Le président Emmanuel Macron en a fait l’amer constat ; les Français sont revenus à leur colère. Cette colère rampante que je pronostiquais il y a un an. J’analysais aussi qu’il n’y aurait pas convergence des luttes, faute de débouché politique ou de revendications unifiantes.

S’il n’y a toujours pas d’alternative crédible à Emmanuel Macron, ni moyen d’en imposer une à court terme, la question des hausses du carburant joue le rôle de revendication unifiante. C’est un peu la questiondu pain sous l’Ancien Régime.

Les colères, les amertumes, les frustrations trouvent leur débouché dans UNE revendication qui les cristallise toutes. Et, ce n’est pas le succès ou l'échec du 17 novembre qui changera l’affaire. On peut dire que la revendication a déjà joué son rôle d’unification de la colère.

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a déclaré sur BFM : " ce mouvement est irrationnel mais réel". 

Ce désarroi vient du fait que le ministre ne corrèle pas CE mouvement AUX mouvements. Ou ne corrèle pas cette colère à l’effondrement d'Emmanuel Macron dans les sondages et à sa panne de gouvernance. Macron n’arrive ni à anticiper ni à changer de terrain ni à reculer en bon ordre. 

Ce régime solitaire hors sol, entièrement construit autour d’une personne,avait tiré sa force dans une confiance réelle ou supposée. 

Nous sommes rentrés dans un état de défiance. Et tout ce qui faisait la force devient aujourd'hui faiblesse. 

Il y a donc un vide dans la situation politique. En haut, on ne sait plus comment faire. En bas, on n’en peut plus. Laisser faire…

Alors, Alain Juppé n’a pas tort de dire si ce n’est plus Emmanuel Macron c’est le saut dans le vide. 

Mais Emmanuel Macron ne joue-t-il pas avec ce vide ? Il n’espère pas se rétablir. Mais il espère établir le fameux moi ou le chaos. C’était particulièrement visible dans la conférence de presse - sur un porte-avions bonjour le symbole -

Emmanuel Macron évoque un « je vous ai compris ». Pour installer un « ça se joue entre vous et moi ». « Ne vous laissez pas instrumentaliser » ajoute-t-il.Un brin paternaliste. Entre vous et moi,il ny a rien.

Il aurait pu ou dû demander à rencontrer les syndicats dans la journée du 17 novembre afin de ne pas laisser prospérer ce type de mouvement. Il aurait ainsi offert un débouché. 

Mais non ! il joue le face à face, prenant d’énormes risques, ayant lâché avec Édouard Philippe tout ce qu’il pouvait lâcher sans reculer.

Il faut aussi analyser les conséquences de cette stratégie de décomposition du paysage politique. 

On avait vu se constituer ausecondtour des élections partielles,une sorte de tout,sauf Macron. Mais là nous assistons à une jonction dans la lutte. Il y a un fait nouveau, un fait marquant et peut-être signifiant. Pour la première fois sous la Ve République l’extrême-droite et l’ultra gauche appellent de manière convergente à un mouvement social. 

Ce qui était hier improbable ou réservé à l’Italie ce « tous ensemble » quelle que soit la nature du lutteur, est un fait majeur en France.

J’ai été particulièrement intrigué par la justification de Jean-Luc Mélenchon : "on dit qu’il y a des fachos... Mais les fachos sont partout "Voilà une nouvelle barrière qui tombe. Jean-Luc Mélenchon n’a pas dit : " disputons aux fachos ce mouvement " il dit “ce n’est pas” ou “ce n’est plus le problème”. 

Le problème c’est la constitution du peuple dans l’affrontement avec l’oligarchieauraient dit les théoriciens du populisme de gauche,Chantal Mouffe ou Ernesto Laclau.

Il ny a pas de contenu à la lutte, autre que la lutte elle-même permettant de construire un peuple.

Pour le reste, c’est le vieux slogan du spontanéisme. C’est la lutte qui détermine l’issue de la lutte. On est loin de François Mitterrand...Ou de Lionel Jospin.

Quant à Marine Le Pen,il est plaisant de la voir s’embarquer sur l’orientation de Florian Philippot qui préconisait l’alliance des patriotes jusqu’à Jean-Luc Mélenchon. 

On imagine ce que doit en penser Le Pen Père !

Le problème n’est pas que ce mouvement soit récupéré par la France Insoumise ou le Rassemblement national. Ce n’est pas la récupération le phénomène nouveau, c’est la jonction. Mais le débouché ne peut être commun aux deux formations. 

Car tout le monde pressent que le contenu derrière la revendication unifiantec’est le pouvoir d’achat. Ce mouvement qui a commencé avec les revendications dans la pénitentiaire, il y a un an. Nous avions souligné ce changement de paradigme... Le salaire avant l’emploi. 

Évidemment la solution à cette crise n’est ni dans les cartons de la France Insoumise ou du Rassemblement national... D’ailleurs ce n’est pas leur sujet. 

Cette conjonction, cette convergence parallèle n’est pas le centre de la crise.

Car celle-ci a un épicentre, le rejet de Macron.

La contestation du cour radicalement libéral, la politique fiscale pour les plus riches, le mépris de ce qui était avant, l’unilatéralisme dans les relations sociales, l’affaire Benalla et les affaires, la démission de Nicolas Hulot, puis l’échec de l’itinérance mémorielle, le flop diplomatique du 11 novembre, la chute continuelle dans les sondages, la solitude du Président, l’absence de résultats, l’incapacité à penser un rebond, tout cela est criant.

Après s’être dit : laissons-lui sa chance. Les Français se disent : et si on avait été trompé sur la marchandise ?

Je l’ai dit : un régime reposant sur une tête d’épingle tombe quand celle-ci casse.

À propos de l’opinion, nous sommes passés dans la légende macronienne, du de Gaulle de 1962 au de Gaulle de 1969.

Nous sommes donc dans le rejet de Macron. Comme un greffé du cœur va mieux puis rejette l’implant. 

Nous allons vivre une crise de rejet sans les moyens de la conjurer. Car il n’y a ni solution politique ni débouché électoral à moins d’une dissolution. Ce qui n’est pas à cette étape le plus probable.

La France va s’enfoncer dans la dépression politique. Le Président pense en jouer. Mais le pays va encore plus s’y abîmer. Attention dans toute l’Europe le "consensus" de la raison débouche à la fin sur des crises majeures, en Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, Suède etc.

En France la crise de rejet peut bousculer les rythmes politiques.

Voilà qui explique la montée en gamme de Nicolas Sarkozy d’un côté, et de Hollande - Royal de l'autre. Et voilà qui pourrait bousculer quelques calendriers.