2026 Jours de guerre en Europe
- Qu’est-ce que Macron est allé faire dans cette galère ?
- Zelensky, président d'honneur de l'Europe
- Congrès du PS – Mode d'emploi : Comment ça marche ? L’enjeu du congrès ; L’enjeu tactique
- La Relève: Nathalie Koenders – En selle
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1. Qu’est-ce que Macron est allé faire dans cette galère ?
Évidemment, rencontrer Trump pour lui faire part de ce que pensent les Européens flatte notre orgueil national ; évidemment, E. Macron obtenant l’opportunité de rencontrer avant tout le monde "Donald", cela était bien joué pour un homme isolé sur la scène nationale ; évidemment, il était peu probable que Trump fût tout à coup convaincu par le président français, qui avait peu d’atouts entre les mains. Aller à Washington était au mieux exposer un point de vue sans faire bouger les lignes. E. Macron en est coutumier, il avait fait la même chose en se déplaçant à Moscou pour rencontrer Poutine peu de temps avant "l’opération spéciale"; faut-il évoquer le Liban ou la coalition internationale contre le Hamas ?
Au-delà des apparences, il s’agissait d’une simple prise de contact sans avancées; l’Europe voulait être à la table des négociations, force est de constater que nous n’y sommes pas; l’Europe voulait que Zelensky y soit, force est de constater qu’il ne sera pas au round avec la Russie; pire, les États-Unis suspendent le soutien militaire; l’Europe voulait que l’Ukraine intègre l’OTAN, force est de constater qu’il n’en a pas été question; l’Europe voulait que la Russie soit désignée comme agresseur et que les territoires conquis soient dénoncés, force est de constater que Trump n’en a rien dit. Pire, une résolution soumise aux Nations Unies par les États-Unis, votée par la Russie, la Hongrie, la Corée du Nord et Israël, ne le mentionnait pas, tandis que la France n'exerce pas son droit de veto.
Cela faisait-il partie du deal pour la rencontre ? L’Europe trouvait un peu cavalier que Trump réclame des dommages de guerre et propose de se payer sur les terres rares de l’Ukraine.
L’Europe voulait faire remarquer que notre effort collectif était à la hauteur de celui des États-Unis. Force est de constater que le président français a dû annoncer que la prochaine rencontre de Trump avec Zelensky porterait sur l’exploitation des minerais. Puis, le président américain a maintenu sa rengaine sur la disproportion de son soutien au regard des Européens.
Bref, Trump et Poutine négocient, Zelensky signe, et l’Europe paie. Voilà le triptyque trumpien du cessez-le-feu. On se dirige tout droit vers un accord à la coréenne : un cessez-le-feu contre la levée des sanctions, sous le regard du dragon chinois qui observe, mutique, la désintégration de la forteresse occidentale.
Enfin, un argument semble décisif pour E. Macron : la compréhension par Trump de la nécessité de garantir le cessez-le-feu par un accord durable où l’Europe et les États-Unis seraient forces de paix. "C’est un vrai bougé", dira le président, conscient que la pêche a été réduite, même en sollicitant les réponses de Trump comme il tenta de le faire lors de la conférence de presse. C’était une option de fin de négociation qui pouvait se moduler soit avec les Américains comme garants des Européens, qui garantissent l’Ukraine, soit sans eux, soit avec des troupes en Ukraine ou en Roumanie. Mais c’est Poutine qui décidait en fonction de ses intérêts stratégiques. Tout cela est remis en cause par les derniers événements.
Reconnaissons quand même qu’E. Macron a mis en garde le président américain contre une capitulation forcée de Kiev et lui a touché le genou pendant le point de presse dans le bureau ovale. C’est peu. Une "adresse à la nation" depuis Paris aurait suffi. E. Macron n’a pas sauvé la paix, contrairement à ce que l’on suggère, ou alors comme Chamberlain. Mais, ne comparons pas ce qui n’a pas lieu d’être. Macron n’est pas Churchill et Trump n’est pas Roosevelt face à un "Hitler russe". Là, il s’agit d’un accord en gestation entre Trump et Poutine, sans les Européens, sur le dos d’un pays en Europe.
On veut à toute fin voir dans les relations interpersonnelles, parfois surjouées, un moyen d’influencer Trump, de le séduire, de l’amener à considérer les réalités. Macron a déjà fait la même erreur au début de son premier quinquennat avec le président américain invité le 14 juillet. Là, cela n’aura pas duré 48 heures : lisant la presse le lendemain, D. Trump s’exclama et le fit savoir : "C’est un petit malin, ce Macron, ce n’est pas du tout ce que nous nous sommes dit à la Maison Blanche."
Quelque temps plus tard, après avoir annoncé que les droits de douane avec l’Europe allaient augmenter de 25 %, il conclut : "L’Europe a été créée pour entuber l’Amérique. Ils y sont arrivés." Alors, la confidence du président Macron en une de Paris Match – "Avec Trump, il ne faut pas être faible" – nous plonge, vu le résultat, dans une certaine perplexité.
Ce conseil fut plutôt repris par Zelensky. La rencontre entre les présidents ukrainien et américain est la manifestation publique du nouvel état du monde. On ne veut pas comprendre que nous avons changé d’époque, pas seulement dans le domaine diplomatique. Tout change, y compris les valeurs dites communes, y compris à propos de la démocratie avec l’illibéralisme, ce libéralisme autoritaire s’attaquant à l’État social et de droit, y compris vis-à-vis de l’alliance atlantique, etc.
Il s’agit du monde des intérêts où les puissants rackettent les plus faibles, un monde brutal et sans morale. Dans un livre prémonitoire, Alain Joxe décrivait le "chaos impérial" et appelait déjà les Républiques européennes à rentrer en résistance face à l’empire mercenaire qui cherche à "réguler le désordre par des coalitions de circonstances", cet empire qui constitue des "processus de paix en panne" pour son intérêt propre.
Rajoutons à ces traits que la question n’est pas principalement la nature personnelle de Trump – caractériel, gâteux, délirant ou "tamponné" par les Russes et donc "agent", selon la nouvelle légende urbaine – mais il s’agit d’une vague national-populiste illibérale dont Trump est l’un des linéaments, à mon avis gâteux, mais pas le moindre.
Le chaos impérial s’est doté d’une doctrine, d’une légitimation idéologique. Le président Macron a pourtant sonné le tocsin devant le nouveau péril, il en a même informé les partis politiques, mais il a pensé pouvoir chevaucher l’aigle américain pour l’amadouer ou le séduire. Et en retour, nous avons jugé la rencontre avec la bienveillance d’hier, forgée par quasiment 85 ans de « compagnonnage planétaire ».
Alors qu’il faut froidement regarder la situation en face : le cauchemar continue, même si, à cette étape, il est moins grave pour nous que pour les Ukrainiens. Et faute d’une Europe forte, qui devrait réagir d’une seule voix avec une détermination extrême, nous sommes réduits à attendre que "l’Amérique s’éveille" par des actes de résistance ou lors des midterms. En espérant maintenant que le front ukrainien ne cède pas.
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2. Zelensky, président d'honneur de l'Europe
Le bouffon devenu roi sauva son pays et l'Europe. Imaginez l’Europe si la Russie avait pris Kiev… Zelensky, en refusant de partir en exil, donna de la force à son armée entraînée par les Américains depuis la conquête de la Crimée par Poutine. L'Europe, qui s'était vautrée dans le gaz russe, prit peur, et, dépourvue de moyens de défense efficaces, elle s'en remit au courage des Ukrainiens, à l'incurie bureaucratique russe et au parapluie américain, dont on ne savait pas à l'époque qu'il s'agissait d’un échange "armes contre terres rares", même si, avant-guerre, l'Ukraine exportait déjà aux USA.
On couvrit d’éloges le président ukrainien, comme un Lech Walesa des temps nouveaux. On lui fournit de quoi résister, mais pas de quoi triompher d’une Russie dans les cordes après son offensive ratée. Kiev utilisa au mieux ce défi du faible au fort, se montrant même capable de contre-attaquer et de percer jusqu’à Koursk en Russie. Moscou dut internationaliser le conflit : Chine, Corée, Inde, Turquie, Afrique du Sud, Brésil et "Sud global" pour contourner l’embargo, se fournir en armes et en hommes, et contre-attaqua, au point quand même d’emporter la ville stratégique de Pokrovsk après avoir pris 18 % du territoire ukrainien.
Cet effort de guerre – 220 % d’augmentation de production de chars, 150 % de véhicules et de canons – conduisit la Russie au bord de la rupture avec une inflation galopante. C’est le moment que Trump choisit pour lâcher Zelensky et faire la paix de Poutine. Le président ukrainien, à la tête d’un pays ravagé, d’un peuple exsangue, d’une jeunesse décimée, jette ses dernières forces pour éviter une paix honteuse. Il incite l’Europe à un flageolant sursaut, alors que Paris et Berlin, voire Varsovie, voulaient que l’Ukraine lâche l’affaire.
Par un clin d’œil du destin, les trumpistes en font trop. À Londres et à Berlin, ils s’attaquent aux gouvernements, manifestent leur intérêt pour l’extrême droite, menacent l’économie européenne d’une guerre commerciale. Alors l’Europe décide de réagir au nom de ses intérêts domestiques, ce qui donne un répit à Zelensky. Kiev, pour obliger l’Amérique de Trump à intégrer l’Ukraine dans un « système de défense », était prête à un accord sur son sous-sol. Car, une fois fait, le président ukrainien espérait que cet "intérêt commun" serait source de garantie de défense commune.
Mais, les concessions n’étaient pas suffisantes pour Trump, qui voulait une reddition. Dans ce moment de basculement historique, la défense de l’Ukraine par Zelensky dans le bureau ovale, face à un Trump perdant son sang-froid, avait de la gueule et montrait la voie. Ce n’était pas diplomatique, il ne fallait pas médiatiser l’altercation, nous dit-on, c’est certain, mais c’était plus lucide qu’on ne le croit. Zelensky dit à la puissante Amérique qu’elle ne peut pas tout et décider de l’avenir de l’Europe. Ne pas se laisser marcher dessus, c’est le début de la résistance.
Ce 28 février va devenir une date historique. On a souvent dit que l’Ukraine se battait pour nous, elle l’a souvent fait sans nous. Il serait juste qu’elle soit maintenant avec nous, car Zelensky défend l’honneur de l’Europe contre deux prédateurs, à l’Est et à l’Ouest. L’Europe doit se hisser à la hauteur du président ukrainien et assumer son nouveau destin.
Maintenant, nous n’avons pas le choix. Toute l’Europe a été choquée par Trump et Vance, tout le monde a vu qu’il n’y avait rien à attendre du chaos impérial de Trump. Cela va être dur pour tous, n’en doutons pas. Mais ce 28 février nous a fait entrer de force dans le nouveau monde et nous a désarrimés d’une Amérique qui veut nous racketter et nous vassaliser. Le président a été courageux, nul ne peut en douter. Et cette attitude a défendu l'honneur de l'Europe. Mais pas seulement, elle a déclenché la solidarité européenne.
La Grande-Bretagne met la main à la poche, l'Allemagne veut en faire autant, le président Macron s'adresse enfin au pays par voie de presse : "Une paix juste et durable ne peut se faire sans l'Ukraine." Le parlement ukrainien vote sa solidarité à son président, un sommet est prévu mardi, auquel se joint le Canada. Dans le Sud global, on a les yeux tournés vers l'Europe.
Ne laissons pas tomber l'Ukraine. Il y va de l'avenir du monde.
Zelensky, président d'honneur de l’Europe : telle est la leçon des événements.
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3. Congrès du PS – Mode d'emploi -
A. Comment ça marche ?
Un congrès du PS peut paraître obscur. Il suit pourtant une liturgie bien précise qui répond à des objectifs clairs : trancher les débats en respectant les opinions.
D’abord, seul le Conseil national, c’est-à-dire le "parlement du parti", peut convoquer le congrès, qui se déroule normalement un an après la présidentielle et un an avant la suivante. Le dernier congrès a eu lieu à Marseille le 27 janvier 2023. On était hors statut depuis un moment !
Seul le Premier secrétaire peut mettre la question du congrès à l’ordre du jour du Bureau national, qui convoque ledit Conseil national. Cette réunion fixe le lieu, l’ordre du jour du congrès, le corps électoral, ainsi qu’une commission électorale "déterminante", chargée de l’organisation et, par exemple, de définir le nombre de signataires pour les contributions générales (les statuts ne disent rien et on peut même concevoir qu’il n’y ait pas de conditions). Mais la direction sortante a intérêt à un nombre élevé de signataires pour éviter son délitement).
Et c’est le "Haka" socialiste, où les pré-motions s’affrontent sans vote et sans risque. Cette phase a pour but que le pluralisme s’exprime et que la démocratie s’exerce, car depuis 1971 et même depuis 1905, le PS est un parti où les courants, sensibilités, textes d’orientations sont reconnus et protégés. L’alchimie du PS, c’est le libre débat dans un parti qui organise la diversité des opinions.
Cela ne ressemble pas, il est vrai, au régime intérieur de La France insoumise ou du RN. Ce mode de fonctionnement est censé permettre au PS d’agréger les pensées et les militants qui s’y réfèrent. Cette année, les contributions générales seront scrutées par les socialistes. Parce que chacun voudra voir si ceux qui ont manifesté leur volonté d’être Premier secrétaire ou sont en désaccord feront une contribution générale.
Elles s’affronteront donc, mais à blanc, pendant quelques semaines. Puis il y aura une deuxième phase : les textes seront soumis aux votes des militants. Ceux-ci détermineront à la proportionnelle le nombre de représentants dans les instances et, normalement, dans chaque élection. C’est la marche au rassemblement d’une majorité dans le PS.
L’enjeu cette fois-ci est de savoir s’il y a un texte d’orientation unique face au Premier secrétaire sortant. Si nous connaissons le premier signataire de celle d’O. Faure, nous ignorons à cette étape qui "tirera" l’opposition à ce dernier. Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Karim Bouamrane, Philippe Brun, Jérôme Guedj, Boris Vallaud…
B. L’enjeu du congrès
Ce congrès sera stratégique pour le PS et tactique pour les prétendants au poste de 1er secrétaire. La stratégie, c’est la conquête du pouvoir à la présidentielle en repoussant l’extrême droite. Le pouvoir, pas en soi ou pour soi, mais pour appliquer les solutions socialistes aux crises et à la nouvelle époque que nous vivons.
Les socialistes ne partent pas de rien : les élections européennes ont été le laboratoire de cette stratégie pour la présidentielle, qui ordonne tout sous la Ve République. Les socialistes avaient une définition, un identité, l’Europe, un rassemblement d’une grande partie de ceux qui partagent ce récit à gauche, et une incarnation. Résultat : ce qui était réputé impossible entre Mélenchon et Macron a été possible. Cette troisième voie s’est imposée, les réunions étaient massives, enthousiastes, et les socialistes fiers. Le résultat électoral a surpris tout le monde, sauf ceux qui, autour d’Hélène Geoffroy et de Nicolas Mayer-Rossignol, défendaient ce cours nouveau.
Depuis 2017, le PS a mis son énergie dans l’unité pour éviter de redéfinir son identité. C’est une démarche paresseuse, un peu honteuse de ce que sont les socialistes. Tout le monde connaît l’identité de l’extrême droite et de la droite – c’est la même –, celle des écologistes est dans leur nom, celle de La France insoumise est trop bien connue, même le « en même temps » des macronistes était un repère. Mais quelle est l’identité des socialistes ?
Le PS est un parti aphone, réduit au langage des signes. Il n’a ni identité, ni programme, ni récit, ce qui est déjà un problème, mais devant les bouleversements du monde que nous vivons, c’est la disqualification assurée pour le pouvoir.
Le PS doit construire une offre nouvelle qui réponde aux problèmes d’aujourd’hui pour les Français d’aujourd’hui. La défense de la démocratie, de l’État de droit et de l’État social face à l’illibéralisme est en soi un défi programmatique. Dans l’émiettement des représentations politiques et dans la crise démocratique que nous vivons, c’est "l’offre qui détermine le vote", pas le plus petit dénominateur commun.
Une fois posé le problème du récit socialiste, puis résolu, il faut rassembler la Gauche du Réel. Elle vient souvent du PS, car il y a plus de socialistes dehors que dedans. Ce « maule» à reconstituer, ce dépassement du PS actuel, est un gage de crédibilité pour le nouveau projet. C’est le sens d’un Épinay 2 débouchant sur "LA FÉDÉRATION" d’une nouvelle gauche. C’est le moyen de réunir, dans un nouveau dessein à gauche, les électorats qui ont pensé voter utile pour Macron contre Marine Le Pen ou voter utile contre Macron pour Mélenchon.
Enfin, cette feuille de route a un fil à plomb : le candidat social-démocrate à la présidentielle. Tout part de là ! Le congrès du PS doit annoncer qu’il aura un candidat à la présidentielle, c’est-à-dire qu’il est candidat au pouvoir pour appliquer les solutions socialistes aux crises.
Il s’agit du cœur du désaccord dans le PS pour ce congrès. D’un côté, ceux qui ont une politique de l’offre politique ; de l’autre, l’union résiduelle du NFP maintenue comme offre politique, avec le risque que le PS n’ait pas de candidat pour la première fois depuis 1971. C’est la métamorphose du même débat depuis la NUPES.
Ce congrès doit vider la querelle. Elle fut résumée par O. Faure en une formule : "Ni Hollande ni Mélenchon ne peuvent rassembler la gauche". Eh bien, ce n’est pas le sujet. La question est : quelles solutions pour la France et qui peut rassembler les Français pour battre Marine Le Pen ?
Rassembler les Français ? On ne peut le faire sur le programme du Nouveau Front populaire. Fixer comme enjeu au Parti socialiste de rassembler la gauche à la présidentielle, c’est l’enfermer dans 27 % d’électeurs, et avec Mélenchon en plus, sachant que la gauche ainsi présentée ne rassemblera pas la France au deuxième tour. Sans Mélenchon, c’est au mieux 17 % et peu de chances de rassembler les Français.
Non, l’enjeu est de redevenir le vote utile pour les déçus du macronisme et du mélenchonisme sur une offre visible et crédible. Les européennes démontrent que cela est possible, et le pas de côté sur la motion de censure a mis à nouveau le Parti socialiste au centre de toutes les attentions, et peut-être de toutes les espérances.
Le PS ne doit pas avoir peur de son ombre. Il doit se déterminer par rapport aux enjeux du pays et non aux enjeux de la radicalité à gauche.
Et pour ceux qui sont friands de tactique électorale, seuls les socialistes clairement sociaux-démocrates peuvent rassembler les Français au deuxième tour de la présidentielle face à l’extrême droite et la battre.
Mais, sans les écologistes et le PCF, le PS n’est pas au deuxième tour, répondent les fauristes. Avec eux, ce n’est pas garanti non plus, et le PS a fait près de 15 % aux européennes sans les composantes du NFP.
Le rêve que le "NFP résiduel" créerait une dynamique telle qu’il emporterait un vote majoritaire se heurte au mur de la réalité de Jean-Luc Mélenchon et de Marine Tondelier, qui ont extrémisé le NFP et l’ont rendu infréquentable. C’est non seulement impraticable, mais le pratiquer, c’est se planter.
Avec les socialistes, le Front républicain est possible. Avec la droite, il est improbable. Avec le NFP plus ou moins mélenchonisé, il est impossible.
Le débat de la présidentielle sera : quoi et qui pour la France pour rassembler les Français au second tour ? C’est à cela que le PS doit s’atteler dans ce congrès.
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C. L’enjeu tactique
Ce congrès n’est donc pas un congrès pour départager O. Faure et François Hollande. Le premier est candidat à sa réélection après un septennat de Premier secrétaire, le second ne l’est pas, il a déjà donné. L’ancien président a simplement déclaré qu’il fallait changer la direction, ce qui tombe sous le sens.
Le débat porte sur une question simple : un candidat "NFP résiduel" à la présidentielle, préparé par la reconduction du programme du NFP, ou un candidat socialiste sur la base du nouveau projet et d’un Épinay 2 ?
La dimension tactique pour le candidat au poste de Premier secrétaire tient au fait qu’O. Faure doit rassurer quant à sa prise de distance vis-à-vis de Mélenchon, sans perdre les nostalgiques du NFP. Il doit éviter de perdre des parts de marché dans son camp, pour parler trivialement. Et son alternative : en gagner sans apparaître comme préempté par un candidat à la présidentielle, mais pour la préparer.
Chacun cherche à éviter la déflagration malvenue avant des élections municipales qui s’annoncent difficiles – regardez les élections partielles ; raison de plus pour annoncer une nouvelle direction au PS.
Lisez ma tribune dans la Tribune en cliquant ICI :
« L’enjeu : un candidat social-démocrate à la présidentielle », par Jean-Christophe Cambadélis, ancien premier secrétaire du PS
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4. La Relève
Chaque semaine, je dresse le portrait d’une personnalité du PS que je suis de près ou de loin et dont je pense qu’elle fera partie de la relève au PS. Après Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Philippe Brun, Érika Bareigts, Jérôme Guedj, Valérie Rabault, Michaël Delafosse, Benoît Payan, Lille, Mathieu Klein, Rachid Temal, Johanna Rolland, c’est le tour de Nathalie Koenders.
Nathalie Koenders – En selle
En démissionnant de son poste de maire de Dijon et en la faisant maire, François Rebsamen a mis en selle Nathalie Koenders pour les prochaines municipales. Il s’agit de l’ancienne adjointe aux mobilités douces – elle préfère dire "mobilité active" –, il faut dire que le vélo, dans la ville de Bernard Thévenet, s’impose.
Elle prend le relais du ministre de l’Aménagement du territoire, ce qui ne saurait déplaire à cette sportive de haut niveau à la tête bien faite, diplômée de droit et de la prépa ENA, incarnant le fameux mens sana in corpore sano. C’est assez rare en politique : Drut, Lamour, Douillet à droite, l’ami Calmat à gauche… Peu nombreux sont les sportifs qui réussissent en politique.
Koenders, première femme maire, est donc "la perle de la Côte-d’Or". À n’en pas douter, après sa réélection, on la surnommera KO, et elle sera l’une des voix de la relève socialiste. On la décrit volontiers comme une "grosse travailleuse" et attentive aux autres, qualités indispensables pour être maire.
François, duc de Bourgogne, lointain successeur de Charles le Téméraire, avait obtenu une sorte de passage de témoin symbolique de Robert Poujade. Ce dernier avait décelé en lui, chef de l’opposition, les qualités nécessaires à l’administration de la ville puis à l’installation de la métropole. On peut parler à Dijon d’une dynastie élective par la méritocratie, car Poujade fut choisi par le chanoine Kir.
Rebsamen a parfaitement préparé le sprint municipal de "Nathalie", qui a pris sa roue et qu’il a protégée avant l’emballement final. Le choix du maire pour sa première adjointe est à la fois plein de sagesse et "finement politique" quand on compare à d’autres successions.
Nathalie Koenders connaît la ville par cœur, depuis le temps où elle pagayait sur le lac du chanoine Kir. "J’ai grandi dans ses rues, habité ses quartiers, étudié, construit ma vie professionnelle et ma famille", dira-t-elle lors de son intronisation, déclarant son amour pour la ville de Dijon. Il est vrai que, comme disait Hegel : "Rien de grand n’a été accompli sans passion".
Même si on perçoit chez la nouvelle maire une certaine retenue. Il faut dire que s’installer dans le magnifique bureau du maire, dans le palais des ducs de Bourgogne, donnant sur la place de la Libération – fondée en 1192, s’il vous plaît –, ensemble architectural bordé par le musée des Beaux-Arts, peut impressionner au premier abord, mais vous invite à agir pour le long terme.
Elle va vite fendre l’armure. J’ai visité le fameux musée avec François Rebsamen. Celui-ci est tout à coup devenu célèbre dans l’Hexagone avec La Cène ou le festin des dieux, tableau du XVIIe peint par H. van Beljest, reproduit dans la performance de Philippe Katerine lors de la séance d’ouverture des Jeux olympiques, qui provoqua une immense polémique.
Dans "son" musée, "Rebs" est intarissable sur chaque œuvre exposée, du Titien à Édouard Manet ou Monet, en passant par son chouchou Yan Pei-Ming. Comme il est inarrêtable sur l’architecture du cœur de ville ou sur les réalisations préparant Dijon aux défis de notre époque avec la première smart city (ville intelligente) de France.
On le sent aimant tutoyer l’Histoire, lui qui en fut un praticien avec son maître en socialisme, Pierre Joxe, personnalité moins connue des socialistes, mais qui pourtant forma nombre de dirigeants de Bourgogne ou de parlementaires lorsqu’il régnait en patron sur le groupe socialiste à l’Assemblée ou exerça la charge de ministre de l’Intérieur avec, comme conseiller, un certain François Rebsamen.
Pierre Joxe fut d’une fidélité sans faille à François Mitterrand. Il était un des seuls, dans la famille mitterrandiste, avec Lionel Jospin, à pouvoir affronter ou contredire le président. Il faut dire qu’il partageait avec ce dernier une certaine distance avec la monarchie républicaine de la Ve République.
Rebsamen a reproduit cela avec F. Hollande, fidèle sans ostentation et avec une certaine lucidité. C’est un socialiste de l’extérieur, plus à cause de la subordination du PS à Jean-Luc Mélenchon que par fascination pour E. Macron. Sa formation trotskiste de jeunesse ne le prédisposait pas à être impressionné par le leader de La France insoumise.
Madame la maire reste, elle, au Parti socialiste. À eux deux, ils occupent tout l’espace central. Autant dire qu’il ne reste que l’extrême gauche, alliée ou pas aux écologistes et à LR mais challengée par le RN, pour tenter de reprendre la mairie. Cela témoigne d’une certaine habileté, et François Rebsamen n’en manque pas.
Dijon, la Bourgogne et la gauche, c’est une longue histoire. La Bourgogne, que François Mitterrand a sillonnée, arpentée, visitée ou représentée à l’Assemblée nationale. Le Mitterrand de Bourgogne a de "la terre à ses chaussures", mais il est indissociable du Bourguignon Lamartine, qu’il aimait tant.
Le 12 octobre 1990, lors d’un colloque à l’Élysée sur le grand poète, il dresse le portrait qu’il voudrait sûrement sien : "Le grand diable de Bourgogne, comme il se nommait, fit partie de cette jeunesse née dans la tempête, qui a grandi dans des luttes immenses et cependant n’a jamais pris le parti des sceptiques, qui a toujours pensé qu’il devait, au-delà de sa propre personne, contribuer aux transformations de la société."
Littérature, histoire et politique ancrées dans la réalité d’une France profonde, tel est le legs du président Mitterrand aux socialistes de "Burgondie".
Alphonse de Lamartine "a été, comme interprète, un traducteur des grands bouleversements de l’âme, un poète des sentiments que provoquent la nature et sa beauté", dira-t-il. Et il est vrai que la Bourgogne, présidée par la discrète mais tenace Marie-Guite Dufay, n’en manque pas.
Les socialistes dijonnais sont le produit d’une longue histoire, d’Auguste Morin-Gacon, premier maire en 1896, à Henri Barabant en 1904, juste avant la fondation de la SFIO qui tint son 2e congrès en Bourgogne, en passant par Robert Jardillet en 1936, qui fut député-maire et ministre de Léon Blum.
La liste est longue de personnalités qui ont marqué l’histoire de la gauche. D'abord Pierre Bérégovoy : comment ne pas se souvenir de l’hommage de F. Mitterrand dans sa ville de Nevers après son suicide ?
"Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et, finalement, sa vie."
Le président, affecté par ce décès, me fit venir avec quelques autres dans le compartiment du train qui le ramenait à Paris. Dans un soliloque attristé mais étrangement distant de l’événement, il philosopha sur "la charge de l’intérêt national, l’ingratitude de la politique et la nécessité d’un ancrage", c’est-à-dire, pour lui, la Bourgogne, qu’il nous conta à mi-voix. Beaucoup d’autres ont depuis représenté ces terres à Paris : le ténébreux et talentueux Rolland Carraz, le flamboyant Montebourg, le frondeur C. Paul, le social-démocrate Pierre Pribetich, le macroniste de cœur plus que de raison François Patriat, le parlementaire du Creusot André Billardon, le député-maire du bastion ouvrier de Montceau-les-Mines, héritier des "bandes noires" anarchistes et lui-même ancien trotskiste, Didier Mathus, ou encore le pilier du socialisme bourguignon, l’ancien maire de Semur-en-Auxois, Michel Neugnot, qui veille à tenir tout le monde ensemble du haut de sa vice-présidence de la Région.
Chacun sait que celui qui n’a pas de passé n’a pas d’avenir et ne fait qu’administrer le présent.
"Il faut être fier d’avoir hérité de tout ce que le passé avait de meilleur et de plus noble. Il ne faut pas souiller son patrimoine en multipliant les erreurs passées", disait Gandhi.
Nathalie Koenders en est instruite, même si elle veut mettre "sa patte" dans la ville, car elle sait qu’une fois en selle, il faut pédaler, quel que soit le terrain, sinon on tombe.
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La semaine prochaine : Olivier Bianchi