3008 jours de guerre en Europe
1. Après la préférence nationale.
2. OPINION. « Un PS atone et aphone », dans La Tribune
3. C’est au tour du Portugal
4. Urgence Gaza
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1. Après la préférence nationale.
Une course à l’échalote délétère contre les musulmans s’est donc engagée dans notre pays. À chacun sa proposition, espérant l’effet « ascenseur sondagier » propre à ce moment où une partie de la France, si ce n’est une majorité, s’abandonne dans le rejet. La dernière tentative en date est le rapport sur l’entrisme des Frères musulmans. Il n’est pas condamnable de défendre la République contre les tentatives de la remettre en cause. Les Frères musulmans en font partie, de ceux-là. Ils sont loin d’être les seuls. Mais, ils ont la double spécificité de le faire au nom d’un islam refusant « l’emprise laïque occidentale » et ils sont les concurrents dans ce domaine du courant wahhabite, qui a en France pignon sur rue, pratiqué en Arabie saoudite et au Qatar, que ledit rapport n’évoque pas. On laisse ainsi à penser que nous aurions choisi notre salafisme. Ce document a étrangement fuité, au point de courroucer le président de la République. Il fait peu de doute que le ministre de l’Intérieur a cru que ce texte pouvait le renforcer. On ne peut pour autant que partager l’avis de Nicolas Cadène dans Le Monde où il écrit : « Non seulement le rapport sur les Frères musulmans ne nous apprend rien, mais son instrumentalisation politique et médiatique doit nous alerter sur l’état du débat public. » Nous alerter n’est peut-être pas le mot, nous renseigner est plus juste. Car aujourd’hui les instrumentalisations contre l’islam et les Arabes sont quotidiennes. Je sais qu’il n’est pas bien vu de le dire : c’est au mieux être dans le déni voire dans l’islamo-gauchisme, ou au pire être un allié objectif de l’islamisation rampante, ceci dépend du média où vous vous exprimez.
Certes, quand vous avez pour slogan : « comme les Frères musulmans : Allah est notre objectif, le Prophète notre chef, le Coran notre loi, le djihad notre voie et Allah notre plus grand espoir », cela ne fait pas trop intégration républicaine. Les Frères sont la vérification de ma thèse d’une violente réaction à la progression de la culture occidentale dans les populations arabo-musulmanes issues de l’immigration. Et la volonté des fréristes de combattre « l’imitation aveugle du modèle européen », forgée en Égypte dans les années 20, correspond parfaitement aux populations déracinées, paupérisées et ségrégatisées aux portes de nos métropoles. Il s’agit donc d’un ultra-conservatisme islamique réactionnaire au sens étymologique du terme. On le caractérise de terroriste dans certains pays : Égypte, Arabie saoudite, Émirats arabes unis. Il a donné naissance au Hamas ou au Jama'a al-Islamiya, et fut le mouvement qui prit le pouvoir pacifiquement en Égypte avec Mohamed Morsi avant d’être renversé par le maréchal Sissi, qui fut son ministre de la Défense. Les États-Unis n’ont mis que récemment à l’ordre du jour du Congrès une caractérisation du terrorisme. Le rapport est plutôt mesuré à cet effet, tant il est vrai que le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy n’avait pas craint de faire une péroraison au 20ᵉ congrès de l’UOIF au Bourget le 20 avril 2003, et cela devant un parterre où les femmes voilées étaient séparées des hommes. Il reçut d’ailleurs un accueil de star avant d’être sifflé pour avoir dit qu’il n’était pas possible d’accepter le voile sur les cartes d’identité. En 2012, il écrivit aux mêmes une lettre tout en nuances où les prêcheurs contre la République étaient dénoncés (le tueur de juifs Mohamed Merah était passé par là), mais bienveillant pour les leaders de l’UOIF.
Nous parlons de 14 écosystèmes dont 8 seraient reliés aux Frères musulmans, c’est-à-dire de quartiers où l’on trouve des commerces halal, des coiffeurs et même des pompes funèbres. C’est le propre du communautarisme : il suffit de se balader à Paris dans le 13ᵉ arrondissement pour les Chinois, sur le boulevard Réaumur-Sébastopol face à la gare de l’Est pour les Africains, ou encore boulevard de la Chapelle pour les Indo-Pakistanais. C’est regrettable, mais ce n’est pas propre à cette seule communauté. Il s’agit en outre d’un millier d’activistes et d’un mouvement qui rassemblerait 10 000 personnes. Ce n’est pas négligeable, mais enfin il n’y a pas de quoi faire trembler la République sur ses bases. Évidemment, il y a la taqiya, cette dissimulation que tolère le Coran dans la sourate 3, verset 28, lorsque la religion est en danger — pratiquée par les chiites et moins par les sunnites. Il s’agit de ne pas afficher ses opinions religieuses pour se protéger, parfois pour conquérir ou convertir. On suspecte donc les Frères de faire de l’entrisme, ce qui est une petite confusion théorique, car l’entrisme, c’est une propagande cachée. Peut-on dire cela en donnant comme exemple le voile dans le sport ou les barbus en sarouel dans les quartiers ? Comme dissimulation, on a connu plus discret. On a sûrement voulu parler d’emprise sur une partie de la population des « quartiers », ce qui n’est pas acceptable, mais ne relève pas de l’entrisme — ou alors drapeau déployé, foi d’ancien trotskyste. Mais on comprend que l’emploi du mot n’est pas anodin : il s’agit d’imposer l’image d’une secte secrète envahissant la République. On a déjà entendu ce discours en d’autres temps. Il faut évidemment combattre cette tentative d’emprise, travailler une mixité sociale, culturelle et cultuelle, refuser l’embrigadement et les communautarismes. Mais ce rapport est un prétexte à une agitation permettant de développer la thèse identitaire du moment : « on est chez nous ». Je n’ai aucune sympathie pour ce type de secte maniaco-religieuse qui veut que l’on vive comme le Prophète, même si les fréristes, contrairement à d’autres que l’on épargne, ne sont pas pour la pratique de la charia. Mais il faut vraiment être dans le déni pour ne pas voir qu’il y a, en arrière-fond, un dessein électoral. Si Jean-Luc Mélenchon instrumentalise les musulmans à des fins électorales, d’autres n’en font pas moins. Mais la logique de ces manipulations contradictoires, c’est l’affrontement, non pas pour la République, mais dans la République. Ce qui l’affaiblirait — et paradoxalement, servirait tous ceux qui veulent la mettre à bas.
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2. OPINION. « Un PS atone et aphone », dans La Tribune du dimanche
À l’approche d’un vote crucial pour sa direction, le PS apparaît plus divisé que jamais. Jean-Christophe Cambadélis dénonce l’atonie et l’absence de cap d’un parti devenu, selon lui, « un astre mort » dans le paysage politique.
Talleyrand caractérisera de demi-victoire la bataille d'Eylau où Napoléon resta seul maître du terrain avec des pertes colossales. Le résultat du vote d'orientation du PS - 42 % pour O. Faure, 41 % pour N. Mayer-Rossignol - n'est même pas une demi-victoire. Ce n'est surtout pas le KO que le premier secrétaire du PS attendait pour être le candidat incontesté de son parti dans la primaire de «Glucksmann à Ruffin» qu'il appelle de ses vœux. Cette primaire, refusée par les locomotives de la gauche dans les sondages - Glucksmann, Hollande, Mélenchon - dont le programme serait celui du NFP, et donc le legs idéologique du mélenchonisme à cette gauche non mélenchoniste.
Cette gauche unitaire pour deux, qui se dispute déjà pour les municipales où les candidatures se multiplient contre les socialistes sortants. Et pourtant, le PS fait semblant de rien voir et de croire que cette primaire aura lieu, alors que Glucksmann ne veut pas de Mélenchon et Ruffin le souhaite. Comment voulez-vous que la gauche s'y retrouve ? On imagine mal, dans ces conditions, qu'elle puisse avoir lieu, et si c'était le cas, que les sociaux-démocrates en soient. Comment, dans ces conditions, les socialistes espèrent-ils l'emporter ? Il ne resterait au PS qu'une présidentielle par procuration.
Les problèmes assaillent le monde, la France et les Français, et les socialistes ne se sont pas tournés vers eux, occupés qu'ils étaient par la présidentielle. Cette absence de débat débouche sur une situation où O. Faure fait son plus mauvais score depuis 7 ans. Il perd la majorité relative au CN (le parlement du PS) et maintenant près de 60 % du Parti socialiste refuse de le suivre. S'il était réélu, il se retrouverait dans la situation peu enviable du président Macron après la dissolution ratée, sans majorité dans les instances du PS.
Réélection d'ailleurs non assurée, vu la poignée de voix qui le sépare de Nicolas Mayer-Rossignol, qui met en ballottage la direction du PS. Et dans un vote où seulement 24 000 socialistes se sont déplacés pour départager les trois orientations. Le plus faible taux de participation depuis la 2ᵉ guerre mondiale, voire depuis 1920. Le PS est à l'OS. Il est en voie de SFIOisation, où les socialistes étaient réduits à des élus entourés d'apprentis élus. Et, comme à l'époque de Guy Mollet, le gauchisme des mots est au service de la notabilisation des places. Bref, tout ce que François Mitterrandavait réussi à briser après le congrès d'Épinay, ouvrant la voie au renouveau du socialisme français.
Un PS aphone
Le paradoxe du PS est là. Il est devenu un nain en termes militants, et reste un colosse en termes d'élus locaux. Il a perdu sa centralité électorale à gauche dans les élections nationales, à l'exception notable des européennes, où, se présentant seul, il est arrivé en tête de la gauche. Le reste du temps, il est tout à la fois sans force propulsive, ne matrice aucun débat et incontournable à gauche.
C'est un astre mort dont les Français perçoivent encore la lumière de son passé. On peine à connaître ses réponses sur les déficits, le pouvoir d'achat, la sécurité, l'immigration ou les retraites, ni même quel est son projet de société. Sur chaque sujet, la réponse est invariablement « unité ». À force de déléguer à d'autres son identité, le PS est devenu passe-muraille. On est effaré de lire, dans un récent sondage sur les 18-24 ans, qu'O. Faure recueille 2 %.
Le PS est divisé entre deux orientations : « identitaires » et « unitaires ».
Si le PS est aphone, il est atone en interne. 24 000 votants, c'est moins que ce que faisaient les Bouches du Nord (les fédérations du Nord et des Bouches-du-Rhône) dans le vieux Parti socialiste. On aurait pu imaginer une campagne d'adhésions pour le congrès à l'instar des «Républicains» ; là, on se contenta de 38 000 adhérents, c'est-à-dire en recul par rapport aux basses eaux du précédent congrès à Marseille. Depuis, le PS est divisé entre deux orientations : « identitaires » et « unitaires », entre les réformistes et la gauche de rupture crypto-populiste.
La gauche de rupture perd à chaque congrès des positions, car J.-L. Mélenchon, « cornerisé », ne peut plus l'alimenter. Le courant réformiste avance lentement sur ce délitement tout en perdant des adhérents qui n'en peuvent plus. Sans changement de direction, c'est le lent effacement, comme ce fut le cas pour le Parti radical ou le Parti communiste français. L'élection du 1er secrétaire, qui va intervenir le 5 juin, dépendra du sursaut de participation. On comprend que O. Faure préfère en rester là, refusant tout débat public proposé par Nicolas Mayer-Rossignol.
Sans débat ni changement, dans le silence - et pire, l'indifférence - la controverse qui traverse le PS se dénouera vraisemblablement après la présidentielle dans une incontournable refondation. À moins, bien sûr, que des événements - censure, dissolution, municipales ou primaire - viennent percuter ce parti en lent déclin, qui a bien du mal à être au rendez-vous des Français et de l'Histoire, au moment où le monde bascule dans l'illibéralisme et les guerres, la France dans la crise budgétaire, et la droite française s'extrémise, entraînant la France dans les bras de l'extrême droite et sa préférence nationale. Les Français risquent de se lasser d'attendre et, à nouveau, se tourner vers des votes utiles, quoi qu'on en dise, quoi qu'il en coûte.
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3. C’est au tour du Portugal
Dans le triptyque résumant la période de dérèglement du monde que nous vivons : nouvelle économie immatérielle, nouveau monde géopolitique, montée des nationaux-populistes illibéraux, ce dernier aspect vient de toucher le Portugal. Ce pays fut longtemps un régime dictatorial et corporatiste de 1933 à 1974 avec le règne de Salazar, puis celui de Caetano. Régime qui, dans les années 30, lança la montée de l’extrême droite en Europe tout en s’en distinguant. Ce fut pour autant une redoutable dictature antipartis, hostile à la démocratie et corsetée par l’épouvantable police secrète « PIDE », digne de la Gestapo. Ce régime fut renversé le 25 avril 1974 par la Révolution des Œillets à l’initiative du "Mouvement des forces armées" et marqua le début de la démocratisation du sud de l’Europe, participant à la chute des dictatures espagnole puis grecque. À sa suite, cela conduisit à un mouvement d’émancipation post-colonial en Afrique : Guinée-Bissau, Mozambique, Cap-Vert, Angola. C’est dire si ce qui se passe au Portugal est en phase avec le mouvement des plaques tectoniques politiques.
Ce sont les socialistes de Mário Soares qui profitèrent de cette chute. Et ce sont les socialistes qui viennent de perdre les élections législatives, laissant place au renouveau de l’extrême droite. Le Parti socialiste portugais du PM Santos a perdu 420 000 voix et 20 députés, laissant la place au mouvement Chega (« assez » en portugais) d’André Ventura, qui devient le premier parti d’opposition. Ce parti, qui fait référence explicitement à la dictature de Salazar, reprend le slogan du dictateur « Dieu, Patrie, Famille », auquel il rajoute « Travail ». Il est lié au RN et se réclame de Trump. Il a axé sa campagne électorale sur la lutte contre l’immigration, rejoignant ainsi la vague identitaire très en vogue en Europe.
Ce mouvement encore fragile et hétérogène ressemble étrangement au FN français ou au MSI italien des débuts : un leader charismatique et populiste, une référence plus ou moins assumée à une phase historique (Salazar, Pétain, Mussolini) mais sans nostalgie, une xénophobie décomplexée, une volonté d’unifier les électorats hier divisés en différentes factions — conservateurs, nostalgiques du fascisme, populistes nationalistes, catholiques traditionalistes — autour de la lutte contre l’immigration et de la défense de l’identité, rendant « l’oligarchie » corrompue responsable de tous les maux. Il y a aussi incontestablement du Trump dans les diatribes d’André Ventura, ce juriste qui s’est fait connaître en commentant les matchs de foot.
On peut spéculer sur les guerres intestines, de sensibilités ou de personnes au sein de ce mouvement, mais, à cette étape, l’arrivée de 60 députés au Parlement est un lien solide. Et ceci d’autant que le Premier ministre Luís Monténégro, de centre droit, n’a pas de majorité : il sera dépendant d’un PS affaibli, mais qui ne veut pas entrer dans la coalition, et cela dans une situation économique désastreuse après les belles années du socialiste António Costa, aujourd’hui président du Conseil européen.
La perspective d’accéder aux responsabilités, comme l’ancienne militante d’extrême droite en Italie Madame Meloni, n’est plus une rêverie mais une possibilité inscrite dans la situation politique portugaise et dans la poussée des extrêmes droites européennes. Si le modèle de l’État social européen est miné par le libéralisme et la révolution de l’immatériel, le nationalisme plus ou moins xénophobe hante l’Europe, comme nous le confirme la présidentielle polonaise où les nationalistes réactionnaires de tout poil, parfois même ouvertement antisémites, trustent le débat.
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4. Urgence Gaza
Le débat sur la caractérisation de l’offensive militaire à Gaza n’est pas le plus important.
Je n’emploie pas le mot de génocide.
J’avais déjà manifesté mes réticences lors de la reconnaissance par la France du génocide arménien.
Tout simplement parce qu’il faut garder intacte la mémoire vive de l’horreur de la solution finale des nazis. Ensuite, parce que je mesure parfaitement ce qui se joue à travers ce débat : la délégitimation des juifs par rapport à l’antisémitisme. Voilà pourquoi je cherche d’autres mots depuis le début pour décrire l’inacceptable. Je pense que guerre d’anéantissementest plus adéquat : anéantissement de la population palestinienne de Gaza, voulu par l’extrême droite au gouvernement.
De même, je n’emploie pas le terme Israël génocidaire. Ce n’est pas Israël qui est en cause, mais un groupe d’hommes qui pervertissent les idéaux des fondateurs, allant jusqu’à parler de déportation des Palestiniens.
Comme le peuple allemand n’était pas collectivement responsable des crimes du nazisme, le peuple israélien ne l’est pas plus des crimes de guerre de Netanyahou et de son gouvernement.
Depuis le 7 octobre, je n’ai cessé de dire et d’écrire qu’il fallait se maintenir sur une ligne de crête, condamnant les prises d’otages suite à une tuerie de masse, et le massacre de la population gazaouie, et aujourd’hui le blocus humanitaire et alimentaire de Gaza.
Et évidemment, je m’attire de violentes mises en cause, même chez des amis : sioniste génocidaire pour les uns, antisémite pro-islamiste pour les autres.
Franchement, sans importance au regard de ce que vivent les hommes et les femmes dans l’enclave de Gaza. Et comme prévu, la Cisjordanie est le but final. C’est cela, la réalité, pas nos querelles lexicales.
L’histoire jugera.
L’enjeu aujourd’hui : stopper ce traitement inhumain des hommes, femmes, enfants, entre faim et peur de la mort au ventre, est crucial.
Il faut dire, crier, hurler, beugler : « Arrêtez le blocus ! »
Partout, la pression monte dans le monde entier pour obtenir la fin de ce traitement inhumain.
À cette étape, je ne demande rien d’autre.
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