L’Europe n’est pas en guerre mais la guerre est en Europe
Vladimir Poutine bombarde les sites stratégiques ukrainiens avant une intervention au sol. Les bombardements proviennent de la Russie et de la Biélorussie.
En avril 2021, Poutine avait prévenu dans un article sur la Russie et l’Ukraine : « l’Ukraine ne peut avoir qu’une autonomie limitée ». Pour Poutine, l’Ukraine doit ressembler à la Biélorussie pas à la Pologne.
Comme pour l’Ossétie ou la Géorgie, le Kazakhstan ou la Biélorussie, Poutine veut construire ou reconstruire un glacis. C’est la guerre avec son cortège de destructions, d’exodes et de morts.
Il faut commencer par une pensée de solidarité avec le peuple Ukrainien.
Dans l’enchevêtrement des événements, il n’est pas temps de fixer les responsabilités mais de tenter de mesurer les conséquences.
Disons simplement : Poutine est l’agresseur, sans mettre sur le même plan, depuis le bombardement de la Serbie sans accord du conseil de sécurité, celle de la Libye roulant Poutine dans la farine, l’intervention en Crimée, rendant impossible l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan mais laissant croire que celle-ci pourrait en être etc.
Nous avons alimenté le feu d’un dictateur.
Poutine a préparé son intervention. Je l’ai expliqué dans ces colonnes au début du conflit. Il en avait besoin, tout à la fois, pour des raisons internes que pour revenir dans le jeu mondial.
Il ne s’agit pas du retour de l’URSS. Poutine n’avait-il pas dit « Ne pas regretter l’URSS, c’est ne pas avoir de cœur. Vouloir restaurer l’URSS, c’est ne pas avoir de tête » ?
Il suffit de regarder une carte pour comprendre que, à l’instar de la grande Russie de la mer du Nord à la mer Noire, le maître du Kremlin veut son mur humain. Et les Américains l’ont parfaitement compris en se prédisposant dans les pays Baltes.
Poutine ressemble au Dimitri Karamazov, de Dostoïevski et sa « nature large » faite de cynisme et d’idéalisme.
La brutalité nous la connaissons. L’idéalisme, c’est la « démocratie souveraine » théorisée par son idéologue Vladislav Sourkov. Ce concept est très à la mode chez tous les identitaires et autres nationalistes de l'exclusion en Europe et dans le monde Occidental.
A la suite de l’invasion de la Crimée, les stratèges du Kremlin avaient théorisé la nouvelle Russie, celle de la « consolidation ».
Tout cela pour dire que Poutine n’est pas imprévisible mais totalement prévisible.
C’est la raison pour laquelle le « partenariat stratégique avec la Russie », cher au Président de la République et à Jean-Pierre Chevènement, nécessitait une grande cuillère. Et il n’était peut-être pas obligatoire de se rendre à Moscou en reconnaissant que la Russie avait un problème de sécurité, comme le fit le Président Macron, même si personne ne peut critiquer cette médiation pour la Paix.
Nous sommes donc maintenant dans les conséquences.
La première est géopolitique et ne se déroule pas en Europe. Le « conflit » sur notre continent est observé de Chine. Il a valeur de test après la normalisation de Hong Kong à propos de Taïwan.
Car ne nous trompons pas là aussi. La confrontation est globale même si le théâtre des opérations est local.
Elle oppose le nouveau duopole mondial entre la Chine et les États-Unis.
Et Poutine a utilisé ce moment pour avancer ses propres points. Il est d’accord avec les Chinois pour remodeler les relations internationales en estimant que le monde Occidental ne peut plus dicter ses lois économiques, voire ses valeurs au Monde.
Pour les États-Unis, cette « guerre » permet de réunifier l’Europe sous le parapluie de l’Otan. Le président Macron a dit qu’elle était en mort cérébrale. Mais en l’absence de l’Europe de la défense, ce conflit n’est pas malvenu pour les Américains.
Biden, plus qu’Obama ou Trump, a toujours été attentif à l’Ukraine. Il y avait fait un nombre invraisemblable de voyages. Il voyait parfaitement que c’était le maillon faible du dispositif mais aussi que l’avancée des Russes provoquerait une solidarité.
Il ne s’agit pas de caresser je ne sais quel complotisme qui n’a pas lieu d’être, ni d’exonérer Poutine de sa responsabilité d’agresseur, mais de mesurer les conséquences. Et dans ce domaine de la géopolitique, nous n’avons pas les moyens d’une autonomie. Nous - Européens - ne l’avons pas préparé.
La deuxième conséquence est économique n'étant pas radieuse. Les sanctions sont à l’Est mais les bourses dévissent à l'Ouest. La dépendance européenne au gaz Russe et la place de la Russie dans les pays producteurs de pétrole peuvent engendrer un choc énergétique, venant percuter une croissance toussotante post-Covid19. L’inflation combinée à une récession sera source de tension, tant sur le plan des taux (ils ont commencé à remonter) que sur le plan social.
La dialectique de la guerre n’est pas une science maîtrisable. Nous savons quand cela commence mais pas quand cela finit.
Le but de guerre pour Poutine est de réduire l’autonomie de l’Ukraine, de la réduire à la Biélorussie. Il décide de son « Guerre et Paix » en fonction de cet objectif. Et comme il a lu Lénine, il sait que dans la guerre c’est malheureusement « le temps qui commande les événements ».
La situation dans les pays européens sera tributaire de ce temps. Voilà pourquoi, au-delà des sanctions, et à partir du moment où nous n’enverrons pas de troupes en Ukraine, il faut avancer sur un cessez-le-feu. On ne peut croire que nous allons conclure un nouveau Brest - Litovsk.
Il faut assortir cette demande d’une sérieuse proposition de sécurité. Certes, dans les jours qui viennent, le temps sera à la réprobation.
Mais il faut cesser de subir les événements, il faut les anticiper. Et imaginer une sortie de crise avec une double protection de l’Ukraine par l’Europe et la Russie, comme Jacques Chirac l’avait proposé en son temps. Les Ukrainiens s’y étaient opposés, d’ailleurs les Américains aussi. Mais la guerre est sur notre continent et nous avons besoin de paix. Après, la question d’une défense commune européenne pourra être posée.
Nous entrons dans des temps incertains. Et il vaut mieux avoir les idées claires sur nos intérêts communs en Europe dans le cadre de nos alliances stratégiques.
Quant à la Présidentielle, je crains qu’elle ne soit vitrifiée par les bombardements s’ils continuent.