1056 jours de guerre en Europe.

  1. Un an de barbarie au Moyen-Orient
  2. Retailleau nous fait une Ciotti
  3. Barnier fait terne pour ne pas finir avant terme
  4. C'est au tour de l'Autriche

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      1.  Un an de barbarie au Moyen-Orient

Les bombes israéliennes sont tombées sur Dahieh, au sud de Beyrouth, mais elles ont ébranlé Téhéran et Qom. L'Iran se protégeait par l'intermédiaire de ses milices terroristes, à la fois bras armés et boucliers. Le régime iranien a été atteint au cœur par la décapitation de celles-ci. C’est tout son système stratégique qui s’est effondré. Par effet de contraste stratégique, Israël apparaît avoir rétabli sa dissuasion mise à mal par la razzia pogromiste du Hamas le 7 octobre 2023. Les livres d’histoire se pencheront sur les raisons qui ont conduit Netanyahou à attendre près d’un an avant de se ranger à l’avis de son ministre de la Défense, à savoir frapper d’abord le Hezbollah avant de s’attaquer au Hamas. Et pourquoi, alors que le Premier ministre avait clairement de quoi décapiter le Hamas et le Hezbollah, il a commencé par détruire Gaza. Depuis 1979, l’Iran déstabilise le Moyen-Orient et s’est fixé comme objectif la destruction de l’État d’Israël. Aujourd'hui, c’est le régime iranien lui-même qui est menacé. L'Iran pare donc au plus pressé : répliquer directement contre Israël avant de tenter de rétablir un semblant de commandement au Liban. Comment et pourquoi faire ? La désignation du successeur de H. Nasrallah par le Conseil de la Choura, la plus haute instance de la milice terroriste, n’est pas chose aisée, car chaque désigné est une victime potentielle des avions de chasse israéliens qui perforent jusqu’à 30 m les bunkers sous les immeubles. Que ce soit Hachem Safieddin, sorte de 1er ministre de l’Économie, du social et de la politique, qui aurait été lui aussi assassiné dans une frappe (son fils a épousé la fille du général iranien éliminé, G. Soleimani), ou Mustafa Mughniyeh, le principal responsable militaire encore vivant, ou Naïm Qassem, l’idéologue du Hezbollah, voire Ibrahim Amine al-Sayyed, chef du Conseil politique. Il y a urgence, car dans la débâcle du Hezbollah, de nouveaux prêcheurs chiites viennent mettre en cause l'hégémonie de la milice. Paradoxalement, l’état-major israélien aurait besoin qu’une image d’autorité soit reconstituée pour éviter l’« alqaïdisation » d’un Hezbollah en déroute. C’est-à-dire la multiplication de groupes surarmés menant « leur guerre », provoquant le chaos et la guerre civile au Liban, pendant que les populations chiites fuient en Syrie sous les bombes. Les plaies ne sont pas refermées avec les chrétiens. Et il y a au nord plus d’un million de réfugiés sunnites syriens qui ne feront pas bon ménage avec les chiites du sud Liban, réputés hezbollistes, et donc pour eux responsables de leur exil par leur soutien à Assad.

Pour l’instant, Netanyahou a choisi de pilonner le Hezbollah. Est-ce le préalable à une intervention terrestre israélienne pour réduire les risques et peut-être rester au sud Liban ? On n’en est plus à faire reculer le Hezbollah derrière le fleuve Litani, comme le demandaient les résolutions des Nations unies, mais à détruire le Hezbollah. Ce qui va être coûteux en termes de vies et incertain en termes militaires. On le voit déjà avec les premiers morts de soldats israéliens. Le temps presse pour Tel-Aviv et Téhéran, car si l’élection américaine bride les États-Unis, l’élection d’un nouveau président ou présidente peut infléchir le cours du conflit. Pour Netanyahou, il lui faut finir le travail avec la Cisjordanie et peut-être le régime iranien avant cette échéance. La réaction des Iraniens bombardant Israël, bien que condamnable, était assez prévisible après le coup porté au Hezbollah. Car ne rien faire, c’était non seulement perdre la face et laisser les populations chiites du Sud Liban dans un sentiment d’abandon, mais aurait aussi été la marque d’une faiblesse en Iran même, où la population est loin d’être acquise au régime. L’engrenage est en marche, car Israël va réagir à ce bombardement qui aurait pu être terrible sans l’intervention américaine, prévenue par les Iraniens. Mais leurs missiles ont réussi à toucher des bases militaires, dont celle de Nevatim, essentielle dans le soutien des Américains, ou celle de Hatzerim, d’où sont partis les F-15 qui ont bombardé Nasrallah. Le point de bascule serait maintenant l’implication directe américaine et ainsi le changement d’objectif de guerre, c’est-à-dire le passage de la « riposte » à l’élimination du régime iranien et de son programme nucléaire. C’est le but ultime de la sécurité d’Israël pour Netanyahou après le Grand Israël. Et c’est là l’échec de la stratégie iranienne de l’ayatollah Khomeini.

Le 7 octobre a provoqué, par son ampleur et sa barbarie, une réaction attendue d’Israël. Mais pas à ce point « disproportionné » : il y a 40 000 morts à Gaza, 2 milliers de tués au Liban et autant en Cisjordanie, et des millions de Palestiniens et de Chiites libanais sans abri sur les routes. Situation à laquelle il faut ajouter les milices décapitées (Mohammed Diaf – Ismaïl Haniyeh – Hassan Nasrallah). Au moment même où la succession est ouverte, due à la vieillesse du Guide et à la mort de Ebrahim Raïssi, le président décédé dans un accident douteux, le régime des mollahs est confronté à une contestation rampante de la société civile dans les villes. Elle s’est manifestée non seulement avec le mouvement des femmes contre la police de la foi, mais aussi dans l’élection du président modéré (avec beaucoup de guillemets) Massoud Pezeshkian. Mojtaba Khamenei, le fils du Guide, appuyé par les Gardiens de la révolution, piaffe d’impatience. Le bombardement d’Israël en est la preuve, au risque en retour de fragiliser le programme nucléaire, qui est dans la dernière ligne droite, ou la production pétrolière iranienne.

Au Liban, l’Iran est devant un choix : provoquer une intervention terrestre de Tsahal, espérant reproduire pour Israël le bourbier de 2006, mais au risque aussi d’une destruction totale d’un Hezbollah qui vient de perdre sa domination militaire qu’Israël prenait visiblement très au sérieux ; ou une solution de repli. Il lui reste la mainmise policière et religieuse et le contrôle social grâce aux sources de financement dues au trafic de drogue organisé depuis la Colombie et le Venezuela (tiens, tiens). Pour ne pas tout perdre, il faut reculer devant Tsahal et avaler son turban. Mais l’intensité des frappes rend cette option impraticable. C’est la raison pour laquelle l’Iran est en première ligne. L’opération israélienne Flèches du Nord apparaît, à cette étape, comme un succès. Mais elle a porté la confrontation avec l’Iran à un niveau supérieur. Ce n’est pas encore la guerre terrestre, mais la guerre directe. Une guerre ne se gagne pas dans les airs, mais au sol. Nul n’envisage cela sur le sol iranien. Israël et les États-Unis espèrent seulement l’effondrement du régime iranien.

Au Liban, il reste à Netanyahou de « nettoyer », puis repartir ou rester ? Dilemme, puisque Netanyahou refuse toute solution politique. L’intervention n’est pas sans risque pour la région et pour Netanyahou lui-même, qui a besoin de la guerre pour éviter d’être jugé, mais aussi de la gagner pour éviter d’être condamné. Et ceci, quoi qu’il en coûte en termes de vies humaines innocentes, et toujours sans solution pour le retour des otages, source de sa contestation. Netanyahou a décapité le Hezbollah et le Hamas, mais n’a pas réglé la question palestinienne. Il l’a déplacée dans l’espace et le temps.

Comprenons-nous bien : le droit à l’existence d’Israël a été octroyé par la communauté internationale. C’est le Droit international. Sa défense contre le terrorisme ou l’agression de la dictature des Mollahs en Iran est imprescriptible. C’est ce qui nous distingue des slogans comme « La Palestine de la mer au Jourdain », par exemple. Mais remodeler le Moyen-Orient avec des dizaines de milliers de morts, poussant les populations vers d’autres pays, en refusant que le peuple palestinien ait une terre et en colonisant la Cisjordanie, ceci au nom des revendications de l'extrême droite racialiste, n’est ni juste ni acceptable.

Les deux dirigeants, Netanyahou et Khamenei, sont affaiblis pour des raisons domestiques. Ils camouflent leurs échecs dans une fuite en avant militaire.

Le « monde occidental » impuissant compte les points et pleure les morts dans une schizophrénie où il condamne la stratégie guerrière de l’Iran, mais ne veut lui déclarer la guerre, ou déplore « les provocations-ripostes » de Netanyahou tout en continuant à lui fournir les armes de son escalade. Le monde sait qu’il est au bord de l’abîme, la Russie, la Chine et les États-Unis étant en coulisse, mais ne sait comment conjurer cet état.

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2.  Retailleau nous fait une Ciotti

Retailleau, devenu ministre de l'Intérieur, renoue avec sa jeunesse villiériste. Si on a compris qu'il voulait faire du ministère de l'Intérieur l'appartement témoin de la droite extrême du gouvernement pour les électeurs du RN ; s'il est devenu ipso facto la coqueluche des chaînes d'info du groupe Bolloré, il colore le gouvernement et met dans le plus grand embarras le groupe Renaissance de G. Attal, où l'on s'interroge fortement jusqu'au Perchoir. Madame Baume Pivet a sursauté à la sortie du Vendéen, égrenant les poncifs du Club de l'Horloge et du GRECE sur l'immigration due à nos standards sociaux, qualifiés de "pompe aspirante". Sans jamais nous expliquer pourquoi, dans ces conditions, les migrants se pressent pour aller en Angleterre où il n'y en a pas. Il passe tout en revue dans un best-of hallucinant : le regret de ne pouvoir faire un référendum sur l'immigration, le retour de la double peine, les réserves sur la société multiculturelle, l'assignation de Français à l'immigration "qui n'est pas une chance", doubler le temps dans les camps de rétention, sans oublier l'AME. Jean-François Copé et surtout Nicolas Sarkozy viennent en appui aérien à cette offensive. L'ancien président déclare : "L'immigration est un problème (...) On ne peut pas satisfaire en même temps la place Beauvau et la place Vendôme", s'enrôlant de fait contre l'État de droit. Le ministre de la Justice Didier Migaud a dû recevoir le message cinq sur cinq. Et comme si cela n'était pas assez clair, Retailleau va au bout du raisonnement : "L'État de droit n'est pas intangible (...) la source de l'État de droit, c'est la démocratie, c'est le peuple souverain." Du Ciotti dans le texte, après les mesures retoquées par le Conseil constitutionnel sur la loi immigration, car celles-ci portaient atteinte à l'État de droit. C’est aussi la définition de l’illibéralisme qui fait son chemin dans les droites françaises et prépare ce que j'ai appelé un coup d'État constitutionnel si l'extrême droite arrivait au pouvoir.

Pour légitimer cette dérive, le ministre de l'Intérieur reprend à son compte le thème souvent développé par É. Zemmour et les propagandistes de l'extrême droite : "Notre culture est judéo-chrétienne. Le creuset français se fait à Jérusalem, à Athènes, à Rome. C'est une civilisation unique." Derrière cette rhétorique somme toute banale, qui fleure bon le déterminisme historique de l'Occident chrétien, il y a une conception de ladite civilisation qui est le creuset du conservatisme. C’est déjà avec ces mêmes thèmes que l’Action française, dans les années 30, condamnait la République dite "la gueuse". Le creuset contre l'évolution, l'égalité contre l'identité, ont toujours été ce qui distingue la réaction du progressisme. Il n'y a pas un creuset fixé pour l’éternité, pour retourner l’argument de Retailleau.

Il y a par exemple ce que Moses Finley nous dit sur Athènes : "L'histoire grecque avance main dans la main avec la liberté et l'esclavage." Et la civilisation, c’est précisément ce qui dénoue cette dualité : la marche vers l'égalité. Le concept d'isonomie, que l'on pourrait traduire de nos jours par l'égalité des droits, l'égalité devant la loi, fut un tournant pour la démocratie. L'esclavage était contradictoire avec cette égalité. Pourtant, jusqu'au 3e siècle, on pouvait à Rome devenir esclave pour dettes (le nexum). En France, il a fallu attendre Napoléon en 1815 pour les premières ruptures sur l'esclavage. Et 1848, année du printemps des peuples en Europe, pour que Victor Schoelcher obtienne la fin de l'esclavage. Et ceci n'aurait pu se faire sans l'apport des "Lumières" de la Révolution française rompant avec l'absolutisme. On pourrait tout autant plaider que notre République s'est forgée entre le 15 octobre 1894 et le 12 juillet 1906 dans l'affaire Dreyfus, qui défait le conservatisme antisémite dominant jusque dans la gauche.

La constitutionnalisation du droit à l'égalité homme-femme au 3e alinéa de la Constitution en 1947, ou celle de l'IVG aujourd'hui, sont des conquêtes de droits. Ces exemples démontrent que la civilisation, c'est une histoire, pas un creuset qui manifesterait un ADN fixé pour l'éternité. Et cette histoire est celle de l'égalité des droits et de l'État de droit. On a compris que les tenants du creuset veulent surtout dire "on est chez nous" et soufflent donc sur une France blafarde et xénophobe. Car pour cette France illibérale, l'État de droit serait le cheval de Troie du grand remplacement. Mais au passage, l'État de droit est constitutif de la démocratie, car il est la garantie de l'équilibre des pouvoirs. Oui, il y a alors bien un débat, un combat de civilisation autour de la démocratie et de l'illibéralisme, entre l'identité et la liberté, l'égalité et la fraternité.

La défense de la République par les sociaux-démocrates va devenir une question majeure des années à venir, face à la montée des nationaux-populistes et de leur illibéralisme. Pour eux, la démocratie est formelle, subordonnée à la défense d'une identité fantasmée. C’est pourquoi le lancement réussi par Karim Bouamrane de son mouvement "La France humaine et forte" à Saint-Ouen est un contrepoint déterminant. Il combine l’appel à une gauche du réel et à la défense de la République des générations, et une population qui en a l’énergie, alors que le Printemps républicain les repousse au nom d'une insécurité culturelle, et Mélenchon les assigne à résidence cultuelle. Symboliquement, la bataille vient de commencer, et elle va courir sur la décennie à venir.

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3.  Barnier fait terne pour ne pas finir avant terme.

Le Premier ministre est apparu mal à l'aise dans ce brouhaha dont il n'a pas l'habitude. Il a semblé interloqué de voir seuls les Républicains se lever pour l'applaudir, tandis que Renaissance et le MoDem restaient ostensiblement assis. Il a ouvert beaucoup de portes et les a refermées avant qu'on ait eu le temps de voir ce qu'il y avait à l'intérieur, si jamais il y avait quelque chose. Le Premier Ministre avait constamment le pied sur le frein. Si la philosophie se voulait une rupture du "en même temps", d'où la défense de son ministre de l'Intérieur, le "par ailleurs" a vu le jour en direction de la gauche sur le SMIC et la retraite, en direction du RN sur la proportionnelle, et en direction des macronistes sur les questions de société. Mais dans un flou artistique qui laisse tout le monde sur sa faim.

Le Premier ministre devait marquer son territoire, il en avait l'occasion : le RN a la tête dans un prétoire, le Nouveau front populaire s'est rangé au carré derrière Mélenchon dans la censure a priori, et ni les macronistes, ni bien sûr les troupes de Wauquiez ne pouvaient la voter. M. Barnier ne peut faire synthèse, trop faible, ni affirmer une thèse, pas assez fort. Il ne lui reste qu'à être terne, se sachant condamné à plus ou moins long terme.

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4.  C'est au tour de l'Autriche

Dans le dérèglement du monde, la montée de l'extrême droite nationale-populiste en Europe n'est pas le dernier symptôme. Ce qui est spectaculaire dans le cas de l'Autriche, ce n'est pas simplement le bond de plus de 13 points par rapport à 2019, après un scandale financier qui a touché le parti d'extrême droite FPÖ. Ce n'est pas seulement que son leader, M. Kickl, pour la première fois dans l'histoire de l'après-guerre, bat les conservateurs du chancelier Karl Nehammer (26,3 %) ou les "Rouges" sociaux-démocrates (21,1 %), mais c'est le succès du tournant radical assumé par ce parti fondé par d'anciens nazis. La référence au "chancelier du peuple" n'est pas anodine, c'est la formule inventée par Adolf Hitler. En Autriche, personne n'a oublié. Anti-immigration, anti-vaccin, anti-européen, il défend "l'Autriche forteresse". Mais ce n'est pas tout, il est férocement pro-russe.

Alors évidemment, les autruches professionnelles vous diront qu'il a peu de chance de devenir chancelier. C'est certain, et tant mieux. Mais cette percée s'inscrit dans les victoires répétées de Viktor Orban, des conservateurs nationalistes polonais ou slovaques, sans oublier les scores de l'AfD en Allemagne. Au-delà des controverses parlementaires, ceci illustre un fort courant illibéral européen. Vous me direz, regardez l'Italie, ce n'est pas une catastrophe. Si vous vous intéressez à l'écume des choses, oui. Mais la remise en cause de la Constitution de 1947, qui tournait la page du fascisme, est une attaque sans précédent. Il s'agit de renforcer le pouvoir exécutif au détriment du Parlement. Déjà, Madame Meloni gouverne par décret-loi "omnibus", c'est-à-dire des décrets portant sur des décisions multiples. Déjà, 67 textes ont été passés ainsi, sans contrôle du Parlement. Cette centralisation du pouvoir, typique de l'illibéralisme confronté à l'urgence de l'immigration comme prétexte, se combine à une attaque sans précédent contre la presse et à la mise au pas de la presse publique.

Dans toute l'Europe, l'offensive contre la démocratie, l'État de droit et la presse est à l'œuvre. Cette tendance à l'autoritarisme rampant rencontre des populations désabusées et une gauche radicalisée qui, à l'insu de son plein gré, nourrit les tendances nationales-populistes. C'est au tour de l'Autriche, en attendant la France.

 

A dimanche prochain.