228ème Jours de Guerre en Europe

1/Badinter ; 2/L'Amérique des Burgraves ; 3/Poutine revisite Hitler ; 4/Arrêtez le massacre à Gaza ; 5/G. Attal, petit bras et grandes difficultés ; 6/ Le droit du sol ou droit du sang à Mayotte

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1/Badinter

La nation a rendu hommage à R. Badinter dans une cérémonie présidée par le président de la République, E. Macron, place Vendôme, le même endroit où émergeait en 1983 Jean-Marie Le Pen, chef d'un groupuscule d'extrême-droite, au milieu des policiers manifestant sous les fenêtres d'un garde des Sceaux contre le "laxisme" de ce dernier ; mais surtout, pour avoir obtenu de l'Assemblée et du Sénat l'abrogation de la peine de mort, ainsi que pour la dépénalisation de l'homosexualité. Et ce jour-là, les policiers en protection du ministère retirèrent leur képi en signe de solidarité avec leurs collègues manifestants. On s'est interrogé à l'époque, l'espace d'un moment, sur l'issue de cette sédition. Badinter, non sans humour et panache, déclara à son cabinet : "Nous nous battrons jusqu'au dernier Dalloz". La gauche fut sidérée. Une nouvelle époque commençait. Celle de la montée de l'extrême-droite xénophobe en France.

Ce 14 février 2024, tout ce qui compte dans la République se groupait au pied de la colonne Vendôme, cerné par le luxe des joailliers. Un instant, la mémoire du cortège populaire du premier abolitionniste, V. Hugo, vint tirer par la manche les présents. Puis le président laissa échapper : "Vous nous quittez au moment où nos vieux adversaires, l'oubli et la haine, sont de retour", avant d'accepter à raison de le panthéoniser. Tout à leur dévotion à l'ancien garde des Sceaux sans rendre grâce à François Mitterrand, les présents pensaient peut-être laver l'affront de 1983 par l'éviction de la fille Le Pen de la cérémonie. Cette dernière n'a "pas voulu polémiquer" et a dit "respecter le choix de la famille". Du haut de ses 36% d'intention de vote, elle toisa ce parterre de sommités ô combien divisées. Et peu lui chaut ce camouflet, elle a en poche son brevet de respectabilité donné par les mêmes lors de la manifestation contre l'antisémitisme du 12 novembre 2023. Cet hommage à l'ancien garde des Sceaux sonnait comme une nostalgie face aux nuages noirs qui s'annoncent. La présence de Jean-Marie Le Pen annonçait une époque. L'absence de Marine Le Pen préfigure un affrontement. Décidément, les rassemblements de la place Vendôme résument des moments politiques et pas seulement Austerlitz ou la Commune. Il est des signes qui ne trompent pas. Il va nous falloir le courage, la ténacité, l'humanisme, la hauteur de vue de cette grande conscience qu'a été R. Badinter pour affronter les temps incertains pour la République.

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2/L'Amérique des Burgraves  

Le monde s'interroge : Biden a-t-il les capacités cognitives pour exercer un nouveau mandat ? Le problème est que Trump ne les aurait pas plus. L'un confond le président du Chili et de l'Égypte, Mitterrand et Macron, l'autre Nikki Haley et N. Pelosi. Il décrit Orban comme président de la Turquie. L'un avance à petits pas de peur de tomber, l'autre, paranoïaque belliqueux mais non belliciste, a peur de sombrer. L'âge est-il un problème pour gouverner ? On opposera la sagesse de l'expérience à la fougue de la jeunesse. On peut aussi évoquer Mick Jagger, Al Pacino, De Niro et leurs 80 ans flamboyants, ou A. Quinn dansant un sirtaki endiablé avec N. Theodorakis sur la place Syntagma à Athènes à 84 ans. En France, J. Lang, 84 ans, A. Souchon en tournée à 79 ans, ou Le Drian, 76 ans, candidat possible adoubé par E. Macron comme tête de liste pour les européennes. Mais la bataille autour de l'âge du capitaine fait ici image. L'Amérique de 1900, de 1914, de 1930, de 1940 ou des années 60, c'est la jeunesse, l'énergie, la créativité ; celle des Hemingway, des Dos Pasos, de W. Faulkner, Scott Fitzgerald, John Steinbeck, Tennessee Williams, de Henry Miller à Norman Mailer, ou la Beat Génération, sans oublier Paul Auster, celle du Hollywood dominant et sa soft culture, celle de l'automobile rayonnante, de l'architecture innovante, du dollar roi, de la pop et du rock ou du jazz, de son invincible armada et du complexe militaro-industriel, des mégapoles ou de la conquête spatiale, etc. Que l'on aime ou pas, l'empire américain était l'image de la jeunesse triomphante, à la réussite insolente. À travers le combat Biden-Trump, l'Amérique s'interroge sur elle-même. En questionnant les capacités des deux prétendants, elle s'interroge sur un vieux pays d'un vieux continent avec de vieux prétendants. Ce n'est plus la jeune nation. Ce sont les Burgraves de Victor Hugo. Une gérontocratie de milliardaires s'est substituée à celle des "conquérants". "Chaque soir espérant des lendemains épiques", disait Heredia. Avec Biden et Trump, on en est loin. Comme si avec B. Obama, la démocratie américaine avait atteint sa dernière frontière démocratique et n'avait plus à proposer au monde que de déconstruire le passé à travers le wokisme. L'effondrement moral des présidents d'universités devant la commission parlementaire à propos de l'antisémitisme a révélé au monde une forme de sclérose dégénérative. Les USA continuent à dominer par la puissance du dollar, de leur armée surpuissante, et d'une économie avec 15 000 milliards de dollars encore performante, bien supérieure à la Chine. Mais les États-Unis ont perdu le monopole de la jeunesse, de l'imaginaire conquérant, de leur force propulsive, à l'image des deux champions qui s'affrontent pour présider au début du déclin de l'empire américain

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3/Poutine revisite Hitler 

Pour justifier son opération spéciale en Ukraine, Poutine revisite Hitler. C'est la leçon de la pseudo interview fleuve de Poutine par Tucker Carlson, sponsorisé par E. Munsk. Pour le dictateur du Kremlin, Hitler voulait seulement réunifier les populations allemandes. Et c'est l'acharnement de la Pologne à le lui refuser qui a conduit à la guerre. Vous suivez l'allusion. Et le pacte Ribbentrop-Molotov visait à laisser faire - cela on avait compris - cette juste réunification du peuple allemand. Et c'est Hitler qui a déchiré ce pacte et l'a conduit à sa perte en agressant la Russie. Vous suivez toujours l'allusion. Ce révisionnisme complotiste est tout à la fois monstrueux dans la banalisation du nazisme, mais affligeant de bêtises car il revient à dire que Poutine et Hitler ont la même logique. À se demander si cela n'était pas le but recherché. Édifiant ! Il ne restait plus au dictateur d'assassiner un opposant prisonnier sans défense comme Hitler le fit avec Thälmann et tant d'autres. Ce sera A. Navalny, même si le nationalisme xénophobe de ce dernier n’était pas exempt de tout reproche. 

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4/Arrêtez le massacre à Gaza

La polémique fait rage. On ne doit pas mettre sur le même plan le 7 octobre et les suites à Gaza. Ce tri dans les morts provoque des tollés chez les uns et des applaudissements chez les autres. Le président Hollande et à sa suite B. Vallaud ont été pris à partie sur les réseaux sociaux pour avoir refusé de mettre sur le même plan les morts, réactivant le #plusjamaisPS à des milliers d'exemplaires. Disons-le net : les crimes antisémites du 7 octobre sont une monstruosité. Mais le chagrin du 7 octobre ne peut être un passeport pour l'oubli des massacres de Gaza. Et l'on tremble, comme la communauté internationale, pour les Gazaouis déplacés. Le risque de génocide, selon le procureur du Tribunal Pénal International, est engagé. C'est maintenant pour eux le fameux cercueil ou la valise. Ce qui se passe et va se passer à Rafah n'est plus supportable, si jamais cela l'a été.

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5/G. Attal, petit bras et grandes difficultés

La blouse pour tous et l'austérité pour chacun, sous couvert d'un accès gratuit à Internet pour quelques démunis, voilà résumé l'objectif du gouvernement Attal. Nous sommes loin d'un grand dessein et le jeune Premier ministre est déjà avec une cote négative dans les sondages. F. Bayrou a pris ses distances et Édouard Philippe pique des députés Renaissance. La morosité dans la gauche macroniste est à son comble. Le dîner des parlementaires de la majorité ne se tient plus. Sans autre boussole que de braconner sur les terres des nationalistes, le jeune Premier ministre voit la terre lentement se dérober sous ses pieds.

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 6/ Le droit du sol ou droit du sang à Mayotte

Nous avons déjà évoqué de fond en comble Mayotte dans les "instantanés du dimanche". Nous y revenons car le ministre de l'Intérieur a jeté un pavé dans la mare en évoquant une décision constitutionnelle remettant en cause le droit du sol. Au-delà des réflexes pavloviens "jamais" ou "enfin", il y a dans l'annonce cette fameuse droitisation de l'atmosphère initiée depuis la loi sur l'immigration. Partout, dans de nombreux domaines, on recycle les standards lepénistes pour répondre à une France qui se prononce, sans compter le parti de Ciotti, à plus de 42% pour des listes extrême droitisantes. Mayotte n'échappe pas à la nouvelle frontière droitière de Renaissance. On sait que ceci n'a aucun sens. Les Comoriens ne traversent pas la mer au risque de leur vie pour acquérir la nationalité française. Seuls les écarts de niveau de vie, la maternité, l'école, les poussent à venir, avec l'accord tacite du président comorien Azali Assoumani, avec l'espoir secret que la démographie réunifie l'archipel. La réforme constitutionnelle est impraticable car il faut l'accord des droites et de l'extrême-droite au Parlement. Elles demanderont, comme le président du Sénat G. Larcher, l'élargissement du débat à toute la France. Et si par miracle l'article 73 de la Constitution était accepté par le Conseil constitutionnel, le fait de recourir à des "dispositions (qui) peuvent faire l'objet d'adaptation" pour des collectivités, comme le dit l'article, ouvrirait immédiatement un champ de revendications pour les nationalistes corses, par exemple. Quant aux Mahorais qui ne supportent plus les ghettos, les violences et les trafics, conséquences d'une extrême pauvreté, ils savent qu'il s'agit de les faire lanterner pour des raisons électorales. Cela va mal se terminer.

A dimanche prochain !

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Au moment où la Nupes s'est décomposée, un nouvel axe de recomposition se constitue : le Programme Fondamental. 

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