2012 Jours de guerre en Europe
1. Campagne de congrès au PS
2. La primaire de la préférence nationale
3. Le Yalta business de Trump
4. La Relève aujourd’hui : Rachid Temal
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1. Campagne de congrès au PS
Dans un pays où les personnes âgées votent plus que la moyenne, il faut avoir la jeunesse chevillée au corps pour penser que l'argument « dégagez vu votre âge » va d'un coup et d'un seul éliminer dans un même mouvement F. Hollande et J.-L. Mélenchon. C'est pourtant le thème de campagne des fauristes et principalement de la présidente du MJS, I. Rafowicz, qui résume ainsi son temps : le politique jetable.
Changement d’époque donc ! Nous voulions changer le monde. Nous n’avions pas compris qu’il suffisait d’être bien né… après nos aînés pour qu’il fût changé.
Il y aurait tant à dire, mais ne restons pas à l’écume des choses. Derrière la parabole du cocotier, cette légende africaine qui veut que l’on fasse monter en haut d’un cocotier les plus âgés, puis le secouer et garder dans la tribu ceux qui sont restés accrochés, il y a de la politique.
Il s’agit tout à la fois de définir un périmètre politique pour les prochaines primaires de la gauche et de louer les fauristes qui auraient rétabli le PS.
Évacuons d’abord un argument développé par O. Faure sur RMC devant J.-J. Bourdin : "ni F. Hollande ni J.-L. Mélenchon n’ont la capacité de rassembler la Gauche". Qui a cette capacité ? Poser ainsi cela change l’angle de vision. En effet, O. Faure vient – enfin – de reconnaître qu’il y aurait un candidat insoumis à la présidentielle et qu’il souhaitait "l’union de ceux qui restent" pour cette échéance. O. Faure accrédite donc lui-même que la gauche ne peut être rassemblée pour la présidentielle au premier tour.
La direction actuelle du PS continue, après la fin du NFP, la même erreur. Elle veut rassembler la gauche, alors qu’il s’agit de rassembler la France pour l’emporter face au RN. Le « mécano de la gauche», dont je fus friand, doit laisser place au projet – le programme. Sans cela, le PS errera à la recherche d’une "union", substitut au programme, et cherchera mécaniquement à être le plus radicalisé possible pour laisser le moins d’espace aux insoumis. C’est renoncer à une identité qui serait la solution pour les Français au profit d’union croupion pour s’y cacher.
Quant au rassemblement de "ce qui reste" dans une primaire, les écologistes, très subordonnés à LFI – vous l’avez lu ici même dimanche dernier –, ne peuvent à cette étape rentrer dans cette perspective sans des garanties sur son périmètre et ses compétiteurs. D’autant qu’ils ont maintenant à gérer Générations "mélenchoniste" et le groupe "After" de Ruffin, Corbière, Autain. La campagne contre "Mélenchon-Hollande" vise donc à assurer aux écologistes, voire aux communistes, que cette union nouvelle ne verra pas l’ancien président y participer. Ce qui, au passage, est le moyen le plus économique de se débarrasser d’un concurrent. O. Faure avait déjà emprunté ce chemin en 2018, caractérisant le quinquennat de Hollande de "trahison" à la "cause" de la gauche, pour rendre possible une candidature commune avec Place publique et Glucksmann lors des Européennes.
Chacun comprend que la contrepartie de l’absence de Mélenchon à la primaire des « restants » doit être l’éviction de F. Hollande et, pour tout dire, à travers lui, des sociaux-démocrates : Cazeneuve, Glucksmann, Delga, etc. Voilà une ligne de repli post-Nupes – NFP qui sera au centre du prochain congrès du PS. Les socialistes doivent-ils, pour la première fois depuis 1971, être dépossédés de leur candidat à la présidentielle au profit d’un candidat néo-Front populaire, qui ne rassemblerait pas la gauche et encore moins la France ? O. Faure est-il certain que, dans ces conditions, les sociaux-démocrates respecteront le cadre ainsi posé et imposé ? Eux qui pensent que la clé de la situation est un couple projet - candidat qui permettra le déblocage politique de la France.
O. Faure, en faisant son référendum pour une candidature résiduelle du NFP, ferme la porte au rassemblement du PS et fixe le terrain de la controverse pour le prochain congrès du PS : "en avoir ou pas" (candidat PS à la présidentielle, indeed).
Le second argument de campagne tient au redressement du PS après la "catastrophe" de 2017. D’abord, la responsabilité de la défaite est pour le moins partagée. Faut-il rappeler que le premier cercle des fauristes était membre du secrétariat national du PS à l’époque ? Et O. Faure, son porte-parole, élu sur une motion contre les frondeurs, avant de présider le groupe socialiste grâce au soutien des frondeurs. Et ceux qui n’y étaient pas ne sont pas pour autant blanc-bleu, puisque certains étaient la tête pensante de la fronde, dont on ne peut quand même pas oublier le concours actif à percer des voies d’eau dans la coque socialiste. Et d’ailleurs, le candidat à la présidentielle en 2017 n’était-il pas l’un des leurs ?
Ensuite, l’argumentaire tient du bonneteau. Le PS serait à nouveau accepté dans la vraie gauche, c’est-à-dire celle des manifestations. Mais à mon avis, vu l’état des relations actuelles avec LFI, les prochaines vont être sportives pour le PS. On sait qu’O. Faure n’aime pas cela du tout et J.-L. M. ne l’a pas oublié. Il ne respecte, dans les manifs, que ceux qui sont sur ses positions. D’ailleurs, il en organise une le 22 mars, en souvenir de 68, je suppose. J’imagine le comité d’accueil si O. Faure s’y rendait.
Mais quid du redressement électoral sous la direction de l’équipe actuelle ? Le résultat des 1,75 % à la dernière présidentielle est à mettre sur le compte de qui ? J’ai beau scruter, je ne vois pas, après un quinquennat de Faure à la tête du PS, la main de F. Hollande dans cette affaire. Il n’a pas mis Anne Hidalgo au cœur de sa motion pour le Congrès de Villeurbanne. Il ne s’est pas interrogé publiquement sur la candidature de Taubira en pleine campagne de la maire de Paris. Et il n’a pas installé J.-L. Mélenchon à la tête de la Nupes ou du NFP.
Hollande s’est présenté dans le cadre du NFP aux législatives sans que personne au PS ne trouve à redire. Il a été plutôt bon soldat sur la censure Barnier – un peu trop
même. Il a plutôt été aidant pour sortir le PS des ronces de la radicalité en ne votant pas les censures de Bayrou. Alors ? Depuis 2017, les fauristes veulent être traités seuls et en adultes. Les 6,36 % de 2017, ce ne serait pas eux, cela est très discutable, mais admettons. Par contre, les 1,75 % de 2022, c’est eux ! Et il n’y a pas de quoi pavoiser.
Les municipales n’ayant pas été un grand cru, les victoires étant celles que l’on octroya aux écologistes et les autres à ceux qui refusèrent de le faire. La grande affaire serait la progression du groupe parlementaire en 2025. Pourtant, elle est due au succès de la campagne des élections européennes avec R. Glucksmann. Et nul ne le conteste, elle fut obtenue sur une ligne de rupture politique avec les insoumis. LFI dominant de 5 points, il était difficile à ces derniers de ne pas élargir le nombre de candidats socialistes dans l'accord pour les législatives anticipées. Profiter du succès d'une orientation que l'on combat ne transforme pas le résultat en victoire politique personnelle.
Enfin, on nous suggère que le NFP arrivé en tête valide la ligne. On oublie volontairement que sans le Front Républicain, c’est-à-dire le vote de la droite pour des candidats de gauche et réciproquement, le NFP n’aurait pas eu ce résultat et le PS ce nombre de députés. On évoque dans cette campagne
"Le monde commence avec nous", le raz-de-marée des adhésions venant plébisciter cette marche triomphale vers la renommée. Elle n’est pas tout à fait au rendez-vous et est très largement due à la préparation des municipales et aux compétitions internes.
Alors, s’il faut se féliciter du cours nouveau d’O. Faure et de son équipe dans les relations avec LFI, ce serait surtout parce qu’il valide la thèse des sociaux-démocrates.
Notons que le dernier IFOP Opinion pour le journal Opinion confirme deux choses. D’abord, en cas de dissolution, le PS-Place Publique fait quasiment jeu égal avec des candidats LFI-Écologistes-Communistes (13 % contre 14 %), ce qui démontre qu’il y avait une alternative à subir le NFP. En revanche, le RN + alliés seraient à 36 %, alors que le second potentiel serait Renaissance à 15 %. Plus de 20 points d’écart ! ! ! Autant dire que ces chiffres, lors d’une présidentielle, nécessitent au deuxième tour un candidat capable de rassembler tous les républicains et pas seulement la gauche, et je ne vois que les sociaux-démocrates.
Pour finir avec la campagne à l’encontre de F. Hollande : "Lâchez-nous les baskets". Elle est moralement discutable, car elle met sur le même plan le leader populiste de gauche et l’ancien président socialiste de la République. Et politiquement peu défendable, car elle substitue au débat sur le bilan et les perspectives le fantasme d’un âge des ténèbres et le lever du soleil sous le chant du coq.
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2. La primaire de la préférence nationale
Retailleau fait une percée dans les sondages, dans les médias du groupe Bolloré, et devient le chouchou des droites dures. La même envolée que E. Zemmour, chroniqueur de CNEWS, qui disait des horreurs contre les migrants ou l’islam. On se souviendra de celle fulgurante de G. Attal, ministre de l’Éducation, interdisant l’abaya. Le fond de l’air est un tantinet xénophobe, les sorties anti-"grand remplacement" sont donc plébiscitées dans les sondages. S’emparer de ces sujets, c’est l’assurance tous risques d’être adoubé.
La malheureuse affaire de l’assassinat de Louise est une démonstration du climat dans lequel nous vivons. Valeurs actuelles lance que l’assassin est un Nord-Africain, le JDD publie un prénom arabe Sans Frontière Médias expose qu’il s’agit d’un "Francocide", et CNEWS conclut la séquence en parlant d’un immigré clandestin. Ceci sans aucune information, mais alimentant une opinion qui ne demande qu’à y croire. Est-ce étonnant dans un pays où le total de l’extrême droite dépasse les 40 % ?
Dans ces conditions politiques, Darmanin, qui n’a pas renoncé à être candidat à la présidentielle, remet le droit du sol dans la mare aux canards et milite pour une primaire du bloc central.
On imagine ce que donnerait une primaire des « droites centrales », où chacun serait dans le « plus RN que moi, tu meurs ». Elle n’aura pas lieu, en tout cas dans le cadre de l’union des formations du « bloc central », faute du consensus minimal pour l’organiser. Mais elle sera pratiquée dans l’espace public à coups de déclarations disruptives et de sondages.
Le périmètre de cette primaire est celui des partisans de la préférence nationale. Et cette primaire-là, Marine Le Pen l’a déjà gagnée si elle n’est pas éliminée par la justice. La tentative d’être "la deuxième extrême droite", celle de l’intérieur, est non seulement vouée à l’échec, mais elle élargit l’espace électoral de l’extrême droite. Lorsqu’on abaisse les frontières, on est dans le même continent ou continuum. Éric Ciotti en a fait la démonstration. La déclaration de candidature du ministre de l’Intérieur, B. Retailleau, à la tête des Républicains entre deux déclarations ultra droitières, face à un Wauquiez qui n’est pas en reste… C’est Copé-Fillon, le retour sous domination idéologique du lepénisme.
Cette course en sac vers l’extrême droite n’est pas anodine. Elle a pour but de modifier la Constitution, non sur le droit du sang, mais en y introduisant la préférence nationale et l’identité nationale.
Lorsque Marine Le Pen dit "assez de blabla, référendum !", la droite suit comme un seul homme. Mais personne ne dit sur quoi porterait le référendum.
La Constitution ne dit ni le pour ni le contre institutionnel du droit du sol. La nationalité n’est pas en soi un objet constitutionnel. Seul l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen aborde le sujet de la nationalité à travers les conditions du suffrage : « Sont électeurs, dans des conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques. »
La nationalité est simplement un cas de compétence de la loi, énuméré à l’article 34 de la Constitution. Donc, le référendum ne peut porter sur le droit du sang dans la Constitution. C’est une formule "agitatoire".
Il s’agit simplement de suggérer, d’abord, que l’impuissance de la droite est due à une Constitution "wokiste". Le général de Gaulle et Michel Debré doivent se retourner dans leur tombe. Ensuite, que le droit du sang ne ment pas en matière de nationalité entre des Français "de souche" et des "Français de papier", comme l’avait théorisé Bruno Mégret. Et donc, les enfants d’immigrés nés en France resteraient étrangers et pourraient être expulsés si besoin.
On veut aussi faire croire aux électeurs du « on est chez nous"qu’il serait possible ainsi de renvoyer tous ceux qui n’auraient pas la France dans le sang. Mais ce que cherchent surtout les dépositaires de cette disposition, c’est induire que le droit du sang protégerait les Français du grand remplacement.
L’INSEE démontre qu’il y a 125 000 immigrés de plus en France par an, que les étrangers sont passés de 6,6 % en 1936 à 7,5 % aujourd’hui. En 2023, sur 97 238 personnes ayant acquis la nationalité française, seulement 39 721 l’ont été par naturalisation. Et le fameux droit d’asile, qui fut montré du doigt comme pompe aspirante, est en baisse de 5 % par rapport à l’année dernière.
Remis à sa juste place, en tout cas à ses proportions, les chiffres démontrent que nous ne sommes pas dans le grand remplacement. Ce n’est pas la submersion qui se joue, mais la concentration de l’immigration dans des villes ou territoires. Et l’insécurité culturelle due à l’arrivée de populations issues de cultures ou religions différentes et ne les ayant pas abandonnées une fois devenues françaises.
Et là encore, le total cumulé n’est que de 11 millions de Français issus du Maghreb, de l’Afrique noire, du Proche-Orient, etc., des "gens qui ne sont pas blancs de peau", et ces 11 millions ne submergent pas 66 millions de Français.
En revanche, je vous ai démontré il y a peu, dans les instantanés, qu’ils ne sont quasiment pas représentés dans les institutions ou les grands corps de l’État. Le déni n’est pas là où on le croit, mais dans le fait de croire ou de faire croire que la France est devenue le nouveau califat ou est en train de le devenir.
Le problème est plutôt celui des cultures dans la République, voire de l’intégration.
Entendons-nous bien : le communautarisme, le prosélytisme contre la République ne sont pas acceptables, et le terrorisme doit être combattu avec la dernière énergie. Les poches de non-droit, les caïds des cages d’escalier, les influenceurs qui crachent sur la France, tout cela est condamnable.
Mais on n’en est pas encore à la police des mœurs chère à la République islamiste d’Iran. Quand on écoute les plateaux de CNews et certains politiques, on a l’impression de vivre à Riyad ou Téhéran. On a vite fait de désespérer les Français pour des besoins électoraux. Enfin, le rejet de la France, dans une petite partie des enfants de la deuxième ou troisième génération, là, oui, cela nécessiterait une réflexion, une explication.
Pour le reste, il y a des sans-papiers, des OQTF qui sont délinquants. Pourquoi le nier ? Ce n’est pas insignifiant, mais il ne s’agit pas de la majorité du genre.
Déconstruire l’idéologie dominante en ce domaine n’est pas chose aisée. Il faut des idées claires sur la situation, ne pas nier la pression migratoire et ses conséquences. Puis fixer les contours d’une position, dire simplement face à l’extrême gauche : « Le droit de s’installer là où on veut, quand on veut, n’existe pas quand on défend un État de droit. Il y a des règles à respecter pour avoir des papiers ou devenir Français. » Dans le même temps, il faut dire à l’extrême droite et à la droite : "Le grand remplacement n’est que le paravent de la xénophobie. Quand on est en règle avec la République, on doit avoir accès à l’égalité des droits, même si, pour cela, il faut maîtriser le français." Entre ces deux extrêmes, on n’accepte pas toute la misère du monde, mais notre juste part.
À la suite de Marine Le Pen, Wauquiez a évoqué un"coup d’État de droit"et Ciotti la nécessité de changer la Constitution, rejoignant en cela les théoriciens de l’extrême droite. D’ailleurs, il a fini par rejoindre l’extrême droite tout court.
La raison de ces sorties tient au fait que le Conseil constitutionnel a retoqué les dispositions Borne – Retailleau – Darmanin, soutenues par le RN, dans la dernière loi immigration, la 118ᵉ depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle"portait atteinte de manière disproportionnée aux droits à la protection sociale des étrangers", par exemple sur le séjour régulier imposé aux immigrés pour les allocations ou sur le durcissement du regroupement familial.
L’attaque des droites extrêmes porte sur le fait que, pour contrevenir à ces décisions, il faut introduire dans la Constitution la préférence nationale et l’identité française pour les droits sociaux. Là, pour le coup, c’est un coup d’État constitutionnel. Et vous savez ce que je pense : mécaniquement, la victoire de l’extrême droite nous conduira à ce drame.
Les lois existent, le problème est leur application, par exemple sur les OQTF. Ce n’est pas l’absence du droit du sang qui conduit le ministre de l’Intérieur à reconduire seulement 10 % des OQTF. Dans le débat entre Karim Bouamrane et Bruno Retailleau sur LCI, le maire de Saint-Ouen a mis dans les cordes le ministre de l’Intérieur en lui demandant un engagement chiffré sur les OQTF. Ce dernier a refusé, s’échappant en déclarant un certain nombre.
La question de l’immigration n’est pas traitée par les droites : elle vise seulement à entretenir une xénophobie ambiante à des fins électorales et participe à créer un espace commun de la préférence nationale avec l’extrême droite. Et Retailleau, élu personnalité politique de l’année, est le nouveau héros médiatique de cette hantise.
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3. Le Yalta business de Trump
Dans le fatras des élucubrations trumpiennes, nous comprenons que l’administration américaine a décidé de briser la résistance des Ukrainiens. Ce qui se profile est un "Yalta du business" permettant au capitalisme numérique son extension dans un monde illibéral, si nécessaire. On ne s’embarrasse ni de la démocratie ni de l’écologie. Il s’agit du règne du marché sans servitude, car l’ennemi, c’est la régulation, l’État social et l’État de droit.
C’est ce que le vice-président des États-Unis, J.D. Vance, est venu dire au sommet de l’IA à Paris :"Ne tuez pas la poule aux œufs d’or par trop de régulations." Puis, devant les Européens : « Votre politique migratoire mine le marché. » Le dernier décret de Trump, autorisant à nouveau la corruption, car c’est bon pour le business, va dans le même sens. L’administration Trump veut pacifier le libre marché quoi qu’il en coûte.
Il ne faut pas s’arrêter à la formule de Trump"l’Ukraine peut devenir russe ou pas". Elle ne veut en soi rien dire.
Mais ce qui est plus sérieux pour le milliardaire près de ses sous, c’est son « Je veux 500 milliards de dollars ». C’est à la fois délirant et signifiant. C’est la demande de compensation de l’effort de guerre en exigeant que l’Ukraine octroie aux États-Unis les terres rares du Donbass, riches en lithium.
Kiev est pris en tenailles entre les exigences territoriales de Poutine et, maintenant, financières de Washington. Et l’Europe est prise au piège de sa couardise, d’abord parce que c’est elle qui a organisé sa dépendance au gaz russe, puis elle a accepté le blanchiment du pétrole de Moscou via l’Inde et la Chine, enfin elle s’en est remise au parapluie militaire américain. Résultat : l’Europe compte pour du beurre dans le deal qui se profile. Et celui-ci commence furieusement à ressembler à un Munich et à l’abandon de la Tchécoslovaquie à Hitler. Dès jeudi soir, CNN titrait déjà sur la victoire de Poutine.
Et puis Trump demandera à Poutine, comme il l’a fait avec le président ukrainien, une très grosse contrepartie pour l’Amérique. Il ne combat ni pour la démocratie ni pour l’Ukraine, mais pour le business américain, et principalement les GAFAM. Ce n’est pas un homme d’État, mais, au milieu de son brouillard mental, un homme d’affaires.
Alors, Zelensky se défend comme il peut, appliquant le défi du faible au fort. Le peuple ukrainien s’enchaîne à ses mitrailleuses et dispute avec son sang chaque mètre de son territoire.Le président ukrainien propose publiquement de troquer les territoires du Donbass conquis par les Russes contre les terres conquises en Russie autour de Koursk. Évidemment, les Russes refusent, mais Zelensky est dans la négociation pour éviter d’en être exclu. Formellement, Zelensky colle à Trump et déclare que le président américain a la priorité de l’Ukraine en tête. Mais il concède que l’heure et demie d’échange et la rencontre prévue à Riyad avec Poutine sont"désagréables". Comme il n’a pas dû être agréable d’entendre Donald Trump évoquer l’impossibilité pour Kiev de rentrer dans l’OTAN ou la nécessité d’une élection en Ukraine au regard des sondages. Il faut dire que la prise d'assaut de la tribune de la Rada (assemblée nationale ukrainienne)par les députés favorables à son prédécesseur Petro Porochenko interdit d'expression fait mauvais genre.
La pression s’exerce tous azimuts : argent, armes, élections, et même le couple franco-allemand est encouragé à la reddition. Et la Pologne, que l’on présente comme le meilleur soutien à Kiev, vient de suspendre l’aide aux Ukrainiens réfugiés.
L’Europe veut simplement que l’on mette les formes en acceptant sa présence et celle de l’Ukraine, cela va de soi. Mais la partie est jouée. Trump négociera avec Poutine comme créancier en chef de l’Ukraine, puis se retournera vers Zelensky en lui présentant le stylo. Trump sait que Zelensky n’a ni les moyens militaires ni financiers de résister, et Poutine sait que Trump est suffisamment vaniteux pour tout faire pour être l’homme du cessez-le-feu.
Donc, résumons : Trump fait la paix à ses conditions, place son business, et l’Europe doit payer et garantir le cessez-le-feu.
Mais cela ne s’arrête pas là. Il faut mettre une focale plus large. Vous avez remarqué que les États-Unis ne disent plus rien sur la Géorgie, la Moldavie, la Bulgarie, pas plus que sur la Roumanie, dont la situation prend une sale tournure. Et personne n’évoque la situation en Serbie – même pas l’Europe, un comble – où les manifestations sont de plus en plus violentes.
Et que penser de cette campagne de l’extrême droite pro-russe en Bosnie-Herzégovine, au Monténégro, en Croatie, au Kosovo et en Serbie, de boycott des grandes enseignes de l’Europe de l’Ouest avec une chute de 50 % de fréquentation ? Elle est à l’initiative du Roumain d’extrême droite pro-russe Călin Georgescu, qui est arrivé en tête lors de l’élection controversée puis annulée. Elle s’est étendue – comme par hasard – dans tous les pays plus ou moins défavorables à Kiev.
Il faut dire que l’inflation touche durement les populations. Si vous ajoutez la Hongrie et la Slovaquie, cela ressemble à une déstabilisation du bloc européen du « soutien » à l’Ukraine.
L’administration américaine caresse l’idée d’un nouveauYalta du business. La paix et la sécurité collective de l’Europe verraient la reconnaissance de la division de l’Ukraine, qui ne serait pas dans l’OTAN mais pourrait être en Europe. Puis un glacis nationaliste en Europe centrale pour les Russes, contre le retour des affaires profitables aux oligarques de chaque côté d’un rideau de fer invisible.
Cette paix, par et pour le marché, serait non seulement une victoire de Poutine, mais encouragerait les Russes, demain, à pousser leur avantage. Et il n’est pas certain pour autant que la Russie, dans les mains de la Chine, mette en veilleuse les BRICS. Voilà qui ouvre pour Xi Jinping des perspectives pour Taïwan.
Quant à l’Iran, elle vient de cesser toute discussion avec les États-Unis et veut contourner l’embargo comme la Russie.
Les dictateurs viennent de comprendre comment traiter l’aigle : le nourrir.
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4. LA RELÈVE
Chaque semaine, je brosse le portrait d’une personnalité du PS dont je suis de loin l’itinéraire et qui me semble être la relève du PS. Après Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Philippe Brun, Érika Bareigts, Jérôme Guedj, Valérie Rabault, Michaël Delafosse, Benoît Payan, Lille, Mathieu Klein, c’est maintenant Rachid Temal.
Rachid Temal
Ou
La Défense
C’est à Taverny que Rachid Temal a appris à se défendre et à défendre. C’est dans cette ville, bien connue pour la défense aérienne, que le jeune Rachid débuta dans la défense de l’équipe de foot du Cosmo Taverny, comme arrière droit. Un club fondé en 1913, ce fut d’ailleurs le 11ᵉ club créé en France.
Autant dire que ce vice-président de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat est tombé dans la marmite de la défense tout petit.
On dit que la meilleure défense, c’est l’attaque. C’est d’ailleurs ce que faisaient les défenseurs de l’équipe de Taverny, reprenant en cela les principes de l’Ajax régnant sur la planète foot : défendre en avançant.
Je préfère à cette citation maintes fois reprise celle que j’apprenais dans les camps de formation de ma jeunesse : « La défense est un moment de l’attaque. » C’est d’ailleurs l’enseignement de Clausewitz : « La défense est intrinsèquement plus forte que l’attaque. »
Toujours est-il que le Tabernacien a toujours défendu ce à quoi il croit : le socialisme, le PS, François Hollande, la France des Lumières, mais aussi ses parents immigrés algériens arrivés dans les années 60.
Lecteur boulimique de tout ce qui sort sur la politique et grand insomniaque, il a toujours affiché une très grande lucidité, c’est d’ailleurs sa principale qualité. Il ne se paie pas de mots et déconstruit allègrement les légendes d’appareil. Cela lui vaut quelques inimitiés, car, dans la vie politique, on préfère rêver que se confronter à la réalité.
Et c’est avec ce caractère sans concession qu’il gravit un à un tous les échelons du Parti socialiste, du MJS à accéder au fameux poste de secrétaire national à la coordination, historiquement numéro 2 du PS.
Il devient premier secrétaire par intérim en 2017, coordonnant la direction provisoire suite à ma démission.
De tous ceux cités dans mes chroniques à propos de la relève au PS, il est le seul à avoir « tenu la baraque » et dans un moment de grand trouble.
Personne ne veut lui reconnaître ce fait d’armes, chacun préfère en profiter.
Il aurait pu décider de devenir un premier secrétaire élu. O. Faure avait jeté son dévolu sur le groupe socialiste à l’Assemblée. Et Stéphane Le Foll, qui le tient en grande estime, n’aurait pas été candidat contre lui. Ils n’étaient pas légion à revendiquer le poste à l’époque.
Il préféra passer son tour. Soit parce qu’il ne se sentait pas prêt. Soit parce qu’il appliqua un principe du maître de la défense, Sun Tzu : « Celui qui sait quand il peut combattre et quand il ne peut pas, celui-là sera vainqueur. »
En attendant, il resta fidèle à sa ville et à sa belle devise « Aussi courageux que bien né », et s’occupa de sa fédération, dont il est le premier secrétaire incontesté depuis 2012.
Le sénateur du Val-d’Oise a même imposé deux députés prometteurs, Ayda Hadizadeh et Romain Eskenazi, et échoua de peu à un troisième, la circonscription ayant été réservée au PCF, qui envoya l’ancien socialiste E. Maurel.
Le Val-d’Oise est une fédération du PS "historique" qui abrita Manuel Valls, Dominique Strauss-Kahn, Dominique Lefebvre ou l’ancien ministre de la Défense Alain Richard, avant qu’il ne se perde dans le macronisme et le regrette amèrement. Elle est aussi celle d’une "pépite" du PS pas assez connue, le maire de Cergy-Pontoise, Jean-Paul Jeandon, un ancien économiste et expert à Bruxelles. Il est non seulement un « grand maire », mais ce rocardien de stricte obédience est l’un des meilleurs spécialistes au PS de la fiscalité.
"Temal de Taverny" a dû affronter le double mur invisible qui handicape bien des hommes ou femmes politiques en France. Le fait de s’appeler Rachid et d’être renvoyé aux origines de ses parents. On le classa immédiatement dans la catégorie de ceux qui servent. L’ENA et les grandes écoles étant souvent réservées à ceux qui s’estiment prédestinés au pouvoir. Il n’en dit jamais rien, comme beaucoup dans son cas. Il ne cultive pas l’amertume, mais n’en pense pas moins.
Le garçon est secret, il est de ces hommes qui ne s’épanchent pas et préfèrent parler des autres. Et puis, il est de la banlieue parisienne, dans un parti où le parisianisme est bien porté. Il n’en est pas honteux. Il est même d’un caractère plutôt fier et reste donc au contact des milieux populaires, refusant d’être essentialisé ou ainsi marginalisé, voire secondarisé. Il a la nuque un peu rude, voyez-vous.
La voie de la promotion interne étant bouchée ou encombrée, à moins qu’il ait estimé en avoir déjà fait le tour, il décide de faire les extérieurs tout en étant une vigie redoutée en interne au Parti socialiste. Il fut un des premiers à combattre l’accord avec Mélenchon et il est un des animateurs du courant le plus hostile à ce dernier, le TO d’Hélène Geoffroy (Texte d'orientation).
Si O. Faure ne l’aime guère, Temal s’en soucie guère. Il trace son sillon au Sénat, au point d’en devenir un pilier reconnu et écouté.
Le Sénat n’est plus ce lieu un peu désuet pour notables, où Gaston Monnerville se dressa contre le général de Gaulle sous les ors magnifiques du palais de Marie de Médicis, mère de Louis XIII et qui créa Richelieu. C’est aujourd’hui réellement devenu la "chambre haute". On y est sérieux, travailleur et respectueux des autres, ce qui, face à une Assemblée ingouvernable, sans majorité et désespérément chahuteuse, en fait un pôle de stabilité dans un moment de crise politique incandescent. Certes, à droite et, sur certains sujets, très à droite même, mais globalement positif pour les Français en recherche d’équilibre. La perception du Sénat, comme sa réalité, a changé.
Et comme il se doit, c’est à la Défense que le sénateur Rachid Temal, après avoir été porte-parole du groupe, trouva sa voie et fit parler de lui, se dépouillant ainsi de la tunique de Nessus d’apparatchik qu’on lui avait collée sur le dos.
Ce qui est mal le connaître : il n’y a pas plus indépendant et "libre penseur" que lui.
Alors, il collectionne les vice-présidences : de la Défense donc, mais aussi chez les parlementaires de l’OTAN, de la sous-commission Relations transatlantiques ou de celle du Maghreb – Moyen-Orient. Il négocie la loi de programmation militaire, et au ministère de la Défense, on loue même ses qualités de diplomate.
Celles qui lui ont permis d’être le rapporteur de la loi de programmation de l’aide au développement.
Mais surtout, il traite d’un dossier délicat entre tous, puisqu’il est président du groupe d’amitié France-Algérie et, à ce titre, vient de se rendre à Alger dans le cadre d’une invitation de la chambre de commerce. Ce qui ne trompe personne, mais permet de faire passer des messages.
On lui doit aussi une initiative parlementaire qui fit grand bruit : le rapport"sur la lutte contre l’influence étrangère malveillante".
La cinquantaine passée, le voilà devenu une sorte de"Charles Hernu"pour un nouveau PS. Pas certain qu’il s’en contente.
Il est devenu un bon client des médias, qui apprécient sa capacité à analyser les situations sans langue de bois. Il s’est considérablement amélioré dans l’expression, où il a maintenant son propre phrasé. Bref, on le trouve solide, et il a acquis son rond de serviette dans toutes les combinaisons fort nombreuses au PS.
Il a de l’influence dans un parti où on aime plutôt jouer les confluences.
Chaque prétendant à la charge suprême le consulte, même si ses conseils sont parfois pour les impétrants urticants.
C’est que, voyez-vous, comme tout défenseur dans le football moderne, il a envie de marquer des buts, et qui sait, de prendre le brassard de capitaine. Marcelo ou Sergio Ramos l’ont bien été au grand Real.
La semaine prochaine : Johanna Rolland.