2061 Jours de guerre en Europe

1. J’ai vu tomber l’empire américain ; 2. À quoi joue R. Glucksmann ? ;

3. PS : la bonne nouvelle de la nouvelle donne

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1- J’ai vu tomber l’empire américain

Nous rentrons dans un nouveau monde sans boussole. Elle était déréglée depuis la défaite de l’Amérique en Afghanistan. Trump l’a cassée avec une jubilation perverse.

Les stratèges de la Maison-Blanche, après avoir offert la paix à Poutine à ses conditions et lâché l’Europe, ont pensé à une catharsis économique, oubliant qu’il y avait le court terme et ses contingences.
Ils savaient que l’Amérique vivait au-dessus de ses moyens. Les servitudes de l’empire coûtaient plus cher qu’elles ne rapportaient, et l’Amérique s’endettait toujours plus pour y faire face.

En déclenchant la guerre commerciale, les dingos de Mar-a-Lago avaient oublié les « créanciers de l’Amérique », ce marché obligataire qui finance la dette des États-Unis. Il est, en plus, très significativement détenu par les Chinois, qui se sont désengagés, affolant les marchés. Le géant, tel « Gulliver entravé », tomba avant même d’avoir pu l’emporter.

Trump déclencha les hostilités, puis, devant la tempête, déclara dans un avion qu’il ne céderait pas, et enfin jeta l’éponge, se déclarant flexible.

Ce furent les 48 h qui changèrent le monde : l’Amérique tomba, entraînant dans sa chute la nappe avec les restes du festin de la « mondialisation libre-échangiste ».

L’Amérique n’était plus assez puissante pour se réinventer sur le dos du monde, mais encore suffisamment puissante pour sinistrer l’économie mondiale.

La volte-face de Trump, offrant 90 jours de répit pour négocier, fut une aubaine pour l’oligarchie (304 milliards de gains en une journée), mais un désastre pour le pays. Cette manœuvre de retraite va accroître le désordre et affaiblir un peu plus l’Amérique.

Pour trois raisons : D’abord, parce que Trump a cédé, démontrant sa faiblesse. On dit que ce sont les milliardaires de la tech et des principales capitalisations boursières qui ont fait céder le forcené de la Maison-Blanche.
Cela est probable, mais dû à la panique sur le marché obligataire, provoquée directement par la Chine et indirectement par la hausse chinoise des droits de douane en rétorsion à l’attaque de Trump. Changement d’époque : la canonnière chinoise a provoqué le repli américain. Et c’est un fait majeur ! D’ailleurs, Trump a voulu spécifiquement punir la Chine pour cela. Dans le même temps, il s’est aperçu que les Européens devenaient intelligents quand on s’attaquait à leurs portefeuilles. En ciblant non pas les produits en soi, mais ceux des États républicains, l’Europe a provoqué une réaction en chaîne. Les élus sont immédiatement montés aux cocotiers. L’Europe a ainsi exercé une pression maximale sur Trump, qui trouva même cela malin.

La seconde raison tient au fait que l’offensive « Fast and Furious » s’est terminée « slow and smile » par une négociation durant 90 jours, sur la base d’une augmentation de 10 % universelle des droits de douane, qui non seulement produira de l’inflation aux États-Unis, mais stoppera les investissements. Personne ne sait à quoi s’attendre, les entreprises ne peuvent faire de prévisions d’investissements, et les consommateurs ne savent s’ils doivent consommer. Trump installe l’incertitude dans l’économie mondiale.

Enfin, cette négociation de guichets avec 75 États donne l’impression de puissance, mais il s’agit de la vente du marché américain à la découpe. Les États-Unis, acculés, donnent l’illusion du rebond grâce à celui de la bourse. « C’est le moment d’acheter », a claironné D. Trump. Mais, c’est un mirage censé camoufler la défaite. C’est surtout une illusion frelatée, due au parti « paniquiste », comme le surnomme le président américain. Ce coup de bourse est vraisemblablement manipulé, surtout sur le marché du bitcoin. Le délit d’initié n’existe pas dans la monnaie cryptée. Il est fort probable que les proches du président se soient enrichis au passage, si ce n’est le président lui-même. Ce qui est la manifestation la plus achevée de la décomposition de l’empire américain.

En outre, est-il besoin de souligner qu’avoir recours, comme le dit Trump, à la monnaie numérique pour conforter le dollar comme monnaie de réserve est la démonstration de sa faiblesse ? Le dollar continue à baisser terriblement, appauvrissant l’Amérique.

Trump pense que la confrontation avec la Chine donnera le change, mais il se trompe. Il n’en a plus les moyens.
Les Chinois s’y sont préparés depuis des années, et les BRICS sont un des aspects de leur jeu de Go.

Pete Hegseth, le secrétaire d’État à la Défense, le constate devant un parterre de décideurs en Amérique latine :

« La Chine s’approprie des terres, des infrastructures critiques telles que l’énergie et les télécommunications (...) l’armée chinoise a une présence trop importante dans l’hémisphère occidental. »

C’est le discours du perdant, constatant l’avancée de l’ennemi à Panama ou au Groenland.

L’administration Trump s’est trompée sur la proverbiale veulerie européenne, mais aussi sur la nature de la Chine, qui pense long, et sur son chef, l’impavide Xi Jinping.

Il est pourtant clair lorsqu’il dit : « La tâche principale pour les sciences sociales et philosophiques est de critiquer les valeurs universelles et le concept de démocratie constitutionnelle. »

Le nouveau Grand Timonier chinois puise son inspiration chez son philosophe préféré, Han Fei. Ce dernier recommande « la primauté de la peur, de la force et du contrôle pour servir l’autorité ». La Chine a fondé ainsi le « totalitarisme de marché » : elle ne fait pas la morale ni ne cherche à l’exporter. La force et l’autorité lui donnent un temps d’avance commercial.
Le commerce extérieur de la Chine est une armée en campagne, car il est nécessaire pour conforter la puissance du Parti.

Cela passe par briser la toute-puissance du monde occidental et des États-Unis. La Chine travaille en ce sens depuis des années, alors que l’illibéralisme du capitalisme numérique de Trump est devant lui, et se heurte déjà au « monde post-Amérique », amplifié par la gloutonnerie financière de son oligarchie.

L’Amérique, sûre d’elle-même, ne veut pas voir que l’alliance du pays le plus étendu du monde (la Russie) et du plus peuplé (la Chine) a constitué, avec l’Iran, un « triangle de fer » totalement dévoué à la perte de l’hégémonie américaine.

Et immanquablement, Trump n’aura comme solution que de frapper l’Iran pour tenter de surmonter ses échecs et desserrer l’étau du monde. C’est le sens de la visite de Netanyahou à Washington et de l’ouverture des négociations sur le nucléaire iranien.

D’ailleurs, une information est passée totalement inaperçue en France, mais révélée par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour :
Macron a consacré une réunion spéciale à l’Iran il y a quelques jours. On se prépare, et Trump a hâte de conclure le dossier ukrainien pour s’attaquer à l’Iran.

Mais n’en doutons pas : le déclin de l’empire américain a commencé. Il peut être lent, avec des soubresauts, comme il peut être brutal. Mais, l’histoire retiendra qu’il s’est spectaculairement révélé dans l’opération «droits de douane».

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2 – À quoi joue R. Glucksmann?

Il y a quelques jours, l’ancien Premier ministre B. Cazeneuve se propose, avec son mouvement La Convention, de rejoindre Place Publique en vue d’une fusion entre les deux. L’organisation de R. Glucksmann fait immédiatement savoir que ce n’est pas le moment, qu’elle se concentre sur son programme pour fin juin.

On avait déjà été intrigué par la même démarche lors des rencontres d’été du mouvement du député européen, où la maire de Paris, Anne Hidalgo, avait laissé entendre un rapprochement avec Place Publique, qui fut sans suite. Et lors de la même réunion, personne ne sera invité parmi les responsables du PS, pas même ceux qui ne cachaient pas leur penchant pour R. Glucksmann.

Un autre indice d’inquiétude fut l’attitude de R. Glucksmann à la proposition de O. Faure qu’il intègre la direction du PSE.
On ne peut pas dire que le député européen ait fait la hola à cette suggestion.

La mise à distance du PS intrigue, d’autant que Raphaël Glucksmann revendique l’ouverture « d’une négociation exclusive » avec le PS en vue de la présidentielle.

Et tout à coup, Libération nous apprend que non seulement « Raphaël Glucksmann pas chaud chaud pour fusionner son parti avec celui de B. Cazeneuve. Merci ! Non merci ! Place Publique ne veut pas fusionner avec la Convention », mais nous instruit aussi que le député européen n’est pas en négociation du tout avec le PS : il a d’autres projets en tête.

Le quotidien du matin ajoute : « Le petit parti du député européen prépare pour l’été une plateforme programmatique pour rassembler de Cazeneuve à Ruffin. » Voilà qui est curieux à plus d’un titre. Bernard Cazeneuve n’est pas homme à s’engager à la légère. S’il a fait cette démarche, c’est qu’il pensait qu’elle était souhaitée. D’ailleurs, il explique :

« J’ai dit à Raphaël Glucksmann que j’étais prêt à fusionner le mouvement que j’ai lancé en 2023, La Convention, avec le sien, Place Publique. Je ne revendique aucun leadership et je ne saborderai pas les initiatives pertinentes au motif qu’elles ne seraient pas rangées derrière moi. »

On ne peut être plus clair et unitaire. Pourquoi avoir claqué la porte publiquement au nez de l’ancien Premier ministre après lui avoir laissé la porte ouverte ? Pourquoi introduire maintenant la primaire de "Cazeneuve à Ruffin" ?

D’abord, on imagine mal l’ancien Premier ministre enthousiasmé par le casting. On sait que, s’il goûte peu Jean-Luc Mélenchon, il n’est pas non plus un des plus grands fans de Clémentine Autain, qui le lui rend bien. Quant aux écologistes, ils ont bêtement fait de l’ancien ministre de l’Intérieur un épouvantail à moineaux sans avoir lu ses textes.
A-t-on prévenu ces derniers que l’espace ainsi voulu verrait l’arrivée de l’ancien Premier ministre ?
On peut en douter quand on lit l’adresse de After (dissidents de LFI), car il y a « l’urgence d’une primaire de la gauche ». Cette missive s’adresse entre autres au « NPA officiel » ou à LFI, mais pas à Place Publique et encore moins à La Convention.

Pourquoi Glucksmann s’invite-t-il dans cette galère, lorsqu’on sait que F. Ruffin est clairement pour le « plus jamais le PS », alors imaginez le NPA et LFI ! Et il est peu probable que les tenants de "After" abandonnent cette profession de foi pour un passe-droit pour Cazeneuve et même R. Glucksmann. Ils veulent bien le député européen comme caution, sûrement pas comme débouché.

Ajoutons que s’engager dans cette voie, c’est dire, à minima, que l’on passe d’une alliance privilégiée avec le PS à une compétition avec le candidat du PS dans « une primaire du NFP sans Mélenchon ».

Mais, nos inquiétudes ne s’arrêtent pas là. Place Publique a décidé de présenter des candidats aux municipales contre la gauche sortante à Lyon. Mais, il se susurre que ce ne serait pas une exception. Les amis de Glucksmann se proposent même, à Paris, de rassembler la gauche après la primaire des socialistes dans la capitale.

Tout cela n’est pas tout à fait limpide et peut être mis sur le compte d’un jeune mouvement ou d’une gauche sans dessus dessous après sa phase de mélenchomania aiguë. Mais quand même, à quoi joue R. Glucksmann ?

Souhaite-t-il participer à un nouvel Épinay, comme F. Mitterrand et La Convention des institutions républicaines l’ont fait en fondant le Parti Socialiste avec les clubs, des anciens communistes, des républicains et la SFIO devenue Nouveau Parti Socialiste ?

Mais, dans ce cas, pourquoi repousser B. Cazeneuve après A. Hidalgo, qui feraient bon poids pour imposer son leadership ? Parce qu’il ne veut pas d’une nouvelle formation avec le PS ? Ni même d’une fédération, comme la FGDS ? Au vu de ces récents événements, on est en droit de le redouter.

Pourquoi évoquer une plateforme pour la primaire de Cazeneuve à Ruffin ? Car si les gauches n’ont jamais été irréconciliables, sauf sur l’antisémitisme, elles sont clairement distinctes. C’est d’ailleurs tout le débat du PS, où une majorité cherche maintenant à se distinguer de LFI.

Il est quand même étonnant de sembler endosser la thèse stratégique de Faure, alors que son opposition veut rassembler les gauches de gouvernement. Le député européen veut-il tout simplement reproduire le schéma de Macron, qui, s’échappant de la gauche, fut rejoint par une escouade de socialistes avant de les siphonner en partie ? L’idée que l’on réussit mieux seul que dans une alliance avec un appareil affaibli.

Glucksmann a été décisif dans les élections européennes, mais il s’est pour le moins appuyé sur un réseau militant, financier et d’élus pour triompher. Tout cela mériterait une clarification.
Les leaders du courant culturel social-démocrate sont en passe de redresser la gauche, de la désarrimer du populisme de gauche. La CFDT, de son côté, continue d’être en tête dans les élections professionnelles, après avoir dominé l’intersyndicale dans le mouvement des retraites.

Les scores de R. Glucksmann dans les sondages démontrent, après les européennes, une tentation réformiste au regard du monde qui change. Les sociaux-démocrates ont des chances non négligeables de l’emporter dans le PS

Le temps de Sandrine Rousseau semble révolu chez les écologistes, et les initiatives "perso" de la meilleure alliée de Mélenchon, M. Tondelier, sont contestées. Elle sera réélue, mais n’aura pas la majorité, qui est chez les écolos de 60 %.

Il n’est pas non plus interdit de remarquer la distance du PCF avec la FI, qui s’est manifestée spectaculairement dans l’élection municipale de Villeneuve-Saint-Georges.

Le populisme de gauche recule partout. Il y a un moment social-démocrate, un espace, un espoir.

Mais, on ne peut espérer le faire fructifier sans clarifier la stratégie. Soit c’est l’union des sociaux-démocrates, et il y a un chemin. Soit c’est le chacun pour soi, et au bout, la défaite pour chacun, et le gauchisme pour la gauche.

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3 – PS : la bonne nouvelle de la nouvelle donne

Vendredi, Carole Delga, Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Anne Hidalgo, Philippe Brun, Karim Bouamrane et Fatima Yadami ont décidé d’unir leurs efforts pour un changement de direction au PS. Ce nouvel ensemble pèse potentiellement 42 à 45 % des votants pour les motions.

Comme B. Vallaud a décidé d’aller au bout de sa démarche en déposant une motion distincte de celle de O. Faure, qu’il soutenait jusqu’à présent, le Premier secrétaire « sortant et pas encore sorti » ne sera plus majoritaire à lui seul dans le parlement du Parti socialiste (CN). Ce qui implique que, s’il était réélu, il ne pourrait plus imposer, par exemple, la NUPES ou le NFP.

Mais, c’est surtout sur le fond que la démarche annonce une rupture.

Le nouvel « ensemble » veut clairement en finir avec l’effacement devant la France insoumise et Jean-Luc Mélenchon. Les acteurs de cette nouvelle alliance sont favorables au réarmement du PS face aux nouveaux désordres du monde.

Ils veulent travailler à la nouvelle identité socialiste et à l’autonomie stratégique du PS, en commençant par rassembler tous ceux qui se réclament d’une nouvelle gauche de gouvernement. Enfin, ils se prononcent pour que les socialistes – sociaux-démocrates – aient leur propre candidat à la présidentielle avant toute autre discussion.

Vous comprendrez, pour ceux qui me lisent, ma satisfaction.

Pour le reste, au PS, ce sont les législatives à la proportionnelle avant la présidentielle. Et donc, après le vote des motions, viendra le temps de la désignation par les militants du poste de Premier secrétaire. À cette étape, les deux motions arrivant en tête se départageront pour le poste.

Vallaud devrait être en troisième position et ne pourra donc être candidat. Comme il veut rassembler le PS, n’a pas d’ennemis chez les socialistes, et refuse d’alimenter la division en choisissant, il peut difficilement choisir l’un ou l’autre, ce qui ruinerait sa stratégie.

Autant dire que les Fauristes sont dans une situation très délicate.

À dimanche prochain.