Deux courants apolitiques et politiques cohabitent toujours chez les écologistes.
Les écologistes ont fait un long chemin depuis que Dominique Voynet et Yves Cochet triomphèrent dans un Congrès à Lille imposant l’écologie politique.
L’écologie apolitique, ni de droite ni de gauche de monsieur Waechter, était défaite par ceux qui voyaient l’écologie comme le nouvel Âge de la gauche.
Mais ces deux courants apolitiques et politiques cohabitent toujours chez les écologistes.
L’exigence face à l’urgence climatique n’est pas la même pour Hulot, qui s’allie avec la CFDT après avoir voté Hamon et qui deviendra ministre d’Emmanuel Macron, pour un Jadot qui se désiste pour Hamon avant de défendre une écologie de centre gauche, pour Piolle qui construit Cités en commun avec Anne Hidalgo mais refuse de faire l’union avec le PS à Grenoble tout en se rendant à l’université de Mélenchon puis à celle du PS, et pour Cécile Duflot, Bayou ou Cormand, plutôt proches hier des frondeurs du PS.
Là encore, le conflit est grand entre ceux qui veulent la rupture écologiste et ceux qui veulent la transformation écologiste.
Le parti socialiste est pour la transformation écologiste dans une gauche qui globalement a rompu avec le productivisme. Tout le monde a pris conscience de la finitude de notre monde, couplée à l’augmentation de la population mondiale, provoquant ainsi une crise inédite. Non seulement celle-ci bouscule nos modèles économiques, mais également ceux de nos idéaux, de nos représentations et potentiellement de « l’ère de l’humain ». Ce que j’ai appelé l’INTEGRITE HUMAINE.
Le parti socialiste a non seulement permis aux écologistes de travailler au pouvoir à la transition climatique mais à Marie-Christine Blandin de devenir présidente de Région et à ce que se constitue des groupes parlementaires. Et maintenant, les écologistes administrent de grandes villes.
Dans le même temps, le Parti Socialiste en 2014 a adopté une charte sociale écologiste dont il reste trace dans son logo. Les socialistes ont réussi, lors de la COP 21 à Paris, à déclencher une prise de conscience et des résolutions planétaires. Des maires comme Anne Hidalgo à Paris, sont à la pointe du combat écolo. Le Parti socialiste s’est associé aux écologistes lors des dernières élections présidentielles. Ce qui, au passage, les a sauvés de la déroute électorale et financière et a donc permis de continuer à exister. Le rapport de force était de 17% (socialistes avec Hamon) contre 1 % (pour Jadot) au moment des négociations de 2017. Le candidat socialiste leur a octroyé 65 circonscriptions tout en leur permettant d’être candidat partout, privant les socialistes d’une trentaine de circonscriptions aisément gagnables.
La domestication écologique et sociale de l’économie de marché est maintenant le credo de toute la gauche.
Pour autant, il n’a jamais été aussi difficile de s’unir. Cela tient à trois questions.
D’abord, il y a chez les écologistes une tentation substitutiste. C’est-à-dire une volonté de prendre la place du Parti socialiste comme pivot de la gauche. Prenant prétexte du recul électoral et militant du Parti socialiste qui est réel, observant un engouement bienvenu dans les métropoles pour le combat pour le climat, constatant que le Parti socialiste a été dominé lors des Européennes, il y a chez les écologistes un retour du refoulé : c’est maintenant le tour des écologistes disent-ils.
Pour être trivial, les écologistes de EELV voient une fenêtre de tir historique pour l’écologie dans le moment présent. Et donc ils ne conçoivent l’union que si elle est derrière eux. Ce fut le cas aux municipales. Au point même de se présenter au premier tour contre la liste citoyenne de l’écologiste Rubirola à Marseille ou de liquider la dynamique écologiste à Montpellier au prétexte d’une alliance avec La France Insoumise.
Et donc aucune alliance prévue dans les élections régionales, départementales ou présidentielles où la primaire est fixée fin septembre. (il manque un verbe dans cette phrase)
Bref, on nous dit : on choisit vous suivez ! Ce qui ne peut être accepté pour le reste de la gauche. Cela était déjà difficile à l’époque du bipartisme. C’est totalement injouable à l’époque du multipartisme.
Cela se présente mal. Le PS invita les leaders de EELV lors de son université d’été. Olivier Faure, lui, ne sera pas invité à celle des Verts. Alors qu’il avait été envisagé une université commune pour le « monde d’après ». L’appel à une plate-forme commune « initiative citoyenne » de l’ancien ministre frondeur Christian Paul et du directeur de la revue Alternatives Économiques, Guillaume Duval, visant à élaborer un programme commun fut accepté puis liquidé.
La porte d’une plate-forme commune se referme. Elle aurait pu permettre de désigner un candidat commun par des primaires communes. Une telle démarche éviterait la sortie de Jadot, s’interrogeant sur la nature des primaires réduites à l’écologie.
Le second désaccord porte sur l’écologie elle-même. Plus l’écologie est populaire plus les écologistes se radicalisent. Le courant, tenant soit de la décroissance soit de la rupture, est de plus en plus prégnant dans EELV.
Cette sensibilité souhaite rendre tout ou partie de la planète à la nature et que les humains s’effacent, réduisant leur présence et leur empreinte pour lutter contre un effondrement généralisé.
L’annonce de grandes catastrophes, de migrations climatiques, de pluies acides, de pénuries matérielles d’eau, de nourriture, d’énergie, de baisse de la fécondité ou de surmortalité, exige pour eux la décroissance.
La gauche estime qu’il faut s’appuyer sur des pratiques radicalement différentes des modèles de nos économies industrielles du XXème siècle : utilisation de ressources renouvelables, produits recyclables, culture raisonnée, agroforesterie vivrière etc.
Cette même gauche ne croit pas que la rhétorique de la peur, des contraintes, les approches punitives, les injonctions culpabilisantes soient la solution. Et ceci n’est pas une mince divergence car elle a des conséquences pratiques.
Le débat idéologique, et parfois même programmatique, porte donc sur le programme de transition écologique ou un programme de rupture écologique. D’autant que ce dernier, au nom de la lutte immédiate contre le modèle anti-nature, fait souvent la part belle à une idéologie anti-progrès.
Lorsque David Cormand, ancien patron de EELV, et sûrement le moins sectaire, dit « aujourd'hui réduire l’innovation technique à un vecteur de progrès humain c’est de l’obscurantisme cela relève de la croyance », il y a une inquiétude et une erreur d’analyse.
Il n’est jamais bon de s’attaquer au progrès. Et le progrès n’est pas réductible à la technophilie. Ce courant qui était présent au XVIIIe siècle n’avait pas la prégnance qu’il aura dans un marxisme mécanique d’origine post révolution russe. La social-démocratie dans la lignée de Jaurès et Blum était un humanisme. Tout en reconnaissant le progrès scientifique misait, comme lors du siècle des Lumières, sur le progrès moral ou le progrès des connaissances. La social-démocratie, qui a vu, il est vrai tardivement, la question écologique, n’est pas un saint simonisme qui voulait établir un lien mécanique entre industrialisation et progrès social. Dès 1990, j’expliquais ceci dans une tribune dans Le Monde.
Par ailleurs, si tout progrès technique est un obscurantisme alors la 5G est à condamner sans autre forme de procès. Martine Aubry a la bonne attitude en laissant le débat se mener. Les avions sont à condamner, les aéroports à fermer, le tourisme et le commerce à prohiber. Les centrales nucléaires sont à fermer même s’il s’agit de l’énergie la moins polluante. Alors que le sujet est la recherche pour l’avion vert,. Alors que le sujet est les déchets, l’automobile est l’ennemie alors que la question est la mutation vers l’hybride, les moteurs hydrogène, a commencé par les transports publics.
Le grand débat que devrait porter une gauche social-écologique, est celui de la ville de demain à savoir l’aménagement des bassins de vie, de production et de consommation de façon plus vertueuse et localisée.
Cette révolution ne peut se faire, sans intégrer à ce nouveau développement humain durable, l’apport de la révolution de l’immatériel. Il ne s'agit pas de tomber dans la radicalité technologique ou dans l’hybridation machine-vivant mais du bon usage de la science et du progrès technique au service de la lutte pour le climat.
Il reste enfin le désaccord sur la question républicaine. Cela ne veut pas dire que les écologistes ne sont pas républicains. Mais qu’ils ne prêtent pas la même attention que nous à la République en général et à la République impartiale en particulier.
À chacun sa matrice, la leur est plus libertaire que la nôtre. Ils furent à la pointe de bien des combats dans l’extension des libertés. Ce n’est pas leurs faire injure que de dire qu’ils n’ont pas le même rapport au régalien. Cela n’avait pas la même importance dans une époque revendiquant de vivre et de jouir sans entraves et dans une époque où la demande de protection de l’intégrité humaine est devenue la forme de la contestation des sociétés insécurisées et inégalitaires.
Mais, ce n’est pas le seul sujet républicain. L’insoumise Manon Aubry a vendu la mèche dans le tweet devenu célèbre : « la discussion que j’aie eu avec David Cormand aux journées d’été écologiques fait beaucoup réagir. En cause notre accord sur le fait que la mise en œuvre d’une politique écologique implique la réduction de certaines libertés ».
Nous sommes loin du « il est interdit d’interdire » cher à Dany Cohn Bendit et à son mouvement du 22 mars 1968. Sans endosser la devise libertaire, la remise en cause des libertés pour un projet politique, n’est pas sans rappeler la dictature du prolétariat pour accéder au socialisme.
Certes, pour combattre la pandémie de la Covid-19, nous avons dû nous priver de libertés. C’est une nécessité sanitaire qui fut imposée. Mais ériger en axiome politique la réduction des libertés pour la réalisation de la politique écologique, représente un basculement dans un illiberalisme écologique.
Le courant écologiste est ainsi sujet à des embardées entre urgence et nécessité. Décroissance, ruptures, injonctions, les premiers pas des maires écologistes ont provoqué quelques remous.
Et pas seulement le pataquès autour de la participation à la manifestation controversée contre l’islamophobie en novembre 2019 ou, le débat au conseil de Paris sur l’octroi d’une rue commémorative à Samuel Paty, voire de la polémique autour d'Alice Coffin et de Raphaëlle Rémy - Leleu et les banderoles contre la majorité de gauche « bienvenue à pedoland » ou « Pedo en commun » lors d’une manifestation devant l’Hôtel de ville de Paris.
Il serait ridicule de dire que ces manifestations reflètent la pensée écologiste ou même l’électorat. Mais elle indique que les écologistes se veulent porte-paroles des différences.
Ce n’est pas un problème en soi dans une République impartiale de prendre en compte des minorités. Bien au contraire, mais à condition que cela ne devienne pas une tyrannie.
Le récent épisode autour de la manifestation contre la loi sécurité globale indique la friabilité de nos amis écologistes.
Après avoir manifesté, à juste raison, sa réprobation « des images horribles de lynchage de policiers à Bastille », Julien Bayou, le Secrétaire national de EELV, est pris à partie par la militante indigéniste Amandine Gay qui estime que le terme lynchage est réservé aux noirs et que l’appliquer aux blancs, c’est une tentative « d’effacer l’expérience et les souffrances des personnes noires », et encore mieux d’ajouter « le problème ( d’EELV ) c’est de continuer à faire comme si la suprématie blanche commençaitt avec le RN. La suprématie blanche est un continuum auquel vous appartenez », et Bayou de s’excuser d’avoir employé ce terme. (je n’ai pas bien compris la citation)
La République n’est pas l’addition de minorités, fussent-elles opprimées et dans ce cas en but à un racisme qu’il faut combattre. Le fait qu’un parti qui se fixe de gagner la prochaine présidentielle, en tout cas d’être le pivot d’une future gauche, en rabatte devant les injonctions indigénistes, est un sujet en soi.
On ne peut confondre la lutte contre le racisme, l’égalité réelle contre les obstacles à la représentation de toutes et tous dans la société et l’idée d’une France coupée entre suprématie blanche de l’extrême droite à l’extrême gauche. Et les noirs là encore, sont conçus comme un bloc indifférencié.
Évidemment, ces débats ne sont pas des obstacles au combat pour l’union. À condition qu’il y ait combat en toute clarté. On peut, on doit faire des compromis. Mais il faut mettre des lignes rouges et ne pas avoir peur de les assumer devant l’opinion.
N’est-ce pas ce que fit Léon Blum en 1936, Mitterrand en 1981. Les désaccords portaient sur la nature même de la société entre socialistes et communistes. C’est ce que fit aussi Lionel Jospin avec la gauche plurielle, refusant, par exemple, de céder sur le nucléaire.
Entre les écologistes identifiés à l’écologie et la France insoumise porteuse d’une radicalité sociale, il y a un républicanisme de gauche qui défend un nouveau contrat social-écologique. Et qui ne se cache pas derrière son petit doigt.