce ne fut pas le cas.
C’est bien dommage, car Paris vit dans la symbolique d’une ville rebelle.
C’est le "syndrome Étienne Marcel", prévôt des marchands s’opposant à la royauté.
Cette figure court tout au long de l’histoire de Paris.
Lorsque Louis XVI est reçu à l’Hôtel de Ville par Jean Sylvain Bailly, c’est en souvenir de la "monarchie contrôlée" d’Étienne Marcel que l’on remit au roi la cocarde bleue et rouge de Paris, à laquelle Lafayette rajouta du blanc.
Le Paris révolutionnaire de 1789, de Lamartine en 1848 ou de la Commune de Paris en 1871 a eu comme référence les "Jacques" de l’Ancien Régime, leader du Moyen Âge contre le pouvoir.
Du soulèvement du 19 août 1944 au 13 mai 1968, c’est toujours la symbolique de Paris face à l’État.
Et le discours du général de Gaulle à la Libération de Paris illustre bien cette donnée inconsciente et toujours présente :
"Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! Mais Paris libéré !"
Et le chef de la France libre ajoute :
"Libéré par lui-même"
Tout est là.
Sans pousser la parabole, Chirac l’emporta face à Dornano parce que ce dernier représentait Giscard.
On se souviendra que Jacques Chirac avait activé, avec succès, ce réflexe lorsque les socialistes voulaient changer le mode de scrutin.
Et Bertrand Delanoë gagna face à Séguin, qui représentait le président Chirac.
Et même Anne Hidalgo, face aux macronistes, incarnait lors des dernières élections l’indépendance de la ville.
À Paris, il faut toujours porter haut les couleurs d’une ville qui se croit unique parce qu’elle l’est.
La partie est difficile pour « Emmanuel » et « Rémi », les deux ont du talent.
Ils ont été patrons des socialistes, connaissent la ville sur le bout des doigts, l’un comme président du groupe, l’autre comme premier adjoint.
Les deux se réclament de l’héritage de Bertrand Delanoë et d’Anne Hidalgo.
L’un est diplômé de Sciences Po Bordeaux, l’autre de Sciences Po Paris.
L’un a en plus une licence de philo, l’autre est diplômé de l’ESCP.
Les deux sont parlementaires.
Ils sont aussi aimables, bienveillants et réservés l’un que l’autre.
Rémi Féraud a le soutien de l’appareil municipal, et Emmanuel Grégoire est populaire chez les adhérents.
Mais on ne gagne pas contre les élus, et on ne peut mener campagne à Paris sans les militants.
Le regretté Roger Madec, l’ancien sénateur-maire du 19ᵉ arrondissement, me disait l’avant-veille de son soudain décès:
"Si l’élection est au suffrage universel direct, Grégoire a un avantage certain. Si le mode de scrutin ne change pas, Féraud est mieux outillé."
Il n’avait pas fait son choix, et je crois que beaucoup sont dans ce cas tant il n’est pas simple de les départager.
Je les connais bien tous les deux.
Tony Dreyfus, l’ancien député-maire du 10ᵉ arrondissement, qui avait du nez politique, me présenta Rémi Féraud, son adjoint, en me disant :
"Il ira loin. Il est fiable, travailleur et humble."
Et on ne peut pas dire qu’il se soit trompé.
C’est un habile diplomate, je m’en suis rendu compte comme premier secrétaire.
Emmanuel Grégoire est compétent, tenace et politique.
Chef de cabinet, il était très fin dans ses analyses auprès de Jean-Marc Ayrault, lors des réunions du lundi soir à Matignon entre les "ministres politiques" et les principaux responsables du PS autour d’Harlem Désir.
Il fut membre de mon secrétariat national et vint me tester en juin 2017 pour savoir s’il pouvait envisager ma succession.
Mais il abandonna vite cette idée, alors que je ne l’avais pas exclue...
Au fond, ils ne se départagent que sur la préparation du Congrès du PS.
Emmanuel soutient O. Faure et Rémi s’oppose à ce dernier...
Et il est probable que c’est cet enjeu qui fera pencher la balance de la désignation fin juin.
Mais il faudra des trésors de bienveillance et de doigté pour surmonter les amertumes inhérentes au camp défait.
Mais Paris vaut bien une messe.
Les deux méritent d’être dans la "Relève", à condition de l’emporter.
Sinon, ce sera Lamia El Aaraje qui portera le flambeau de la reconquête, et à ce titre, elle sera incontournable.
Mais, quel qu’il soit, en cas de victoire ou de défaite, le premier ou la première des Parisiens devra briser le signe de la malédiction nationale qui veut que les maires de Paris socialistes ne soient pas adoubés par la France.
Bertrand Delanoë tenta de devenir premier secrétaire, comme première marche pour la présidentielle, et échoua lors du congrès de Reims, pour avoir voulu porter les valeurs de Paris dans le PS.
Et Anne Hidalgo fut déconstruite par une campagne totalement vouée au vote utile, et peu soutenue par O. Faure, qui comprit immédiatement que cela n’allait pas le faire, et chercha avec la candidature Taubira à sauver les meubles, achevant de ruiner la campagne de la maire de Paris.
Mais nous n’en sommes plus là.
Il ne s’agit même pas d’un enjeu municipal, mais d’une élection capitale, car elle va intervenir à la veille des présidentielles.
Et les socialistes seront jugés à l’aune des résultats aux municipales, et dans celles-ci, Paris jouera un certain poids.
Paris est bien capitale.
La semaine prochaine
Karim Bouamrane
À dimanche prochain.