2012 jours de guerre en Europe

  1. Fin du NFP
  2. Alerte rouge chez les Verts
  3. Où va l'Amérique et nous avec ?
  4. La Relève : Mathieu Klein

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1. Fin du NFP

Mélenchon s’étrangla et cracha de rage : "Le PS rejoint le gouvernement." Sans blague ? Et les Insoumis, en votant avec le RN, ils rejoignent qui ? Ce degré zéro de la politique est dû à l’amertume de celui qui voit s’échapper sa proie. Sur son blog, il récidive et s’attaque à K. Bouamrane pour avoir osé dire un "je suis d’accord avec vous" de politesse à Retailleau avant de le détruire politiquement "sans bruit ni fureur" dans son débat sur LCI. Oui, "Jean-Luc", c’est bien embêtant, une alternative à LFI issue des quartiers, cette autre gauche dont tu ne veux sous aucun prétexte. Quant à l’attaque contre Faure dans le même texte, pas la peine d’être lacanien pour comprendre cette pulsion de mort : "il ne compte plus." Pris au piège de sa suffisance, Mélenchon pensait : "Je décide, les autres partis s’exécutent."

À la suite d’un travail acharné, avec une indéniable discrétion médiatique pour ne pas dire plus, dans et hors du PS de ceux qui refusaient la "reddition", le PS s’est émancipé et n’a pas voté la censure LFI.

Comme nous l’avions envisagé la semaine dernière, O. Faure réaffirma malgré tout son attachement au Nouveau Front populaire. Et Mélenchon, incapable de composer avec un autre avis que le sien, exclut le PS du cartel des gauches, comme il le fait dans sa formation politique quand on ose le contredire. Et puis ce fut le "bas les masques" des Insoumis, avec des visuels infamants, des tweets enflammés, des propos dégradants. Mathilde Panot, toutes boucles d’oreilles au vent, excommunia ; Bompard, morgue aux lèvres, s’acharna ; Quatennens, toute honte bue, en profite, pendant que les Khmers égrènent les qualificatifs de toutes sortes. Il ne manquait que "vipère lubrique", mais cela n’est dû qu’à un manque de culture politique. Voilà, c’est la fin d’une fiction, celle d’une union sous emprise mélenchonienne. O. Faure dira que Mélenchon n’avait pas le monopole du NFP ; Jérôme Guedj qu’il n’y aurait plus jamais d’accord PS-LFI. Les écologistes puis le PCF condamnèrent le visuel de la discorde où une Marine Le Pen sardonique s’alliait à un Faure penaud ; oubliant celui de madame Obono présentant la nouvelle alliance Macron-Hollande-Le Pen comme on lui a appris à le faire dans sa jeunesse, chez les trotskistes du SWP anglais et leur minorité dans la LCR puis au NPA. Ce qui est bien avec LFI, c’est que l’on peut prévoir leurs réactions ou leurs outrances. Chassez le naturel, la haine revient au galop.

La maturation à propos des Insoumis a pris du temps. La prise de conscience tardive commença avec le refus de LFI de condamner les émeutes de banlieue. Elle s’est poursuivie par l’ambiguïté sur le 7 octobre en Israël. Elle atteint son paroxysme avec la participation à l’antisémitisme d’atmosphère lors des Européennes ; pour déboucher sur le refus de tout compromis après la majorité introuvable à l’Assemblée suite à la dissolution, enfermant la gauche dans "le programme, rien que le programme, tout le programme de LFI-NFP". Cette dérive est devenue visible par tous, parce que nous serions dans l’imminence de la révolution citoyenne et qu’il faut transformer les quartiers populaires en nouvelle "ceinture rouge". Cette nostalgie de la gauche des années 70 a conduit le populisme de gauche dans "le décor" électoral aux Européennes. Il fut provisoirement sauvé par le Nouveau Front populaire, mais rattrapé depuis par les déconvenues lors d’élections partielles (Ardennes, Isère, Villeneuve-Saint-Georges), pendant que J.-L. Mélenchon dégringolait dans tous les sondages et réalisait l’exploit d’être plus rejeté que Marine Le Pen.

Dans un long et laborieux dadzibao sur son blog, le « très aimable Bompard » tente d’expliquer les raisons de l’échec de Villeneuve-Saint-Georges. La rhétorique est celle de la citadelle assiégée, tout droit sortie du PCF des années 50. C’est le complot PCF/PS appuyé par la droite et l’extrême droite qui a conduit à l’échec. Pensez donc : les Insoumis ont réalisé le meilleur score de la Gauche dans cette ville. Bompard fait allègrement disparaître de la photo le tandem Roger-Gérard Schwartzenberg – Laurent Dutheil PRG/PS, qui gagna et administra la ville pendant plus de 10 ans. Ce complotisme de bas étage a pour but d’expliquer la mission historique des Insoumis : "ramener les couches populaires à la politique", déçues qu’elles seraient par "l’ancienne gauche". Cette comptine dévoile au passage la stratégie des Insoumis. Ils refusent un projet de gauche pour la France, mais veulent un projet gauchisant pour les couches électorales capables de porter leur rupture. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle LFI n’a aucune considération pour le fait que la France ait un budget ou pas. La censure ne fait pas advenir un budget de gauche, elle a pour but que la France n’en ait pas. Il ne s’agit pas d’améliorer la situation des plus faibles ou de les protéger. Mais d’instrumentaliser la situation déplorable des habitants de ces quartiers populaires comme carburant pour la radicalité.

Il s’agit enfin, et pour les mêmes raisons, d’enfermer le légitime émoi chez ces derniers que suscite la situation faite aux Palestiniens à Gaza dans une "hamasisation de résistance". Nous sommes loin des "instituteurs du peuple", chers à Mélenchon, chargés de guider les masses vers les "lumières". Il s’agit là de les condamner aux ténèbres de l’obscurantisme. Que voulez-vous, une élection vaut bien la messe. C’est ce qui s’est joué avec le grand refus de Boyard lors de l’élection à Villeneuve-Saint-Georges. Le tête de liste Insoumis préféra garder en 7ᵉ position un pro-Hamas patenté plutôt que le retirer pour l’union. Boyard éructa après la défaite : "Où était le PS, le PCF, etc. ?"… Il avait bien vu : ils n’étaient pas avec le Hamas. Ce qui était un handicap pour la gauche est devenu un boulet électoral. Le rejet, y compris à gauche, est maintenant clair.

Indépendamment de sa nature, le Nouveau Front populaire a explosé sur l’obsession des Insoumis de raccourcir l’agenda présidentiel à cause de l’horloge biologique de Mélenchon. Ne pouvant y parvenir, LFI va réajuster sa stratégie, passant du Front populaire au Front de la radicalité. Le groupe Insoumis cherche déjà à provoquer des réunions en ce sens. Les municipales vont être le terrain de l’expérimentation de cette nouvelle alliance : coaliser les tenants de la rupture, autant dire du soutien à Mélenchon. Ce dernier va se déchaîner, selon le vieil adage : « Vous êtes avec moi ou contre moi. Tous ceux qui ne sont pas avec nous sont avec Macron et Le Pen.» 

Il ne s’agira pas, pour les tenants de la rupture, de gagner des villes. LFI est définitivement un parti de premier tour, mais fait perdre à la gauche qui "trahit". Un mot pour résumer cette politique de la terre brûlée : "À la présidentielle ! Soit je suis au second tour, soit la gauche n’y sera pas." LFI et son nihilisme électoral affleurent maintenant aux lèvres de chacun de ses militants.

On aurait tort de voir la "partie" terminée et la fin du quinquennat de Macron assurée parce que le NFP est brisé. Le président en joue déjà, en jouera avec de gros sabots pour tenter de se rétablir. Mais il est définitivement "out", comme le NFP. Quant au budget, même amendé par les socialistes, il reste mauvais pour la France, car si le budget passe au 49.3, les déficits restent. Sur BFM, l’ancien chef économiste du FMI, O. Blanchard, est sans appel. Il indique que les marchés ont compris les contraintes politiques et ont accepté "ce budget mieux que rien". Mais ils vont être attentifs à "la capacité de le maîtriser" face aux demandes de toutes sortes. Le recul sur la TVA des auto-entrepreneurs semble lui donner raison. Le gouvernement minoritaire est dans le dilemme : "conduire l’austérité sans être renversé". L’économiste expose ensuite ses inquiétudes quant à la situation budgétaire de la France et redoute "une intervention du FMI". Rien que cela !

D’ici l’été, les conséquences vont être redoutables, tant sur le plan des recettes, avec la vague de licenciements et des fermetures d’entreprises, que sur les dépenses, tant l’austérité va être insupportable et insupportée. Les Insoumis et le Rassemblement national se saisiront de cette situation pour dresser des bûchers. Il n’est même pas impossible que la France ait besoin d’une loi de finances rectificative, ce qui reposera le débat de la censure, et ce avant les municipales. La tentation sera alors grande de se gauchir à bon compte en votant une censure. Et puis, nous ne sommes pas sortis du « conclave sur les retraites », qui va voir ses marges de manœuvre budgétaires encore plus réduites. Le Premier ministre, F. Bayrou, espère que le deal des partenaires sociaux contiendra les velléités de censure du PS. La question d’âge posée par la CFDT, qui veut pourtant aboutir à un accord, va devenir le nœud coulant sur le cou du gouvernement. D’autant que la CGT, toujours pas sortie d’un congrès chaotique, ne rêve que de rompre avec "l’intersyndicale" dans laquelle l’ancien secrétaire général, Martinez, l’avait coincée. Là encore, PCF, Écolos, Insoumis, PS et RN ont une majorité possible pour la censure.

Voilà pourquoi il vaut mieux une boussole dans les événements. Le PS doit se redéfinir d’urgence. Son identité politique se résumait à l’unité. C’était une erreur, c’est devenu une incantation. En tout cas, le PS ne peut espérer aborder les échéances à venir avec cette valise ouverte. Il doit reconstruire son agenda politique. Il lui faut pousser les feux sur la proportionnelle : c’est une nécessité pour la France, qui a besoin de coalition, mais aussi pour le PS. C’est la conclusion stratégique de la rupture avec Mélenchon. Le PS doit ensuite définir son projet-programme, bâtir une stratégie d’union des électeurs sur ce projet se substituant au cartel de sommet, enfin dire dès maintenant qu’il y aura un candidat à la présidentielle pour porter ce projet-programme (qui doit être le contre-récit du national-populisme et sa préférence nationale). Enfin, sur le plan parlementaire, le PS ne peut rester au milieu du gué.

L’épisode du 49.3 n’est pas des plus heureux. Soit les socialistes disent qu’ils ne voteront pas de censure, à part une mise en cause de la République. Soit, s’ils ne le disent pas, alors les événements pourraient les y contraindre et ruineraient l’espoir d’une alternative qui vient de naître.

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2. Alerte rouge pour les Verts

La chute de 8 points de M. Tondelier dans les sondages est corroborée par le divorce entre les électeurs verts, défavorables à la censure, et le groupe parlementaire, unanimement pour. Le lourd échec de la candidate écologiste à la législative partielle de Boulogne, dans les Hauts-de-Seine, est une autre indication. Le très mauvais sondage du maire écolo de Lyon, publié dans Lyon Magazine, est une confirmation : tout va dans le même sens, les écologistes sont dans un trou d’air.

L’alignement sur les positions de LFI fut le "compromis historique" entre une direction électoraliste et la base du parti écologiste radical. Il devient tout à coup contre-productif. Tant que LFI faisait profiter aux écologistes son socle de radicalité, les écologistes pouvaient se passer de leur base électorale centristo-bobo dans les métropoles. Les deux pôles des Verts, un sommet intéressé par les conquêtes électorales et une base subjuguée par la radicalité militante, profitaient de cette manne. Mais depuis que le vote utile autour de LFI s’est contracté, réduisant les Insoumis aux quartiers populaires, les écologistes sont sans oxygène.

Cela était particulièrement clair lors des élections européennes où les écologistes ont subi une défaite majeure. Mais ce revers n’a pas pu être constaté, car la création du Nouveau Front populaire et sa dissolution l’ont opportunément éclipsé. Marine Tondelier, qui n’est pas la moitié d’une femme d’appareil, a tout de suite compris l’opportunité de se débarrasser de Glucksmann et de son score en pactisant avec Mélenchon. Les Écologistes ont pensé qu’il s’agissait d’un recul conjoncturel dû à un mauvais choix de tête de liste, alors que la tendance est structurelle. Les Verts ont scié la branche (ce qui est fort peu écolo) sur laquelle ils étaient assis : c’est-à-dire l’écologie.

Le parti des Verts n’est plus perçu comme écologiste, mais comme l’expression de Mélenchon chez les écologistes. Plus de campagne écolo, plus de revendications écolo, plus de critiques écolos : l’identité disparaît dans la radicalité de l’offre électorale. Les Verts n’ont pas écologisé le NFP, ils ont NFPisé l’écologie. Ils ont abaissé au maximum leur niveau d’exigence pour se transformer en agents d’ambiance du NFP.

Cette orientation, portée par Sandrine Rousseau, est devenue tout à la fois la doctrine officielle des Écologistes et la vitrine de ces derniers. Un épisode est révélateur : le peu de cas fait, dans la galerie des premiers ministrables, pour Laurence Tubiana, incontestable écologiste qui porta la COP 21 en France, au profit de la néo-mélenchoniste Lucie Castet, au prétexte que, sur l’échelle de Richter des Insoumis, elle était trop "Macron-compatible".

On ne voit que le conflit à gauche entre le PS et LFI : il est structurant pour l’avenir. Dans ce divorce, les Écologistes risquent d’être dans une garde alternée : avec les socialistes pour conserver leurs villes, et avec les Insoumis pour conquérir les villes socialistes. Cela ne va pas faciliter leur visibilité alors qu’ils sont devant un choix : garder leur identité avec des socialistes convertis à la social-écologie mais sans en avoir le programme, ou la perdre définitivement avec des Insoumis qui ont déjà le leur ainsi que leur candidat à la présidentielle, J.-L. Mélenchon ou C. Guetté.

Dans la stratégie d’émancipation, c’est au tour des Écologistes, et ce n’est pas gagné. Marine Tondelier persiste et signe : "si le NFP se rétrécit, il est sûr de perdre", dit-elle aux Échos ce week-end. À 28 %, il a déjà perdu, car son périmètre politique est celui de LFI : il ne permet pas de rassembler les Français. C’est la victoire assurée pour une droite dure ou le RN.

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3. Où va l’Amérique et nous avec ?

Avec Trump, les mots n’ont aucune importance. Les paroles s’envolent, les délires verbaux sont un moment du rapport de force. Il parle fort, dru, et déplace les lignes, introduisant dans les confrontations de l’incertitude. Les déclarations se multiplient à une vitesse folle, elles affolent Washington et déroutent le monde. C’est une force qui va, mais au fond, sait-elle vraiment où elle va ?

On peut penser comme Poutine : "Trump va mettre de l’ordre... Les chiens vont se coucher aux pieds de leur maître." On peut estimer qu’il s’agit d’un "my money back" rappelant Margaret Thatcher. On peut trouver qu’il parle à sa base électorale, aux groupes de pression identitaires, aux sectes qui pullulent aux États-Unis. On peut aussi analyser le protectionnisme impérial, cet "America First, America More". On peut constater que la paix des forts donnera raison à Netanyahou, à Poutine, voire à Xi Jinping, et percevoir un moment de l’illibéralisme dominant.

Il est possible de voir en Trump la forme politique nécessaire à la dérégulation permettant le nouvel ordre du capitalisme numérique ; ou la volonté d’avoir une paix au bénéfice de l’empire américain pour pouvoir affronter la Chine ; ou encore une méthode pour que du chaos jaillisse la nouvelle lumière. Enfin, on peut partager le débrief séduisant de P. Haski, pointant que la suggestion de S. Bannon en termes de communication est reprise par Trump : "Noyer les médias sous les annonces pour saturer l’opinion et faire nos affaires."

Tout cela est juste, sûrement très juste. J’ai tour à tour déployé ces arguments. Mais on peut légitimement s’interroger : ne rationalisons-nous pas aussi un "délire sénile" ? On adore trouver une cohérence, une stratégie-tactique, un sens caché aux délires verbaux de Trump. Je me demande si notre rationalisation n’a pas atteint ses limites. Le gouvernement par décret de Trump accentue le vertige du pouvoir absolu exercé par quelqu’un d’extrêmement confus.

L’Europe se réveille chaque matin pour savoir ce qu’il y a dans l’invraisemblable bulle trumpienne de la veille. On est circonspect lorsque le président américain évoque la souffrance de certains, consécutive à ses décisions "nécessaires à un renouveau". Ce type de phrases messianiques est pour le moins préoccupant. Les récentes déclarations sur l’annexion-rachat de Gaza, après le Groenland et Panama, ou ses plaintes répétées contre les Européens "très méchants" parce qu’ils n’achètent pas de voitures américaines, comme si un simple décret signé suffisait à changer cela.

Dans cette logorrhée, il y a une improvisation, une absence de maîtrise, une confusion, comme nous l’avons vu lors de son meeting d’investiture où il fit l’amalgame entre les otages détenus par le Hamas et les condamnés pour l’émeute contre le Congrès qu’il venait de gracier. Nul effet de tribune dans ce tête-à-queue : il avait perdu le fil de son propos et nageait dans un épais brouillard verbal. C’était la même chose à propos de Gaza. Il suffit de regarder le visage consterné de Netanyahou, pourtant bien disposé.

Et que dire des droits de douane avec le Canada ou le Mexique, suspendus pour un mois après une mini-chute de la Bourse ? Les décisions catastrophiques de sortie des institutions internationales provoquent l’effondrement de l’aide mondiale, pendant qu’E. Musk organise des saignées dans l’administration fédérale et concentre un pouvoir démentiel en ayant accès aux données personnelles de tous les Américains. Alors que Trump confirme que le milliardaire de la tech "ne fait rien sans son accord".

Au passage, on m’a brocardé quand j’évoquais le bonapartisme illibéral portant atteinte à l’État de droit. Nous y sommes : le démantèlement de la République américaine a commencé. C’est le souhait de l’oligarchie. Le problème est qu’elle est dirigée par un vieux monsieur dominé par ses obsessions, pas toujours clair dans son expression, ne maîtrisant plus les conséquences de ses mots et de ses actes.

Le prix Nobel d’économie Stiglitz nous dit : seule une divergence entre les oligarques peut conduire à arrêter cette machine folle. Pour l’instant, ils sont plutôt allants. On évoque donc le choc à terme entre E. Musk et D. Trump. Entre deux caractériels "moitrinaires", c’est probable. Mais E. Musk a besoin du soutien de l’État face aux difficultés de ses entreprises, et Trump ne désespère pas qu’en retour, Musk puisse l’aider dans les siennes.

Cette fusion d’intérêts peut exploser en vol, mais vraisemblablement pas avant le midterm. Le problème pour l’Amérique et le monde tient au fait que les "pleins pouvoirs à Trump et son clan" provoquent une absence de contrepoids. Tout le monde a compris que le président est vindicatif et irresponsable, à la tête d’une oligarchie dérégulatrice, national-populiste et illibérale. Mais il faut maintenant sérieusement se poser une question : l’empire américain n’a-t-il pas enfanté son Caligula ou son Néron ? Et tout à coup, la situation échappe à tout contrôle.

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4. La Relève

Chaque semaine, je fais le portrait d’une personnalité socialiste que je suis et qui, à mon avis, participera à la naissance du nouveau Parti socialiste. Après Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Philippe Brun, Érika Bareigts, Jérôme Guedj, Valérie Rabault, Michaël Delafosse, Benoît Payan et Lille, c’est au tour de Mathieu Klein.

Mathieu Klein


L’école de Nancy

Mathieu Klein est à la politique ce que l’art nouveau était à l’art : la flexibilité des lignes. Certes, il n’y a pas chez M. K. une volonté de fonder une école de Nancy à gauche, comme il y eut l’école de Francfort. Mais il y a incontestablement une manière de faire Klein. Il fut tour à tour à la gauche du PS avant d’être chez les réformistes. Porte-parole de Martine Aubry puis de Manuel Valls — quand on connaît le rapport qu’entretiennent ces deux-là, cela relève de l’exploit. Mais que dire d’avoir été celui de Benoît Hamon, candidat à la présidentielle, et "dragué" par le président Macron pour être ministre ? Il laissera dire qu’il avait beaucoup hésité, pour finir par être dans l’équipe des maires d’Anne Hidalgo, tout en étant proche d’Olivier Faure, premier secrétaire, mais animateur de sa minorité.

Si ce n’est pas une certaine flexibilité, cela lui ressemble. Il est toujours là sans être définitivement là. Loin de moi l’idée d’y voir un "esprit girouette". D’ailleurs, Édgard Faure a définitivement tué le concept : "Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent." Non, je perçois tout à la fois un certain talent d’adaptation et le fait que, quelle que soit la nature de celui qui dirige à Paris, le maire de Nancy est incontournable. Il faut être extrêmement habile pour ne pas faire parler de soi, mais être constamment recherché.

François Mitterrand me disait, dans un de nos rendez-vous dans le bureau d’angle de Jean-Louis Bianco à l’Élysée : "Vous, les anciens trotskistes, vous êtes obsédés par la cohérence. Mais la vie est plus intelligente. Il faut savoir s’y adapter." Le moins que l’on puisse dire est qu’en ce domaine, Mathieu Klein est mitterrandiste. La cohérence, c’est lui-même, ce qu’il pense, ce qu’il fait, ce qu’il exprime, quelles que soient les circonstances ou celui ou celle "qui tient le manche" du moment.

Je me souviens de l’avoir repéré lors d’une réunion à Nancy, dans la fameuse brasserie art nouveau "L’Excelsior", avec son équipe. C’est d’abord cela qui m’a frappé : cette capacité à rassembler autour de lui. Cela ne trompe pas. On sentait l’esprit d’équipe et le respect pour le capitaine. Cette camaraderie des membres d’une confrérie, toujours présente tout en étant invisible pour l’observateur extérieur, celle de "Nouvelle Gauche", sorte de pacte générationnel qui tenta de secouer le Parti socialiste. Les animateurs en étaient Vincent Peillon, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon ou l’espace d’un moment, Julien Dray, mais, n’ayant pas réussi à conquérir Solférino et à chasser les éléphants de la direction, cette mouvance forgea les barons actuels du PS. Ils restent discrètement solidaires et seront déterminants lors d’une nouvelle donne.

Lorsque nous nous sommes vus pour la première fois, il était alors président du conseil départemental, succédant au regretté Michel Dinet, son mentor, disparu dans un accident de voiture. Un peu en retrait, observant, écoutant, sauf lorsqu’il s’exprimait, où là, il s’animait : clair, concis et bienveillant. Le charisme est incontestable chez ce très bon orateur. Je me suis dit : "Kennedy !" Oui, il y a du Kennedy dans le personnage : tout à la fois gravure de mode et animé par une forte et froide détermination.

D’ailleurs, me ramenant fort civilement à la gare, il me décrira comment il allait devenir maire de Nancy avec une tranquille assurance qui me marqua. De retour à Paris, je m’en ouvris à mon éternel complice Christophe Borgel qui me dit : "Celui-là, il sera un jour premier secrétaire." Je n’étais pas trop pressé de voir cela, j’avais le même projet. Et il faudrait bien qu’il se mette dans la file d’attente, comme disait Mitterrand à Laurent Fabius, qui voulait brûler les étapes. Il devrait d’abord passer par la case Nancy. Il s’y reprit à trois reprises, mais ne céda jamais et finit, à 44 ans, par conquérir une ville dirigée par le centre-droit depuis la Libération.

Il y a, dans cette conquête, un trait particulier pour Mathieu Klein. Il ne s’agit pas de l’héritage d’une longue lignée de socialistes. Mais cette victoire invente une histoire à gauche et fonde la "maison Klein". En tout cas, ce n’est pas rien de devenir, de fait, un successeur symbolique des rois et ducs de Lorraine qui donnèrent du fil à retordre au duc de Bourgogne, à Louis XIII et Richelieu. Nancy a une indéniable beauté architecturale de différents styles : royal, art nouveau, art déco, et donc son histoire dans notre histoire collective. On surnomme la ville le "petit Paris". Il souffle sur la ville, comme chez son maire, une tranquille assurance, non vis-à-vis de la France, qui fit la guerre pour l’Alsace et la Lorraine, mais Nancy entretient des liens complexes avec la capitale. L’emblème du chardon lorrain n’y est pas pour rien : « Qui s’y frotte s’y pique », que l’on attribua, entre autres, à la ville. Mais, plus sûrement, parce que le centre de la ville n’est pas une place dédiée à un géant de notre histoire nationale, mais à Stanislas Leszczynski, duc de Lorraine, ancien roi de Pologne et beau-père de Louis XV. Cela forge un imaginaire collectif particulier : celui d’une calme indépendance d’esprit. D’autant que la magnifique place Stanislas est un joyau mondialement connu, la 4ᵉ plus belle place du monde, dit-on, inscrite au patrimoine de l’UNESCO et monument préféré des Français en 2020.

Quand on a les fenêtres de l’hôtel de ville donnant sur un tel lieu, on ne doit pas être trop pressé d’une reconnaissance dans un bâtiment industriel donnant sur un parking à Vitry, siège du PS. Cette ville universitaire, à la pointe de la recherche, particulièrement dans la robotique médicale, n’est donc pas la belle au bois dormant. Elle prospère et elle est fière de l’être. Elle est discrètement la 5ᵉ place financière française.

On comprend que devenir maire de Nancy est un objectif en soi, mais ce n’était pas le but de Mathieu Klein en entrant au PS. Ce fut une adhésion de conviction, d’abord lycéen militant pour le oui au référendum constitutionnel européen, puis dans le syndicalisme étudiant, où il développa l’UNEF indépendante et démocratique. Il créa, dans la foulée, une association de lutte contre l’homophobie. Sans ostentation mais sans raser les murs, on pourra lire dans sa profession de foi à la mairie : « Je vis avec mon mari, médecin généraliste, et nos trois enfants au faubourg des 3 Maisons. »

Après cette période de formation dans les mouvements de jeunesse, il devient premier secrétaire de la fédération de Meurthe-et-Moselle, pas la plus grande du PS mais pas la moins organisée, puis, à 38 ans, président du département, où chacun, quel que fût son groupe, ne tarira pas d’éloges sur sa vision, son écoute, son sens du collectif, sa tranquille obstination.

Sa dernière campagne municipale est une leçon de choses. Il troqua l’union des appareils pour une liste citoyenne où chaque parti s’y retrouva, sans pour autant aligner des sigles qui donnent l’impression de tenir à distance le citoyen. Voilà une expérience utile pour le PS, qui doit inventer l’après Nouveau Front populaire.

Il n’a d’ailleurs pas attendu ce dénouement pour prendre ses distances avec LFI et sera particulièrement clair dans une interview au Point : « La gauche doit se dégager de la tutelle de Mélenchon. » Le maire de Nancy rejoindra le maire de Rouen et de Montpellier dans ce qu’on appelle, dans le vocabulaire un peu barbare des socialistes, le TO3 (texte d’orientation n°3), qui totalise 30 % du PS et 50 % dans une alliance avec le TO1 d’Hélène Geoffroy.

C’est donc maintenant chose faite : le PS s’est émancipé. Il avance vers une nouvelle donne, une nouvelle direction. Et Mathieu Klein en sera, c’est certain, il en est toujours. Mais sûrement là, avec de nouvelles ambitions.

La semaine prochaine, Rachid Temal.

À dimanche prochain.