La Gauche est-elle en état de répondre à la situation actuelle ?

L’inflation continue son envolée alors que le déficit public de la France s’est hissé à son plus haut niveau. 

La guerre en Europe provoque un emballement de la hausse des matières premières, qui n’avaient pas attendu celle-ci pour s’accentuer. 

L’effet ciseaux est là, entre la dépense publique pour le pouvoir d'achat et les déficits publics, dans un moment de remontée des taux d’emprunts de la France. 

Le moral des Français continue à se dégrader. La perte de confiance en la décision publique atteint des sommets. La vie politique est secouée par des scandales sexuels, pendant que la déconstruction républicaine suit son cours. Chaque corps de l’État se claquemure dans ses référents : ce qu’on appelle le « corporatisme ». Pendant que la colère, l’amertume, le dépit ou le complotisme submergent l’opinion. 

Et, au milieu de ce qu’on peut appeler une « dépression sociale », la crise politique vient de se nouer.

Les élections n’ont pas joué leur rôle de catharsis. Plus d’un Français sur deux n’a pas voté. Et le vote utile fut le principal mode de sélection. Alors l’artificialité de la représentation politique devient symptôme de la crise politique. 

Enfin, la « querelle de légitimité » entre un Président élu et une Assemblée sans majorité absolue s’ouvre. Devant cette dérobade française à son endroit, le Président cherche à rétablir la primauté de l’exécutif. 

Il pousse l’Assemblée nationale à « collaborer ou à bloquer » pour mieux reprendre l’initiative par un référendum et (ou) une dissolution. Cette stratégie de la tension, le « il faut tenir » à ses ministres, en dit long et ajoute à l’instabilité l’absence de visibilité. 

La combinaison de la crise sociale, de la crise politique et de la crise institutionnelle sur fond de stagflation avec un affaiblissement de l’euro face au dollar et la hantise du mur des déficits, d’une part, et, l’inflation qui va miner le pouvoir d’achat des ménages, d’autre part, font craindre une sortie de route de la démocratie française.

Le risque est grand de voir cet engrenage échapper à tout contrôle. Le spectre de la crise de régime comme en 68 rôde en facteur d’ordre avec le Rassemblement national... Pas réjouissant... La Gauche doit partir de là !

La Gauche est-elle en état de répondre à cette situation ? Elle a abdiqué devant la « solution Mélenchon », vécu comme un sauve-qui-peut. Elle s’enferme dans le réduit contestataire. Elle délaisse le cœur du jeu politique pour les délices de ses marges. 

En s’appuyant à gauche sur l’aspiration à l’union, Mélenchon, qui l’a constamment combattue, verrouille la Gauche dans la radicalité. Ce qui veut dire dans un programme de rupture, non avec le libéralisme mais avec l’économie de marché. Ceci, au nom du fait que la social-démocratie ne peut agir. Car, pour La France insoumise, le capitalisme financier n’offre plus de capacités de compromis ou de redistribution. Le parti de gauche, noyau dur de LFI, préconise donc la révolution par les urnes, certes, mais la révolution. 

Le but de LFI n’est pas la sortie de crise mais de l’utiliser pour créer les conditions de la révolution. La récente conférence de presse de Jean-Luc Mélenchon sur la situation politique, énoncée depuis le 87 rue du faubourg St-Denis, siège du parti trotskiste, POI, tout un symbole, en témoigne.  

Après avoir indiqué que la clé de voûte de la NUPES était la désobéissance aux traités européens, que la préparation de la liste unique aux européennes est en piste et que cette désobéissance était le point d’ancrage anticapitaliste, il s’envole pour l’Amérique latine afin de voir de près le scrutin révocatoire. L’ancien candidat au poste de premier ministre lance un appel « pour une grande marche contre la vie chère ». Il prend soin de souligner que les syndicats sont incapables de le faire. Il prophétise aussi de nouvelles élections pour dénouer la crise. Il sous-entend ainsi « vous ne pouvez sortir de l’alliance NUPES si vous voulez être réélus », et d’assumer plus clairement dans Libération : « il coûtera très cher de descendre du train » …Bref, la NUPES on ne la quitte pas.

Et ceci, sans un regard sur la percée du RN et son national-populisme à la Présidentielle et aux législatives, devenant candidat crédible au pouvoir. 

Pourquoi Mélenchon agit-il de la sorte ? Pour deux raisons : la première est le syndrome du cycliste où il faut pédaler pour ne pas tomber ; la deuxième est « qu’il faut radicaliser » pour éviter que la NUPES ne se délite. C’est dans la confrontation avec Macron que se maintient l’union. Et cette confrontation permet la radicalisation qui, elle-même, verrouille l’union.  

Le Parti socialiste, les Écologistes et, dans une moindre mesure, le PCF sont pris au piège. Soit on est dans l’union, soit on est avec Macron, semble dire La France insoumise. Et peu à peu la NUPES dissout les identités au nom de l’unité. 

Le fait qu’Olivier Faure ait lancé une campagne d’adhésion à son effigie, demandant aux Français d’adhérer au PCF, EELV, LFI, ou au PS pour renforcer la NUPES, illustre combien la gauche dite réformiste est prisonnière. Et nous n’évoquerons ni la motion censure initiée par LFI, ni le projet de texte au parlement sur la vie chère reprenant les thèmes de LFI etc… Sans oublier cette saynète pas tout à fait « living theatre » ni hommage à Peter Brook récemment décédé. Ce mariage grotesque entre Macron et Marine le Pen joué devant le palais Bourbon renforce, s’il en était besoin, la tentation de la marginalisation. 

Mais Jean-Luc Mélenchon se heurte à sa propre analyse politique élaborée pour le conforter. Le paysage politique serait, pour lui, constitué de trois blocs : réactionnaire, libéral et de gauche. Évidemment la gauche c’est lui !

Cette lecture de la situation, qui fait fi de son caractère artificiel, dû au vote utile et à l’abstention, est une impasse électorale. Car à tous les coups, l’alliance des libéraux et des réactionnaires fait front contre cette gauche radicalisée.

C’est d’ailleurs, comme nous l’avions pronostiqué, la raison de l’échec de la NUPES aux législatives.

Seule une orientation de centre-gauche peut, tout à la fois, réenchanter les abstentionnistes qui ne sont pas des populistes. Ils ne croient plus ou pas, tout simplement, aux lendemains qui chantent. Et on ne peut pas ramener à la gauche ses électeurs qui sont partis vers le vote utile pour Macron en déployant une stratégie de rupture. 

Il ne s’agit pas d’une analyse électorale mais d’une compréhension de la décomposition que nous vivons et des enjeux de la Nation. 

Conscient de cette impasse électorale, Jean-Luc Mélenchon veut réussir ce qu’il a raté lors du dernier quinquennat quand il n’avait pas pu faire la jonction avec les Gilets jaunes. Il veut être aujourd’hui l’intercesseur entre le politique et le social, pour tenter de briser le « tout sauf la Nupes ».

Son refus de se présenter comme député procède de cela : être au-dessus et être l’inspirateur du peuple, qui ne saurait se réduire à l’union des formations. Il y a là une forme de bonapartisme typiquement latino-américain dans la démarche. 

Mais c’est aussi faire fi, tout à la fois, du rapport de force réel dans le pays qui est de 70/30 en faveur de ce que Mélenchon appelle « le bloc bourgeois », et surtout des solutions de sortie de crise. Car chez Mélenchon les propositions sont des vecteurs d’éducation du peuple, de son émancipation vis-à-vis de l’aliénation capitaliste pour le conduire à la révolution, et non des propositions soutenables pour sortir les Français des difficultés. Le tour de passe-passe est d’autant plus crédible que le Président Macron reste sur une stratégie d’adaptation de notre modèle au modèle anglo-saxon. C’est une donnée constante du Président qui explique les dessous de l’affaire du lobbying pour UBER, qui va nous occuper pendant quelques jours.

La gauche doit ouvrir la perspective d’une sortie de crise par la gauche, c’est-à-dire plaider pour une nouvelle France et un chemin pour affronter les trois crises citées plus haut (crise sociale, crise politique et crise institutionnelle) :

-       Une conférence salariale annuelle pour des augmentations uniformes qui suivent l’inflation ; le blocage effectif des produits de première nécessité ; le maintien de la ristourne à la pompe tant que nous avons un prix du pétrole élevé par exemple, etc. ;

-       Une coordination européenne de lutte contre l’inflation car c’est au niveau européen que l’on peut être efficace et non dans une lutte au niveau de chaque pays ;

-       Une attitude responsable, ouverte réellement au compromis, soutenant tout pas en avant. La gauche ne peut être la madame toujours plus de la redistribution alors que nos marges de manœuvre budgétaire sont réduites. Les négociations dans la fonction publique de l’augmentation du point d’indice, l’augmentation des salaires de 4 % en moyenne à la SNCF, la RATP ou chez EDF sont à enregistrer.  

-       Une stratégie de rapprochement du mouvement syndical pour bâtir des dynamiques communes, tout en respectant leurs indépendances. 

Sur cette base, une nouvelle union se crée, plus équilibrée, plus praticable de tous ceux qui veulent la sortie de la crise à gauche.

Bref, la « Gauche plurielle » plutôt que « la Gauche unique ». 

L’exigence d’un référendum sur la proportionnelle avant toute dissolution pour pouvoir bâtir réellement des coalitions propres à des solutions pour les Français. Bref, « être à Gauche autrement ».  

Un vœu pieux ? Non !

Le chemin que trace le manifeste social-démocrate aujourd'hui, signé par 500 cadres du Parti socialiste dans 72 départements ; le travail que nous initions avec d’autres pour l’élaboration d’un programme fondamental, à l’instar de ce que fit le SPD ; le rapprochement des clubs se réclamant de la social-démocratie qui organisent un rendez-vous en septembre avant de participer aux débats avec des clubs venant de toutes les gauches en octobre. Oui, le débat pour la refondation idéologique est en marche !

La prise de conscience des principaux opposants à la ligne Mélenchon-Faure qu’ils sont des opposants et non pas une opposition ; que celle-ci doit se construire par la mutualisation des initiatives, en vue d’une réponse collective ; que la décision de la TOA (minorité du PS) de présenter une nouvelle motion derrière Hélène Geoffroy qui refuse la dilution du Parti Socialiste dans la NUPES, préconisant la refondation pour une union gagnante.

Oui, le débat pour la refondation politique est en marche !

Ce sont des signaux pas si faibles que cela pour déboucher dans la grande convergence du renouveau alors que des leaders de l’ancienne « gauche » du Macronisme donnent des signes de volonté d’autonomie. 

Il n’est donc pas nécessaire d’espérer pour entreprendre le chemin, pour « être à Gauche autrement ». 

La situation l’exige.