Les émeutes de banlieues suite à la mort de Nahel sont condamnables mais explicables. Le policier qui tire à bout portant sur un refus d'obtempérer est à la fois singulier et l'expression d'un corps d'État exaspéré, peu formé, en porosité avec la xénophobie du RN et donc gagné par le profilage racial. Il est structuré par le syndicat corporatiste "Alliance" qui profite de la rente sécuritaire, se déclarant "en guerre contre les nuisibles" et veut cogérer le ministère de l'Intérieur, d'où le silence du ministre à ce type de propos condamnés par le Secrétaire général et le bureau de l'UNSA qui avaient cosigné la formule. Les émeutes sont aussi singulières par leurs modes opératoires (les mortiers), mais l'expression maintenant classique de la haine de l'assignation à résidence de ces quartiers. Cette France des relégations se venge régulièrement de son état d'apartheid social avec une rage destructrice. Celle-ci est nihiliste, sans autre but que de casser, y compris les biens communs de ceux qui n'ont rien. Le fait de s'en prendre aux élu.e.s figure de proximité de la "société honnie" des Français, comme on dit dans les quartiers, est nouveau et démontre qu'il n'y a plus d'intermédiation, ni de police de proximité, ni d'association, ni de grands frères. Dans ces territoires relégués de la République, la déscolarisation, la drogue, la pauvreté, la précarité de masse, le communautarisme, la frustration devant les vitrines de la société de consommation débouchent sur un "no futur" revanchard.
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Pour Mélenchon, tout ce qui bouge est rouge. Pour Zemmour, tout ce qui bouge est bronzé. L'émeute sociale pour l'un, l'émeute raciale pour l'autre, et au milieu un président qui récolte l'angle mort de sa politique toute dédiée à la libéralisation de l'économie et à la "Jupiterisation" de sa pratique présidentielle. Le président a commis l'immense erreur de repousser le rapport Borloo qui évoquait à propos de ces quartiers "l'amnésie de la nation". Macron n'a pas non plus prêté attention à la tutorisation des enfants, comme le dit Boris Cyrulnik, ou aux systèmes d'aide juridique à l'enfance. Et quand il tire les conséquences des événements en disant "fini les subventions pour les quartiers", l'important ce sont les valeurs ; pendant que la présidente de l'Assemblée fait une déclaration volontairement ambigüe sur la fin du Ramadan à l'école. On s'inquiète au plus haut point de l'extrême droitisation ambiante. La droite et le RN sont en résonance avec Zemmour. À gauche, on vient de découvrir un peu effaré que Mélenchon ne veut pas faire société, mais faire du "peuple" un acteur émancipé chargé de la renverser. Il veut gérer les passions, ou plutôt les chevaucher, comme le propose sa mentore Chantal Mouffe. Le problème est que les émotions sont des jugements rapides et intuitifs capables d'occulter l'évidence factuelle. Et ainsi, Mélenchon rejoint Assa Traoré, qui a trouvé son slogan "pas de justice, pas de paix", repris par Clémentine Autain, et ce au moment même où le policier est mis en examen et écroué parce que les soupçons d'absence de légitime défense sont avérés, contrairement à ses premières déclarations. Bon, ce n'est pas faute d'avoir prévenu de la nocivité d'une gauche sous pavillon Mélenchon. Par contre, ce que ce dernier refuse de comprendre avec sa stratégie de rupture, ou Zemmour avec sa stratégie d'exclusion, c'est qu'elle pave le chemin de Marine Le Pen, car à force de créer le désordre, on récolte la demande d'ordre.
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Marine Le Pen est l'expression française de la vague nationale-populiste qui déferle sur le monde et particulièrement en Europe. Pendant que la gauche radicale recule en Europe (Portugal, Grande-Bretagne, Espagne, Grèce, Allemagne), le nationalisme d'exclusion se marie avec le populisme pour arriver au pouvoir ou progresser : Trump aux États-Unis, Netanyahu en Israël, Bolsonaro au Brésil, Modi en Inde, Orban en Hongrie, Meloni en Italie, comme hier Boris Johnson, sans oublier, comme nous l'avons déjà souligné, la Finlande, la Suède, l'Espagne, la Pologne, l'Estonie, et bien sûr, dans sa forme absolue, la Russie et la Chine, ainsi que de nombreux pays africains. Cette vague est née avec Berlusconi en Italie. Certes, la social-démocratie résiste tant bien que mal en Europe, alors que la droite est totalement contaminée. Mais pour combien de temps ? Cette vague national-populiste consiste pour l'essentiel à faire bouger le terrain politique sur les questions d'identité, faussant la perception de la racine du problème de nos sociétés, le capitalisme libéral, facteur d'un précarité de masse. Le national-populisme provoque et récolte les dividendes d'une peur existentielle mélangeant peur démographique ("on n'est plus chez nous") et peur sécuritaire, qui écrase la question sociale dans les discours sans la faire disparaître dans les faits. La clé d'explication du monde a basculé. La gauche, qui n'a vu ni la métamorphose de la question sociale (précarité de masse, rupture d'égalité), ni la demande d'autorité républicaine, est pilonnée par des groupes de presse comme Bolloré en France qui étayent tous les jours le triptyque insécurité, immigration, identité. La gauche est trop dominée par une gauche contestataire de type années 70 pour faire face. Tant qu'il n'y aura pas de renouveau doctrinal, la gauche sera un couteau sans lame. Pourtant, elle seule peut faire face ou barrer à l'extrême droite, Laurent Berger l'a démontré. En attendant, Marine Le Pen voit tous ses voyants au vert.
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La cagnotte de 1,6 million a été levée pour le policier auteur du tir mortel sur le jeune Nahel. Voilà le vrai permis de tuer.
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François Ruffin s'est tenu à distance de la foudre mélenchonienne à propos des émeutes de banlieues. Il est probable qu'il en tirera les fruits des sondages. Voilà qui va accentuer les tensions au sein de LFI. Pendant que les positions radicales et tonitruantes du leader de la France insoumise ruinent définitivement la liste commune Nupes aux Européennes. Olivier Faure tente de circonscrire le désaccord au seul refus de condamner les violences, tentant de sauver la Nupes. C'est le sens de sa résolution du BN du PS, où il répond à l'injonction de Mélenchon sur la loi légitime défense et de son débat avec Bompard et Tondelier au printemps des idées. Ou encore la banalisation de l'ostracisme vis-à-vis de LFI aux Sénatoriales. Mais le mouvement est en marche pour une liste autonome qui, si elle avait Bernard Cazeneuve ou François Hollande, voire un social-démocrate crédible comme tête de liste, serait en tête de la gauche et renforcerait les sociaux-démocrates européens. Ce qui, à la veille des municipales, marquerait un nouveau cycle. Il est peu probable qu'Olivier Faure accélère l'annonce qui marquerait l'autonomie et propose à ses adversaires internes de tirer la liste. Mais il a peu de choix et il se rabattra sur Glucksmann qui a déjà servi. Son hésitation tient tout à la fois à la nature très anti-Mélenchon (Ukraine, Ouïghours, Géorgie) de Glucksmann qui va accentuer la distance avec les Insoumis, et au fait que les Fauristes ne veulent pas porter seuls un résultat incertain.
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Benjamin Netanyahu profite des vagues d'attaques contre les Israéliens et des violences contre les Palestiniens de la part des colons juifs pour organiser une "opération spéciale" dans le nord de la Cisjordanie, dans le camp général de Jénine. 3 000 Palestiniens fuient le camp qui serait, selon le Premier ministre, le quartier général du terrorisme palestinien. Netanyahu tente ainsi de retrouver un peu de crédibilité auprès des Israéliens après la contestation de masse de son changement de régime où il voulait que le Parlement ait le dernier mot face à la Cour de justice et à l'exécutif, leur accordant les pleins pouvoirs. Mis en échec sur ce qui est un coup d'État, il doit ressouder son camp dans cette nouvelle offensive militaire contre les Palestiniens. Il sera très intéressant de voir si ce stratagème, qui met quand même des milliers de gens sur les routes, agace les Européens et les États-Unis et se trouvera couronné de succès dans les sondages.
À dimanche prochain.