Un étrange paradoxe régit le tandem franco-allemand ; les Français sont globalement défavorables et critiques vis à vis de l’Europe, alors que les Allemands le sont moins. Mais les gouvernements et notre droit sont très européens, alors qu’en Allemagne, on ne l’est point.  

On ne compte plus les entorses allemandes à la solidarité européenne : de la reconnaissance unilatérale de la Slovénie et de la Croatie vers la fin de l’année 1991, à son orthodoxie aveugle sur le budget, aux décisions sur le nucléaire après Fukushima, sans oublier l’accueil sans préparation d’un million de réfugiés. 

Le philosophe Ulrich Beck résumait la situation par cette formule : « l’Allemagne européenne dans une Europe allemande ». Ce fut, aussi, le slogan de Martin Schultz, ancien président du Parlement européen et patron du parti social-démocrate : « je veux une Allemagne européenne et pas une Europe allemande ». C’est donc qu’il y a un sujet. 

Ce problème, majeur pour l’avenir de l’Europe, a de grandes chances de ne pas être abordé lors des prochaines élections.  

Il y a une différence de nature dans l’approche européenne entre l’Allemagne et la France. 

En France, les directives européennes ne sont contrôlées que de manière restreinte dans leur transposition dans l’ordre juridique national. Cette situation est le produit d’une ambiguïté entre la Cour de justice de l’Union européenne et les autorités judiciaires françaises. 

Depuis l’arrêt Simmenthal de Mars 1978, la Cour de justice estime que les normes européennes priment sur toutes les normes de droit interne. Mais le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel estiment eux que l’ordre juridique français, la constitution, restent la norme suprême. 

Le Conseil constitutionnel a donc décidé de ne pas contrôler la constitutionnalité des directives. Elles doivent être transposées sans passer par la case Conseil constitutionnel.

En Allemagne, la cour de Karlsruhe a statué sa propre prévalence par rapport aux traités. Ainsi, toutes les décisions prises au sein de l’Union économique et monétaire doivent être validées par les juges de Karlsruhe. De surcroît, le Bundestag et la Cour constitutionnelle justifient leur choix par la loi fondamentale de l’Allemagne qui est fédérale. Cela lui permet de trouver des excuses permanentes, le Bundestag se défaussant sur les Länder. 

Pour autant, l’Allemagne a une position dominante au sein des institutions : quatre présidents de groupe sur huit, le secrétaire général et son adjoint au Parlement européen, le secrétariat général de la commission, le secrétariat général du service diplomatique européen, la présidence de la BEI, de la Cour des comptes, du Mécanisme européen de stabilité (MES), du conseil de résolution unique ... Et bien sûr « la direction générale de la concurrence de la commission européenne » qui a toujours été la chasse gardée des juristes allemands, refusant tout jugement politique et Europe puissance. 

Nous sommes passés d’un compromis historique entre la France et l’Allemagne autour de l’Euro : l’abandon du deutsche mark, contre l’indépendance de la banque centrale et la lutte contre l’inflation et la croissance. C’est à dire d’une sorte d’équilibre entre Helmut Kohl et François Mitterrand à un déséquilibre.

Il y a une supériorité allemande dans le couple. L’Allemagne préserve juridiquement ses choix nationaux et influence clairement ceux de l’Europe. Et cela, pas seulement grâce sa puissance économique. Ajoutons que le couple franco-allemand pouvait entraîner à une Europe à 12. Mais, aujourd'hui à 27, cela est compliqué, et renforce les tendances à la renationalisation des politiques.

Si l’Allemagne est plus nationale qu’européene, la France n’a, elle, aucune stratégie d’influence européenne s’en remettant à la ligne Maginot de sa puissance étatique. 

La France rêve d’une Europe française pendant que l’Allemagne administre une Europe allemande.

Le dernier épisode (ô combien signifiant !) fut la réponse de Annegret Kramp-Karrenbauer (dite AKK), la patronne des conservateurs allemands. Devenue présidente de la CSU à la suite de 6 mandats d’Angela Merkel ; elle pourrait devenir chancelière. 

Dans une missive d’une invraisemblable violence sur le fond, elle soufflette littéralement le président Emmanuel Macron, sans que cela émeuve le moins du monde les candidats aux européennes, ni les médias français. 

Le fétichisme franco-allemand, qui permet à l’Allemagne de jouer dans sa zone de confort, est une incroyable paresse intellectuelle pour les Français.  

AKK écarte, sans ménagement, la création d’un budget de la zone euro, même si on lui trouve de nouvelles ressources, celle d’un parlement de la zone euro voire d’un gouvernement. Pour la représentante du parti au pouvoir en Allemagne, la solidarité financière n’est pas à l’ordre du jour, pas plus que le bouclier social proposé par Emmanuel Macron, position de la France depuis Jacques Delors et défendue par Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande.

Mieux ! AKK en rajoute dans l’humiliation ; l’Allemagne se dit intéressée par l’Europe de la défense. On sait que l’absence de dépenses militaires lui a longtemps procuré des gains de compétitivité d’un point. Attention, il ne s’agit pas de construire un pilier militaire franco-allemand, mais de contrôler les opérations extérieures, l’Allemagne ayant peu goûté l’intervention française au Mali. 

Et, pour couronner le tout, AKK demande que la France renonce au parlement à Strasbourg et partage son siège aux Nations unies. 

Voilà tout est dit ; quand on sait que l’Allemagne est défavorable à ce que le parti gagnant les élections européennes préside la commission. D’ailleurs, Emmanuel Macron a accepté sans combat cet accroc majeur aux principes européens, lors de son discours devant le Parlement européen.

On se demande vraiment à quoi vont servir les élections européennes.  

L’Allemagne ne veut pas bouger. Elle utilise simplement les traités pour contraindre ses partenaires à être dans les clous budgétaires. 

Elle, qui profite tout à la fois de l’Euro peu cher, du dumping social de l’Europe centrale pour son industrie, le tout générant des excédents structurels en Europe. Même si, elle n’est pas la seule à bénéficier de cet avantage compétitif en Europe.  

L’Allemagne bloque toute idée d’endettement budgétaire, tout réel contrôle bancaire, toute politique sociale et fiscale. 

Est-il possible de dire, dans ces conditions, à quoi sert l’Europe ? Alors que l’Allemagne refuse de taxer les GAFA et se déclare réticente à investir massivement dans l’intelligence artificielle.

Cette stratégie de l’immobilisme, renforcé par les manques français, conduira inéluctablement à la paralysie puis à l’éclatement. 

La France est rentrée dans l’épure des 3% de déficits. Au prix d’une colère sociale sans précédent, d’un délabrement de sa puissance publique, et d’un populisme cumulé de 40% dans les sondages.

Il serait temps que les élites allemandes affrontent leurs retraités. 

Les vrais Européens qui voient la solidarité européenne s’étioler, doivent tirer la sonnette d'alarme. Ils doivent taper du poing sur la table.  

L’Allemagne doit devenir européenne.


 

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