4031 jours de Guerre en Europe

1/ la grammaire de la crise française ; 2/ Olivier Faure encore un effort ;3/ Répliques

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1- La grammaire de la crise française

Dans le basculement du Monde, le moment français est à la fois singulier et tributaire des bouleversements de toutes sortes, à commencer par le questionnement planétaire de la démocratie.

Le pape Léon XIV ne dit-il pas dans sa première exhortation apostolique « Delexi te » :
« Si les hommes politiques n’écoutent pas les pauvres, la démocratie s’atrophie. »

Nous assistons, dans tous les domaines, à la dislocation du monde ancien sans que s’installe encore le nouveau. Nous savons depuis Gramsci que c’est dans ces transitions que surgissent des monstres. C’est aujourd’hui l’illibéralisme contre la démocratie, l’identité contre l’universalisme, l’accumulation contre la solidarité, avec le précariat de masse. L’heure est au national-populiste, la forme contemporaine d’un nationalisme d’exclusion qui a déjà donné le fascisme.

Le chaos français que nous vivons est donc tout à la fois particulier et l’expression des mutations en cours. Celles du temps long et ses changements radicaux : anthropologiques avec la Révolution de l’immatériel ; géopolitiques avec la fin de la domination du monde occidental et les guerres qui l’accompagnent ; climatiques, migratoires, où l’explosion des xénophobies et des régimes autoritaires… Mais en France ces tendances lourdes se combinent avec le temps court. Celui-ci est marqué par « l’immobilisme d’apparence » : rien ne bouge alors que tout est en mouvement… La crise parlementaire, la crise présidentielle, la crise budgétaire s’entrechoquent et se nourrissent. L’ornière française tient au fait qu’il n’existe aucune réelle solution à chacune de ces crises, ce qui confine au KO, dans la centrifugeuse des réseaux sociaux.

Nous traversons une crise de régime, dans le sens où elle est multifactorielle, sans moyens de les conjurer.

La Ve République n’est plus capable de produire ce pour quoi elle fut fondée : la stabilité. Son destin se trouve en jeu.

Comment en sommes-nous arrivés là en France ?

Tout vient, dans cette mise en cause déjà datée de la Ve République, d’une double faute politique d’E. Macron. Il a poussé la politique de l’offre à son paroxysme, financée par l’emprunt facile, et donc accumulé une montagne de dettes. Et, sur le plan politique, Macron s’est maintenu avec un centre évanescent contre les populistes incandescents. Il les a libérés en brisant le PS et LR, puis les a instrumentalisés dans le but de protéger sa politique au compte d’une nouvelle aristocratie — une oligarchie, dirait-on aujourd’hui —, avec comme seule valeur « normative » un « enrichissez-vous » à la Guizot, dont la conséquence, on le sait, fut la Révolution de 1848.

La politique de l’offre est la religion du régime macroniste, s’attaquant à l’État social sans le réformer ni lui rendre son efficacité, jusqu’à son point de rupture social et budgétaire. Quant à l’union défensive du cercle de la raison contre les populismes, elle a fini par les constituer en alternative. Au cœur de la dissolution, il y avait ce calcul : gommer la présidentielle ratée et la législative sans majorité qui s’en est suivie, par une polarité ami/ennemi entre le centre macroniste et les populistes. Le problème résidait dans le fait qu’en sept ans le centre n’émettait rien, alors que les populistes aimantaient tout.

Le Président prend acte de ce nouvel état, assume la fin du « en même temps », bascule définitivement à droite, nomme le LR Michel Barnier comme Premier ministre. Ce dernier théorise ce moment avec un double concept fictif : « le bloc central, pôle de stabilité parce qu’en majorité relative » par rapport au NFP qui se réclame d’une victoire tout autant fictive. La réalité est tout autre : le bloc n’en est pas un, et cette alliance sans alliage est plus à droite que centrale ; d’ailleurs, il s’appuie sur la neutralité bienveillante du RN. Il n’y a pas non plus de majorité ni sociale ni électorale du NFP dans le pays. Comment le serait-il, avec une extrême droite qui tutoie les 40 % d’intentions de vote, sans LR très droitisé ?

Les partis sont exsangues, désertés, fracassés par les divisions internes : LFI monarchique excluant ses opposants ; le PS coupé en deux ; les écologistes à couteaux tirés entre eux ; et le PCF voit son groupe parlementaire désavouer Roussel — une première depuis décembre 1920. La même désagrégation est à l’œuvre dans le « bloc » dit « central », où le parti gaulliste — ô paradoxe — joue le groupe charnière, comme on le faisait sous les « régimes des partis » de la IVe République. Les néo-gaullistes sont à ce point divisés que le précédent patron de LR s’en est allé sur le porte-bagages de l’extrême droite. S. Lecornu est obligé de recevoir séparément Wauquiez, le président du groupe, et Retailleau, le président du parti, après s’être rendu au Sénat s’entretenir avec le président Larcher. Les macronistes ne se portent pas mieux : ils se désagrègent même sous nos yeux.

Quant au Nouveau Front populaire, il s’agit aussi d’une fiction électorale. Il fut battu au premier tour de la législative par l’extrême droite et ne dut son salut et sa « première place » qu’à un Front républicain avec la droite et les macronistes. Nous sommes arrivés à un tel imbroglio que les partis de gauche réclament le poste de Premier ministre au nom de la victoire imaginaire du NFP, dont ils disent avoir maintenant exclu le premier parti le composant, LFI. Les partis de gauche n’étaient pas majoritaires unis ; ils le sont encore moins divisés, mais veulent s’imposer au nom de l’impression rétinienne d’hier. Demander à Macron le respect du verdict des urnes n’a plus aucun sens. Ils ne pourraient gouverner que dans une alliance avec Renaissance, qu’ils refusent au nom de l’union de la gauche avec LFI, qui n’en est plus. La seule puissance de la gauche tient à l’arithmétique : elle a le droit de vie ou de mort sur le pouvoir mais ne peut l’exercer. Ainsi va la situation politique : un Parlement, théâtre d’ombres tenu par la tyrannie de minoritaires ou de personnalités, et une scène politique devenue un brouhaha inaudible dans les ruines fumantes d’un monde finissant.

La faute originelle de cette Assemblée, rassemblement d’un agrégat de forces disparates, est d’avoir trahi le Front républicain, sorte d’union nationale contre l’extrême droite. Les Français l’ont imposé au deuxième tour de la législative, malgré les tentatives du Président et des Républicains de le saborder, au nom du rejet des extrêmes. Le mandat de la législature était là ! Et c’est son viol qui a achevé de dissoudre une dissolution sans raison.

Le Front républicain fut immédiatement trahi par la candidature de J.-L. Mélenchon au poste de Premier ministre, avec son mot d’ordre : « le programme, rien que le programme, tout le programme du Nouveau Front populaire », qui provoqua l’alliance de LR avec les macronistes en retour et enclencha une crise parlementaire inextricable de « l’impossible union nationale à l’improbable majorité relative ».

Mais le régime institutionnel français n’est pas parlementaire : il est d’inspiration bonapartiste. Tout part du Président — « tout remonte au Président », disait déjà Georges Pompidou. Le Président Macron, mal élu, désavoué par les législatives anticipées, ne dut son salut qu’à l’organisation des Jeux olympiques à Paris qui, flattant l’orgueil national, différa les dividendes de la crise institutionnelle. Toute la stratégie de l’Élysée depuis vise, par une série de combinaisons, à se protéger d’un dégagisme présidentiel, qui devint de plus en plus prégnant. Jusqu’à l’estocade finale de trois anciens Premiers ministres d’E. Macron — dont le chef du parti présidentiel [Attal-Philippe-Borne] — lui demandant soit de se démettre, soit de renoncer à ce qui fut sa politique sur les retraites. Le Président, totalement isolé, s’était résolu à lancer dans la bataille la garde présidentielle avec Sébastien Lecornu. Le dernier carré des macronistes, sans force, dut se replier au premier coup de canon, laissant sur le champ de bataille le 49.3. Un tweet — un simple tweet — vengeur du ministre de l’Intérieur, bousculé par une cabale interne de son parti, eut raison du plan de bataille du ministre des Armées. Le macronisme se meurt et la garde se rend pour un tir de sommation : tout un symbole. La crise va plus vite que toutes les tentatives de stabilisations.

La sortie de crise par la démission d’E. Macron semble sans issue… Personne ne peut obliger Macron à se démettre. On se souvient de cette réponse de F. Mitterrand à J.-P. Elkabbach sur la même question : « Rien ne peut faire fléchir la volonté d’un homme. » Et d’ailleurs doit-il le faire, ajoutant la crise à la crise ? Tout pousse à cette extrémité, sauf précisément la crise elle-même, qui s’en trouverait décuplée. Mais, comme dit le dicton populaire, « tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse ».

En attendant, le Président, réduit à son fortin élyséen, a la possibilité de nommer des Premiers ministres — il vient de le faire nuitamment vendredi. Entre un hommage à Badinter et un autre à Trump, alors que l’ex-président Sarkozy s’apprête à rejoindre la prison de la Santé, ajoutant au baroque de la situation. Son pot d’adieux avant d’être embastillé fut honoré par le secrétaire général de l’Élysée, représentant le Président Macron, lequel glorifiait au même moment l’État de droit entrant au Panthéon. Si vous mettez bout à bout ce simple fait lunaire, le suicide de Retailleau, la sortie de route d’E. Philippe, le parricide d’Attal, le parjure d’E. Borne, la volte-face de Wauquiez et l’impossible quête gouvernementale de la gauche, dans un pays hors de lui, vous avez l’image — s’il en était besoin — de l’ubuesque de la situation. Sans être trop trivial : « tout le monde marche à côté de ses pompes ». La décomposition s’impose à des acteurs qui font tout pour paraître la maîtriser et ne font que l’alimenter.

E. Macron, lui, a toujours la possibilité, si les assauts menacent de prendre le « Palais », de jeter le brûlot de la dissolution dans les pattes de ceux qui veulent sa peau. On peut même dire qu’il le souhaite maintenant pour affaiblir les assaillants de son propre camp. Macron a deux fers au feu pour tenter d’arriver à la fin de son mandat : nommer des Premiers ou dissoudre. La crise ne s’arrêtera pas à un gouvernement Lecornu 2, qui va tout jeter par-dessus bord pour passer la déclaration de politique générale. Puis, après une campagne d’hiver rendue épique par l’absence de 49.3, tentera de ne pas être renversé par la censure qui s’ensuivra. Impossible avant les municipales, me dit-on. C’est parier un peu vite sur la stabilité et la rationalité aux commandes, or nous n’avons ni l’une ni l’autre.

On finirait par oublier le fait cristallisateur de cette crise de régime rampante : la situation budgétaire de la France et sa dette.

La politique de l’offre, financée par l’emprunt plutôt que par la croissance, combinée au « quoi qu’il en coûte » dû au Covid, maintenu au-delà du nécessaire, a conduit le pays à un endettement qui peut le conduire à la banqueroute par l’étranglement par les taux de remboursement. Mais là encore, des injonctions contradictoires confinent à la paralysie. Toutes les crises de cette importance — Révolution française, guerre de 14, crise de 29, guerre de 40 — ont été réglées par l’augmentation de l’impôt pour les plus fortunés. En deux ans maximum, la France serait remise à flot. Mais il est politiquement interdit de recourir à ces leviers massifs que sont : IR, CSG, TVA ; ni de toucher aux impôts sur les bénéfices des entreprises au nom de la théorie libérale. L’impôt est confiscatoire et il ne faut pas toucher aux hauts revenus : le ruissellement de leur argent stimule la croissance, paraît-il. Quant à s’intéresser de trop près aux subventions des entreprises, cela relève du mélenchonisme échevelé. Pourtant, si on réduit les dépenses de l’État, il n’y a aucune raison de les réduire au seul périmètre de la puissance publique. Il ne devrait pas y avoir de passe-droit.

L’État, évidemment préoccupé de nos finances, a été instrumentalisé à un niveau tel que la France a l’impression que les « huissiers planétaires » frappent à nos portes. Nous avons tous dans l’oreille un ministre de l’Économie et des Finances déclarant que le FMI était là, soufflant sur notre nuque, présentant la note. Le catastrophisme budgétaire est devenu un mode de gouvernance par temps de majorité relative, pour contenir les forces centripètes.

On charge la barque. On décrète la mobilisation générale, la Patrie en danger — que sais-je ? —, mais personne ne veut assumer sa juste part du fardeau. Et c’est alors la thrombose, pour finir par totalement disparaître des débats, où la question des retraites s’est à nouveau imposée.

À cette combinaison de facteurs autobloquants — Parlement/Président/budget — s’ajoute une vraie crise de confiance démocratique devant l’absence de résultats. Autant dire que la séquence chaotique va être longue avant que la France retrouve un nouvel équilibre.

Le Président a choisi de reconduire le Premier ministre démissionnaire, S. Lecornu, après un nouveau lit de justice où il constata que les uns avaient plus de députés que les autres. Il fallait cette mise en scène pour ce constat. Une fois de plus, le quarteron de responsables politiques impuissants fit image, pendant que Marine Le Pen, au milieu des pompiers, mettait le feu à la plaine. Cette nomination sans la certitude de la mansuétude de la gauche provoque la colère des Républicains et la tentation de sortie d’Horizons. La crise continue. Rien n’a fondamentalement changé ; tout s’est aggravé. Les macronistes sont toujours aussi faibles, divisés, et favorables plus ou moins sous le manteau à la démission du Président. L’absence de présidentiable en son sein va affaiblir plus encore ce gouvernement. Le bloc central, promptement renommé « plateforme de stabilité », n’a pas les moyens de son énoncé puisqu’il n’a pas plus de majorité et a abandonné sur la route le 49.3. Lecornu, moine-soldat d’une armée disparue, se retrouve, à l’insu de son plein gré, une semaine plus tard, au même point.

Ce gouvernement en sursis ne dépend pas de la « Plateforme de Stabilité ». « PS » — il fallait l’inventer, inconscient quand tu nous tiens — résume le destin de Lecornu, qui dépend en effet des socialistes. Seront-ils au rendez-vous ? Cela en prend le chemin, on l’espère, mais on ne le sait pas encore. Si ce n’était pas le cas, alors ce sera la dissolution et la victoire du RN. Le score des partis de gauche deviendra anecdotique devant l’Histoire. L’extrême droite au pouvoir, c’est la métamorphose de toutes les crises dans celle de la République.

Ô rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie !
N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

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 2- Faure, encore un effort

ENFIN ! Lundi, 13 h, les membres du bureau national du PS, en présentiel mais aussi en visio comme il se doit, sont gravement réunis devant le vide du pouvoir. Les « vétérans » du combat contre la subordination à Jean-Luc Mélenchon depuis les premières heures de la Nupes puis du NFP, ceux que l’on surnomme les socio-démocrates, voient, dans un silence de cathédrale, O. Faure chercher ses mots sur la manière dont le PS devait traiter l’invitation à une réunion unitaire du NFP, tout honte bue, par les Insoumis. Nicolas Mayer-Rossignol suggère à mi-voix : « avec mépris ». Faure reprend, dans un souffle : « oui… avec mépris ». Enhardi par ce pas de géant, il avoue à la suite ne plus supporter les leçons unitaires de la petite télégraphiste de Jean-Luc Mélenchon, Marine Tondelier. On l’aurait embrassé. Faure venait de recracher l’hameçon, la ligne et la canne à pêche qui l’avaient « croché » depuis la présidentielle.

Bien sûr, personne ne fut tout à fait dupe. Le Premier ministre démissionnaire la veille… Il fallait se faire une toilette pour tenter d’enfiler le costume de leader premier-ministrable.

Bien sûr, tout le monde avait vu l’agacement du Premier secrétaire devant les sondages mettant R. Glucksmann loin, très loin devant lui, à une portée de voix du deuxième tour.

Bien sûr, tout le monde avait en tête les révélations de R. Garidot indiquant que la direction du PS se réunissait chaque semaine, en secret, pour élaborer une primaire de la gauche dont la majorité des acteurs voulaient qu’elle fût ouverte aux mélenchonistes.

Bien sûr, chacun remarqua l’insistance mise dans les déclarations officielles sur le fait de « tout faire » — silence — « tout » pour éviter, en cas de dissolution, que l’extrême droite s’empare du pouvoir. Ce fameux « tout » qui ne voulait rien dire mais sous-entendait tout.

Bien sûr, enfin, la perspective de la dissolution n’est pas aussi radieuse qu’elle paraissait à écouter quelques sondeurs. Le retour du terrain a été, pour certains, brutal. La jubilation discrète de voir les Insoumis réduits à une vingtaine de députés ne compensait pas la peur de mourir au champ d’honneur de la censure-dissolution. Et puis ces sondages étaient terrifiants, avec un RN au niveau du premier tour de la dissolution, alors que la campagne n’a pas commencé. La double fin du Front républicain et du Nouveau Front populaire ne permet pas de trop rêver. Devant le masque avenant — « même pas peur, nous sommes prêts » — pointe la trouille de la débâcle. À l’évidence, dans le moment RN que nous vivons, cela serait une boucherie et une chambre bleu marine, tant les Français sont idéologiquement d’accord avec la préférence nationale et excédés par l’instabilité.

Tout cela est vrai et, pour ainsi dire, là, sur la table.

Il n’empêche : les mots furent prononcés, le fait avéré, la rupture publiquement consommée. Il était plus « droitier », « cryptomacroniste », de dire non à Mélenchon. Des noms d’oiseaux, il y en a toujours eu au sein du NFP. Ils ont toujours débouché sur des rabibochages de circonstance. Mais là, il s’agissait de mettre un terme — dans la séquence — au refus de l’autonomie stratégique du PS au nom de l’union érigée en identité. Après le budget socialiste présenté à Blois, il s’agissait d’une pierre supplémentaire, peut-être décisive, dans l’émancipation.

Il était temps — car il est minuit dans la gauche —, incapable de créer un souffle, une alternative à l’extrême droite dévorant les cœurs et les têtes, se ruant sur la République.

Après ne pas avoir joué le compromis avec Lecornu, celui-ci constatera d’ailleurs, amer, lors de son allocution de vrai-faux départ, qu’il est des lignes rouges comme del’horizon : elles se déplacent au fur et à mesure qu’on avance.

Dans le moment, le Premier secrétaire est passé à autre chose — une nouvelle amourette, en quelque sorte. Il n’a d’yeux que pour Gabriel Attal, qui offre le double avantage de légitimer une équation possible au Parlement pour son accession au poste de Premier ministre et de réduire l’espace du patron de Place Publique. On n’arrête plus ce début de romance : téléphone à tout va, rencontres impromptues dans les couloirs de l’Assemblée, avalanche de SMS, et même 45 min de débat à trois avec Marine Tondelier dans le salon de maquillage de LCI. Il est des lieux qui ne trompent pas. Nous n’allons pas cracher sur ce revirement qui enfourche la thèse d’une gauche de gouvernement que nous défendons depuis le premier jour. Encore que, aller au deal avec Renaissance, c’est passer un peu rapidement de l’autre côté du cheval. C’est toujours le problème avec les convertis de fraîche date. Ne plus réclamer le retrait de la réforme des retraites, mais sa simple mise en débat au Parlement, dans son interview au Parisien ; ou sortir de Matignon en déclarant de fait « c’est moi ou la censure » : tout cela était un peu « too much ». Mais bon, on ne peut pas tout avoir ; et puis il fallait purger cette affaire de Premier ministre socialiste, à laquelle Faure ne croyait pas tout en l’espérant en se rasant.

Mais voilà : Macron, dans la situation d’assiégé où il est, a préféré tenir que courir. Il ne croit pas le Premier secrétaire capable de lier à sa personne les écologistes et les communistes, puisqu’il a été incapable de les lier à une non-censure du budget Lecornu. Faure ne sera pas Premier ministre — « adieu veau, vache, cochon, couvée ». Mais l’essentiel n’est pas là. Au fond, le plus dur a été fait : la rupture avec Mélenchon est actée. D’ailleurs, ce dernier est apparu compassé, isolé, usé, moulinant dans le vide en marge de la rencontre initiée par le Président. Le fait d’être enroué lui donnait symboliquement l’image du dragon ne crachant plus le feu. Le voilà, dans la séquence, renvoyé à la marge. Il serait incongru de le remettre en scène.

Première éclaircie dans ce marasme, mais O. Faure doit maintenant en tirer les conséquences :

1.     Le choix de la stabilisation s’impose. D’ailleurs, vendredi, dans un nouveau bureau national faisant suite à la rencontre à l’Élysée, le Premier secrétaire a fini par le concéder du bout des lèvres, devant une poignée de ses ultra contrits, par ce moment de responsabilité.
Pour le PS, ce qui doit compter, ce sont les avancées, pas de censurer. Il est temps de se revendiquer de la gauche qui gagne contre la gauche qui gueule !

2.     Le choix d’une nouvelle stratégie s’impose. Les sondages l’attestent, même si le niveau du RN est redoutable. Il se dessine une alternative au NFP : l’union des sociaux-progressistes, de Rebsamen à Tondelier, regroupant tous les sociaux-démocrates autour d’un axe PS-Place Publique-Radicaux, contraignant les écologistes à rompre avec Mélenchon et les macronistes de « gauche » à renouer avec la gauche. La nouvelle stratégie sera utile aux municipales et aux législatives si elles sont avancées.

3.     Le choix, enfin, de la clarification implique de trancher définitivement le rapport avec LFI.
Si le RN n’est pas dans l’arc républicain, LFI ne veut plus y être. Pour l’un, les principes constitutionnels font un obstacle à la préférence nationale. Pour l’autre, dans la situation prérévolutionnaire, rester dans le cadre de la République, c’est l’empêcher. Ajoutons que l’extrême droite veut exclure les Français issus de l’immigration de la communauté nationale ; l’extrême gauche veut en faire un moteur de la révolution citoyenne, avec les dérapages clientélistes que l’on connaît. Il faut donc défendre le Front républicain contre l’extrême droite, qui est aux portes du pouvoir, et mettre fin à la discipline républicaine avec LFI.

Cette stratégie, juste du point de vue des principes vis-à-vis de l’extrême droite et du populisme de gauche, sera électoralement payante dans un pays aux prises avec un triple rejet : Macron-Le Pen-Mélenchon. Ainsi, dans une France en ruine, face à un RN qui va dominer la droite, une alternative se construirait entre l’extrême droite marchant vers le pouvoir et l’extrême gauche marchant dans la rue.

Allez, Mr Faure, encore un effort !

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3/ RÉPLIQUES

● Marine Tondelier dit : les conditions ne sont pas réunies pour une rencontre PS-LFI-Verts, puis rencontre LFI pour proposer un accord au PS. Comment se fait-il qu’à chaque fois que Mélenchon est dans les cordes, Marine Tondelier joue des coudes pour le ramener dans le jeu ? Pourquoi joue-t-elle à ce point les proxys de Mélenchon ?

● Retailleau dit : jamais avec la gauche à l’Assemblée, et appelle à voter RN dans une partielle en Tarn-et-Garonne. Pas besoin de traduire : le ministre de l’Intérieur veut la place de Ciotti dans l’alliance avec l’extrême droite. Les Républicains s’intègrent dans le « bloc des patriotes » dominé par l’extrême droite. C’est la fin du macronisme mais aussi du gaullisme.

À dimanche prochain.