Paix impossible, victoire improbable. C'est ainsi que pourrait se résumer l'état de la guerre en Ukraine. Les conditions de la paix sont devenues territoriales alors qu'autrefois elles étaient politiques. L'Ukraine avait obtenu son ticket pour l'Europe et la Russie les moyens de son glacis. Aujourd'hui, il est impossible que l'Ukraine accepte de s'amputer. Elle campe sur le respect de l'intégralité de son territoire. Il est également impossible que la Russie rende de gré la partie du Donbass conquise, et encore moins la Crimée. Pour parvenir à la paix, il faut que les deux parties intègrent l'idée qu'elles ne peuvent pas gagner. Poutine a transformé sa défaite stratégique en victoire tactique : "On tient le Donbass, on y reste". Il ne s'agit plus de gagner l'Ukraine, mais de ne pas perdre le Donbass. Et Zelensky ne peut déposer les armes qu'une fois les troupes russes repoussées dans l'Est. Malheureusement, le temps doit faire son œuvre. L'Ukraine peut enfoncer le front russe de trente ou cinquante kilomètres, mais pour l'emporter, il faut non seulement reconquérir les territoires perdus, mais aussi repousser les Russes au-delà de leur frontière. Est-ce possible sans un incident majeur de type nucléaire tactique ? Personne ne le sait, et qui peut prendre le risque ? De plus, les Russes, comme nous l'avions prévu en octobre, ont choisi de s'enterrer. Les récentes études de Brady Afrik, chercheur à l'American Enterprise Institute, ou celle du Royal United Service Institute, attestent que la BTM-3, capable de creuser 800 mètres par heure, a construit plus de 1000 kilomètres de tranchées sur 30 kilomètres de profondeur. Ce nouveau système de défense n'est pas infranchissable, mais au prix d'une saignée et de nombreuses contre-offensives dues au ralentissement de la percée. La Russie joue sur sa profondeur démographique russe, car elle est nettement supérieure à celle des Ukrainiens. Alors peut-on parier sur la querelle du sommet russe qui n'implique pas directement Poutine pour l'instant ? Peut-elle déboucher sur une crise ouverte ? Ce n'est pas certain, mais une défaite ponctuelle pourrait l'accélérer. C'est le but des incursions des groupes pro-ukrainiens russes chargés de créer le désordre dans les bases arrière à la frontière et, si possible, de "libérer" un territoire. L'effondrement pour l'agresseur russe contre l'usure des résistants ukrainiens. Tout annonce un conflit long. Lénine disait : "Dans la guerre, c'est le temps le facteur décisif", et là, tout est ouvert.

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Le succès de Zelensky au sommet du G7 a isolé diplomatiquement Poutine. Cela ne doit cependant pas faire oublier l'extrême réticence des BRICS à la position américano-européenne et l'ouverture de fronts secondaires élargissant le champ de la confrontation. Une illustration de ce "moment" est le refus de l'Afrique du Sud d'arrêter Poutine s'il venait au sommet des BRICS, malgré les demandes de l'opposition. Lula, quant à lui, se veut toujours neutre et souhaite intégrer le Venezuela de Maduro aux BRICS. Le conflit au Kosovo lors des élections des maires albanais, avec ses manifestations serbes qui dégénèrent en affrontements et font 30 blessés graves dans la KFOR (forces d'interposition de l'ONU), puis la mise en alerte maximale de l'armée serbe marchant vers la frontière avec le soutien de Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, et du tennisman Djokovic. On peut également mentionner le lancement du lanceur spatial nord-coréen, qui a provoqué l'alerte maximale à Séoul et au Japon, ainsi que le passage en mer de Chine du plus gros porte-avions chinois, suscitant l'inquiétude à Taipei. La ligne de feu a tendance à s'internationaliser, mais qui se préoccupe réellement de nos certitudes ?

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Quand on voit ce que fait Emmanuel Macron pour Zelensky et l'Ukraine au G7 ou au sommet en Moldavie, on se dit qu'il aurait fallu le faire dès le départ et construire une coalition nord-sud contre la guerre et l'invasion, plutôt que de mettre en scène le dialogue avec Poutine. Que de temps perdu...*

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De quoi François Ruffin est-il le nom ? Après l'échec de Jean-Luc Mélenchon lors des législatives, il a tenté, à l'instar de Michel Rocard à l'époque avec son appel de Conflans-Sainte-Honorine après la défaite de François Mitterrand en 1974, de marquer sa différence concernant l'abandon des classes populaires à l'extrême droite. Sur le plan idéologique, il se veut sans affiliation claire. Sur le plan politique, il est le plan B de Mélenchon, qui se réserve le droit d'être le plan A. Et sur le plan stratégique, il dépend stratégiquement de la Nupes (le récent rappel à l'ordre de Chikirou concernant sa déclaration "GPA n'est pas ma priorité" en témoigne). Mais sur le plan médiatique, il est encensé par Anne Sinclair et L'Obs, et a acquis une certaine reconnaissance dans le monde politique et médiatique. Les sondages ne sont pas ébouriffants, mais suffisants pour y croire ou le faire croire. Reste à savoir pourquoi et dans quelle stratégie il cherche à s'imposer... Et dans cette perspective, une simple protestation sombre ne suffira pas, d'autant plus qu'il n'affrontera pas directement Jean-Luc Mélenchon, et après Mélenchon, ce sera le trop-plein.

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Si l'enjeu des élections européennes est de faire face à la vague nationaliste en Europe, comme le confirme la récente percée de l'extrême droite Vox en Espagne, sans évoquer les sondages ou l’AfD en Allemagne qui fait jeu égal  avec le SPD, l'enjeu franco-français sera le maintien ou non de La France insoumise (LFI). Si LFI survit à cette échéance (avec une liste unitaire non labellisée LFI, par exemple), alors le piège se refermera jusqu'à la présidentielle. C'est LFI qui donnera le tempo de la présidentielle à gauche : soit avec une candidature unique de témoignage, soit avec des candidatures s'auto-marginalisant. Les réformistes qui multiplient les réunions parallèles doivent le savoir et en tirer les conclusions. La fédération des énergies, un nouveau programme fondamental, et la préparation d'une liste européenne hors LFI, avec ou sans la direction fauriste.

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La civilisation est un ensemble de traits communs à une société. La décivilisation est la perte de ces points communs. La décadence est un thème classique mis à l'agenda politique par Alain de Benoist et l'extrême droite dès le lendemain de la guerre d'Indochine. La Grèce en a fait un thème de colloque dès 1972 : "Contestation et décadence". Ce thème est donc usé jusqu'à la corde lors de la publication du livre apocalyptique de Michel Onfray, "Décadence", ou le récent ouvrage de Patrick Buisson, "Décadanse", tant il est vrai que pour l'extrême droite, "l'Occident danse sur un volcan". Elle voit dans la montée de l'immigration et de l'Islam la fin de la civilisation indo-européenne, judéo-chrétienne, ou tout simplement de la France, c'est au choix. La décivilisation est une variante sur le même thème déjà à l'œuvre dans l'affaire Dreyfus. La remise au goût du jour de ce concept, cette explication du monde par le président de la République, est à la fois trop et trop peu. Trop, car la désagrégation de la civilisation n'est pas acquise, d'autant qu'elle n'est pas hexagonale. Si le monde occidental a dominé le monde depuis le 14e siècle, il ne le domine plus. Est-ce pour autant une décadence ou une désagrégation ? Trop, parce que cet emprunt au concept de l'extrême droite ne permet pas de saisir la réalité. Il est faux de dire que nous vivons une intégration à la civilisation musulmane qui remplace la nôtre. C'est anticiper une défaite qui n'a pas eu lieu. Ce discours défaitiste et décliniste se veut un mythe fédérateur, pour parler comme Pierre-André Taguieff, mais au fond, il désarme et interdit de penser à l'état du monde. Mais trop peu, car ce concept-valise vise l'effet de souffle pour les tenants du grand remplacement, mais ne rend pas compte de la déconstruction républicaine et des dysfonctionnements de notre société. Ce ne sont pas principalement les normes d'un mode de vie qui sont en cause, mais les conditions sociales de ce mode de vie. Le précariat de masse, l'état social, le boom des inégalités et l'individualisme contemporain minent le consensus républicain et les références qui s'y rattachent. C'est à cela qu'il faut s'attaquer, pas à des moulins à vent.

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On ne régulera pas l'immigration dans un seul pays. La France est à la 16ème place en Europe dans le rapport immigration-population de souche, comme on se plaît à dire à l'extrême droite. D'autres pays sont beaucoup plus impactés. Il faut donc une gouvernance européenne pour bien accueillir, intégrer et reconduire les migrants, afin de contenir et gérer ce phénomène. D'autant que la deuxième grande vague migratoire arrive, qui ne sera plus seulement économique, mais d'abord écologique. Le réchauffement climatique poussera des millions de personnes (près de 32 millions) vers des zones tempérées. En laissant croire qu'il existe une solution dans un seul pays, on rend la victoire de l'extrême droite inéluctable.

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Pour offrir une alternative à Élisabeth Borne qui ne passerait pas par la dissolution, Darmanin veut faire adopter sa très droitière loi sur l'immigration grâce aux voix de LR, ouvrant ainsi la possibilité d'un gouvernement d'union ou de soutien sans participation. Le fait que ce glissement sur les terres de l'extrême droite légitime encore un peu plus cette dernière, qui gagne en crédibilité sondage après sondage, n'effleure personne. Jupiter commence par rendre fous ceux qu'il veut perdre.

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La loi emblématique du macronisme sur les retraites aura été une boucherie démocratique pour être bien notée par les marchés, qui viennent de dégrader la France.

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Le petit monde germanopratin est monté dans les cintres lors du petit discours de Justine Triet, lauréate de la Palme d'Or du Festival de Cannes. Qu'a-t-elle dit d'intolérable ? La marchandisation de la culture et le délitement de l'exception culturelle française ? Qui peut le nier ? La réforme des retraites injuste et la répression inacceptable ? En quoi cela était inexact ? Fallait-il le dire en ce lieu ? On nous dit "cela ne se fait pas". Nous sommes loin du moment où les mêmes se pâmaient devant Godard, Truffaut, Malle, Alain Resnais, Polanski et quelques autres, interrompant le festival de Cannes en 1968 en "solidarité avec les ouvriers" ne supportant pas "l'insouciance dans un tel climat". Alors on comprend que la ministre de la Culture sorte de ses escarpins. Mais pour attaquer l'esprit gauchisant en crachant dans la soupe, vu les subventions du gouvernement ! Cela fait un peu "culture du prince". Mais bon, c'est déjà de cela qu'on accusait les réalisateurs en 68. Au fond, cela ne leur a pas trop mal réussi. Et puis, lorsque Cannes éternue, c'est que la France est enrhumée.

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E. Macron recadre sa Première ministre à propos de sa caractérisation du RN de pétainiste sur Radio J. Est-ce juste ? Le RN est la version moderne du fascisme, de l'extrême droite des années 30. Il y a continuité et rupture, une filiation mais c'est autre chose. Le national-populisme contemporain fait appel aux mêmes ressorts du nationalisme d'exclusion, la même hantise du métissage que les courants fascistes de l'entre-deux-guerres. Mais devant l'impossibilité d'assumer politiquement l'Holocauste après la guerre (même si Le Pen a pu parler de détails de l'histoire), les refondateurs de l'extrême droite ont misé sur les 3 I : insécurité, immigration, identité. La stratégie de la banalisation s'est exprimée dès ce moment-là (même si elle avait débuté dès le testament de Brasillach, fusillé pour collaboration, avec son manifeste de la classe en 1960). Et c'est pour cela qu'on ne peut pas parler de fascisme. La xénophobie est toujours présente : "on est chez nous" ou la théorie du grand remplacement. Mais elle ne touche plus les juifs, mais les Arabo-musulmans et l'Islam. Quant aux idées de société corporatiste (Salazar), des faisceaux (Mussolini) et de la race supérieure et de la solution finale (Hitler), le refus de la République (la Cagoule) ou de la Révolution nationale (La Terre ne ment pas, Pétain), elles ont pratiquement disparu dans l'extrême droite électorale, même si elles subsistent sous forme de traces culturelles. Il s'agit donc d'une erreur de degré, de nature et de temps. Même si nous ne sommes pas à la veille de la marche sur Rome ou des camps de concentration, la dangerosité de l'extrême droite n'est pas moindre. Il y a une métamorphose qui ne rompt pas le fil de continuité, c'est la raison pour laquelle le RN reste l'extrême droite (j'ai gagné le procès que Marine Le Pen m'a intenté à ce sujet). Et donc cela ne nécessitait pas un recadrage public du président de la République, qui vaut tout à la fois absolution de la filiation, une onction présidentielle à la banalisation (franchement, un président ne devrait pas dire politiquement cela, et quel manque de tact vis-à-vis de E. Borne et de son histoire) ; mais aussi un aveu inconscient de Macron : il faut maintenant parler à l'électorat de droite déjà passablement lepénisé. Et Yael Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée, a tout de suite salué le travail du vice-président RN, Chenu. Enfin, il s'agit aussi de la manifestation symbolique et publique d'une fin de bail entre le président et sa Première ministre.

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Marine Le Pen jugée sous influence de la Russie dans un rapport parlementaire qu'elle a elle-même demandé. Ce n'est pas une découverte. Elle a été reçue par Poutine, a protesté (avec Mélenchon) devant le refus de Hollande de livrer les frégates vendues par Sarkozy à Poutine, et a soutenu l'annexion de la Crimée tout en ouvrant des comptes bancaires chez Orban, le meilleur soutien de Poutine en Europe. Son père faisait de même dans les banques russes à Chypre. Poutine a joué l'extrême droite nationaliste en France. C'est pour cela qu'un des proches du maître du Kremlin a acheté France Soir. Cela avait malheureusement été oublié, mais Marine Le Pen l'a heureusement rappelé.

 

A Dimanche prochain