Ouverte par les Gilets jaunes, mais déjà sous-jacente dans les mouvements sociaux à propos de la loi travail, la question sociale va surgir, casquée de mille colères, le 5 décembre. L’appel de la coordination des ronds-points des gilets jaunes à rejoindre cette grève générale des transports reconductible, va rendre visible cette question sociale.

Depuis des années, elle est relativisée au profit des déficits, de l’investissement des entreprises, de la sécurité, de l’immigration, du défit climatique.

20 ans après...La question sociale est de retour. Non qu’il n’y ait pas eu de mouvements sociaux ; novembre décembre 1995 ébranla, en effet, le pouvoir chiraquien. Mais ceux-ci n’étaient pas politiquement structurant ou idéologiquement matriçant.

Le retour du social va être à la lutte, voire se combinant, avec deux grands traits dominants nos préoccupations contemporains : la préférence nationale et la question climatique.

La mutation du capitalisme industriel en capitalisme immatériel s’accompagne de la toute-puissance du libéralisme financier, l’affaissement de l’État social sous la double emprise du modèle anglo-saxon et de l’extension planétaire du marché après l’effondrement de l’URSS et la conversion de la Chine a l’économie administrée de marché. Ces tendances lourdes laissaient peu de place à la question sociale.

Mais ce cycle, qui a vu l’émergence d’une classe moyenne planétaire, basée sur une consommation de masse, s’enraye.

Les couches moyennes s’appauvrissent, leurs dettes augmentent, leur pouvoir d’achat se réduit et leur consentement à l’impôt s’amenuise, alors que la richesse se concentre dans une nouvelle aristocratie financière. Et la relégation, le déclassement, la pauvreté, elles s’accumulent à un autre pôle. Et ceci, quels que soient les pays et leur degré de richesse.

Les États mis à mal par quarante ans de libéralisme sont délégitimés dans un monde où les GAFAM et les oligarchies planétaires règnent en maîtres.

Le cycle infernal de la rentabilité financière à deux chiffres, libèrent toujours un peu plus de capital qui trouve toujours moins de possibilités à s’investir avec un tel ratio.

Ceci fait le bonheur des États qui s’endettent finançant ainsi leur dérégulation sociale et la nouvelle économie : les start-up, par exemple, dont la rentabilité financière reste à démontrer pour nombre d’entre elles.

Ce dérèglement du capital s’accompagne d’un démembrement du social sur fond d’un toujours moins. La protection sociale arrachée au capitalisme industriel, est idéologiquement combattue comme un obstacle à l’accumulation ou une servitude dans la libération du capital, les derniers gagnants de la dérégulation faisant la leçon aux perdants au nom de cette idéologie.

Mais le toujours moins ne provoque aucun cycle de croissance, comme ce fut le cas dans les 30 glorieuses, où elle finançait infrastructures et protections sociales. La faible croissance est non seulement pauvre en emplois, mais s’accompagne d’une pression sur les salaires. Et nos infrastructures ne sont ni modernisées, ni entretenues. Il suffit de jeter un regard sur le champion européen allemand, champion du laisser-aller dans l’investissement des infrastructures, de la précarité du travail et des sous salaires.

Dans le même temps, la tendance non seulement à la lutte, mais à l’explosion sociale fait son retour. Elle était très présente dans les trente glorieuses. Elle revient avec force dans la dérégulation.

La planète est couverte de conflits de toutes sortes, de protestations de masse, et de colères endémiques. Elles s’accompagnent d’un retour de la violence ou les guerres le disputent aux explosions sociales. On manifeste à nouveau pour tout. L’époque est irascible et à la confrontation sur tout. En France, l’irruption spectaculaire des gilets jaunes et sa violence gagnante, avec 10 milliards d’euros à la clé, ont fait sens.

Petit à petit, tous les secteurs se sont mis en mouvements sur ce que l’on veut appeler les intérêts catégoriels.

L’incompréhension est à son comble. Le pouvoir macroniste pense avoir été mandaté pour l’adaptation au modèle anglo-saxon, alors que le peuple a voulu balayer la vieille classe dominante convertie au libéralisme et incapable de le protéger. On aurait pu penser que la hausse du carburant déclenchant les Gilets jaunes aurait converti le pouvoir à la prudence dans la marche forcée à la dérégulation. Il n’en a rien été. Emmanuel Macron a versé dessus l’essence de la réforme des retraites, et craqué l’allumette de la dérégulation de l’assurance chômage.

Rien à perdre, voilà ce que j’entends dans mon périple de signatures de mon livre. Un étudiant s’immole par le feu, et personne ne l’a pris comme un avertissement majeur. Personne ne s’est rappelé qu'un jeune vendeur de fruits Mohammed Bouazizi s’immolait et annonçait la révolution tunisienne. Certes, les conditions de la France n’ont rien à voir, mais le signifiant est aussi violent que le signifié : rien à perdre.

On reste d’ailleurs interdit de voir aucun membre du gouvernement ne venir à son chevet. Et le président de la République de philosopher sur la part insondable du geste… Quelle faute psychologique ! Presque autant que l’étonnement présidentiel à la sortie du film « les misérables », évoquant la nécessité de se pencher sur ce monde inconnu.

On aurait voulu manifester une surdité au malheur, une élite coupée des blessures du monde que l’on ne s’y serait pas pris autrement.

La question sociale est de retour : salaires, protection sociale, précarité, pauvreté, logement, chômage, retraites ...

Mais Il ne faudrait pas pour autant faire un contresens. En absence de renouveau à gauche, d’une redéfinition, d’un espoir d’espoirs, il n’est pas certain que ceci alimentera cette dernière.

Il n’est pas sûr que cela renforce le combat pour l’extension des libertés ou de la défense du climat, voire une autre politique économique et sociale.

Tout au plus, cela va amplifier encore le rejet du pouvoir, et rendre, peut-être, un petit peu moins prégnant la question écologique aux municipales.

Mais nous l’avons indiqué, le retour du social est concomitant à la domination idéologique de la préférence nationale.

Celui-ci s’accompagne d’un nationalisme plus ou moins xénophobe et d’un populisme largement majoritaire dans les têtes et dans les urnes.

Il y a un cocktail explosif qui ne profitera pas mécaniquement à la gauche.

Déjà nous percevons des signaux faibles de désespoir à gauche. Qui ne voit que le reflux est grand dans le militantisme ou la transmission d’une culture progressiste fondée dans la révolution française ? Qui ne voit les pertes de repères sur la République, le vivre ensemble ou de réflexes sur l’État social ? Qui ne voit enfin la montée de la demande d’un pouvoir fort réglant tout à la fois la question sociale et identitaire ?

Car l’aspiration à un vivre mieux maintenant, tout de suite, peut prendre des formes multiples.

Nul ne sait si elle sera gangrenée ou provoquera un cœur nouveau, ni quel en sera le contenu.

En tout cas, le retour du social est là, comme une plaie béante à l’aine de la société, et Emmanuel Macron ne sait comment la conjurer.

Et la gauche ?


 

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