En 1968, Pierre Viansson-Ponté écrivait dans le Monde, quelques mois avant les événements de mai : la France s’ennuie. Nous pourrions dire aujourd'hui : la France fulmine.  

Les inégalités, la précarité, la relégation, sans parler du chômage, des salaires, de la pression fiscale, tout est insupportable, et d’autant plus qu’il se trouve des gens pour dire « vous vivez dans un pays de Cocagne ». 

Personne n’est dupe dans les cafés ou à la machine à café. Il aura fallu les gilets jaunes pour que le gouvernement lâche plus de 10 milliards d'euros, principale cause de l’augmentation du pouvoir d'achat. 

Et comme le gouvernement maintient, dans le même temps, les mesures favorables à l’investissement des entreprises les déficits sont là. Et pour les contenir comme le souhaite l’Allemagne et les traités, il faut privatiser, s’attaquer à l’état social et son bras armé la fonction publique. Coincé, le président dit que la règle des 3 % de déficit public est “une norme d’un autre siècle”, dans un entretien donné au journal The Economist. Ceci après avoir brocardé ceux qui la critiquait. 

On peut s’en féliciter, mais on imagine l’interrogation, pour ne pas dire plus, au sommet de l’État après un tel retournement, comment cet aveu booste ceux qui réclamaient de s’affranchir de ce carcan pour une autre politique.

Mais pourquoi maintenant et à un hebdomadaire anglais ?

Tout simplement parce que Emmanuel Macron qui veut conforter sa pole position en vue de la présidentielle se veut en résonnance avec la droite dans valeurs actuelles et avec la gauche sur les déficits les 3 %, la politique allemande et l’Otan. C’est la même chose pour les retraites, satisfaire les libéraux en s’attaquant à ce sujet sans désespérer les sociaux.

Le président veut garder son cap. Mais va perdre son récit car tout est subordonné à la présidentielle à venir. Son conseiller politique Grangeon ayant averti les français : “Macron sera le dernier président républicain" 

Cette salutaire angoisse va se traduire par de nombreux contre pieds politiques qui vont accentuer l’incompréhension au sommet. 

L’effet du « grand débat » lui, est derrière nous. Et le sommet du G7 n’a convaincu que les “happy few” des relations internationales.

Ceci d’autant que Trump continue sa politique du « big stick » commercial et piétine allègrement le multilatéralisme, le président allant, après le retrait américain de l’accord sur le climat jusqu’à pronostiquer la mort clinique de l’OTAN. 

Un de ses prédécesseurs, en 1967, le général de Gaulle s’en était pris aussi à l’OTAN. 

Mais le plus cruel pour le président, après l’impromptu iranien à Bayonne, est la reprise de l’émancipation iranienne de l’accord sur le nucléaire et la verte admonestation de l’Ayatollah Khamenei sur la naïveté du président Emmanuel Macron. 

On l’aura compris, les Iraniens apprécient peu le faible empressement des Français à une solution stable dans la révolution du drapeau au Liban. Les Iraniens voient dans cette retenue une volonté de les affaiblir.

Si le front international n’est pas à la hauteur des espérances présidentielles, que dire de la situation française ! 

À force de vouloir une tête à tête avec Marine Le Pen, au point que le premier ministre en a fait l’aveu à l’Assemblée nationale dans une réponse à cette dernière, il est arrivé, installant Marine Le Pen en tête et démontrant que les "autres ", littéralement détruits par la pratique unilatérale présidentielle, ne se mobilisent pas ou peu pour lui au second tour.

Dans ces colonnes, nous avons formulé un sombre pronostic sur le 2e tour de la présidentielle, nous n’y revenons pas (Comment Marine Le Pen va gagner la présidentielle ? http://www.cambadelis.net/index.php/reflexions/260-pourquoi-marine-le-pen-va-gagner-la-prochaine-presidentielle)

Mais force est de constater que le pays va mal. L’explosion sera-t-elle sociale ou électorale, voire les deux ?  En tout cas la plaine est sèche. Il ne manque que l’étincelle. 

Tout y concourt. Le cap sur l’adaptation au modèle anglo-saxon dont le président ne démord pas, une société du "toujours moins" d’acquis, de protections, pour fluidifier le marché et qui ne passe pas.

Une absence d’alternative politique laissant entendre que rien ne changera tant que le peuple n’aura pas secoué fortement le cocotier.

Mais il y a autre chose. Une série de fautes psychologiques qui donnent à la situation un côté incontournable :

La cacophonie des retraites, où le pouvoir annonce vouloir passer en force mais après les municipales. L’électorat comprend « si cela était bon pour nous, ils n’attendraient pas la fin des municipales.  Et seul une déroute du parti au pouvoir peut stopper ladite réforme. Voilà qui annonce des municipales moroses pour le parti au pouvoir

Les mieux disposés, comme la CFDT, voient dans la volonté de combiner réforme systémique et paramétrique, une erreur capable de ruiner une idée portée par eux depuis une décennie. On peut comprendre leur agacement.

Souvenons-nous que les ordonnances sur la Sécurité sociale en 1967, avaient de fait, créé un front syndical contre le gouvernement gaulliste pourtant réélu deux ans plutôt, l’évolution de la CFDT et de la CGT-FO à ce moment-là, n’ayant pas été pour rien dans le changement du climat social de l’époque. 

La question de la réforme des allocations chômage réduisant mécaniquement le nombre d’ayants droits et touchant près de 50% des allocataires, a provoqué la colère de la CFDT. Une " tuerie " s’est risqué Laurent Berger, ne retenant pas ses coups. 

Lors d’un selfie, un magasinier de super marché me disait : " ils nous parlent des retraites, nous disent on discute et nous frappent sur le chômage. C’est toujours les petits qui trinquent. On va s’en souvenir. On n’a plus rien à perdre " 

 Ne vous trompez pas, c’est cela le climat.

Jamais en retard pour allumer d’autres feux, le président agacé d’une polémique que d’autres ont déclenché, dit que le voile n’est pas son problème, hystérisant une partie de l’opinion chauffée à blanc par les identitaires, après avoir évoqué une société de vigilance, clairement à l’encontre des musulmans. Le ministre de l’intérieur proposant d’ailleurs comme référence de la radicalisation le port de la barbe et une tâche sur le front. Comment voulez-vous dans ces conditions qu’une communauté laïque ou croyante, issue de cette culture, ne se sente pas menacée. Ce qui est - si on me permet l’expression - du pain béni pour ceux qui exigent des croyants qu’il se regroupe derrière le Coran.

La 100eme loi sur l’immigration a accouché des quotas jugés impraticables par la ministre de la Justice. Avant que celle-ci fut rappelée à l’ordre par le président pour " ses états d’âme », ambiance… Lui qui avait trouvé astucieux de s’exprimer sur le sujet dans Valeurs actuelles.  Dans ce moment de surenchère, le premier ministre ira jusqu’à dire qu’il faut reprendre en main le défi migratoire. Jean-Marie Le Pen doit ronronner d’aise.

Le en même temps a envahi toute la sphère politique. Tout cela provoque un désordre en tous sens. Une polémique chasse l’autre à un rythme haletant, effréné et effrayant, mais ce vent des polémiques propositions, contre-propositions continue et tourbillonnant, souffle sur les braises de la colère. 

Au sommet le désaccord est palpable sur tous les sujets, retraites, immigration, budget, écologie. Le groupe parlementaire La REM multiplie lui les tribunes d’états d’âmes. Emmanuel Macron semble se moquer de tout cela. Il doit penser que les institutions le protègent. Elles protégeaient aussi le général de Gaulle en 68 avant qu’il ne parte à Baden-Baden.

En bas, chaque jour une catégorie sociale déploie non seulement ses revendications mais son mal vivre. Ce sont maintenant, après les métiers du transport, de sécurité, de santé, les enseignants qui soulèvent les chiffres de suicide dans leur profession.

Et puis, l’assemblée des assemblées des gilets jaunes vient de décider de converger le 5 décembre. Le pouvoir, redoutant ce rendez-vous et le faisant savoir, lui a donné de la force. La nuit du 5 décembre menace de ne pas être de tout repos. 

Cette conjoncture explosive ne se déploie pas dans n’importe quelle situation ... Partout les images, Chili, Équateur, Catalogne, Liban, Irak, Hong Kong… 

et même en Hongrie, voire par petite touche la Russie. Les situations n’ont évidemment rien à voir. C’est l’image de ces foules montant à l’assaut des gouvernants qui fait son chemin. Et en 68 aussi, il était difficile de comparer le campus de Berkeley, les Zengakuren japonais, le peuple tchèque, ou les ouvriers de la SNIAS de St Nazaire déclenchant la grève générale. Pour autant, chaque mouvement a fait image nourrissant l’autre.

Le fond de l’air sent la poudre sociale. 

Et Le fond de l’air électoral ne sent pas la rose. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les scores en Allemagne de l’AFD. Ceux que l’on prête à Salvini dans les sondages ou à Marine Le Pen. 

L’extrême droite tirera-t-elle les marrons du feu de cette extrême colère ? 

Comment ceci va-t-il se dénouer en France ? La grève générale des transports sera-t-elle à l’aune de novembre-décembre 95 ? Débouchera-t-elle sur un mouvement dans tout le pays ?

La convergence est dans les têtes, sera-t-elle dans la rue ?  Ce n’est pas impossible tant la colère en bas est puissante et la fébrilité au sommet est palpable.  

Cela monte de toute part. Comme les artères cela se bouche peu à peu, l’infarctus social et politique menace.On ne saurait le souhaiter. Si on est une femme ou un homme d’État. Car personne ne sait ce qui surgira des décombres. 

Il faut reconstruire d’urgence une solution républicaine aux tourments et blessures du pays.

Il faut presser le pas. L’explosion vient.


 

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