2082 Jours de guerre en Europe
1- L’appel aux consciences
2- La fuite de Trump
3- LFI : le reflux
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1- L’appel aux consciences
Nous avons condamné le massacre antisémite du 7 octobre en Israël.
Nous avons caractérisé le Hamas comme organisation islamiste terroriste, refusant de l’assimiler aux Palestiniens et à leurs revendications d’un État.
Nous avons critiqué l’Iran, les arrestations et ses milices cherchant à détruire l’État israélien.
Nous avons condamné le Hezbollah et jugé légitime la riposte d’Israël à partir du moment où ce mouvement militaire-religieux lié à l’Iran s’attaquait aux populations israéliennes.
Nous avons défendu le droit d’Israël à se défendre, tout en indiquant que ce n’était pas pour faire n’importe quoi, en particulier à Gaza ou en Cisjordanie.
Nous avons exigé la libération des otages israéliens. Nous avons demandé un cessez-le-feu pour ce faire, et un certain nombre furent libérés.
Nous avons manifesté à Paris contre l’antisémitisme, malgré la présence de l’extrême droite.
Nous avons toujours été vigilants, et de tous les combats, contre toutes les formes d’antisémitisme dans le pays, jusque dans la gauche.
Nous avons combattu ceux qui font commerce du malheur des Palestiniens à des fins électorales.
Nous n’avons jamais confondu le peuple israélien et l’extrême droite qui gouverne Israël. Nous avons soutenu les manifestations contre Netanyahou avant le 7 octobre, et depuis.
Au nom de quoi devrions-nous aujourd’hui être indifférents à l’horrible situation des Gazaouis ?
Ce n’est ni l’image que nous faisons des pères fondateurs d’Israël, ni de son peuple, encore moins de l’humanisme que nous défendons partout et pour tous.
Devons-nous nous taire sur le blocus humanitaire à Gaza ? Est-il possible de ne rien dire par peur d’alimenter l’antisémitisme ? Au contraire, ne rien faire ne serait-il pas l’alimenter ?
N’est-il pas temps que cela cesse ?
Ne faut-il pas mobiliser la communauté internationale pour la levée de l’embargo sur la nourriture, l’eau, les médicaments à Gaza ? Toutes les explications du monde ne justifient pas que l’on taise le malheur d’un peuple, son exode, sa famine, son dénuement.
C’est aujourd’hui la question posée à chaque conscience et à la communauté internationale. Des voix commencent à s’exprimer, formons le vœu qu’elles soient de plus en plus nombreuses. Il est temps qu’un mouvement international naisse, sans autre condition que la levée de l’embargo humanitaire.
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2- La fuite en avant de Trump
Le conflit militaire meurtrier entre le Pakistan et l’Inde à propos du Cachemire est la preuve, s’il en était besoin, du dérèglement du monde. Le pape Léon XIV, choisissant de succéder au très politique Léon XIII qui fonda la doctrine sociale de l’Église, a d’emblée placé son pontificat sous l’égide de la paix des peuples lors de sa première bénédiction sur la place Saint-Pierre. C’est dire si l’Église catholique, aux capteurs mondiaux, saisit ce monde inquiet qui sent la poudre.
Oui, le monde implose, la dégradation nationaliste multiplie les conflits armés ; elle est concomitante au règne foutraque de Trump, qui l’accélère.
Malgré le deal proposé à Poutine par Trump, le dictateur du Kremlin ne veut pas déposer les armes.
Pourtant, Trump a tout cédé en Ukraine, et même accompagné en Europe la vague nationaliste aux accents trumpistes, soutenue par Moscou. Le résultat des élections en Roumanie en est la preuve : avec 40 % des voix au premier tour, le candidat de l’Alliance pour l’unité des Roumains a démontré que la « coexistence nationaliste » trumpo-poutinienne contre l’Europe fonctionnait. Mais, rien n’y fait : Poutine en veut plus, pilonne l’Ukraine et y avance à pas de tortue. Il veut la totalité du Donbass et casser l’Ukraine — ce que Trump ne peut lui obtenir. D’autant que Poutine et Xi Jinping — leur communiqué commun est explicite — veulent la fin de l’hégémonie occidentale et de la domination US.
Voilà le président américain coincé. Il cherche la sortie, s’agitant en tous sens. Protéger l’Ukraine avec un Dôme de fer ? C’est revenir sur sa promesse de se désengager financièrement. Fournir des armes plus puissantes à Kiev, cela changera-t-il les données du conflit ? En tout cas, cela détériorera ses relations avec Poutine, prolongera la guerre tout en renforçant les relations entre la Russie et la Chine, au beau fixe, alors que le but est de les distendre en offrant à Poutine l’influence dominante sur l’Europe. Se retirer des négociations, c’est perdre la face et continuer la guerre. C’est l’impasse — plus qu’un contretemps, un échec — alors que Trump est enlisé sur d’autres fronts. Il ne peut changer de pied dans la guerre commerciale : il doit attendre la fin des négociations. Il ne peut baisser pavillon devant la Chine, même s’il en donne des signes.
Entre deux propos pro domo, il constate que l’économie américaine est dans le dur, et un peu penaud, il amende son dispositif, demande une rencontre avec Xi Jinping. Il l’espère plus qu’il ne sait où il va.Ce n’est pas mieux avec l’Europe, sauf avec la Grande-Bretagne.
Le nouveau chancelier F. Merz, qui a vu son élection contrariée lors d’un premier tour du Parlement, fait malgré tout front pour l’Europe et veut relancer l’axe franco-allemand, prenant la mesure de la tenaille géopolitique Trump-Poutine.
Le traité de Nancy entre la France et la Pologne, signé dans le dos de la représentation nationale quand même, est une autre indication de l’échec de la doctrine Rumsfeld, qui pariait en son temps sur la « jeune Europe » (sortant du joug soviétique) contre la vieille Europe. L’Italie, qui en a fortement envie, ne peut faire sécession, car les négociations commerciales sont de compétence européenne.
Le voyage à Kiev de la France, de l’Allemagne, de la Pologne et de la Grande-Bretagne est une déclaration d’intention européenne face à Poutine, qui touche par ricochet Trump.
Le président américain relance alors les menaces à propos du Groenland ou du Panama.
Mais, à nouveau, il y a loin des mots aux actes.
Que reste-t-il pour ne pas perdre la face ? Je vous l’ai déjà dit : le Moyen-Orient.
C’est précisément l’anticipation de Netanyahou. Il ne souhaite pas que ce débouché nécessaire soit en contradiction avec ses buts de guerre. Il tire donc les événements dans son sens.
Alors qu’un cessez-le-feu était en passe d’être signé avec les Houthis, ces derniers lancent sur Tel-Aviv un missile qui atteint sa cible. Et évidemment, cela donne de l’eau au moulin à Netanyahou, qui veut bombarder l’Iran, protecteur des milices chiites du Yémen.
Dans une nuit aux accents historiques, le 4 mai, le cabinet de Netanyahou vient de décider de forcer la main du président américain, qui se rendra au Moyen-Orient dans les jours qui viennent.
Prenant au mot les déclarations à l’emporte-pièce de Trump sur la construction d’une « Riviera à Gaza », il le met devant le fait accompli. Le cabinet a décidé une énième opération de nettoyage.
« Nous continuons à promouvoir le plan de Trump visant à permettre le départ volontaire des Gazaouis », déclare le Premier ministre israélien. Voilà qui va compliquer les rencontres entre le président des États-Unis et Riyad. Mais, quelques jours auparavant, l’aviation israélienne bombardait Damas, et même la proximité de la résidence du président syrien par intérim, Al-Charaa.
Le prétexte, qui ne trompe personne, était la défense de la communauté druze. En réalité, il s’agit d’élargir la zone tampon du Golan occupé et d’interdire à Damas de descendre dans le Sud. Bref, le cabinet israélien tente de créer les conditions d’une escalade américaine qui soit une échappatoire aux échecs de Trump. Et permettre ainsi à l’extrême droite israélienne de rendre Gaza inhabitable : sans habitat, sans eau, ni nourriture, ni médicaments — et, au bout, sans habitants.
Le grand paradoxe de cette situation d’engrenage guerrier tient au fait que le salut des Gazaouis vient de la population israélienne, qui manifeste en masse contre le plan Smotrich-Netanyahou de nettoyage de la population de Gaza. Une pétition de masse des réservistes proteste de leur mobilisation : une sorte de mouvement des rappelés à l’israélienne. Du jamais vu. On évoque même des retards volontaires dans la mobilisation.
Cela sera-t-il suffisant ?
L’impossibilité de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie d’accepter ce plan fera-t-elle pencher la balance pour que Trump hésite ? Il montre des signes d’agacement.
Mais, rien n’est moins sûr, tant il doit trouver un nouveau front devant ses échecs.
C’est le pari de l’extrême droite israélienne.
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3- LFI : le reflux
Je n’ai jamais été un chaud partisan de la chasse à courre et de la "meute" acculant l’animal blessé et lâché. Il y a bien longtemps que mon jugement a été arrêté sur le populisme de gauche, les insoumis et J.-L. Mélenchon.
Dès le 8 mai 2022 dans Sud Ouest, j’estimais qu’un "tout sauf Mélenchon était en train de se construire". C’est aujourd’hui chose faite : publication de livres comme La Meute, articles tous azimuts, reportages, documentaires, mise en cause dans l’hémicycle : c’est un déluge de bruits et de fureurs contre les insoumis. Seuls les dissidents de LFI — Autain, qui "partage toujours le programme de LFI-NFP" (BFM), Garrido, Corbière, Ruffin — et l’écologiste Marine Tondelier tendent une main secourable à Mélenchon pour une improbable primaire de toute la gauche, alors que le secrétaire national du PCF, Roussel, déclare que "LFI est une secte". Un retournement de l’histoire, puisque ce fut le titre du livre de P. Robrieux sur le Parti communiste qui ébranla le PCF juste avant 1981.
Au PS, plus personne ne défend le soutien ou l’accord avec les insoumis, même à bas bruit.
On a même remis à l’ordre du jour le vieux slogan de Guy Mollet : "la gauche non communiste", en proposant l’alliance de la "gauche non mélenchoniste".
Rien ne va plus donc chez les insoumis, et ceci vient de loin.
Dès la naissance de la Nupes, l’exigence de la reddition des socialistes — qui abandonnèrent pour ce faire toute culture de gouvernement — fit sens. Il en fut de même pour les écologistes de gouvernement et le PCF, qui se cabra.
Sur un ton comminatoire et goguenard, Mélenchon, fort de son score à la présidentielle, indiquait : "Il n’y a plus qu’une seule gauche : la mienne", un peu comme si les tenants d’une gauche réaliste étaient une armée d’occupation illégitime à gauche — et enfin vaincus. Ce faisant, les conditions du rejet se mettaient en place : un hégémonisme idéologique du populisme de gauche, un modèle politique daté et radicalisé dans un pays allant à droite, un chef revanchard sur son histoire et celle des gauches, un homme tout-puissant et omniscient. Et surtout, d’emblée, l’abandon de l’intérêt général au profit de la promotion d’un "peuple" déifié comme instrument d’un Grand Soir citoyen sans autre contenu que la rupture.
L’effondrement politique et moral du PS, la fuite d’une partie de ses dirigeants réformistes chez Macron, permettait au leader de La France insoumise de faire illusion.
La séquence se referme lentement. Elle a fait beaucoup de dégâts dans la gauche et en France.
Pour autant, si LFI a perdu sa capacité propulsive, elle n’a pas perdu sa capacité de nuisance. Nous le verrons dans les élections à venir : municipales et présidentielle. Il reste surtout l’emprise "radicale" qu’elle exerce toujours sur la gauche comme marqueur de la vraie gauche.
Au fait de sa gloire, ayant capté dans le bobo-land le vote utile contre Macron, surfant sur l’échec de la primaire populaire, Mélenchon se hissait au-dessus des 20 % à la présidentielle. L’illusion d’optique était totale. Il en profita pour donner le ton de "son règne" dans un signifiant : "Élisez-moi Premier ministre". Ce "la gauche, c’est moi" a plu ! On a même parlé de génie. L’appel plébiscitaire aurait pourtant dû interroger : d’un côté, Mélenchon se présentait en rédempteur de la gauche, si ce n’est du pays ; de l’autre, il enfermait celle-ci dans la "théologie" de la rupture.
Mélenchon était à la mode, se jouant avec délice des illusions à son endroit. Ce sketch sera resservi au pays avec moins de succès après la dissolution, en exigeant sa nomination — car c’était cela dont il s’agissait — avec la désormais célèbre formule : "le programme, rien, le programme, tout, le programme".
Il a fallu du temps pour dessiller la gauche et désenivrer les esprits qui font l’opinion.
Tout a commencé avec l’affaire Quatennens, défendu avec âpreté par le chef insoumis, qui tout à coup apparut daté, vieilli, enfermé dans des certitudes d’un autre temps, et révéla son double langage à propos du féminisme. Beaucoup vient de là, y compris la fermeture de LFI, qui jusque-là agrégait tout ce qui se réclamait de la radicalité. Manon Aubry fut le dernier apport. Depuis la fermeture — Bompard, Panot — plus rien.
Mélenchon accentua alors son tropisme de forteresse assiégée, d’autant qu’il a renoncé à être parlementaire. Et le triumvirat Mélenchon-Bompard-Panot décida de mettre au pas ceux qui s’étaient publiquement offusqués de la "gifle de Quatennens".
Puis ce fut, dans l’opinion, le refus de condamner les violences lors des émeutes de banlieue, la "bordélisation" de l’hémicycle, et enfin un antisémitisme d’atmosphère (au nom d’un soutien inconditionnel aux mouvements palestiniens et d’une israélophobie jamais démentie).
L’instrumentalisation de ce drame lors des élections européennes, pour éviter d’être siphonné par la candidature de R. Glucksmann, sauva le carré de la radicalité, mais accentua le rejet.
Sans qu’il n’y prenne garde, l’opinion se retourna.
Le PS — malgré des velléités de liste commune — retrouva son autonomie aux européennes, puis un début de rapport de force comme conséquence lors des législatives, à la suite de la dissolution, débouchant, non sans mal, sur la censure de Bayrou.
Pourquoi le cycle est-il terminé ? Pas simplement parce que Mélenchon décide seul en son royaume insoumis. Il faut toujours être attentif à cela, car la manière dont on dirige une formation préfigure celle dont on dirigerait l’État. Les exclusions à répétition de ses compagnons de route pour avoir publiquement contredit le chef ont joué leur rôle. Pour autant, les "partis-entreprises" bâtis autour d’un homme ou d’une femme sont une donnée de la vie politique française. Le RN, Renaissance, le Modem ou Horizons, etc., ne sont pas des modèles de partis démocratiques.
Non, cette question, pour importante qu’elle soit, n’est pas le facteur déterminant.
Délesté du faux nez du vote utile, le populisme de gauche est apparu pour ce qu’il était : une impasse politique, programmatique et stratégique.
Mon analyse était qu’il n’y avait pas de cristallisation "radicale" dans la gauche en France — pas plus, en tout cas, que dans les années 70/80. Celle-ci était à son étiage depuis 2002. Mais, Mélenchon avait cristallisé le vote utile d’une gauche électoralement perdue, de moins en moins campiste, de plus en plus stratège.
La désaffiliation électorale, la dépolitisation, le pronostic se substituant à l’offre, et le désamour vis-à-vis de Macron ont libéré la recherche d’un vote "quoi qu’il en coûte" pour atteindre le second tour — un vote malgré lui, en quelque sorte. Celui-ci vient de se transformer par la recherche d’un "vote à gauche sans lui".
Et donc, que Mélenchon soit candidat ou non, il est arrimé à l’espace de la radicalité en France — c’est-à-dire 10 %, et peut-être moins si une candidature crédible de gauche se dégage. Parce que l’électorat, même radical, n’est pas totalement inféodé au sommet de LFI.
On l’a vu en 1981 avec le PCF. Quant à l’électorat des "quartiers", il est plus volatile que ne le croit Mélenchon. Le réduire à la Palestine, c’est l’essentialiser.
C’est oublier qu’il y a, dans les "aspects quartiers", des problèmes généraux, et que ses habitants sont accessibles à un raisonnement politique.
Notons au passage que la gauche crédible ne peut atteindre le seuil critique pour devenir le vote utile en étant en résonance avec Mélenchon, puisque ce dernier campe sur la radicalité.
Il a dilapidé, par hubris, ce qui était passager — utile pour faire barrage — croyant que ce mouvement était une adhésion du "peuple" à sa personne. Nous entrons dans une nouvelle époque : celle du reflux. Le débat public le démontre, les sondages aussi.
Les conditions du vote utile Mélenchon ne sont plus réunies.
C’est un verrou qui vient de sauter — mais la porte n’est pas ouverte pour autant.
À dimanche prochain.