4024 jours de guerre en Europe
1/ La Paix éternelle de Trump ; 2/ Pourquoi Glucksmann y arrive et pas le PS ; 3/ Lecornu ou la stratégie de l’open bar ; 4/ Réplique
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1/ La Paix éternelle de Trump
Le plan "Paix éternelle" de Trump pour Gaza - avec lui on n’est jamais déçu par l’emphase - est le résultat du bombardement de Doha, de l’isolement des USA sur la création d’un État palestinien après les horreurs de Gaza, et bien sûr du désir de Trump d’être prix Nobel de la paix. Un plan peu inclusif pour les Palestiniens de Gaza ou Ramallah, flou sur leur avenir dans un État qui leur soit propre, en pointillé à propos de la feuille de route post-cessez-le-feu. Mais personne ne peut souhaiter son échec tant les Gazaouis souffrent et les Israéliens se divisent. Il reprend dans ses grandes lignes celui présenté par la France et l’Arabie saoudite aux Nations unies. Mais les États-Unis ont imposé à Netanyahu de présenter ses excuses aux Qataris pour avoir bombardé leur pays. Une humiliation, ont estimé les ministres d’extrême droite du gouvernement israélien, tout en n'étant pas plus tendres pour le texte dans son ensemble. C’est "le retour de l’accord d’Oslo" entre Clinton, Arafat et Rabin, estime le ministre des Finances Smotrich. Les USA ont besoin du soutien du Qatar, à la fois clé dans les négociations avec le Hamas et pivot des pays du Golfe dans l’élargissement des accords d’Abraham, au moment où l’Arabie saoudite boude et semble vouloir aller voir ailleurs. Et pour emporter la décision de Doha, le président américain va encore plus loin. Il décrète que s’attaquer militairement à l’Émirat, c’est s’attaquer à l’Amérique, ce qui ne va pas obligatoirement faire plaisir à Riyad. Mais c’est ainsi : Trump est un éléphant dans un magasin de porcelaine moyen-oriental.
Netanyahu ne pouvait que obtempérer et il l’a fait de mauvaise grâce. Il suffisait de voir son body language à l’arrivée à la Maison Blanche. On le voyait tirer sur sa laisse. Les États-Unis ont fait ainsi la démonstration qu’ils avaient les moyens de faire plier le Premier ministre israélien. Ce qui, rétrospectivement, en dit long sur la carte blanche laissée au gouvernement Netanyahu dans ce drame. Ce dernier plia pour ne pas rompre, pariant sur un refus du Hamas. Mais, pied de nez de l’histoire, la milice islamo-intégriste est exsangue, démembrée, décapitée par l’appareil sécuritaire israélien, elle n’a pas d’autre choix que d’accepter. Elle parie de son côté sur la dérobade de son ennemi avec un "wait and see" assorti d’une demande d’éclaircissements et de garanties à propos d’Israël. De fait, pour faire accepter le plan à son gouvernement nationaliste d’extrême droite, Netanyahu joue sur le flou de certaines clauses. La reconnaissance d’un État palestinien à l’ultime fin du processus. Cette disposition indispensable pour impliquer les pays arabes, "Bibi" indique qu’il n’y a jamais souscrit. Ensuite, le retrait des troupes israéliennes, l’accord dit graduellement ; pour le Premier ministre israélien, il n’en est pas question. Pour le Hamas, par contre, il s’agit d’un préalable à la libération des otages. C’est sur cette question que l’accord va buter. Et si Donald Trump se félicite de la marche au cessez-le-feu et du probable retour des otages dans leurs foyers. Il déclare prudemment : "Nous allons voir ce qu’il va se passer". Nous aussi !
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2/ Pourquoi Glucksmann y arrive et pas le PS
Le PS est battu dans les élections partielles au moment où Glucksmann est aux portes du second tour, à un point d’Édouard Philippe, dans un sondage Ifop sur la présidentielle. Et cela alors que O. Faure fait quasiment deux fois moins lorsqu’il est sondé à la place du député européen dans la même enquête.
Si les élections partielles étaient particulières : circonscription à droite à Paris, peu de votants et de visibilité. Dans la circonscription "espagnole" des Français de l’étranger, la concurrence de Place Publique a handicapé les socialistes. Le score cumulé des deux aurait mis le PS devant Les Verts LFI.
Mais ces résultats nous donnent plusieurs indications. Le PS est au centre du débat budgétaire, pour autant il n’arrive pas à déclencher une dynamique positive à son endroit. Les écologistes sont bien arrimés à LFI, y compris contre le PS. Et Place publique, pour des raisons d’image et de stratégie, craint de s’afficher avec le PS et préfère le siphonner de l’extérieur. Ce qui, paradoxalement, qualifie LFI que R. Glucksmann dit combattre.
Le sondage d’Ipsos à propos de la présidentielle vient, lui, confirmer ces problèmes. Si le RN écrase le match au premier tour, traçant la voie pour la victoire. 15 à 20 points d’avance, du jamais vu depuis 1969 et l’affrontement Poher-Pompidou.
Il s’agit quand même du "sujet" de la situation politique. Édouard Philippe subit la concurrence de B. Retailleau tout en étant impacté par le désamour français pour Macron. "On en a assez de cette nuit sans fin du macronisme", résume Sophie Binet, la patronne de la CGT. Ce qui alimente, dans le bloc central, cette fois, la question de sa démission.
J.-L. Mélenchon, qui est distancé par R. Glucksmann, est maintenant l’obstacle à ce que la gauche accède au second tour.
La question de son retrait pour que la gauche s’impose au second tour et l’emporte face au RN n’est pas seulement mon analyse mais une possibilité tangible.
Dans un autre sondage Le Point - Cluster, plus favorable comme souvent aux Insoumis, Mélenchon, Glucksmann, É. Philippe seraient au même niveau. Il est maintenant clair que le chef de LFI ne fait plus la course en tête à gauche. Une nouvelle donne est en train de s’installer à gauche.
"RG", seul sondé chez les sociaux-démocrates, maintient son score des Européennes, c’est-à-dire à un jet de pierre des macronistes. Une partie de l’électorat macroniste reste favorable à Raphaël Glucksmann dans une confrontation avec Édouard Philippe. Mais lorsque le député européen est remplacé par O. Faure, c’est la chute. L’électorat macroniste retourne chez l’ancien Premier ministre, pendant qu’une petite partie rejoint Roussel, qui fait aussi, dans ce cas de figure, son meilleur score.
Qu’est-ce qui fait que R. Glucksmann y arrive et pas le PS ?
L’ambivalence stratégique est au cœur des difficultés socialistes. La subordination à Mélenchon a sauvé quelques meubles. Mais elle a marqué au fer rouge le Parti socialiste. Depuis, le refus d’une rupture nette avec la France insoumise, une alliance de substitution avec les écologistes et Ruffin qui veulent Mélenchon dans l’union, brouillent les repères. C’est l’entre-deux qui pénalise le PS.
Il est illisible. Pire, ce non-choix conduit O. Faure à être enfoncé dans les sondages et conspué ou traité de traître dans les manifestations. Il perd sur les deux tableaux.
Le PS fait un pas en avant en présentant son budget hors programme du Nouveau Front populaire, mais en fait deux en arrière en collant à LFI sur la Palestine ou en appelant à voter pour les Insoumis au 2ᵉ tour des législatives partielles. Ce sondage, après le résultat des Européennes où Glucksmann et le PS ont fait le trou à gauche, démontre qu’il existe bien un espace social-démocrate, comme nous ne cessons de le défendre depuis juillet 2017, qui ne soit ni macroniste ni mélenchoniste. Un chemin est ouvert et, à écouter les réactions de LFI, nous ne sommes pas les seuls à le voir : "Tout se met en place, l’oligarchie quitte Macron et va soutenir Glucksmann", tempête Manon Aubry sur LCI.
O. Faure ne s’en sortira pas par un coup de pied de l’âne en déclarant, encore faut-il qu’il reste à cet étiage, "il n’est pas le candidat du PS, pas candidat de la gauche, il n’est candidat que de Place publique." Cela est tout à fait exact, pour autant R. Glucksmann est loin devant pour ces raisons.
Un espoir renaît mais il ne peut être étayé et prospérer sans l’union des sociaux-démocrates, de François Hollande à Carole Delga, en passant par Bernard Cazeneuve, Nicolas Mayer-Rossignol, Hélène Geoffroy ou Guillaume Lacroix.
Il y a maintenant une alternative à la primaire du périmètre de Bagneux (PS PC VERT APRÈS) avec une possible candidature social-progressiste.
La question d’une fédération du PS avec Place publique ou d’un accord électoral se trouve posée.
Il est paradoxal d’avoir été cherché par deux fois PAR R. Glucksmann pour des élections européennes et de le laisser en lisière en alternative au PS.
De même, il est étonnant que Place publique ait fait alliance avec le PS, au point d’apparaître comme une alternative, et se tienne à l’écart du PS.
Il faut arrêter les enfantillages : un axe PS–Place publique pèserait sur Marine Tondelier, qui est la dernière bouée de sauvetage de Jean-Luc Mélenchon.
L’enjeu est de taille : seul un candidat de la gauche réformiste peut accéder au second tour et rassembler les Français face à l’extrême droite.
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3/ Lecornu ou la stratégie "open bar"
Cela a commencé par une formule du sénateur Roger Karoutchi qui a l’habitude de humer le vent : "au deuxième tour entre le RN et LFI je choisis le RN". Cela a continué avec l’interview de S. Lecornu au Parisien où, derrière le programme commun LR - Renaissance, il y avait une double offre stratégique vis-à-vis du PS mais aussi du RN avec le fameux "Quand une loi n’est pas bonne, on la change" à propos de l’exécution provisoire, graal des lepénistes. Autre indice : entre Matignon et le PS, il n’y a eu à aucun moment de commission plus ou moins discrète de l’engrenage des négociations balisant l’atterrissage, mais une série d’annonces et d’échanges sur la méthode. Enfin, le Parlement a acté la fin du Front républicain en réintégrant le RN au détriment de la gauche dans le bureau de l’Assemblée. La gauche crie au voleur à l’alliance contre nature, linéament d’un front de toutes les droites. Le PS se souvient tout à coup des 3 dîners entre Lecornu-Solère et Marine Le Pen-Bardella. La gauche voit l’amorce d’une alliance de revers pour éviter la censure. Elle n’a pas tort, encore que... Elle n’était pas en négociation exclusive avec Lecornu, qui a plusieurs fers au feu. Si Barnier a tenté la stabilité par la voie d’une alliance avec le RN. Si Bayrou a tenté un chemin grâce à la négociation syndicale et au "conclave" sur les retraites. Lecornu a laissé ouvertes toutes les options. Cette stratégie "open bar" ne privilégie aucune alliance et met en concurrence les acteurs. Le renoncement au 49.3 participe de cette méthode qui acte la faiblesse du pouvoir mais en fait une force, obligeant le RN ou le PS à être des partenaires. Dans ces conditions, l’intransigeance programmatique du PS — "le budget socialiste, rien que le budget socialiste, tout le budget socialiste" — est un non-sens. La position des socialistes devrait être : "Ni ce budget ni cette censure, place au débat parlementaire". En abandonnant les prérogatives de l’exécutif sur le débat parlementaire, s’ouvre une chance historique pour le pouvoir du Parlement. Ce n’est plus le Premier ministre qui décide du projet du gouvernement. C’est la décision parlementaire qui fait le projet du gouvernement.
Lecornu prend acte qu’il ne peut imposer au Parlement et laisse au Parlement décider pour le gouvernement au moins jusqu’au vote du budget. Astucieux, sauf si le RN, le PS, chacun pour ses raisons, décident la censure. Lecornu tente d’acheter du temps et les socialistes doivent en donner à la France. Mais pour cela les socialistes doivent trancher leur problème stratégique : jouer la déstabilisation ou pas.
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4/ RÉPLIQUES
● Nicolas Sarkozy, dans son appel au peuple contre l’institution judiciaire, déclare "toutes les limites de l’État de droit ont été violées". Il suggère un coup d’État contre le droit alors que les magistrats ont usé de l’État de droit. Un ancien président, même pour se défendre, "ne devrait pas dire cela". Nicolas Sarkozy a été relaxé des principaux chefs d’accusation, sauf celui d’avoir couvert une rencontre entre deux de ses collaborateurs avec l’assassin de Français dans l’attentat de Lockerbie. Ce qui a conduit aux réquisitoires du tribunal. De cela il ne s’en explique pas. Il centre sa défense devant l’opinion sur l’exécution provisoire le conduisant en prison avant son procès en appel. C’est le cas dans la majorité des jugements à 5 ans de prison. Personne ne s’en était ému jusque-là — sûrement par l’ancien président — alors qu’il s'agissait d’une atteinte à la présomption d’innocence et aux droits de la défense.
● Françoise Degois, journaliste disons impliquée, après nous avoir vendu Ségolène Royal par 3 fois puis B. Hamon puis J.-L. Mélenchon et aujourd’hui Faure, triomphe en louant les partielles où LFI, Les Verts sont au second tour, stigmatisant à coups de tweets Glucksmann et Place publique. Par contre, elle ne commente pas les sondages calamiteux pour Faure et Mélenchon à propos de la présidentielle. Ainsi va le journalisme militant.
● Louis Gallois dit ce vendredi aux Échos : les socialistes ne veulent pas comprendre, ce sont les entreprises qui créent la richesse". Tout à fait ! Et les libéraux ne veulent pas comprendre "ce sont les ouvriers, les salariés, qui créent la richesse des entreprises".
● Benjamin Lucas, le coucou de Mélenchon chez les écologistes, fustige l’abandon du 49.3 par Lecornu, suivi de près par son mentor. Le même qui hurlait à la mort de la démocratie quand É. Borne l’employait. Si jeune et déjà si vieux politicien.
À dimanche prochain.




