Un défi pour la France
Marine Le Pen a décidé de reconquérir le terrain sondagier perdu sur Zemmour en remettant l’insécurité à l’ordre du jour.
Le ministre de l'Intérieur, Gérard Darmanin, lui répond pour mieux alimenter le débat.
Tant il est que l'ethnicisation de la sécurité permet, tout à la fois, de bordurer la question sociale et de préparer la venue d’Emmanuel Macron comme bouclier contre l’extrême droite.
Pour autant, la Police dans la République, la Police pour la République, la sécurité républicaine, bref… la question de la sécurité ne saurait être abandonnée par la Gauche.
Nous allons essayer de présenter dans ce texte ce que serait une sécurité républicaine contre la conception sécuritaire de la société et sa lecture ethnique.
Les nouvelles formes de délinquance
Le monde change, la France aussi, dans les 10 prochaines années, le pays connaîtra des changements d’échelles multiples :
• Changement démographique, avec un accroissement sensible de la part des seniors, dans une France plus peuplée et plus diversifiée.
• Changements sociétaux, avec le décrochage prévisible d’un nombre croissant de quartiers populaires et de territoires ruraux confrontés au chômage, à la fermeture des services publics, au départ des petits commerces …
• Changement des comportements criminels liés à l’évolution du terrorisme, au développement des bandes ou encore à l’utilisation par les malfaiteurs des ressorts de la mondialisation et des nouvelles technologies notamment la cyber criminalité.
Ces changements multiples font naître des risques nouveaux.
Autant de défis que devront anticiper et relever les pouvoirs publics tandis que l’exigence des citoyens d’une meilleure sécurité se situe à un niveau jamais égalé ; cela même quand les français restent dans leur majorité satisfaits de l’action de la Police nationale ; cela même quand 6 français sur 10 se déclarent satisfaits de l’action de leur municipalité en matière de sécurité (cf. baromètre Fiducial « de la sécurité » réalisé par Odexa en janvier 2020) ; 61% d’entre eux estimant par ailleurs que les prérogatives du maire sont insuffisantes en matière de lutte contre l’insécurité.
Toutefois, cette confiance de la population dans les institutions en matière de sécurité, qu’il s’agisse de l’Etat à travers la Police nationale ou du maire à l’échelon local si elle reste positive, s’inscrit cependant dans une tendance baissière sur le long terme.
La suppression de la Police de proximité en 2003 et son remplacement par la politique du « chiffre » et de « l’intervention » devenus l’alpha et l'oméga du métier de policier s’est faite au détriment d’une action plus ouverte et fondée sur le discernement, l’initiative et le respect des principes qui fondent l’action de la force publique dans la République – cf. articles 2 et 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme ; ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »
« La garantie des droits de l’Homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour ceux auxquels elle est confiée … ».
Le Code de déontologie de la Police nationale institué par un décret de mars 1986 rappelle que la Police nationale concourt sur l’ensemble du territoire à la garantie des libertés et à la défense des institutions de la République, au maintien de la paix et de l’ordre public et à la protection des personnes et des biens (article 1er) et qu’elle s’acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois. L’apprentissage et la connaissance de ces principes donnent tout son sens à la mission de police. C’est pourquoi, ces principes doivent être rappelés tout au long de la carrière, en formation initiale comme en formation continue, ou en stage de franchissement de grade etc.
La décision hautement symbolique de Pierre Joxe, Ministre de l’intérieur en 1984, d’afficher dans tous les locaux de police accueillant du public, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que la diffusion, quelques mois plus tard, le 19 mars 1986, du premier code de déontologie intégré aux dispositions de la Loi du 7 août 1985 relative à la police nationale, constituent le socle de l’éthique policière.
Les changements des comportements impactent toutes les formes de criminalité et de délinquance et nécessitent une adaptation de la riposte conduite par les services de sécurité. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le trafic de stupéfiants.
Pas une semaine, pas un jour sans que survienne une rixe mortelle, le plus souvent liée à une problématique de trafic de stupéfiants. Les grandes agglomérations sont souvent le cadre de cette violence mais pas seulement.
Ainsi, dans son édition du 9 juillet 2021, un grand journal du soir rend compte de l’irruption de trafiquants de drogue venus de la région parisienne, plus précisément, du département du Val-de-Marne, dans une ville moyenne de la région Bourgogne. « Cette arrivée des « parisiens » a chamboulé le trafic local et leurs méthodes musclées ont bouleversé la vie des habitants. »
« Jamais le Creusot, ville industrielle de 20.000 âmes, n’avait assisté à pareil déchaînement de violence, faits de fusillades et de règlements de comptes. »
Progressivement, un nombre de plus en plus élevé de villes moyennes et petites, jusque-là relativement préservées, sont devenues la cible de trafiquants chevronnés issus des grands centres urbains à la recherche de nouveaux territoires où développer leur « sale business » dans des zones qu’ils pensent moins concurrentielles et surtout moins surveillées par la police et la gendarmerie.
Pour exemple, en juin et juillet 2020, le quartier « des Moulins » à Nice est le théâtre de 3 fusillades dont la dernière se déroule en plein jour à l’entrée d’un supermarché ; en, juin 2020 à Dijon, de très violents affrontements opposent des membres des communautés tchétchènes et maghrébines ; le 23 juillet 2021, un adolescent de 14 ans et un autre de 13 ans sont tués à l’arme blanche lors de rixes survenues à Saint-Chéron et Boussy Saint-Antoine…
Les visites ministérielles aussi nécessaires et utiles soient elles, ne suffisent plus à rassurer et apaiser une population en proie à la peur, qui attend désormais des résultats concrets de mise hors d’état de nuire les auteurs de ces violences intolérables. Ces visites ne suffisent pas davantage à masquer les difficultés grandissantes des pouvoirs publics à faire respecter partout et par tous, la loi républicaine sur notre territoire.
Quelle stratégie de sécurité publique déployer pour endiguer et faire régresser la montée de ces nouvelles formes de délinquance, qui pèsent sur la vie quotidienne de nos concitoyens et augmentent la charge des services de sécurité ? Aujourd’hui, compte tenu de l’ampleur des difficultés à traiter, seule une approche globale est de nature à contenir le développement de ces violences.
Pourtant, les données sont là. Elles sautent aux yeux. L’abandon des quartiers populaires les plus sensibles par les services publics et en dernier lieu par les services de police est une erreur stratégique que la France a déjà chèrement payée avec les attentats de 2015, 2016 et 2017. N’oublions pas que ces actes barbares s’ils ont été le plus souvent organisés à l’extérieur de notre territoire (en Belgique) ont été commis à l’intérieur de nos frontières, par des jeunes gens nés sur notre sol et qui ont grandi dans nos cités.
En 2015, la France a connu une série d’attentats qui en font l’année la plus meurtrière en matière de terrorisme depuis la guerre 39/45. La menace s’est amplifiée dans une période où le renseignement intérieur français était en pleine mutation, suite à la dissolution des renseignements généraux par Nicolas Sarkozy. La commission d’enquête de l’Assemblée nationale a tiré les enseignements de cette période dramatique : « Tous les français ayant frappé le territoire national en 2015 étaient connus à un titre ou à un autre, des services judiciaires, pénitentiaires et de renseignement. Ils avaient tous été fichés, contrôlés, surveillés ou incarcérés à un moment donné de leur parcours de la délinquance à la radicalisation violente. »
Aujourd’hui, alors que la menace djihadiste persiste à un haut niveau, et que de nouveaux risques hors du champ terroriste apparaissent, tel que celui des bandes dont l’activité criminelle pèse gravement sur la vie de nos concitoyens, l’objectif est bien d’identifier et d’interpeller les membres de ces groupes, avant leur passage à l’action violente. Ce qui suppose la mobilisation d’effectifs importants dédiés à cette mission vitale. Au regard de son niveau d’emploi actuel, la police nationale ne peut assurer seule ces missions supplémentaires, ce qui implique la participation d’autres acteurs de la sécurité. Exerçant déjà de nombreuses tâches, appréciées de la population, les polices municipales ont acquis les caractéristiques, aux yeux de l’opinion, d’une police proche et à l’écoute des habitants. Ces formations connaissent un développement croissant : déployées dans 4.500 communes, elles comptent 21.500 agents avant la création à Paris d’une police municipale de 4.000 agents. Leurs missions sont loin d’être uniformes et dépendent directement du maire qui peut leur déléguer tout ou partie de ses prérogatives de police administrative.
Le traitement des incivilités et des faits de petite délinquance dont la répétition perturbe profondément la tranquillité des habitants de nos villes et de nos villages, doit associer davantage les polices municipales à cette tâche. Les dispositions appropriées devraient être prises à cet effet :
• Inciter la création de polices municipales dans les communes au sein desquelles s’applique le régime de police d’état avec la définition d’un effectif de référence qui tiendrait compte des spécificités du territoire ;
• Définir le coeur de métier de la sécurité publique et les tâches auxquelles pourraient être associées les polices municipales et organiser leur articulation avec les services de police et de gendarmerie ;
• Élever le niveau de recrutement et la formation dispensée aux personnels en prévoyant un contrôle effectif de leur activité par une inspection commune IGA/IGPN ;
• Déterminer par la voie contractuelle l’effort partagé entre l’Etat et la collectivité qui offrira dans un cadre pluriannuel la mobilisation des moyens nécessaires.
Cette mesure valoriserait les fonctions de policiers et de gendarmes en leur permettant de s’attaquer aux nouvelles formes de délinquances (cf. supra), en mobilisant un maximum d’effectifs sur leurs objectifs prioritaires, tandis que les policiers municipaux se verraient offrir un rôle conforté et des responsabilités accrues au sein du dispositif local de sécurité intérieure.
Mais la police ne peut, à elle seule, rétablir la situation dans les quartiers et les territoires en difficulté de la République. Dès lors, comment sortir de cette impasse ? En imposant des règles de vie collective plus strictes ; en organisant le retour des services publics ; enfin, en mettant les moyens nécessaires et suffisants pour endiguer le trafic de stupéfiants avec une planification conjointe de l’action de la police et de la justice (cf. action de pilonnage de la police à Marseille sur les trafics et la consommation de drogue).
Le trafic de stupéfiants constitue un principal vecteur de troubles graves à l’ordre public, particulièrement quand il est adossé à un hall d’immeuble ou bien implanté dans un îlot résidentiel. Plus précisément, le trafic se caractérise par une appropriation par les dealeurs de l’espace public ou de de l’espace privé ouvert au public, dégradant les conditions de vie et se traduisant par des actes d’intimidation envers les habitants et des agressions quotidiennes contre les forces de police qui pénètrent sur leur territoire. Il faut rendre hommage aux policiers pour le courage et le professionnalisme dont ils font preuve dans l’exercice de leur mission.
A-t-on la volonté de mettre en œuvre de telles mesures ?
C’est à ce grave enjeu que doit répondre le Beauvau de la sécurité. En même temps qu’il lui faut apporter la réponse attendue pour améliorer la condition policière et valoriser les différents métiers de la police et de la gendarmerie. Plus que jamais, l’heure est à la mise en œuvre effective d’une réponse globale définissant un cadre financier pluriannuel, cela même de satisfaire les besoins colossaux des services en effectifs, en moyens matériels et en équipement nécessaires à l’exercice des missions de police. L’enjeu est vital : la montée des violences est un défi majeur lancé à l’autorité de l’Etat républicain et une mise en cause insupportable de nos valeurs.
Un défi majeur que la France doit impérativement relever.