Les signes ne trompent pas. L’Élysée multiplie les confidences. Le président aurait été réticent à l’annonce sur l’âge pivot « D’ailleurs, ce n’était pas dans ses propositions de campagne » nous souffle-t-on. L’image, reprise par les médias, est celle d’un Édouard Philippe incarnant une ligne dure, anti CFDT, garante des équilibres budgétaires et de l’image réformiste de droite. 

Emmanuel Macron n’a pas à s’en plaindre. La position semble solide : réforme historique et moyens de la financer. L’exécutif est protégé par le double bouclier d’une majorité aux ordres et de l’impossibilité de renverser le gouvernement. Une fois les policiers rassurés, même au prix d’une concession qui est un accroc dans la logique de convergence des régimes spéciaux, l’exécutif attend que l’opinion se retourne, fatiguée par les heures de bouchons et de trains annulés. La victoire est à portée de la main. Une victoire à la Thatcher contre les mineurs ou à la Reagan contre les aiguilleurs du ciel. 

A cette étape, l’électorat de droite est favorable à l’idée de martyriser les régimes spéciaux, voire autonomes. Édouard Philippe y a ajouté les parlementaires, principalement les sénateurs. Un peu d’antiparlementarisme ne fait jamais de mal dans ce genre d’affaire. Les sondages, à défaut d’être bons, sont très « droite – gauche » et l’exécutif est le champion de la droite.

Reste à savoir si cette adhésion est conjoncturelle ou structurelle. Si la droite électorale a adopté Emmanuel Macron, comme hier la gauche le fit avec Mitterrand, ou si elle soutient certaines réformes dans l'attente d'une offre nouvelle à droite. 

En attendant, la communication de l’Élysée envoie un message clair et net. Si ça passe, c’est la réforme Macron. Si ça cale, c’est la réforme Philippe : Et à ce dernier le rôle de fusible. Cela n’a pas échappé au camarade Le Drian qui accueille ce week-end .... Laurent Berger à la fondation de son parti progressiste breton.

Car la « dérobade » de la CFDT complique terriblement l’exercice. 

L’exécutif était persuadé que la réforme par point portée par la CFDT, la clause jeune grand-père pour les régimes spéciaux, la règle du point en or dans la loi, la cogestion de celui-ci, et les mesures d’accompagnement, bref une certaine dévitalisation de la réforme, auraient raison des syndicats réformistes et principalement de la CFDT.

Pour le ministre Delevoye, réduit au silence par une affaire opportunément révélée avant les annonces, tout devait rouler et l’âge pivot, pardon l’âge de référence était somme toute de passer actuellement de 63,4 à 64 dans 5 ans. Il n’y avait pas de quoi, pour le gouvernement, effaroucher une centrale syndicale qui voyait son projet, comme hier les 35 heures ou la pénibilité, accoucher sur les fonts baptismaux. 

Mais l’exécutif manque singulièrement de psychologie sociale. Son cynisme technocratique oublie la dimension humaine. À force de se moquer de la politique, à la fin elle venge.

Lorsqu’un syndicaliste comme Laurent Berger dit : il y a une ligne rouge, c’est qu’il y en a une. 

Le refus de lier la réforme systémique et paramétrique est ce qui distingue pour Laurent Berger la réforme progressiste et la réforme de droite libérale, ce qui distingue l’aiguillon social du paravent gouvernemental. Derrière la réforme paramétrique, il y a tout simplement l’idée que les salariés, ne sachant leur niveau réel de retraite qu’au moment T de leur liquidation, les plus fortunés auront recours à une retraite complémentaire privée. Un cheval de Troie difficile à assumer.

Les deux questions, absence de l’âge pivot et la clause grand-père pour les cheminots, étaient liées, pour obtenir la bienveillance des syndicats réformistes. Le gouvernement qui ne pratique pas le compromis pensait que la CFDT, l’UNSA, la CFTC, s’assiéraient dessus. 

La récente réforme de l’allocation chômage qui a touché les plus fragiles fût caractérisée par Laurent Berger comme « une tuerie ». Pour le leader de la CFDT, c’était une logique budgétaire sur le dos de chômeurs. Il n’en décolère pas. Cette décision l’a complètement échaudé. On ne peut réprouver la logique budgétaire pour les chômeurs et l’accepter pour les retraités. Et donc la mesure sur l’âge pivot fut non seulement jugée injuste mais la cuillérée de goudron dans le baril de miel.

On se demande encore pourquoi personne n’a vu cela.

Non seulement l’exécutif demandait à la CFDT de le soutenir mais à ses conditions.  

Il y a une raison très politique à cette absence de sens politique. Macron doit conforter son OPA dans la droite électorale plus que favorable à une réforme paramétrique. 

Il fallait un symbole fort pour cet électorat et le soutien du Medef à la réforme. Il est vrai que le Medef, lui est aux abonnés absents depuis qu’il fut le grand oublié du mouvement des gilets jaunes.

La mesure symbolique et bien réelle, annoncée, la CFDT basculait dans la mobilisation en prenant soin de ne pas condamner la réforme par points.

Alors tout ce qui compte comme macroniste médiatique s’est mis à répéter « vous ne m’avez pas compris ! Le premier ministre est ferme sur le fait de ne pas être fermé ». 

Évidemment, la perspective de la convergence physique de tous les syndicats le 17 décembre ne réjouit pas trop l’exécutif. La journée sera puissante et elle va entraîner de la mobilisation. Des signes de radicalisation sont perceptibles avec l’annonce de la grève à Noël. Le pourrissement est en marche et dans ce jeu, Emmanuel Macron a plus à perdre que les syndicats. Alors, on négocie dur. La voie de sortie n’est pas simple et quelqu'un va manger son chapeau. Car c’est réforme avec l’âge pivot ou réforme sans âge pivot.

Quant au lissage de l’âge pivot préconisé par la CFTC, on ne garde pas à vie le malus et le niveau de pension calculé en fonction du nombre de liquidation l’année de la prise de retraite, cela reviendrait à faire sauter l’âge pivot. 

Le président a pris soin de dire qu’il s’exprimerait le moment opportun laissant toutes les portes ouvertes. Habileté présidentielle, c’est certain ! Mais le mouvement social le ressent comme une faille et la CFDT comme une opportunité. Elle mine donc la marge de manœuvre d’Édouard Philippe. Certes il est soutenu par le président. Mais enfin, « on vous le dit, Édouard a un peu tordu le bras du président ». 

Nous sommes entrés dans le « Money time » : jeudi prochain plus personne ne contrôlera rien.


 

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