L’ENTRETIEN POLITIQUE. L’ancien premier secrétaire du Parti socialiste, qui travaille à un nouveau programme de la gauche sociale-démocrate, souhaite que le PS s’éloigne définitivement de la Nupes.

Propos recueillis par

Jean-Christophe Cambadélis n'est plus député, encore moins premier secrétaire du Parti socialiste, mais il reste actif. Au sein du Lab de la social-démocratie, l'ancien leader étudiant passé par le trotskisme a œuvré à la rédaction d'un programme qui vise à rénover les idées d'une gauche sociale-démocrate. Comprendre : une gauche réaliste, laïque, républicaine, qui transforme le capitalisme sans le jeter aux orties.

Ce travail sera présenté le 2 octobre, avant d'être mis à disposition des clubs et partis qui gravitent à gauche, du PS à la Convention de Bernard Cazeneuve en passant par le Parti des radicaux de gauche. Avec un mot d'ordre, qu'Olivier Faure n'est pas (encore ?) prêt à entendre : la Nupes est dépassée, la gauche doit se reconstituer ailleurs, sur un autre socle.

Le Point : Le PS comme le PCF ont refusé de participer à la manifestation ce samedi 23 septembre, organisée à l'appel notamment de LFI, contre le « racisme systémique » et les « violences policières ». Approuvez-vous cette décision ?

Jean-Christophe Cambadélis : Oui, et le fait que le bureau national du PS ait décidé à l'unanimité de ne pas s'y rendre est pour moi décisif. Après le refus de constituer des listes communes pour les sénatoriales avec LFI et le refus d'une liste de la Nupes aux européennes, cette nouvelle décision marque le retour de la liberté de jugement et la fin de la mélenchonisation des esprits au Parti socialiste. Cette manifestation avait l'apparence d'un rejet des violences policières. Elle a une réalité : l'émergence d'un pôle des radicalités autour de LFI. Il s'agit pour le triumvirat Mélenchon-Panot-Bompard de coaliser toutes les contestations autour d'un triptyque : « la police tue », « le racisme est systémique », « la répression est systématique ». Le gouvernement d'Emmanuel Macron a une très grande responsabilité dans la dégradation de la situation politique et la mise sur orbite de Marine Le Pen pour la présidentielle, mais ce n'est pas en organisant la gauche autour des thèmes de l'ultra gauche que l'on rassemblera les Français. Je remarque d'ailleurs que la radicalité des mots d'ordre a fracturé le front syndical, qui avait été remarquable dans le combat contre la retraite à 63 ans.

Êtes-vous d'accord avec LFI qui critique le côté monarchique de la visite de Charles III et la présence du président de la République à la messe du pape François ?

J'observe que la République est plus attentive et déférente vis-à-vis du roi d'Angleterre, ce qui ne me choque pas, que vis-à-vis du roi Mohammed VI. Ceci explique aussi les difficultés à venir en soutien du peuple marocain. Le mépris appelle le mépris. Quant à la visite pastorale du pape François, la présence du président de la République ne s'imposait pas. En 1996, Jacques Chirac n'avait pas assisté à la messe célébrée par Jean-Paul II. Il avait distingué la visite du chef de l'État du Vatican de la mission pastorale. Le président Macron devrait être plus attentif aux symboles en politique. On ne peut interdire, à juste raison, l'abaya, et donner l'impression que la République adoube la religion catholique. On ne peut agir dans un pays au bord de la crise de nerfs sur ces sujets en disant : tel est mon bon plaisir.

Vous saluez le cheminement du PS hors de la Nupes. Mais si les socialistes réalisent un mauvais résultat aux européennes, n'aurez-vous pas l'intention de revenir dans son giron ?

Évidemment, si nous faisons une campagne honteuse, le résultat sera honteux. Si sans arrêt nous donnons des gages à la gauche militante mélenchoniste, nous n'attirerons pas la gauche européiste, nous ne fédérerons ni les déçus du macronisme, ni ceux du mélenchonisme.

À vos yeux, l'heure a sonné pour un PS indépendant des autres forces de gauche ?

Non. Il faut réunir la famille divisée par la Nupes. Il faut unir les sociaux-démocrates, les socialistes, les républicains, les démocrates de gauche, les radicaux, afin de rejoindre la grande famille des sociaux-démocrates européens. Le refus du PS de s'unir avec la Convention de Bernard Cazeneuve n'a aucun sens. L'entre-deux n'est pas une option. L'enjeu est de faire face à la plus grande vague nationaliste de l'histoire de l'Europe, alors qu'elle est confrontée à la guerre en Ukraine et à l'inflation. La gauche sociale-démocrate doit retrouver sa place, la première, en jetant la querelle à la rivière. Il faudra ensuite rebâtir la doctrine de la gauche de gouvernement et construire une nouvelle stratégie, celle qui vise à réunir sur une nouvelle offre les électeurs venant du macronisme et ceux qui viennent de chez Mélenchon, ainsi que les abstentionnistes de gauche. Enfin, sur ce pilier reconstruit, nous proposerons de rassembler la gauche pour rassembler les Français.

Vous publiez début octobre un programme fondamental, en référence au programme fondamental du SPD allemand de 1959 préfigurant son fameux congrès de Bad Godesberg. Il s'agit de la nouvelle doctrine que vous venez d'évoquer ?

Je ne fais pas cela seul. C'est le travail de plusieurs années de réflexions engagées par des personnalités de gauche telles que Laurent Joffrin [ex-patron de Libération et du Nouvel Obs, NDLR], Jean-Pierre Balligand [ex-député PS], Michel Destot [ex-député PS et maire de Grenoble] et leurs clubs respectifs. Ils se sont coordonnés pour réfléchir et proposer, dans le cadre du Laboratoire de la social-démocratie, trente ateliers, qui ont produit un document de près de 400 pages. Patrick Vieu et le bureau du Lab en ont tiré un programme, « Le pouvoir d'agir », présenté le 2 octobre.

Quel est le fondement de ce texte, et que visez-vous ?

Laissez mes amis vous le présenter dans quelques jours. Mais notre raisonnement de départ était le suivant : nous ne croyons ni à la théorie du balancier, selon laquelle les Français reviendront mécaniquement vers le PS une fois l'épisode Macron passé, ni à celle de la différenciation maximale pour catalyser les colères. Par ailleurs, nous ne pensons pas pouvoir aborder les problèmes d'aujourd'hui avec des concepts des années 1980, eux-mêmes forgés dans les années 1960. Il faut rompre avec la gauche d'hier, qui oppose les tenants de l'accompagnement du libéralisme avec ceux qui veulent la rupture. Nous voulons un programme des communs qui ne soit ni social-libéral, ni populiste de gauche. Nous voulons, maintenant que l'autonomie stratégique du PS est retrouvée, une doctrine pour une nouvelle société : la démocratie sociale et écologique. Vous verrez, nous n'éludons aucune question. La nouvelle gauche, c'est celle qui tranche.

Jean-Luc Mélenchon a très clairement indiqué qu'il ne signerait jamais un programme qui n'aurait pas pour but la rupture avec le libéralisme…

Nous ne nous déterminons pas par rapport à lui, mais en fonction de ce qui nous semble juste pour les Français. Excusez notre prétention, mais nous voulons suivre la voie du SPD : au creux de la vague en 1959, il est devenu une référence pour la social-démocratie. Jean-Luc Mélenchon nous a dit qu'il n'aimait pas la gauche, en tout cas qu'il ne la respectait pas. Pour lui, les socialistes sont des « mignons », les écologistes, des « jardiniers », et les communistes qui ne préconisent pas la rupture, il ne sait pas ce que c'est… Au passage, la caractérisation de Doriot – c'est-à-dire fasciste – pour le patron des communistes est insupportable [selon la députée LFI Sophia Chikirou, « Il y a du Doriot dans Roussel », NDLR]. Le PS aurait dû réagir. Le patron de La France insoumise a ajouté qu'il était contre une primaire de la Nupes. Et comme vous l'avez évoqué, il a terminé son week-end de clarification en disant à peu près : « La plateforme commune est impossible sans la rupture avec le capitalisme libéral. » Je n'étais pas favorable à la Nupes, mais cela s'appelle « l'adieu à la Nupes ». Maintenant, pour Mélenchon, c'est « l'union derrière moi ou sans moi » !

Qu'est-ce qui explique cette embardée vers plus de radicalité ?

Jean-Luc Mélenchon a suivi de près le dernier congrès du PS. Car, comme il le disait à juste raison, la Nupes sans le PS, ce n'est plus la Nupes. Il a constaté que les fauristes n'avaient pas écrasé le match, contrairement à ce que beaucoup pensaient ou pronostiquaient [Olivier Faure est désormais minoritaire au bureau national du PS, NDLR]. Cet événement politique a porté un coup décisif à la Nupes, ouvrant le chemin à la sécession des écologistes aux européennes et à l'opposition frontale des communistes. L'éclatement de la Nupes était inscrit dans le congrès de Marseille du PS. Il faut donc que LFI puisse obtenir le premier score du petit bain de la gauche aux européennes pour être maître de la suite aux municipales et à la présidentielle. Mélenchon cherche donc à coaliser les radicalités pour mieux exister. Il pense de surcroît que nous allons à l'affrontement avec l'extrême droite ou avec une droite dure lors de la prochaine présidentielle. Il anticipe le coup de barre à gauche que ceci pourrait provoquer. Enfin, excusez cette touche politicienne, cela permet aussi à Mélenchon de tenir tous les Insoumis dans son cadre, ce qui lui garantit de pouvoir choisir son candidat à la présidentielle.

Édouard Philippe, Gérald Darmanin ou encore Bruno Le Maire se préparent tous à succéder à Emmanuel Macron. Lequel vous semble posséder le meilleur profil pour l'emporter en 2027 ?

La fin d'Emmanuel Macron, c'est la fin du « en même temps ». L'équation originale d'Emmanuel Macron ne perdurera pas. Vous citez des candidats de droite raisonnablement de droite, mais de droite. Elle est divisée en au moins trois ou quatre tronçons. On ne sait comment le candidat macroniste sera désigné, on sait en revanche qu'il aura un bilan, sans la force propulsive du Macron de 2017. Nous savons surtout que la vie politique va de plus en plus se polariser autour de la question suivante : « Qui peut battre Marine Le Pen ? »

Lequel en est le plus capable, donc ?

Un candidat social-démocrate ! En tout cas un candidat de centre gauche suffisamment à gauche pour catalyser cet électorat, dont une part est située dans l'extrême gauche ; un candidat suffisamment responsable pour ne pas effaroucher l'électorat centriste, qui n'ira pas derrière Marine Le Pen. Car il ne faut pas perdre de vue que le pays ne va pas bien. Il est de plus en plus nationaliste mais n'aime pas ce qu'est devenue la France. Il voit dans les élites des classes dangereuses, il a des fins de mois qui durent un mois, la précarité est son quotidien avec son cortège de chômage et de vie chère. Il ne supporte plus l'inefficacité économique, sociale, sécuritaire ou migratoire, avec toujours plus d'impôts à payer. Il est illusoire de penser que, si second tour il y a, la continuité macroniste est la solution. La théorie du troisième mandat d'un Macron sans Macron ne peut l'emporter face à Marine Le Pen et ses chats. L'équation est simple : soit c'est une candidature de centre gauche fondée sur une nouvelle doctrine, soit c'est Marine Le Pen. Autant dire que nous n'avons pas le temps de nous amuser.

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